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L’Union africaine peut-elle survivre aux imbroglios diplomatico-politiques qui plombent toutes ses tentatives d’action continentale ?

Publié le jeudi 24 février 2011 à 01h51min

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Kadhafi avait tenté de se forger une image « panafricaine ». Les chefs d’Etat africains n’étaient pas « emballés » par ses propositions (notamment son obsession d’avoir une armée continentale capable de résister aux armées « occidentales » ou « asiatiques ») et n’étaient pas dupes du « Guide de la Révolution libyenne » qui entendait bien être, aussi, le « guide de l’Afrique » ; mais ils ne souhaitaient pas, pour autant, renoncer à ses subsides.

L’Organisation de l’unité africaine (OUA) a donc cédé la place à l’Union africaine (UA) mais le « guide » entendait aller plus vite, plus loin, prétextant qu’il avait été « un des artisans majeurs de cette Union africaine ». Il voudra, par la suite, à marche forcée, les Etats-Unis d’Afrique et la transformation de la Commission en une Autorité de l’Union aux pouvoirs supranationaux. L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale ne pouvant qu’afficher leur « passivité », c’est l’Afrique australe et l’Afrique orientale qui ont rappelé au « guide » qu’il était peut être maître chez lui mais qu’il ne l’était pas (encore) en Afrique. Son élection à la présidence de l’UA en 2009 aura provoqué une levée de boucliers jamais vue dans le cadre des sommets de l’UA comme de l’OUA. Et en 2010, le débat qu’il voulait instituer sur les Etats-Unis d’Afrique a été « retoqué ». « Hors sujet ».

Mais l’ombre du « guide » va longtemps planer encore sur l’Union. Compte tenu de sa « proximité » avec nombre de chefs d’Etat. Plus encore de sa vocation, désormais revendiquée, à devenir le « boucher » de son peuple. Si Ben Ali puis Moubarak ont dégagé sans faire trop de vagues, il est évident désormais que la chute de Kadhafi, aujourd’hui ou demain, restera soulignée à tout jamais en rouge dans les archives du continent. Or, si Ben Ali était « européen » et Moubarak « proche-oriental », Kadhafi a, lui, une forte image « africaine ». Qu’il cultive à satiété.

Reste que, moins d’un mois après l’accession à la présidence de l’UA de l’Equato-Guinéen Obiang Nguema Mbasogo, trois pays majeurs de l’organisation continentale - Tunisie, Egypte, Libye - ont rudement secoué la torpeur d’une Afrique dont on aimait à dire que les populations y acceptaient bien plus qu’ailleurs la soumission à des régimes « historiques » : 1969 pour Kadhafi, 1981 pour Moubarak, 1987 pour Ben Ali ! Des régimes « historiques » et « patrimoniaux ». Kadhafi et Moubarak avaient des ambitions pour leur « fiston » et Ben Ali pour sa belle-famille !

Je ne voudrais pas être à la place de Jean Ping, le président de la Commission de l’UA, qui doit gérer tout ce bazar nord-africain alors que, ailleurs, les choses ne vont pas si bien que cela. Et c’est un euphémisme. « L’affaire ivoirienne » est devenue, plus encore que par le passé, un cancer sous-régional et continental. Les métastases apparaissent partout et pas seulement en Afrique de l’Ouest. Et ce n’est pas le « panel » institué lors du dernier sommet de l’UA, à Addis Abeba, qui va permettre de solutionner la crise. Bien au contraire.

Non seulement cette opération - coûteuse - va échouer lamentablement et fragiliser plus encore le rôle de l’UA dans la recherche de solutions aux crises africaines, mais elle va provoquer une déchirure entre l’organisation continentale et l’organisation sous-régionale qu’est la Cédéao.

