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Pr Justin Koutaba, ministre de la Jeunesse et de l’Emploi

Publié le lundi 7 juillet 2008 à 13h42min

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Pr Justin Koutaba

Après une brève interruption, “L’Invité de la Rédaction” renoue avec son lectorat de façon hautement philosophique et intellectuelle. L’invité du mois, le Professeur Justin Koutaba, ministre de la Jeunesse et de l’Emploi est, en effet, un intellectuel de haut vol, philosophe de formation et enseignant-chercheur, homme d’esprit et d’action donc, qui affirme ses convictions sans les asséner, ferme sans être borné, sévère quand il le faut mais juste à “tous les coups”.

Un héritage sans doute de son passage au séminaire, où l’on apprend à aimer les hommes et à craindre Dieu, ce qui conduit à chérir la vérité. Tout l’entretien avec cet homme qui veut être “utile et disponible aux autres” et accomplir sa mission “de la façon la plus correcte possible” est imprégné de ce souci de restituer les choses sans acrimonie criticisme mais aussi sans condescendance ni “à-plat-ventrisme”. La marque de ceux qui savent que la parole une fois dite “enchaîne” son auteur, ce qui exige qu’on la manie non pas avec l’art des flatteurs, mais dans le sens de la vérité. Questions politiques, sociales, économiques et de relations internationales sont marquées de ce sceau, ce qui convaincra le lecteur au sortir de cette “odyssée” intellectuelle quiète et instructive, que la philosophie est véritablement “l’amour de la sagesse”.

Sidwaya (S.) : Quel regard portez-vous sur la pratique de la liberté de la presse au Burkina Faso ?

Justin Koutaba (J. K.) : Je voudrais faire une appréciation honnête et objective. Quand on connaît l’histoire des libertés au Burkina Faso et que l’on voit aujourd’hui la diversité et la pluralité qui caractérisent la presse dans notre pays, on se laisse convaincre de l’existence d’une liberté réelle de la presse aujourd’hui. Peut-être qu’elle n’est pas absolue, mais force est de reconnaître que les journalistes bénéficient et baignent dans un espace de liberté voulu et créé par les autorités et dans lequel ils peuvent donc exercer leur travail d’information des citoyens. Naturellement, tout comme les autres libertés relatives à l’état de droit et au processus démocratique, la liberté de la presse s’exerce dans le respect des textes en vigueur et des règles du jeu en la matière. Mais toute chose étant parfois bonne que lorsqu’elle est relative, la liberté de la presse ne saurait se confondre à la licence de la presse qui est le non respect d’aucune déontologie.

S. : La fête du travail a été commémorée cette année sur fond de vie chère. La vie est-elle chère pour le ministre Koutaba ?

J. K. : (Rire). La vie est chère pour tous les consommateurs et j’en suis un. Tout le monde a compris aujourd’hui que le phénomène de la vie chère est planétaire et qu’il est inutile d’exprimer la colère et le désarroi ressenti en manifestant violemment et en détruisant les biens privés et publics. Ce phénomène de la vie chère ou de crise alimentaire relève de plusieurs paramètres que les économistes essaient d’autopsier. Le Burkina n’est pas en marge de l’économie mondiale, il subit les aléas, les déséquilibres du commerce international, les spéculations sur les prix des produits pétroliers et des céréales. Tout cela explique cette vie chère qui touche tous les pays du monde et particulièrement avec plus d’acuité les moins nantis. Il faut rappeler par ailleurs qu’avant même le phénomène mondial de vie chère nos populations vivaient déjà des situations alimentaires pas tout à fait enviables. Je pense que les manifestations multiformes contre la vie chère ont pour intérêt d’interpeller les gouvernants de ce monde et ceux qui pensent l’économie de ce monde. L’interpellation est faite aussi aux dirigeants des pays en développement pour qu’au-delà des mesures ponctuelles et immédiates qu’on peut prendre pour juguler et tempérer cette question de vie chère, la réflexion soit menée pour élaborer de nouvelles visions, de nouvelles politiques agricoles pour une meilleure production. La crise enseigne et exige aussi comme réponses de la part des populations un changement de mentalité, de comportement, des habitudes de consommation. Les réponses à la crise ne sont certainement pas dans les grèves à répétition, les marches, encore moins dans la casse et les actes de vandalisme. Il faut attaquer le mal à la racine. Il nous faut atteindre l’autosuffisance et la souveraineté alimentaire par des programmes de production ambitieux. Chacun doit pouvoir produire ce qu’il consomme et consommer ce qu’il produit sans complexe. C’est de ce côté qu’il faut orienter l’analyse de la vie chère et non faire une fixation sur les phénomènes de contestation dans la rue qui, dans beaucoup de pays ont amené des situations très déplorables de perte de vies humaines comme en Côte d’Ivoire, en Egypte, en Somalie, au Sénégal, au Brésil, au Chili, au Cameroun etc. Dieu merci les burkinabè restent toujours raisonnables. Au Burkina Faso, les syndicats ont marché. C’est normal et légitime. Personnellement, je salue la maturité des marcheurs ainsi que de ceux qui ont encadré la marche. Toute chose qui a évité des débordements irresponsables. Mais il faut reconnaître que le gouvernement burkinabè a eu le mérite d’avoir écouté les préoccupations des populations et pris des mesures concertées pour atténuer les souffrances. Je fais remarquer que les mécanismes que nous avons mis en œuvre ici au Burkina ont été repris et appliqués dans presque tous les pays africains.

S. : M. le ministre, nous avons l’impression que les mesures prises par le gouvernement restent comme un coup d’épée dans l’eau ? Le gouvernement a-t-il la maîtrise de ses mesures ?

J. K. : En réalité personne n’a une nette connaissance ou une maîtrise parfaite du phénomène de la vie chère et des poussées inflationnistes en cours sur le marché international. La démarche du gouvernement est très méthodique, réfléchie, responsable, très prudentielle et précautionnelle vis-à-vis de ce phénomène d’une complexité extraordinaire qui je le répète touche tous les pays du monde même les plus nantis. Il n’y a pas un remède miracle, spontané et définitif à la vie chère. Beaucoup de paramètres, notamment externes, échappent aux gouvernants et même aux grands analystes économistes. C’est dire que la situation impose des solutions immédiates et applicables pour atténuer à court terme la souffrance des gens, contrôler dans la mesure du possible la flambée des prix, mais à long terme il faut envisager après études et analyses prospectives, des solutions profondes et durables. La démarche du gouvernement consiste donc d’abord à soulager les populations en prenant des mesures à même d’atteindre cet objectif. C’est ainsi que se justifient les mesures d’allègements fiscaux, la suspension de droits de douane et de la TVA sur certains produits, le contrôle et la régulation sur les produits de première nécessité etc. Le gouvernement cherche à contenir l’inflation et à garantir un approvisionnement régulier du marché en produits de base. Mais ce que le gouvernement entend faire à long terme, c’est booster la croissance économique, mettre en œuvre d’ambitieux programmes pour accroître et intensifier la productivité agricole afin de satisfaire les besoins nationaux de consommation et mettre fin à la dépendance alimentaire. Le gouvernement ne se trompe pas du tout et en la matière. Au niveau du gouvernement, un cadre de réflexion interministériel a été créé. Au niveau de l’Assemblée nationale, une commission vie chère a été mise en place pour mieux cerner le phénomène et faire des recommandations. Vous savez, les solutions pérennes, appropriées et durables demandent qu’on prenne plus de temps de réflexion et d’analyse.

S. : En même temps que vous parliez de produire ce que nous consommons et de consommer ce que nous produisons, le gouvernement encourage toujours les cultures de rente telles que le coton. N’y a-t-il pas contradiction ?

J. K. : (Soupirs). A vous entendre parler, c’est comme si on ne mangeait pas du coton. Dans le fond, on mange par le coton dans la mesure où le coton, première culture de rente, premier produit d’exportation qui nous procure des devises nous fait manger.

S. : Mais si on a l’argent du coton sans pouvoir s’acheter à manger ?

J. K. : La culture du coton n’est pas incompatible avec celle des céréales. Les plus grands producteurs de coton sont en même temps les plus grands producteurs de maïs. Il faut savoir que le Burkina Faso a des potentialités en matière de superficies cultivables, d’aménagement de terres appropriées pour la culture du riz et de céréales, en même temps que nous pouvons continuer la production de notre premier produit de vente qu’est le coton. L’essentiel consiste aujourd’hui à voir comment nous allons produire plus et mieux, comment organiser le monde des producteurs de façon à ce que nous puissions parvenir à une autosuffisance alimentaire.

S. : Est-ce que pour des questions de production agricole, il n’y a pas lieu de défendre une nouvelle politique économique ?

J. K. : La souveraineté d’un pays c’est aussi sa souveraineté alimentaire. Pour y parvenir, notamment après des situations de crise il faut mettre en place de nouveaux mécanismes de production, de nouvelles techniques de production, de nouveaux systèmes d’encadrement et de stimulation des producteurs. Une nouvelle politique économique reviendrait donc à faire de la production agricole une priorité absolue et à prendre une batterie de mesures incitatives telles que la maîtrise de l’eau, la mécanisation, les semences performantes, les crédits aux producteurs, la sécurité foncière… ceci pour un accroissement optimal de la production. Il faut en fait un nouveau paradigme agricole.

