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Mouni Kouda, ancien président de la diaspora burkinabè à Washington : « Des gens ont placé des attentes fictionnelles en Barack Obama »

Publié le vendredi 19 février 2010 à 00h24min

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Mouni Kouda

Voici vingt ans environ que le jeune Burkinabé Mouni Kouda a déposé son baluchon au pays de l’Oncle Sam. Après deux décennies de durs labeurs dans la capitale américaine, il s’est imposé comme l’un des leaders de la diaspora dans cette ville au point d’avoir été élu président de l’Association des Burkinabé de Washington (ABURWA). De passage au pays natal dans la perspective d’ouvrir à Ouagadougou la succursale ouest africaine de sa société de transport et d’activités commerciales spécialisée dans le déménagement à l’international et la vente d’appareils électroménagers, il partage sa riche expérience d’aventurier. Mouni Kouda évoque dans cet entretien, entre autres, la campagne présidentielle de Barack Obama, son épreuve du pouvoir, le regard extérieur sur le Burkina Faso, l’immigration clandestine…

Sidwaya (S.) : Comment se porte la diaspora burkinabé à Washington ?

Mouni Kouda (M.K) : La communauté burkinabè vivant dans la capitale américaine est estimée à plus de cinq cents (500) personnes. Elle est bien intégrée dans cette ville où l’on retrouve les ressortissants de tous les pays du monde dont ceux des cinquante-trois Etats africains. C’est donc un lieu de fraternité nationale et d’intégration continentale.

Notre association s’attelle à accueillir les vagues d’immigrants qui viennent du pays afin de faciliter leur installation. Les membres de la diaspora sont divers. Ce sont des étudiants, des travailleurs ou des fonctionnaires internationaux. Notre association essaie tant bien que mal de les organiser de sorte qu’ils soient aussi dynamiques aussi bien dans le pays d’accueil que celui d’origine.

Il y a certes des difficultés accentuées par la crise économique qui secoue les Etats-Unis. Mais l’association parvient à les surmonter grâce à une bonne collaboration qu’elle entretient avec la représentation diplomatique. Les Burkinabé sont très connus pour leur hargne à vaincre l’adversité.

Il y en a qui disposent de leurs propres affaires telles des boulangeries et autres sociétés. D’autres sont employés dans de grandes structures comme Lemann & Brothers. A dire vrai, le Burkina Faso n’est pas connu des Américains. Raison pour laquelle, le programme d’activités de l’association comprend beaucoup d’activités visant à promouvoir l’image du pays dans cette ville.

L’Américain ne se préoccupe pas trop de l’extérieur. Ce qui l’intéresse, c’est son propre pays. Au-delà de ses objectifs de migrants, chaque Burkinabè vivant à Washington s’évertue d’abord à indiquer sa terre d’origine sur une carte à ses amis et à son entourage, à cultiver une bonne image de celle-ci à travers son comportement et ses activités.

L’ABURWA multiplie les rencontres culturelles pour entretenir la nostalgie. L’année dernière, elle a organisé la participation de Floby et Sonia Carré d’As à l’une de ses soirées.

Ces retrouvailles sont une occasion pour mieux présenter et promouvoir notre Faso aux Etats-Unis surtout pendant la commémoration des dates historiques comme le 11-Décembre qui a été célébré en différé par la diaspora le jour de la Saint Sylvestre. A ces moments de communion, l’on s’exhorte mutuellement à incarner les valeurs caractérisant le Burkinabé : travailleur, intègre.

Il s’agit d’amener aussi nos compatriotes à ne plus se refugier derrière leur modestie, leur humilité qui les jouent parfois des tours et à s’affirmer pour mieux vendre leurs talents dans un pays guidé par la compétition entre les savoir-faire. La diaspora commence à occuper des places stratégiques dans des domaines d’activités stratégiques.

S. : Quel est le degré d’implication de la diaspora dans le développement ?

M.K. : Sans fanfares ni tambours, chacun essaie d’apporter sa contribution au progrès social et économique. D’abord, en soutenant matériellement et financièrement la famille restée au pays. Ensuite, en explorant des champs d’investissements dans le cadre d’un probable retour au bercail.

Mais les interventions sont plus des initiatives individuelles que collectives. Toujours est-il que chaque membre est conscient des attentes du gouvernement à l’endroit de la diaspora. L’appel à son implication dans le développement est toujours lancé lors des assises du Conseil supérieur des Burkinabè de l’Etranger.