Qui, pourtant, peut contester que l’expertise dans « l’affaire ivoirienne » se trouve bien plus du côté de la Cédéao que de l’UA ? Qui peut penser que les chefs d’Etat membres du « panel » seront, un seul instant, en capacité d’imposer quoi que ce soit (à condition, encore, qu’ils en aient l’ambition) à Laurent Gbagbo ? Pourquoi pas un « panel » pour convaincre Kadhafi d’arrêter de massacrer son peuple ? Et qui a eu l’idée totalement « conne » de proposer une présidence alternée ? Il suffirait alors, en Afrique, de contester le résultat d’une présidentielle et d’occuper indûment le terrain pour être « président par alternance » avec la bénédiction de l’UA.

Il ne faut quand même pas perdre de vue que le premier tour de la présidentielle ivoirienne n’a été contesté par aucun des candidats : 83 % de taux de participation ; 38 % des voix pour Gbagbo ; 32 % des voix pour Alassane Ouattara ; 25 % des voix pour Henri Konan Bédié. Un simple calcul donne 57 % (32 + 25) des voix, au premier tour, pour les « houphouëtistes » ; je ne vois pas où est le scandale lorsque Ouattara l’emporte au second tour.

Dès le début de la « nouvelle crise ivoirienne », la Cédéao et l’UA avaient pris les positions qui convenaient ; soutenues par la « communauté internationale ». C’est l’immixtion de chefs d’Etat qui est venue « foutre le bazar ». Elle ne résulte pas d’une volonté de solutionner la crise mais au contraire de l’instrumentaliser. Il y a derrière cette connexion entre Gbagbo et quelques « personnalités » africaines des règlements de compte anciens mais, aussi, des relations « clientélistes ».

Gbagbo peut se positionner en « progressiste » face aux « impérialistes » (un jeu qu’aime à jouer aussi Kadhafi alors qu’ils ne sont que des mafieux), ses copains sont souvent des coquins qui ont besoin de quelques points d’appui continentaux (plus encore dans le contexte actuel).

Le problème de l’UA, ce n’est pas tant le bien fondé de sa réflexion et sa volonté d’action, c’est que les responsables africains des pays membres sont, trop souvent, bien plus des arnaqueurs que des chefs d’Etat crédibles et responsables. Je n’ose même pas dire que l’intérêt « national » l’emporterait sur l’intérêt « continental » ; il s’agit d’intérêt « personnel » plutôt que « collectif ». Mais, après tout, on n’a jamais que les chefs d’Etat que l’on mérite ; et la Tunisie, l’Egypte et la Libye (en attendant la suite) démontrent qu’on peut en changer. Même si les révoltes ont un coût humain, politique et diplomatique.

Ping, au-delà de l’Afrique du Nord et de la Côte d’Ivoire, a d’autres dossiers chauds sur son bureau avec les présidentielles qui se profilent à l’horizon (une douzaine) ; pas toutes dans la sérénité (qu’il s’agisse du Bénin - où il s’est rendu récemment et où le processus électoral n’est pas « normalisé » -, de Djibouti, du Nigeria, de Madagascar, du Tchad, du Cameroun…, sans compter les probables élections, dès cette année, en Tunisie et en Egypte). Et là où elles ont eu lieu, les tensions ne manquent pas. Ajoutons à cela le « dossier soudanais ». Le départ annoncé pour 2015 du général Omar Hassan Ahmed Al-Bachir et la partition du territoire vont susciter des ambitions et des idées, ici et là, de sécession alors que « la question du Darfour » n’est pas solutionnée.

Avec une Afrique du Nord déglinguée (le Soudan a des frontières avec Egypte et Libye), une Afrique centrale qui est le ventre mou du continent (frontières avec Tchad, RCA, RDC), une Afrique orientale de tous les dangers (frontières avec Erythrée, Ethiopie, Kenya, Ouganda), le devenir du Soudan conditionne aussi le devenir des pays voisins.

Ping ne peut pas oublier, non plus, qu’il est Gabonais. Et qu’il a été, notamment, ministre des Affaires étrangères. La situation à Libreville (où des législatives sont prévues en avril 2011) est tendue. J’ajoute que « son » président, Ali Bongo, et celui de la Guinée équatoriale, Obiang Nguema Mbasogo - par ailleurs président de l’UA - sont à New York dans le cadre du contentieux territorial qui les oppose concernant les îles et îlots de la baie de Corisco ; contentieux soumis à l’ONU les 24 et 25 février 2011.