S. : Nous avons l’impression qu’un regain de violence anime les jeunes dont vous avez la charge, dans les mouvements de contestation contre la vie chère. Quelle est votre lecture ?

J. K. : Les jeunes, malgré leur énergie débordante, ne sont ni de nature ni par éducation violents. Leur présence dans ces différentes manifestations s’explique par plusieurs facteurs. Il faut savoir qu’aujourd’hui, la jeunesse a un poids démographique énorme. Les moins de 25 ans constituent à peu près 60% de notre population. Arithmétiquement il n’est donc pas possible de voir une manifestation sans les jeunes qui plus est ont une propension à participer activement aux mouvements de contestation. Par ailleurs, les jeunes n’étant pas en dehors de la société, participent naturellement donc à la vie de la société ce d’autant plus qu’ils subissent les mêmes dures réalités que tout le monde. Il faut aussi reconnaître que depuis mai 68 en France, les changements qui surviennent parfois dans les pays, proviennent de la jeunesse qui a toujours été un vecteur de changement tout comme elle est le fer de lance du développement. Il n’est donc pas une surprise de constater qu’au rendez-vous des mouvements de revendication, de contestation les jeunes soient numériquement présents et actifs. Leurs comportements violents sont parfois relatifs aux images venues d’ailleurs et véhiculées par les médias qui sont la chose la plus partagée dans notre village planétaire. Sinon nous savons bien qu’au Burkina Faso, nous n’avons pas une mentalité ou une culture de la violence mais du dialogue, de la palabre. Anthropologiquement, nos sociétés sont les plus pacifiques, les plus harmonieuses, les plus enclines au dialogue et à la discussion. Mais le monde a changé, il y a de grandes mutations comportementales qui se font. Notre jeunesse n’est pas en reste. L’urgence et le travail permanent qu’il faut entreprendre, c’est toujours la sensibiliser, la conscientiser, surtout quand on sait que la violence n’a jamais résolu un problème, surtout pas celui de la vie chère. Ce n’est pas non plus en cassant des feux tricolores, en brûlant les pneus pour détruire le goudron qu’on va résoudre la question de la vie chère. Bien au contraire, on risque de la compliquer si nous détruisons le peu d’acquis que nous avons dans nos pays. Je retiens que la jeunesse du Burkina Faso est ouverte au monde, et est à l’écoute de ce monde. Elle reflète aussi les comportements des jeunes du monde. Il est clair que si cette jeunesse n’est pas encadrée, si ses préoccupations ne sont pas prises en compte, cela peut avoir pour conséquence un comportement d’autodestruction des efforts de développement dont les jeunes eux-mêmes sont les premiers acteurs.

S. : Les travailleurs revendiquent par des grèves. Jusque-là le gouvernement ne semble pas encore proposer des réponses adéquates à la plate-forme des syndicats. Attendez-vous les manifestations avant de réagir ?

J. K. : La grève est un droit reconnu aux travailleurs du Burkina Faso qui peuvent parfois en abuser au risque de compromettre le dialogue toujours voulu par le gouvernement. Le gouvernement a toujours entretenu l’écoute et le dialogue avec les acteurs sociaux, notamment les syndicats qui ont, à chaque moment et à chaque rencontre, posé au gouvernement un certain nombre de points de revendications. Le gouvernement n’a jamais choisi la voie ou la solution des réponses démagogiques, irréalistes et parfois dangereuses pour notre équilibre économique fragile (silence). C’est ce qui fait que les deux parties ne parlent pas toujours le même langage. Ce ne sont quand même pas les manifestations qui dictent ou décident de la politique du gouvernement. En tout état de cause il n’y a que dans le dialogue participatif et responsable que syndicats et gouvernement peuvent s’entendre sur l’essentiel et sauver l’essentiel. Ce que le gouvernement burkinabè évite de faire, c’est d’appliquer du mercurochrome sur une jambe de bois, c’est-à-dire rechercher des solutions qui, de façon immédiate et superficielle peuvent sembler efficaces contre la vie chère alors qu’à terme elles vont avoir des conséquences désastreuses en matière d’équilibre macroéconomique. Je rappelle que le contexte de l’économie internationale est de toute souffrance pour les pays à faible revenu que nous sommes. Notre force de réplique à la vie chère résidera dans notre capacité d’aller en profondeur dans la recherche de solutions durables. Satisfaire tous les points de revendication des syndicats c’est beau et bien, mais il faut rester réaliste et objectif sur fond de responsabilité.

S. : Concrètement n’est-il pas possible d’augmenter de 25% les salaires des travailleurs comme le réclament les syndicats ?

J. K. : Je crois que le ministre de l’Economie et des Finances a bien dit que l’augmentation des salaires n’est pas une solution à écarter. Mais que pour le moment et par mesures de précaution et de prudence, il n’apparaît pas judicieux de faire les augmentations spontanément et immédiatement. Le faire spontanément pourrait générer un certain nombre de comportements des acteurs de l’économie et entraîner une hausse exponentielle et vertigineuse des prix au point de ne récolter que des effets pervers de l’augmentation de salaire. Supposons que l’on augmente les salaires à 25% et que les prix des produits connaissent une hausse de 50% ! On se retrouvera avec une résultante qui n’arrange personne. Les spécialistes pourraient vous fournir une démonstration plus technique et scientifique. Ce qui est sûr c’est que le gouvernement se donne du temps pour bien cerner le problème dans sa complexité et trouver des réponses idoines.

S. : Certains Burkinabè pensent qu’il faut réduire le nombre de ministres. Que répondez-vous aux partisans de cette thèse ?

J. K. : J’ai même vu dans la presse quelque part, des gens qui ont même proposé qu’il n’y ait plus de présentations de vœux, plus de réceptions, qu’on mette tout le pays en carême, qu’on supprime les véhicules des ministres. Je pense qu’en la matière il faut éviter ce qui s’apparente à la réflexion « facilitatiste » et au raisonnement simpliste. On forme un gouvernement en fonction des objectifs qu’on vise, des résultats attendus, des défis à relever. Les partisans de cette thèse prônent en fait la bonne gouvernance et la nécessité de faire des efforts d’économie partout où cela est possible. On peut partager le souci d’économie sans pour autant tomber dans le piège des mesures démagogiques et populistes. Le nombre de ministre me semble être pensé proportionnellement aux défis et enjeux de développement. S’il faut 34 compétences pour former une équipe qui travaille efficacement dans l’esprit du progrès continu et de la culture du résultat il faut le faire. Je pense aussi que de tous les Etats de la sous-région le nôtre est le plus austère et le moins budgétivore au point qu’on a pu comparer nos salaires, y compris ceux des ministres, à des perdiems. Le gouvernement doit être apprécié en fonction des objectifs, de la qualité du travail et des résultats et non en terme de nombre. Et chaque ministre essaie de répondre aux différentes préoccupations contenues dans la politique et le programme du chef de l’Etat. En tout état de cause, notre pays est dirigé par des hommes qui ont conscience que ce pays a des ressources très limitées et qu’il faut mettre l’accent sur la gestion parcimonieuse, la bonne gouvernance, lutter contre les mauvaises pratiques. Il faut aussi, comme l’indique le Président du Faso, mettre l’accent sur la valorisation du capital humain. Quant le Burkina aura moins de défis à relever il va de soi que le nombre de ministres sera réduit.

S. : Des responsables de partis politiques proposent une réfondation de la vie nationale. Partagez-vous cette vision contre la vie chère ?

J. K. : La réflexion, la critique, la discipline sont trois choses capitales dans la bonne marche d’un parti. Quand on propose une refondation c’est qu’on a un certain nombre de griefs sur le système en place ou des suggestions susceptibles d’entraîner des bons qualitatifs et un renforcement du parti. Par contre quand on n’a rien de sérieux ou de pertinent à proposer il vaut mieux choisir le mutisme. En démocratie il y a en principe un jeu dialectique permanent entre le parti majoritaire en place et les partis d’opposition.

Le parti qui a conquis le pouvoir gouverne et cherche à le conserver et l’opposition qui cherche à conquérir le pouvoir s’oppose. Cela signifie que si notre opposition fonctionne, si elle joue sa partition, si elle est critique, cela contribue à la bonne marche de la chose politique. Par contre, si vous avez une opposition moribonde ou amorphe qui ne joue pas le jeu ou qui le joue mal, sa contribution se résume alors à des gesticulations stériles non substantielles à la démocratie. J’ai un profond respect parfois pour les partis d’opposition et je pense que de plus en plus, ils prennent conscience que ce jeu de la critique positive est nécessaire et pour le parti majoritaire et pour eux-mêmes. C’est à ce prix qu’on pourra construire une société de paix, d’harmonie capable de progrès et de développement.