De plus en plus, on perçoit cette volonté d’avoir un pied à l’étranger et l’autre dans son pays. Des Burkinabè résidant aux Etats-Unis ne sont pas en reste de cette dynamique. Lorsque la communauté se rencontre, ses membres échangent des idées et envisagent de meilleures contributions à l’effort de construction nationale. Elle est soutenue dans cet élan par le premier responsable de l’ambassade.

La représentation diplomatique burkinabé à Washington a eu une chance inouïe : les deux ambassadeurs qui se sont succédé à sa tête l’ancien et l’actuel Premiers ministres. Ce sont donc des personnalités averties dont les orientations et les actions ont permis à la diaspora de mettre en confiance et de se positionner en marketer du pays à l’étranger.

Tertius Zongo a jeté les fondements de l’organisation de la communauté en œuvrant activement à la création de l’ABURWA. Le flambeau est brillamment tenu par son successeur, Paramanga Ernest Yonli. L’un ou l’autre a abattu un travail remarquable dans le sens de forger les liens d’amitié et de solidarité au sein de la communauté, d’établir des rapports entre le pays d’accueil et l’origine.

Ces représentants nous ont grandement ouvert la porte de l’ambassade où chacun se sent vraiment chez lui. Ils se sont toujours montrés influents au pays et très écoutés dans leur juridiction permettant ainsi de surmonter bien d’obstacles liés aussi bien à l’intégration qu’au souci de retour.

Ces relations cordiales avec les pouvoirs publics se sont renforcées de la rencontre avec le président du Faso en 2008 lors de la signature de la convention du Millenium challenge account (MCA). Il a clairement rappelé l’importante place accordée à la diaspora dans son programme et encouragé ses membres à se réapproprier une autre aventure dans leur propre pays.

S. : Quel regard portez-vous de l’extérieur sur le développement et le rayonnement de votre pays depuis que vous l’aviez quitté ?

M.K. : L’évolution du Burkina Faso s’apparente à un scénario dans lequel les acteurs politiques, économiques, sociaux jouent bien leur rôle et parviennent à tirer leur épingle du jeu dans une construction de longue haleine d’une nation.

Mon départ pour l’aventure s’est effectué sous le fameux Programme d’ajustement structurel (PAS) pendant lequel les chantiers ont semblé s’arrêter. Mais force est de reconnaître qu’aujourd’hui, le Burkina Faso a pris le dessus sur cette période difficile au point de prendre un envol quantitatif et qualitatif sur son développement.

Ce rayonnement interne ajouté à l’implication du chef de l’Etat dans la résolution des crises a suscité à juste titre un regard positif de l’international. Les signaux de bonne gouvernance sont aussi appréciés à Washington qui abrite les sièges des institutions de Bretton Woods, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Il y avait dans cette ville, des concertations entre communautés auxquelles les Burkinabè n’étaient pas associés. Maintenant, ils en sont devenus incontournables.

Cela est dû à l’aura de leur président et à l’ardeur au travail de leurs compatriotes. Quand des Africains se retrouvent, l’exemple du Burkina Faso qui avance malgré ses maigres ressources est toujours cité. Toute cette marque de considération est une source de fierté pour la diaspora.

S. : Qu’est-ce-que l’Afrique et ses habitants peuvent retenir des Etats-Unis et des Américains ?

M.K : Les Etats-Unis se sont enrichis dans tous les sens non seulement par les péripéties de leur création mais aussi par plus de deux cents (200) ans d’autonomie.

Ce sont des réalités qui ont fortifié tout un pays et tout un peuple. Ils ont su tirer les leçons de leur histoire pour avancer dans la bonne direction. La réussite de la construction de toute œuvre commune ou individuelle résulte de la volonté des bâtisseurs. Bien que la plupart des pays africains y compris le nôtre n’enregistrent que cinquante (50) ans d’indépendance, ils doivent savoir maintenant dans quel sens manœuvré le développement et le progrès réel.

C’est une volonté politique véritable qui a forgé la vision des Américains et posé durablement les jalons de cette puissante union. Il faut s’accorder sur cet aspect : la force des institutions s’est conjuguée avec l’ingéniosité des hommes. Tant que l’on a confiance aux assises démocratiques, chacun apporte en toute quiétude sa pierre à l’édifice, convaincu que les lois de la république sont sa meilleure garantie, sa protection.