C’est dire les imbroglios que doit gérer Ping tandis que la jeunesse africaine piaffe d’impatience face à une « nomenklatura » qui semble se soucier bien peu de satisfaire ses revendications. Ce n’est pas qu’un conflit de générations ; c’est aussi un conflit d’intérêts. L’Afrique du Nord vient de le démontrer.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 23 février 2011 à 20:28, par sauvy En réponse à : L’Union africaine peut-elle survivre aux imbroglios diplomatico-politiques qui plombent toutes ses tentatives d’action continentale ?

    Merci Monsieur Béjot de lancer le débat sur l’efficacité de l’UA. Certains s’en prendront à vous violamment pour avoir lancé le débat, mais il s’agit d’un sujet que nous devons avoir le courage de débattre et y faire de bonne propositions à nos gouvernants. Il faut avoir le courage de dire que depuis l’OUA jusqu’à lUA, le continent africain n’a montré qu’une figure de désunion, d’innéficacité sur bon nombre de sujets auquel le continent est confronté. Il n’y a pas, à ma connaissance un conflit ou un sujet sur lequel on peut se référer pour parler de succès en parlant de l’UA. J’espère me tromper, si il y en auc internautes de me les rappeler (hormis les Comores). Les tergiversations actuelles sur la situation en Cöte-d’Ivoire en sont un exemple tengible. Je suggère une réoganisation des textes pour permmettre à la société civile d’avoir son mot à dire dans les prise de décision de l’organisation et que les textes reprennent les critères d’éligibilité ou de nomination du président de l’institution de même que celui de la présidente tounante. Le respect de la démocratie et des droits de l’homme devra être pris en compte pour la nomination des présidents. Que la possibilité de référendum (sur une certain nombre de sujet) soit incluse dans les textes de l’organisation. Mais en toute chose il faut reconnaitre la nécessité d’avoir une institution à l’échelle continentale comme l’UA pour permettre à l’Afrique de parler d’une seule voix, si même cet idéal n’est pas encore une réalité
    Merci

    • Le 24 février 2011 à 10:56, par Kiss-Wend-Sida En réponse à : L’Union africaine peut-elle survivre aux imbroglios diplomatico-politiques qui plombent toutes ses tentatives d’action continentale ?

      "Quand le vin est en l’homme la sagesse est dans la bouteille". Tout ce grise peut s’apparenter au vin et le POUVOIR grise. C’est qui explique le tâtonnement puérile des hommes au pouvoir. A leur décharge on peut dire que les enjeux politiques sont divers et variés et qu’ils réclament énormément de doigté. ... L’ont-ils tous et toujours ? Et pourquoi le pouvoir grise-t-il autant chez nous ?

      Beaucoup s’engagent dans la politique sans avoir en tête le sens et l’acception première du terme "politique". Le fil de chaine de la politique, c’est d’abord la sagesse (qui inclut le regard humain de toute chose) ; le fil de trame est d’abord fait de compétences et de savoir être (un binôme qui inclut toutes les valeurs morales et ethiques).

      Comment croire que dans une "construction" où la duplicité, l’égotisme, la cupidité et l’hypocrisie se bousculent aux côtés d’une bien maigre honnêté puissent un jour résister au moindre vent de la division ?

      Je ne suis pas sûr que le souffle arabe du moment soit la panacée. Il pourrait cependant constituer un prélude à une révision générale de la "philosophie politique" de l’Afrique et du monde.

      Que l’Union Africaine ne rate donc pas les belles occaions qui lui sont actuellement offertes de faire un toilettage morale de sa politique, (ce qui exige une certaine humilité) de sa responsabilité, de sa crédibilité et donc de sa survie.

  • Le 24 février 2011 à 02:01 En réponse à : L’Union africaine peut-elle survivre aux imbroglios diplomatico-politiques qui plombent toutes ses tentatives d’action continentale ?