S. : Etes-vous pour ou contre la refondation proposée ?

J. K. : Si vous faites allusion à la refondation demandée par certains militants du CDP, je pense que c’est un problème interne au parti qui est bien structuré et gère son fonctionnement sur la base de textes réglementaires. Si la refondation est proposée sur la base d’une critique objective, positive et constructive, et non sur des intérêts personnels et des calculs égocentriques loin de l’intérêt général, elle peut être bénéfique à la bonne marche du parti majoritaire qu’est le CDP et à la gestion qualitative du pays. En tout état de cause le parti, à travers ses instances saura privilégier l’écoute et le dialogue, pour qu’une solution qui le renforce soit trouvée. Quand des problèmes sont posés par des militants, à tort ou à raison, il est recommandé de les prendre au sérieux, d’en discuter sur la base des textes qui régissent démocratiquement la vie du parti et de prendre des décisions conséquentes.

S. : N’y a-t-il pas risque que le parti majoritaire lui-même connaisse une implosion ?

J. K. : Je le répète, la démocratie impose une remise en cause permanente. En outre, la critique, vous conviendrez avec moi, implique l’analyse, le discernement. Il ne s’agit pas de jeter à tout moment l’anathème sur le système en place ou le parti, sans analyser et surtout proposer des alternatives crédibles à même de perfectionner le fonctionnement du parti ou la gestion des hommes. Il est aussi nécessaire d’assurer sa propre crédibilité et sa notoriété politique lorsqu’on est regardant sur certaines choses. Mais ce qui me semble important dans un grand parti comme le CDP c’est la capacité d’écoute des militants, l’ouverture d’esprit de ses dirigeants, la recherche des meilleurs mécanismes de gestion des hommes pour éviter au maximum les frustrations inutiles. La qualité de la vie interne du parti dépend des qualités et des vertus des hommes qui le dirigent et je ne doute pas que le CDP reste un grand parti qui se décline en compétences multiples capables de résorber les tendances implosives et autodestructrices.

S. : Le président du Faso, Blaise Compaoré a été intronisé chef ivoirien. Cette intronisation n’est-elle pas incompatible avec la république ?

J. K. : Aucune incompatibilité. L’intronisation du Président Blaise Compaoré comme chef traditionnel ivoirien par l’ensemble des chefs traditionnels de la Côte d’Ivoire qui se sont déplacés pour le faire, au-delà de l’émotion en moi suscitée, nous donne à réfléchir sur la portée symbolique, historique, politique de l’évènement, mais aussi et surtout sur la réalité du leadership de notre président sur le plan africain et mondial. Un ami à moi, d’un pays frère de l’Afrique centrale me demandait un jour, s’il y avait la possibilité pour les burkinabè de leur « prêter » le président Blaise Compaoré ne serait-ce que pour six mois.

A vrai dire et à dire vrai, pour comprendre le sens de cette intronisation, il faut avoir à l’esprit au moins quatre éléments basiques : premièrement l’évolution des rapports historico-politiques entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire depuis l’indépendance en passant par la période révolutionnaire jusqu’à la récente crise ivoirienne ; deuxièmement l’évolution des différentes analyses sur les causes, les protagonistes, les enjeux de la crise ivoirienne ; troisièmement l’évolution des différentes tentatives de recherche de solutions de la crise, l’implication des instances internationales, africaines, celle des personnalités politiques avec leurs échecs et leurs succès, et enfin et surtout la personnalité du président Blaise Compaoré avec sa lecture de la crise, sa vision de l’intégration sous-régionale et sa philosophie de résolution des crises qui selon lui passe inéluctablement et toujours par l’écoute, le dialogue, sa conception du développement qui n’a d’autre socle que la paix sociale et la stabilité politique. Si on se limite au caractère phénoménal de l’intronisation, on peut se tromper et ne pas percevoir ses profondes motivations et le sens profond de ce message de reconnaissance que les chefs traditionnels ivoiriens ont voulu transmettre au peuple burkinabè à travers l’extraordinaire symbolique de cette intronisation historiale. Le moaga ne dit-il pas dans certaines circonstances « qu’il n’a pas de bouche pour remercier ! ». les chefs traditionnels africains, représentatifs de l’âme et da la culture ivoirienne dans sa diversité ont voulu extérioriser le sentiment profond qu’ils ressentent aujourd’hui à l’égard du président du Faso qui s’investit pour que la Côte d’ivoire retrouve ce qu’il y a d’essentiel dans un pays, la paix, rien que la paix. A moins d’une cécité politique ou diplomatique irréparable qui peut contester le leadership du président Blaise Compaoré aujourd’hui qui humblement et avec modestie n’a d’autres ambitions que d’instaurer la paix dans la sous-région en facilitant le dialogue entre des frères ennemis. Du reste, j’ai le sentiment profond que cette élévation ne s’adresse pas directement à la personne du président du Faso mais au peuple burkinabè reconnu pour incarner certaines valeurs et vertus humaines que sont la paix, le dialogue, l’écoute, la recherche de l’harmonie. Il faut aller au-delà du phénomène et voir qu’il est porteur de toute une polysémie, c’est-à-dire un nombre illimité en profondeur de sens qui honore le peuple du Burkina Faso, au-delà de la personne du chef de l’Etat. Le président du Faso, sollicité un peu partout est certainement aujourd’hui beaucoup plus faiseur de paix que facilitateur. Soyons en fiers et reconnaissons le sans complexe. Qui l’eut cru ? Telle est ma compréhension et mon analyse de cet évènement exceptionnel.

S. : Avec votre double casquette d’enseignant et d’homme politique, quelle lecture faites-vous du système éducatif burkinabè ?

J. K. : Homme politique, c’est trop dire (rires) ; je suis de vocation un enseignant qui ne saurait se soustraire de la politique en tant que citoyen. J’ai toujours dit que si la politique consiste à construire des intrigues, des coups fourrés au lieu de s’occuper du développement, alors elle ne m’intéresse pas du tout. La politique consiste d’abord à la gestion de la cité et concerne tout citoyen notamment ceux qui sont éclairés. Dans ce sens, sans en faire ma profession exclusive, je compte apporter ma petite contribution à la vie politique de la nation. Pour revenir à la question, il faut reconnaître qu’à travers un certain nombre d’instances et de cadres de réflexion au niveau des ministères en charge de l’éducation une autopsie de notre système éducatif a été faite. On est arrivé au constat d’un certain nombre de limites, de difficultés, d’impasses, qui entravent son efficacité et l’atteinte de résultats. Dès lors une réforme s’impose. Sur le plan quantitatif il faut aller vers plus d’infrastructures scolaires pour la scolarisation d’un maximum d’enfants burkinabè. Cela suppose aussi des enseignants en nombre suffisant et pédagogiquement bien formés et bien motivés et non des chercheurs de boulot et de salaires. Le gouvernement a certes déjà fait des efforts énormes pour le moment mais beaucoup reste à faire. Sur le plan qualitatif il faut améliorer notre système éducatif en assurant sa cohérence à tous les niveaux d’enseignement, en lui définissant des objectifs clairs, en créant des passerelles entre enseignement général enseignement technique et formation professionnelle, en établissant l’adéquation entre formation et emploi. Cela exige une vision claire et cohérente, une volonté politique ferme, toute chose que le gouvernement construit avec l’ensemble des acteurs de l’éducation. La valorisation du capital humain dont parle le chef de l’Etat et qui est très fondamental pour le développement d’un pays comme le nôtre qui, rappelons-le, n’a pas d’énormes ressources naturelles passe par la mise en place d’un système éducatif efficace et performant. L’accent doit être mis sur la formation, la qualification, les compétences des jeunes. Tel est le sens qu’on peut donner à la réforme du système éducatif que le gouvernement est en train de promouvoir.

S. : A quoi résumez-vous les problèmes auxquels doivent faire face la jeunesse burkinabè ?

J. K. : (Sourire). Il serait fastidieux d’évoquer ici tous les problèmes de la jeunesse burkinabè. Néanmoins, on peut résumer en quelques axes, ces problèmes. D’abord à l’instar des autres jeunes et du contexte économique mondial, les jeunes Burkinabè font face au phénomène du chômage en milieu urbain et du sous emploi en milieu rural. Donc comme premier défi que nous avons à relever aujourd’hui, c’est la problématique de l’emploi. Il faut par la création d’emplois, réduire de façon significative le chômage et le sous-emploi. Pour cela les jeunes ont besoin de beaucoup plus d’opportunités de formation professionnelle, d’apprentissage de métiers pour leur insertion socioprofessionnelle. La question d’accès à l’éducation et à la formation demeure donc importante pour les jeunes. Il faut des infrastructures éducationnelles en quantité et en qualité. Il faut du personnel d’encadrement en quantité et en qualité qui puissent transmettre à ces jeunes un savoir de qualité. Puisque c’est dans la valorisation de cette jeunesse que le pays peut avoir des ressources et des compétences importantes pour relever les défis de développement. A tous les niveaux d’enseignement, notre jeunesse connaît un certain nombre de difficultés. Et je suis bien placé pour savoir ce qui se passe à l’Université par exemple. Il faudra travailler à résoudre progressivement et méthodiquement ces problèmes dans la limite des moyens de l’Etat. Je reste tout à fait convaincu, que c’est en investissant dans la formation de cette jeunesse que nous allons trouver les clefs de solution aux problèmes de développement. La jeunesse rencontre des problèmes de santé. Nous connaissons la pandémie du VIH/Sida qui touche essentiellement les jeunes, les bras valides. Qui dit jeunesse dit activité sexuelle et de reproduction. En travaillant sur la sensibilisation et la mise en place de structures de santé adéquates propres à répondre aux problèmes de santé des jeunes, nous pourrons un tant soit peu faire de ces jeunes des citoyens actifs, physiquement et intellectuellement pour l’œuvre de développement. La jeunesse connaît aussi des problèmes d’organisation, des fléaux sociétaux qui ont pour nom l’alcoolisme, la drogue, le tabagisme, la prostitution, des comportements déviants de toute sorte. Chaque catégorie de jeunes connaît des problèmes spécifiques qu’il faut prendre en compte dans le cadre d’une politique de jeunesse. Il faut bien identifier tous ces problèmes et travailler à leur apporter des solutions idoines, pratiques et durables. Notre responsabilité et nos attributions vont dans ce sens.