Animé de l’esprit qu’il tient le gouvernail de son avenir dans toutes les opportunités que son pays lui offre, l’Américain s’est révélé un homme d’action, réaliste et toujours confiant de lui-même dans ses entreprises. Il a le sens du devoir vis-à-vis de sa patrie et celui de la responsabilité vis-à-vis de la réussite, de l’échec, d’un projet ou d’une décision.

C’est à cette école de la primauté des institutions sur les dirigeants, de la responsabilité indéniable de l’homme dans sa destinée que les pays africains et leurs habitants doivent aller pour trouver le vrai chemin du bonheur collectif et individuel. Ils doivent apprendre à s’assumer et à porter le fardeau ou le laurier dans toute situation.

S. : Comment avez-vous accueilli l’élection de Barack Obama à la Maison-Blanche en novembre 2008 ?

M.K. : En tant que résident de la capitale politique, cette accession d’Obama à la magistrature suprême a été vécue par la communauté afro-américaine comme le plus grand miracle du siècle. Encore une fois, ce triomphe témoigne de la solidité des institutions américaines qui accordent l’égalité de chance à tous les citoyens. Cette élection est ressentie à sa juste valeur par tous les Noirs de la planète comme une victoire collective à une race. Pendant la campagne, des villes africaines ont ressemblé à des localités américaines et des Africains se sont mis à la tâche de leader d’opinion dans des quartiers en sa faveur.

L’admiration d’Obama est extraordinairement unanime et dépasse les clivages Démocrates-Républicains. Après l’euphorie, il y a un certain scepticisme. D’un côté, étant dans la ville du pouvoir et pour avoir vu se succéder trois présidents (Bush-père, Bush-fils et Obama), l’accession de cet Africain-Américain ouvre plus de perspectives à mes deux enfants nés aux Etats-Unis de mère burkinabè.

Des possibilités du succès illimité s’offrent à eux. Moi-même bénéficiant également de la double nationalité a voté pour lui. D’un côté, l’on est aussi conscient que le pouvoir s’exprime également dans la rue et Obama n’est pas là pour savoir tout ce qui s’y passe. La communauté noire ne représente que 12 % de la population américaine.

La vraie réalité se vit ailleurs qu’au Sénat, à la Chambre des représentants, à la Maison-Blanche. Il ne faut pas perdre de vue ces considérations-là. L’accession de Obama est si fulgurante, sa popularité si grandissante que la communauté noire se demande quelle force se cache derrière lui. Etant donné qu’elle estime que celui-ci se départit peu à peu de certaines de ses préoccupations traditionnelles.

S. : Cela signifie-t-il que certains de ses électeurs et ses admirateurs ont commencé à déchanter ?

M.K. : Non, ils reviennent seulement sur terre et admettent que Barack Obama ne peut pas tout changer du jour au lendemain. Des gens ont placé des attentes fictionnelles en cet homme. Il représente certes un espoir mais il ne peut pas tout réaliser.

Dans certains milieux diplomatiques, des voix s’élèvent pour fustiger que Obama n’a ni un plan de résolution des problèmes de la communauté noire, ni une politique africaine à proprement parler. Une telle critique était impensable. Mais il faut être patient et laisser le temps au temps, de peur de verser dans un jugement hâtif.

S. : Quels conseils donneriez-vous à un Burkinabé tenté par l’aventure aux Etats-Unis ?

M.K. : La crise que les Etats-Unis traversent actuellement fait que ce n’est pas le moment idéal pour tenter une première aventure dans ce pays. Parce que c’est difficile de trouver du boulot. Personne ne peut convaincre un autre de se lancer dans cette initiative.

Il ne s’agit pas d’encourager ou de décourager. Il y va de l’engagement de chacun et de la finalité d’une telle décision. Toutefois, il convient de s’armer de courage. Les Etats-Unis ne sont pas le lieu où l’on ramasse de l’or à chaque six mètres. Il y a certes des opportunités mais la réussite est au bout de la conviction, de l’effort, de la sueur.

Il n’y a pas de place pour la facilité. Dans ce pays, seul le travail affranchit et épanouit. Ceux qui ne l’ont pas compris ont vite replié. Par contre, des compatriotes sont partis de rien et arrivés à se bâtir des assises économiques et sociales grâce à leur engagement à changer leur situation.

Interview réalisée par Jolivet Emmaüs (joliv_et@yahoo.fr)

Sidwaya

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