    Nos responsables politiques au plus haut sommet constituent un attelage tellement heteroclite que apparement il n’y a rien à attendre. Voyez vous memes : des combattants qui ont pris le pouvoir par les armes et le gerent comme un bien familial, les putschistes assassins et les mal elus. Les voleurs detourneurs denoncés par l’Occident dès qu’ils perdent le pouvoir sont le moindre mal. Vivement l tsunami arabe pour faire evoluer la situation.

  • Le 24 février 2011 à 09:57, par HAYTHEM En réponse à : L’Union africaine peut-elle survivre aux imbroglios diplomatico-politiques qui plombent toutes ses tentatives d’action continentale ?

    excellent article, je fais mon Mémoire sur les organismes africains de maintien de la paix et de sécurité, et j’ai bien savouré votre commentaire, prière laissez votre E-MAIL, et veuillez nous fournir d’autres lourds articles... de ce genre.

  • Le 24 février 2011 à 12:02, par Tuensi, la vérité est bonne En réponse à : L’Union africaine peut-elle survivre aux imbroglios diplomatico-politiques qui plombent toutes ses tentatives d’action continentale ?

    C’est quoi ce machin, comme qualifait De Gaulle l’ONU ? Tout un continent, des plus riches pour ne pas dire le plus riche de la panète et qui n’arrive pas à s’organiser pour se faire une place dans le concert des nations, c’est affligeant. Et qu’on ne vienne pas me dire que c’est l’occident ou je ne sais qui, qui en est responsable.

    Depuis belle lurette, l’Afrique n’a plus produit ces politiques qui avaient des couilles et non des tubes digestifs. De nos jours, nos dirigeants sont tous des tubes digestifs, qui sont des sytsèmes qui ne peuvent pas être collectifs. Un tube disgestif c’est forcément personnel et individuel. CQFD.

    Quand nous aurons des dirigeants qui ont le souci de leur peuple et de la considération pour lui, alors quelle que soit notre pauvreté, le développement sera au rendez-vous, car la solidarité et la fraternité seront aussi au rendez-vous. Et aux peuples solidaires, rien n’est impossible.

    Nan laara an saara !

  • Le 27 février 2011 à 18:08, par ghil10 En réponse à : Ma petite contribution

    Comment pouvez-vous penser que tous les électeurs du PDCI vont plébisciter Ouattara ?

    Depuis quand les consignes de vote sont-elles suivie à la lettre ?

    Ca ne regarde que la conscience de chacun dans l’isoloir.

    Bref,la loi est injuste mais force doit rester à la constitution.

    Si Ouattara estime qu’il a été grugé, la loi l’autorise à faire des recours en bonne et due forme. Il n’a rien fait.(c’est son tort)

    Gbagbo a estimé qu’il a été grugé par Ouattara, il a fait des recours en bonne et due forme. La CC lui a donné raison : le débat est clos.

    • Le 10 mars 2011 à 10:25, par Lenfant noir En réponse à : Ma petite contribution

      Cher ami ghil10, je suis ivoirien comme toi, le Président du Conseil Constitutionnel sait que ADO a eu plus de voix que GBAGBO au 2ème tour. Le problème qui s’est posé, c’est que le camp GBAGBO estime qu’il a eu fraude en zone CNO. Devant cette situation, la loi de la CI n’est pas injuste. Elle dit, à l’article 64 du Code électoral, révisé en 2008,au cas où le Conseil constitutionnel « constate des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble », il doit prononcer « l’annulation de l’élection présidentielle » (et non pas l’identité du vainqueur), un nouveau scrutin devant être organisé « au plus tard quarante-cinq jours » à compter de la date de cette décision. Hélàs, M.Paul YAO-Ndré au lieu de penser aux ivoiriens, il a plutôt pensé à son tube digestif qu’il remplirait avec Gbagbo. Le détenteur de la loi n’a pas dit la loi, donc c’est lui individu qui est injuste et non la loi ivoirienne. La crise que nous traversons n’est qu’un résultat de nomination tribale d’incompétents à des postes qu’ils ne méritent pas. C’est tout cela qui doit changer pour que l’Afrique se développe. J’exhorte chaque africain à la rigueur et à l’altruisme pour le bonheur des africains.

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