Sidwaya (S.) : Monsieur le ministre, d’aucuns vous taxent de “ministre des concerts” et estiment qu’il est maladroit d’organiser des concerts à coût de centaines de millions alors que les jeunes ont d’autres préoccupations qu’il faut chercher à résoudre. Votre commentaire ?

Justin Koutaba (J. K.) : Tout le monde ne peut pas avoir une hauteur de vue et être de bonne foi dans un pays. Dans le cadre d’une question orale à l’Assemblée nationale nous avons expliqué le pourquoi et le comment des concerts que nous organisons à l’intention des jeunes lors de la célébration annuelle de la journée internationale de la jeunesse. Il va de soi que les jeunes ont besoin de l’art, de la musique dont on dit qu’elle adoucit les mœurs, stimule l’entendement et l’imagination, exige de la créativité et du talent et fait appel au génie. Notre objectif à travers les concerts c’est mobiliser les jeunes dans un cadre qui est le leur et qu’ils apprécient pour leur transmettre un certain nombre de messages justement en rapport avec leurs préoccupations telle que la question du VIH/ Sida, les problèmes de santé de la reproduction. Nous sommes convaincus que la musique, dans son contenu, ses thématiques, le cadre dans lequel elle s’exprime, constitue un moyen privilégié pour s’adresser aux jeunes. D’ailleurs tous les andragogues reconnaissent qu’on apprend souvent mieux en s’amusant. Dites-moi pourquoi les grands politiciens, les grands hommes d’Etat, lors des campagnes électorales font appel à l’art musical, à des artistes pour animer. Est-ce parce qu’ils n’ont rien de séreux à proposer aux gens et que leurs projets et programmes de société consistent à les amuser ? C’est vrai, pour mobiliser des artistes internationaux et les jeunes talents nationaux porteurs de messages, il faut de l’argent. Mais nous trouvons des bonnes volontés qui épousent la cause de la jeunesse en même temps qu’elles font la promotion de leurs produits qui nous accompagnent à chaque fois que nous organisons nos manifestations de jeunesse. Toujours sur cette question des concerts, il faudra situer chaque chose dans son contexte. La célébration de la Journée internationale de la jeunesse est une application de la résolution 54/120 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies qui recommande que chaque année, une journée soit consacrée à la jeunesse. L’ONU recommande que la célébration de cette journée comprenne deux (2) activités. Une activité d’utilité publique et économique, telle que la plantation d’arbres et une autre activité festive tels que les concerts pour les jeunes. En 2006 et en 2007, nous avons organisé avec les ministères techniques, notamment le Ministère de l’Environnement et du Cadre de vie, un certain nombre d’opérations : l’opération “zéro sachet noir”, l’opération “65/15” qui ont consisté à mobiliser la jeunesse pour qu’elle prenne à bras-le-corps les questions environnementales.

Des milliers d’arbres ont été plantés par les jeunes et entretenus par eux à travers la création d’emplois. Les concerts qui ont été organisés et animés par les jeunes à la suite de ces activités ont servi comme cadres d’épanouissement et véhicules appropriés de messages à l’adresse des jeunes. Voilà le sens que nous donnons aux concerts en tant que cadre d’écoute, d’information, de sensibilisation des jeunes face à des phénomènes qui sont aussi leurs préoccupations. Vous savez, il est difficile de mobiliser les jeunes aujourd’hui sur des
choses et dans des cadres qui ne les intéressent pas. Ceci dit, nous sommes à l’écoute des jeunes et jusqu’à preuve du contraire la musique fait partie de leur vie et nous organiserons toujours des concerts pour eux, avec eux et par eux n’en déplaise aux simples d’esprit. Les jeunes seront formés aux métiers, à l’entreprenariat, ils auront des financements pour leurs projets, ils auront des emplois et en plus des emplois ils auront des concerts et tous ce qui peut concourir à leur épanouissement physique et intellectuel. Je pense que la personne qui nous a fait le mauvais procès à l’époque à propos des concerts ne pensait pas ce qu’il disait ou disait ce qu’il ne pensait pas. Je la connais très bien pour l’avoir enseignée et je connais aussi ses limites intellectuelles et son degré de corruptibilité. Peut - être qu’il a voulu vendre en se vendant à des parrains corrupteurs qui sont aussi négatifs que lui. (Rires dans la salle).

S. : Combien en terme de francs CFA, les concerts ont mobilisé comme budget ?

J. K. : Le coût des activités de la Journée internationale célébrée dans toutes les régions et provinces du Burkina est budgétisé à peu près de cent cinquante millions (150 000 000) de francs CFA. Les sponsors qui sont essentiellement des sociétés commerciales et des institutions internationales qui s’occupent des questions de jeunesse ont pris en charge les artistes et l’organisation des concerts. Ce n’est pas le budget de l’Etat qui supporte ces genres d’activités. Pour les artistes internationaux auxquels nous avons fait appel, il va s’en dire qu’il y a un coût. Chaque artiste à sa valeur. Si vous faites venir de Paris un groupe de la trempe de Magic System ou Extra musica, Koffi Olomidé, ce n’est pas le même prix que si vous faites venir un artiste inconnu de votre village (rires dans la salle). La valeur des artistes invités fait partie aussi du rayonnement de notre pays. Si vous voulez faire des choses de qualité, et loin de moi de ramer dans le sens de la médiocrité, vous êtes obligés de mettre de l’argent. Les Mossi ont bien résumé cela dans cet adage : “Zin noogo yaa lagfo”, c’est-à-dire, “Il faut de l’argent pour faire une bonne sauce”. La critique a pour rôle d’interpeller et de susciter la réflexion. Le rôle de la presse c’est de nous dire, “c’est bien ce que vous faites mais ne faites pas des choses démesurées ou disproportionnées à vos moyens. Faites ce qui est toujours dans la dimension de l’acceptable des gens et dans le sens de la bonne gestion des finances publiques”. Ne vous en faites pas, nous ne sommes pas ministre pour organiser uniquement des concerts, du théâtre, du cinéma, autant de bonnes choses pour l’esprit. Mais en tant que ministre de la Jeunesse, tout ce qui concourt à l’épanouissement, à l’ouverture d’esprit de notre jeunesse, que cela passe par l’emploi, la formation professionnelle ou par la musique, il est de notre devoir de le faire dans la mesure de nos possibilités, et dans la mesure de ce que les jeunes nous demandent et avec l’accompagnement de bonnes volontés qui nous soutiennent.

S. : Monsieur le ministre, vous avez tantôt reconnu que les jeunes s’adonnent à certains vices de nos jours. Comment en tant que philosophe, appréciez-vous cette perte de valeurs morales et civiques, surtout dans les écoles ?

J. K. : Les comportements des jeunes suivent des mutations sociales. Ces mutations sociales remettent parfois en cause certaines valeurs culturelles reconnues et transmises par l’éducation. L’éducation des jeunes elle-même subit des transformations et manquent parfois de repères solides. Cela se traduit en termes de démission des parents, des acteurs de cette éducation. Par ailleurs aujourd’hui avec les médias, il paraît de plus en plus évident que les jeunes adoptent des styles de vie, de comportement, de pensée et de langage venus d’ailleurs. L’alcoolisme, le tabagisme, la drogue, la prostitution, sont autant de maux qui minent la jeunesse. Il nous faut proposer des réponses appropriées, des mécanismes de régulation sinon de jugulation de ces phénomènes. Cela est un travail permanent et demande un engagement conséquent.

S. : L’une des conditions pour accorder un crédit dans le cadre du Fonds d’appui aux initiatives des jeunes (FAIJ) est d’avoir un parrain ou un mentor. A quel besoin cela répond-il ?

J. K. : Quand le président du Faso a créé le Fonds d’Appui aux Initiatives des Jeunes (FAIJ), nous avons voulu que soit prise en compte une des préoccupations majeures des jeunes, à savoir la question de la garantie ou de caution. Certains jeunes sont porteurs de très bons projets mais rencontrent des difficultés pour obtenir les financements par manque de garantie. Autrement dit les jeunes qui vont sur le marché du travail et qui ont envie de créer leurs entreprises n’ont rien et ne peuvent pas répondre aux exigences bancaires puisqu’ils n’ont ni maison, ni parcelle, ni voiture pour garantir. Avec la création du FAIJ, nous avons dit qu’il fallait tenter une autre forme de garantie non matérielle mais morale par le système de parrainage ou de monitoring. Nous avons pensé qu’un jeune qui est porteur d’un projet pertinent, peut trouver quelqu’un qui jouit d’une autorité morale ou d’une respectabilité sociale qui se porte garante du sérieux et de la volonté de travailler du jeune. Cette personne de référence peut être un opérateur économique, une personnalité religieuse, politique, de profession publique ou libérale etc. Nous avons estimé que nous pouvons accompagner les jeunes dans la réalisation de leurs projets à partir de cette caution morale. Puisque la personne (parrain ou mentor) va conseiller le jeune, l’aider dans la formulation du projet, dans le décaissement que fait le fonds pour le financement du projet, etc. C’est un risque, mais il vaut la peine d’être couru. La notion d’autorité morale qui implique les vertus de l’honnêteté, de l’intégrité, du sérieux, nous amène à croire que le mentor ou le parrain sera d’une extrême diligence et d’une honorabilité forte de façon à ce que sa volonté reste dans la limite de l’accompagnement.

S. : D’aucuns disent que le mentor ou le parrain doit être du parti majoritaire. Quel commentaire ?

J. K. : Est-ce que les fonds de financement sont les fonds du parti majoritaire ? Dans notre ministère et partout ailleurs dans la république, nous avons toujours répété que les critères subjectifs, politiques, parentaux, régionalistes, ethniques, familiaux, confessionnels, sexuels etc., ne sont pas valables et acceptables dans nos mécanismes de financement. Ce que nous prenons en compte, c’est la qualité des projets. C’est leur pertinence, leur impact dans la lutte contre la pauvreté et en matière de création d’emplois. La carte d’un parti sert uniquement comme carte de membre ou de militant d’un parti majoritaire ou minoritaire. On n’est pas dans le parti-Etat et le parti majoritaire n’intervient pas dans les mécanismes de financement publics ou privés. Par contre le parti majoritaire regorge de personnes qui sont des références et des bonnes volontés susceptibles d’être parrains ou mentors.

S. : Vous avez suivi certainement avec nous le bras de fer du maire Simon Compaoré avec les gestionnaires de chambres de passe. Comment appréciez-vous cette manière de vouloir lutter contre la prostitution ?

J. K. : Je ne souscris pas aux thèses qui utilisent l’argument de la création d’emplois pour justifier les maisons de passe ou les gens s’adonnent de façon diurne et nocturne à des actes qui volent bas en matière de morale ou d’éthique. C’est là tout le sens du combat du maire Simon Compaoré que je soutien sans équivoque. Vous avez tantôt évoqué la perte de certaines valeurs dans nos sociétés. Il ne faut certainement pas continuer à reculer les limites de la morale. La beauté de la ville passe aussi par sa beauté morale. Ce qu’il faut retenir de la décision du maire, c’est sa volonté, en tant que premier responsable de la commune, de juguler le phénomène de la prostitution qui prend des proportions qui dépassent les limites du tolérable dans notre capitale, voire dans tout le notre pays. Ce phénomène touche de plus en plus la couche jeune et adolescente de la population. On ne peut pas assister, à moins d’être complice, aux activités qui nuisent aux bonnes mœurs. volent à contre-courant de cette volonté de lutter contre la prostitution dans nos villes et campagnes. Il faut absolument faire quelque chose contre l’expansion des chambres de passe et la prostitution et le maire doit être soutenu. Je reconnais qu’aujourd’hui tout est question de méthode et de communication pour que certaines mesures parfois impopulaires mais salutaires puissent être acceptées notamment par ceux qui ont de ces investissements des sources de revenus. L’argent n’a peut être pas d’odeur mais les gens doivent avoir de la pudeur et le sens de l’honneur. Je souhaite qu’on prenne en compte cet aspect des choses dans la lutte contre les chambres de passe. Regardez ce que devient la morale dans certains pays économiquement développés mais moralement sous-développés. La sexualité est aussi bien banalisée qu’animalisée dans certains pays, loin du caractère profondément sacré ou religieux qu’elle avait. Cette forme bestiale de la sexualité, par le biais de certaines infrastructures telles que les maisons closes, trouve des cadres cachés pour s’exprimer. Et si on n’y prend garde, je pense que ce qui nous reste d’essentiel, d’important dans nos sociétés africaines que nous devons mettre en partage avec d’autres sociétés, risque de disparaître. C’est pourquoi il faut avoir une lecture saine et positive de la décision du maire Simon Compaoré.

S. : Monsieur le ministre, depuis l’année dernière vous avez décidé de réunir les différents fonds octroyés par le ministère aux jeunes au sein d’une même structure dénommée “Guichet unique”. A quel souci répond cette décision ?

J. K. : En 2007, le gouvernement a effectivement mis en place six (6) guichets uniques et nous venons de boucler l’installation, cette année, des six (6) autres guichets uniques dans les régions.
Un guichet unique est un espace fédérateur, une infrastructure, un bâtiment qui accueille les quatre (4) fonds qui sont sous la tutelle du ministère de la Jeunesse et de l’Emploi. Il s’agit du Fonds d’appui à la promotion de l’emploi (FAPE), du Fonds d’appui aux l’initiatives des jeunes (FAIJ), du Fonds d’appui au secteur informel (FASI), du Fonds d’appui à la formation professionnelle et à l’apprentissage (FAFPA). Pourquoi avons-nous pensé à l’opportunité de mettre en place des guichets uniques ?
Il faut savoir que ces fonds de financement n’existaient qu’à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso. Du coup, il se pose un problème d’accessibilité à ces fonds en terme de distance pour les promoteurs et les jeunes des autres localités. Il fallait donc les rapprocher aux promoteurs. C’est pourquoi quand ce ministère a été créé et que nous avons été responsabilisé pour l’animer, nous avons jugé qu’il était opportun de créer des guichets uniques dans tous les treize (13) chefs-lieux de région.
A partir du guichet unique de la région, les agents qui représentent les fonds peuvent aller dans les provinces, dans les départements et dans les villages, pour former et informer les jeunes, les aider pour le montage des projets. Les jeunes peuvent ainsi avoir leur financement à partir du guichet unique de leur région et envisager leur remboursement au niveau de ces guichets uniques. C’est donc une exigence d’accessibilité et de proximité qui nous a amené à imaginer et à créer ces guichets. Lorsqu’en temps opportun le gouvernement va apprécier l’impact de ces guichets, nous verrons s’il convient d’en créer dans les provinces, les départements ou dans certaines zones à potentialité économique tel le Sourou, Bagré, Samendeni, etc. Nous sommes dans un contexte de vie chère ou nous allons vers l’accroissement de la production dans notre pays. Il n’est pas exclu que nous imaginions des mécanismes de financement, des bourses de production pour les jeunes qui passeraient par ces guichets uniques de façon à ce que nous puissions les accompagner en matière d’achat d’intrants, de machines agricoles ou de transformation, etc. Par ailleurs les guichets uniques sont en phase avec les Centres de formation professionnelle du ministère dans les chefs-lieux de région. Nous avons fait de telle sorte que les jeunes formés dans les centres de formation du ministère, après leur formation (niveau 1, niveau 2, niveau 3, puissent avoir des financements, acquérir des outils de travail pour s’installer, et exercer leur métier. Nous recherchons l’efficacité et la cohérence dans nos initiatives.

S. : Monsieur le ministre, comment vous avez vécu le dernier remaniement ministériel ?

J. K. : Son Excellence monsieur le président du Faso et Son Excellence M. le Premier ministre ont expliqué que la mission gouvernementale nécessite parfois des réaménagements qui vont dans le sens de l’harmonie, de la cohérence et la collégialité de l’équipe gouvernementale. Cette harmonie permet d’être efficace et d’atteindre des résultats. C’est probablement donc pour cette raison que le remaniement a été fait. On ne peut que s’en tenir à cela.

S. : Cela fait exactement un an que Nicolas Sarkozy a été élu président de la République française. Comment vous appréciez le parcours de l’homme en une année ?

J. K. : Si on suit l’actualité de la politique française, le président Sarkozy est en train de mettre en œuvre sa politique de réformes. Après son élection il cherche avec son équipe comment remplir toutes les promesses qu’il a faites aux Français lors de la campagne électorale. Et comme partout ailleurs, cela ne se passe pas sans difficulté, parce que les français sont très critiques et pressés de voir des résultats, ce qui n’est pas évident dans un contexte économique international difficile. Je remarque que le Président Sarkozy est riche en idées et en initiatives, sûr de lui, convaincant. Le président Sarkozy a sa vision. Il a aussi certainement sa méthode, avec ses insuffisances et ses forces. Il entend pendant son mandat de 5 ans, réaliser un certain nombre de choses pour le bonheur des françaises et des français.

S. : Quel est votre commentaire sur le discours du président Sarkozy à Dakar ?

J. K. : Le discours du président Sarkozy à Dakar a quelque chose de comparable aux discours de certains hommes de sciences et de lettres, de certains philosophes du XVIIIe et du XIXe siècle qui ont préparé l’esclavage et la colonisation sur le plan conceptuel. Si vous lisez un grand penseur comme Hegel du XIXe siècle, vous verrez les monstruosités et les horreurs qu’il écrit sur l’Afrique et les hommes qui l’habitent. Selon lui, les africains qui sont plus proches des singes que des hommes sont incapables de penser, c’est pourquoi ils n’ont rien inventé sur le plan technique et scientifique. Etant dans un état de barbarie et dans l’obscurité totale les nègres n’ont pas contribué à l’édification de la civilisation universelle et au progrès du monde. Hegel conclut dans sa hiérarchisation des races que les Noirs sont au bas de l’échelle et sont des êtres inférieurs. Telles sont les thèses du philosophe allemand dans son ouvrage la Raison dans l’histoire que je vous recommande de lire.

Dakar, et plus de deux siècles après le président Sarkozy, mal inspiré ou mal conseillé, n’a fait que répéter ces aberrations indignes d’un homme de culture. Son discours était indigeste, inacceptable et injurieux. C’est vrai que la colonisation a fait de telle sorte que dans l’histoire du monde, il y a eu des vainqueurs et des vaincus. Mais l’histoire nous a aussi montré que les vaincus d’aujourd’hui peuvent être les vainqueurs de demain. Les civilisations africaines ont connu leur épopée avant leur déclin. Les populations et les civilisations prométhéennes qui aujourd’hui se croient supérieures aux autres ont intérêt à s’inspirer des valeurs d’autres civilisations sinon elles connaîtront le sort d’Icare.

S. : L’un des pères fondateurs de la négritude, Aimé Césaire, vient de tirer sa révérence. Que retenez-vous de l’illustre disparu ?

J. K. : Ce que je retiens de l’homme, c’est la grandeur et le poids de sa pensée soutenue par cette volonté de réhabiliter le Noir, en l’aidant à assumer sa négritude, sa négrité. Ce qu’il y a de formidable chez l’auteur du Cahier d’un retour au pays natal c’est cette symbiose parfaite entre l’écriture, la poésie et l’engagement politique. Aimé Césaire fut l’un des premiers intellectuels africains, avec son frère et ami Senghor, qui ont affirmé la valeur de la culture noire et qui l’ont assumée en tant que tel et avec une fierté incommensurable. Ils font partie des hommes, de ces références immortelles, historiques, africaines qui ont eu un message envers et pour les peuples noirs, et surtout qui ont eu quelque chose à transmettre aux jeunes générations pour leur dire qu’il n’y a pas lieu d’avoir un complexe, il faut travailler, il faut cultiver nos valeurs et que l’homme noir a sa place dans le concert des nations. Cela est une conquête intellectuelle permanente à faire. Aimé Césaire nous laisse un héritage et un message qu’il convient de revisiter en permanence. Paix à l’âme de cet immortel de la pensée africaine.

S. : Comment se fait-il que des grands penseurs tels que Cheikh Anta Diop soient très peu enseignés dans les universités africaines ?

J. K. : Cheick Anta Diop a des disciples comme Théophile Obenga qui perpétue sa pensée. En détruisant les thèses racistes et falsificationnistes sur l’histoire de l’Afrique et la contribution des Nègres à la naissance de la science moderne occidentale, donc en replaçant le Nègre à la place où il avait été détrôné Cheik Anta Diop a accompli ce qu’on appelle une “Révolution copernicienne”. Malheureusement il a été oublié et maltraité par les siens au point qu’il n’est pas enseigné dans nos universités. Mais je constate avec bonheur qu’aujourd’hui, il y a dans nos différentes universités, des clubs Cheick Anta Diop. En Europe, dans les milieux intellectuels africains, il y a un certain nombre d’associations qui revisitent ses thèses. Moi-même j’ai publié plusieurs articles dans des revues scientifiques internationales sur ce digne fils de l’Afrique.

S. : Qu’est-ce qui justifie, selon vous, tant de violences et de contestations post-électorales en Afrique ?

J. K. : Le phénomène des contestations des votes devient quelque chose de récurrent en Afrique. La première pensée que j’ai au-delà de l’analyse politique est qu’on a l’impression qu’il y a quelque chose d’inachevé ou de non fait dans la réflexion que nous avons de la démocratie. J’ai parfois l’impression que les africains ont importé un système politique de gouvernance que leur subconscient et leur culture rejettent. Le greffage ne semble pas être accepté par l’organisme. Même les objets techniques ne sont pas souvent transférables en Afrique sans adaptation ou sans acclimatation. Imposé par l’Occident ce système de gouvernement pensé depuis le VIe siècle avant Jésus-Christ et plus tard par les philosophes du siècle des Lumières, dans son application en Afrique pose toujours problème. Reflétant la culture, la conception du pouvoir, de l’autorité, bref l’esprit des peuples qui l’ont conçue, la démocratie appliquée sous les tropiques posent des difficultés énormes. Après les élections on a parfois l’impression qu’on a joué au « Qui perd gagne. Les contestations émanent de partout et génèrent des violences inouïes. Bref les exemples sont légion et quotidiennes. Il faut, à mon sens, que les Africains fassent un effort de réflexion et de conceptualisation. L’absence de réflexion du pouvoir politique par les Africains et pour les Africains eux- mêmes est un vide intellectuel qu’il faut combler.

S. : Dans ce cas, qu’est-ce qu’ils doivent faire ?

J. K. : Est-ce qu’il est possible de revenir en arrière ? Je pense qu’il n’est jamais tard pour réfléchir. Il faut convoquer les intellectuels et les politiques à la tâche. Il faut prendre en compte nos propres réalités culturelles et nos mentalités. Le mimétisme servile ne nous rend pas service. Quel est par exemple le sens de l’alternance dans la conception traditionnelle du pouvoir ? Comment peut-on être chef aujourd’hui et demain être sans pouvoir. Ce sont des questions de fond que nous refusons de poser mais qui indirectement resurgissent implicitement dans nos rapports à la chose politique moderne. La réflexion est quelque chose d’incontournable. Naturellement il y a bien d’autres problèmes concrets et classiques liés à la question de la contestation des élections et la valeur même des votes en Afrique sur lesquels je me garde de faire des thèses ici.

S. : Les élites africaines actuelles peuvent-elles remédier à ces problèmes ?

J. K. : Nous avons des grands philosophes et intellectuels. Il faut poser ces problèmes, sans fuite en avant sinon nos démocraties garderont toujours ces tares congénitales fondamentalement culturelles et qui vont nous empêcher d’avoir des situations de stabilité, de durabilité, de paix pour le développement. Or, il n’y a pas de développement sans paix et sans stabilité.

S. : En vous écoutant, on a tendance à croire à cet homme d’Etat qui disait que la démocratie à l’occidentale est un luxe pour les Africains ?

J. K. : Ce n’est pas un luxe. Seulement il y a quelque chose comme d’inachevé dans la réflexion. Quelle est notre contribution dans la mise en place conceptuelle de ce système politique ? En quoi il reflète des éléments basiques de l’organisation de nos sociétés traditionnelles ? En quoi nous retrouvons la conception du pouvoir africain dans les démocraties à l’occidentale telles que nous les appliquons aujourd’hui ? Maintenant, si nous pouvons vivre des systèmes sans nous-mêmes, c’est-à-dire, notre esprit, notre culture, tant mieux ! Mais je crains fort qu’on ne puisse le faire. Alors que nous avons les moyens intellectuels, des capacités, des compétences, des hommes de culture. Il y a quelque chose comme la nécessité d’une alliance entre tradition et modernité, de quelle alliance peut émerger des facteurs et des éléments propres à conforter ou à renforcer les démocraties parce qu’adaptés à des éléments de cultures qui pèsent sur nous sans que nous nous rendons compte et qui nous empêchent d’avancer.

S. : Comment appréciez-vous la personnalité et le mandat de l’ancien président de la Commission de l’Union africaine, Alpha Omar Konaré ?

J. K. : Alpha Omar Konaré a dirigé l’Union africaine avec une vision et une volonté de construire une Afrique unie et prospère. Il s’est inspiré de la vision des pères du panafricanisme. Aidé par ses pairs il a voulu que l’Afrique fasse un grand pas dans son unification et dans la recherche d’un certain nombre de solutions aux problèmes que vivent les Africains. Il a peu ou prou réussi son mandat. La relève qui a été faite par le ministre Jean Ping du Gabon sera assurée. Je pense que malgré les vicissitudes et les difficultés, les Africains vont arriver à donner plus d’impulsion, de force, de cohésion et de cohérence à l’Union africaine. Avec le temps, nous allons arriver demain à asseoir quelque chose d’envergure qui puisse décider de l’avenir de notre continent en matière de progrès et de développement.

S. : D’aucuns voyaient Alpha Omar Konaré comme un visionnaire alors qu’ils considèrent Jean Ping comme un “fonctionnaire de service”. Cette vision opposée ne va-t-elle pas retarder l’impulsion ?

J. K. : Il y a toujours des moments d’hésitations et de tâtonnements quand il y a un changement. C’est toujours des interprétations, des interrogations. Jean Ping est un fils du continent qui a une dignité et qui partage un certain nombre de valeurs sinon il ne serait pas élu à ce niveau de responsabilité.

S. : Ping ça sonne chinois.

J. K. : Et alors ? Le riz qu’on réclame dans la rue dans le contexte de la vie chère vient des chinois, des vietnamiens. Je n’ai rien contre les Chinois ce d’autant plus que le métissage des cultures, des populations, des races est un moyen d’enrichissement et non un appauvrissement. Tous les scientifiques le savent, le disent et le prouvent. L’avenir du monde c’est le métissage des ethnies, des races et des cultures.

S. : On dit qu’il a été le candidat du Burkina Faso. Comment se justifie ce choix ?

J. K. : Est-ce qu’aujourd’hui vous voyez quelque chose de fort, de constructif, de visionnaire qui évite le carrefour burkinabè ? Il n’y a que les Burkinabè qui s’autoflagellent. A écouter les gens qui viennent de partout le continent pour les grandes rencontres organisées à Ouagadougou, on se rend compte que le Burkina Faso est aimé, admiré et respecté, qui plus est ressemble à un passage obligé pour certaines négociations. C’est un pays qui est dirigé, respecté. C’est un pays qui a un leadership confirmé et prouvé. Mais le burkinabè est de renommée humble et modeste. Il n’aime pas l’exhibitionnisme et le triomphalisme, encore moins le bruit. Donc je pense comme vous que le ministre Jean Ping était certainement venu chercher du soutien à Ouagadougou et qu’il a obtenu ce soutien qui lui a permis d’être responsabilisé au niveau de l’Union africaine. Je ne suis pas dans le secret des dieux, j’imagine que ça a pu être comme cela.

S. : Vous avez tantôt fait allusion à mai 68 en France. Aujourd’hui après l’installation des démocraties, l’attitude de certains jeunes ne s’apparent-elle pas à l’attitude de non conformisme des jeunes Français ?

J. K. : La jeunesse signifie le non conformisme, la volonté de la différence, la volonté de bouger. La jeunesse, c’est l’esprit de contestation de tout ordre établi, c’est l’esprit vindicatif et il faut accepter que ça soit comme cela. Si elle sort de ces cadres, elle n’est plus jeunesse. On prend en compte une jeunesse en fonction de ce qu’elle est et on l’éduque, on la forme en fonction de ces données fondamentales et de ces caractères spécifiques.

S. : Est-ce qu’on peut considérer qu’il y a une main étrangère quand les jeunes manifestent ?

J. K. : Comme l’instrumentalisation existe en politique, il est possible que des hommes utilisent d’autres hommes pour parvenir à des fins inavouées. D’une revendication légitime ou d’un vrai problème on peut vous amener à poser des actes qui n’étaient pas votre intention première. Mais je pense qu’au bout du compte, la jeunesse est toujours à même de se ressaisir, de s’informer, d’avoir des positions objectives et de les poser de façon raisonnable et pacifique.

S. : Avez-vous foi à l’avènement d’un gouvernement panafricain et quelle est la démarche pour aboutir à ce gouvernement ?

J. K. : Nous avons toujours dit que le rêve est un droit pour tout le monde. Maintenant quand on rêve d’une chose, par exemple de la mise en place d’un Etat africain, on met les moyens pour atteindre les objectifs. Ces moyens ont pour signification la méthode et pour facteur essentiel le temps. Chaque chose vient à son temps. Il est certain que face à l’avenir il faut s’organiser et construire des grands ensembles. Le rêve du président Kadaffi dont vous faites allusion date de Marcus Garvey et NKrumah et des premiers panafricanistes. Comme le Président du Faso l’a toujours dit, il faut aller progressivement et de façon raisonnable et méthodique, accepter que les choses évoluent dans le temps. Si vous prenez le cas de l’Union européenne, l’idée est vieille. Certains la rattache au Saint-Empire romain germanique, d’essence chrétienne. Elle fut véritablement ébauchée au XVIIIè siècle. Aujourd’hui l’Union européenne c’est une réalité. Sa mise en place a nécessité près de 58 ans de travail, de réflexion, de volonté commune, de constance, d’action, de génération en génération. Donc c’est un vieux rêve qui a été concrétisé en plusieurs étapes et selon des prémisses organisationnelles qui regroupaient les pays en fonction des intérêts économiques des pays. La communauté du charbon, de l’acier, etc. sont ces étapes qui ont évolué vers la mise en place de l’Union européenne. Cette union continue, elle ne s’est pas arrêtée sur le plan juridique, sur le plan de l’organisation de l’économie, de l’espace, sur le plan de l’élargissement à d’autres pays. Les Etats - Unis d’Amérique ont aussi mis du temps pour se construire. En clair, le futur de l’Afrique est panafricain. Mais cela doit se faire à travers les intégrations sous-régionales et régionales qui ne sont pas du tout en contradiction avec la création d’un Etat fédéral africain. Les efforts faits au niveau de la CEDEAO et de l’UEMOA, sont considérables et c’est la voie la plus adéquate vers le développement. Comme l’a dit Cheik Anta Diop en 1960, L’Etat fédéral africain et son gouvernement s’imposent par nécessité historique. Il doit être le couronnement d’un long processus, il doit se construire avec le temps.

S. : Monsieur le ministre, vous appeliez tantôt à la réflexion intellectuelle pour le devenir de l’Afrique. Est-ce que l’avènement d’un gouvernement africain s’inscrit dans ce cadre ?

J. K. : Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. C’est une affaire de réflexion historique contemporaine. Il faut construire l’Etat fédéral africain en tant que destin collectif du peuple africain et en fonction des intérêts collectifs des peuples africains avant de penser à l’avènement d’un gouvernement africain avec ses textes juridiques, ses modalités de fonctionnement. Le monde s’organise par la constitution de grands ensembles géopolitiques et géostratégiques et l’Afrique est dans l’obligation historique de quitter la situation de balkanisation, d’émiettement, de fragmentation. Si l’Afrique veut faire face aux défis, à la complexité et à la compétition, à la mondialisation et à la globalisation, il faut forcément que l’Afrique s’organise et la jeunesse doit jouer un rôle fondamental parce que l’avenir de l’Afrique, c’est l’avenir de sa jeunesse. C’est un impératif de survie collective.

S. : De Ziniaré à Bobo-Dioulasso, on s’attendait à un Justin Koutaba abbé, en tous cas pasteur de l’Eglise catholique. On le retrouve marié et père de trois enfants.

J. K. : Ce n’est pas un destin, c’est un choix. Si vous faites allusion au séminaire, rappelons que tous ceux qui rentrent au séminaire ne deviennent pas forcément des prêtres. Ayant fréquenté ces lieux et en exprimant toute ma reconnaissance par rapport à l’éducation et à la formation d’homme que j’y ai reçues, je crois que je peux faire de la mission profane qui est la mienne aujourd’hui un sacerdoce tout comme ceux qui sont restés et qui ont pris effectivement la soutane où la robe accomplissent avec beaucoup d’abnégation leur mission en se mettant au service des autres. Vous savez, la différence entre un ministre et un prêtre est minime.

S. : Vous êtes bouillonnant d’idées, est-ce que vous avez déjà commencé à coucher ces idées, à élaborer et ébaucher des pistes pour les générations présentes et futures. Avez-vous commencé à écrire ?

J. K. : L’écriture est une tâche difficile. Je vous admire quand je sais que vous écrivez tous les jours pour animer un Quotidien. Ce n’est pas évident. C’est quelque chose de grand et de noble. C’est un surpassement et un dépassement de soi que d’écrire. On peut avoir des idées et il est souhaitable que ces idées soient inscrites pour la postérité en les matérialisant par un ouvrage. Il faut y penser. Si le temps matériel me le permet, je ne raterai pas ce rendez-vous pour peu que ces idées matérialisées en forme d’ouvrage puissent non pas servir de bible mais de lieu de critiques, d’inspiration pour des réflexions.

S. : Parmi vos anciens étudiants, il y a de nombreux journalistes. Quels rapports entretenez-vous avec eux ?

J. K. : La plus grande joie de ma vie en tant qu’enseignant à l’université c’est voir mes étudiants réussir leur insertion socioprofessionnelle et devenir des responsables. J’ai eu cette joie surtout de partager des moments de plaisir intellectuel avec spécialement les étudiants en communication devenus pour la plupart des grands journalistes qui abattent un travail énorme aujourd’hui dans les différentes presses. Je peux vous faire cette confidence que quand je les vois ou quand je les lis, j’en suis fier en tant que leur professeur et en tant que personne éprise des relations humaines de qualité. Honnêtement j’ai des relations positives avec tous es anciens étudiants, avec chacun d’entre eux.

On ne peut pas être mieux payé que quand on voit des jeunes avec qui on a travaillé, échangé, discuté et à qui j’ai transmis des connaissances vous respecter. Aujourd’hui, beaucoup sont épanouis dans ce qu’ils font. Je suis fier d’eux.

S. : Que répondez-vous à ceux qui disent que votre nomination au gouvernement est due au fait que vous êtes originaire du même village que le président du Faso ?

J. K. : Si vous dites Président du Faso, cela veut dire du coup qu’il n’est d’aucun village, d’aucune région, d’aucune ethnie, d’aucune religion. Il est le parent de tout le monde. Un chef d’Etat est comme un savant d’ethnie. Les clans, les lignages, les tribus ne peuvent être des critères pour former un gouvernement ou être à la base de la nomination à un poste de responsabilité. L’Etat n’est pas la famille. En tout état de cause notre village a plus de 70 000 âmes, donc par conséquent on n’a qu’à élargir le gouvernement pour prendre en compte les cousins, les oncles, les neveux, les tantes du Président. Soyons sérieux, vous qui avez été mes étudiants je sais que vous ne partagez ces propos qui volent très bas. Il faut prendre les responsabilités avec beaucoup de modestie, d’humilité, et faire preuve de compétences dans l’accomplissement de sa mission.

S. : La famille Koutaba fait partie de ces rares familles au Burkina Faso qui a eu la chance d’avoir deux de leurs membres ayant appartenu à l’exécutif. Votre frère Michel vous donne-t-il des conseils sur la conduite de votre ministère ?

J. K. : On n’a jamais fini d’apprendre, et on apprend toujours par ceux qui ont vu le jour avant vous et qui ont de l’expérience. Je respecte la place des anciens et des aînés telle que définie dans nos cultures africaines. Ils sont réputés être sages et capables de vous donner des conseils objectifs, sans calcul. Je suis fier de mon frère aîné et je lui suis reconnaissant pour tout ce qu’il fait pour moi. Un africain qui oublie les aînés et les anciens et ne reconnaît pas leur valeur acquise à l’école de la vie est une conscience malheureuse qui risque de se perdre sans se retrouver.

S. : Est-ce que le professeur de philosophie à l’université que vous êtes considère que cette discipline a encore ses lettres de noblesse comme au temps de Socrate ou de Voltaire ?

J. K. : Il y a plusieurs types de philosophies telle que la philosophie purement spéculative qui ressemble à un ordonnancement vide d’idées et de concepts non pratiques qui s’apparente à de l’inutilité ou à quelque chose de fumeux, bon pour mystifier les cerveaux peu avertis. Mais il y a aussi cette philosophie pratique qui consiste, tout en pensant par soi-même, à s’inspirer de la pensée des autres pour vivre avec les autres, avoir une connaissance profonde de l’homme dans toutes ses dimensions. C’est là que réside la force de cette noble discipline qu’est la philosophie, mère de toutes les sciences, racine de l’arbre du savoir. La connaissance de l’homme vous permet dans le domaine où vous êtes de pouvoir le comprendre, le gérer, vivre avec lui. Le danger que court notre monde aujourd’hui c’est l’abandon de la philosophie, de la pensée.

S. : Quel souvenir gardez-vous de votre passage à la Jeune chambre internationale ?

J. K. : La Jeune chambre internationale a été pour moi un passage très exaltant et très bénéfique. En dehors du cadre scolaire et universitaire c’est la plus grande école de formation des jeunes en leadership et en management. Je garde en mémoire ce module de formation de la jeune chambre qui nous apprend à utiliser positivement les erreurs commises pour faire mieux et aller vers l’excellence. J’ai appris aussi à la Jeune Chambre que « l’homme est la plus précieuse des richesses » ? Jusqu’à présent rien n’a démenti cette sentence à mon niveau. J’avoue que ce que je suis aujourd’hui dans ma mission, je le dois en partie à la Jeune chambre, à la vie associative qui m’a amené à approcher les autres, à les accepter, à faire des projets, à voyager avec eux, à les rencontrer, à avoir des visions collectives, des solidarités invincibles. Elle m’a aussi appris à diriger une organisation, conduire les autres. Pour avoir dirigé, été président de la Jeune chambre internationale du Burkina Faso, président de l’association des Jeunes chambres d’Afrique, conseiller spécial du président mondial de la Jeune chambre, et être membre à vie de cette organisation que j’apprécie et que je ne quitterai jamais, je puis vous dire que ces expériences ont été enrichissantes et instructives pour moi, pour la conduite de ma vie. Je vous conseille d’adhérer à cette formidable organisation pour les jeunes gens désireux d’apprendre, d’entreprendre et de chercher l’excellence dans ce qu’ils font et dans ce qu’ils sont.

S. : Connaissez-vous l’association des chauves et futures chauves du Burkina Faso ?

J. K. : Il y a des phénomènes naturels, génotypiques caractéristiques de chaque homme et qui définissent sa stature, son profil esthétique. Il y a quelque chose comme un je ne sais quoi qui me plait dans la calvitie. C’est Je pense un look apprécié par ceux qui ont un sens élevé de l’esthétique.

S. : Etes-vous révolutionnaire ou un libéral pur et dur ?

J. K. : Je suis d’un esprit ouvert. Je suis ni de gauche, ni de droite. Je suis pour ceux qui pensent qu’en toute chose il y a du positif et que l’extrémisme est nuisible à l’homme. La tempérance, la mesure de soi-même et des choses, sont des vertus essentielles qu’il faut cultiver. Quel est le sens de dire qu’on est révolutionnaire ou communiste aujourd’hui ? je me méfie des schémas classificatoires idéologiques.

S. : Quels sont les grands principes qui guident votre vie ?

J. K. : C’est difficile de parler de soi-même. Ce sont les autres qui arrivent à dire que vous êtes ceci ou cela.

Par contre on peut défendre des idéaux, des valeurs. Mon souci quand je me réveille, ce n’est pas d’aller à l’église ou à la mosquée forcément mais c’est de penser à Dieu et aux autres, et voir comment je peux être au nom de Dieu, utile et disponible aux autres, accomplir ma mission de la façon la plus correcte possible. Le respect de l’autorité est un principe que je défends aussi et une valeur que je cultive.

S. : Vous êtes le “plus jeune” des Burkinabè, vous sentez-vous dans cette peau ?

J. K. : Nous avons dit que la jeunesse s’apprécie économiquement, sociologiquement, mais surtout dans la tête. Etre jeune c’est être disponible dans la tête pour voir les choses positivement. Il y a des jeunes qui sont vieux et des vieux qui sont jeunes. La jeunesse est d’abord une disposition d’esprit qui permet de libérer de l’énergie juvénile positive pour bâtir positivement sa vie et son pays. Un ministre de la jeunesse doit se sentir jeune et adopter une attitude favorable à l’écoute de la jeunesse.

S. : Avez-vous des passe-temps favoris ?

J. K. : Oui. Avant quand j’avais plus de temps, mon passe-temps favori était l’agriculture et l’élevage, les champs et les étables. Depuis un certain temps, mon passe-temps favori c’est bosser pour accomplir la mission à moi confiée par la Président du Faso et le Premier ministre. A mes heures libres je retourne vers la terre, notamment vers l’élevage.

S. : Quel type de sport pratiquiez-vous ?

J. K. : J’ai fait les sports que tout le monde aime, notamment ceux qui développent l’esprit d’équipe et l’endurance ; le foot, le basket, le volley. J’ai fait un petit passage aussi à la boxe quand j’étais étudiant en France. Tout cela est bien pour l’harmonie du corps et de l’esprit. Depuis un certain temps, le gouvernement organise des séances de sports, j’y participe. J’avoue qu’il y a un problème de temps.

S. : Quel souvenir gardez-vous de la Révolution d’août 83 ?

J. K. : La révolution, il est vrai, a été une expérience politico-historique essentielle au développement mental, intellectuel et économique de notre pays ; elle a été une expérience politique que beaucoup d’autres peuples n’ont pas eu l’opportunité de connaître et qui a permis aux burkinabè aujourd’hui de faire la différence positivement avec d’autres et de savoir à chaque moment séparer le bon grain de l’ivraie.
Ce que j’ai gardé comme souvenir de la Révolution d’août 83 est qu’elle a permis l’avènement de 87 qui a vu la renaissance démocratique, l’élargissement de l’espace de liberté individuelle et collective. Je retiens aussi et malheureusement que j’ai été victime de certaines mesures de cette révolution, notamment celle qui a vu la suppression de ma bourse d’étudiant, malgré mon succès aux examens, soit disant que j’avais une attitude non conforme aux idéaux de la révolution.

J’ai dû alors poursuivre mes études sans bourse, en faisans des petits jobs, en pratiquant des sports tels que le basket-ball, la boxe pour pouvoir me nourrir et payer mes études jusqu’au doctorat.

La rédation

Sidwaya

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