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Les Boly, une famille de peintres !

Publié le mardi 9 octobre 2007 à 07h30min

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Sambo Boly

La fratrie Boly est bien connue des amateurs d’art du Burkina. Ils sont cinq frères : Sambo, Aliou, Moussa, Kader, Mamadou. Et ils intriguent, car ils démentent tous les clichés qui courent sur les artistes. L’artiste serait aussi rare que le génie, un seul dans une famille serait donc un don du ciel. Eux, ils sont cinq ! L’artiste serait égocentrique et égoïste.

Eux, c’est « un pour tous, tous pour un ». Chaque membre de la fratrie sollicité pour une expo amène les toiles de ses frères et les promeut. Comment ces fils de paysans, que rien ne prédestinait à un art inconnu et peu prisé dans leur culture, sont-ils devenus des peintres ? Existerait-il un gène de peintre dans cette smala ? Quelle est la touche personnelle de chaque frère dans ses toiles ?

L’histoire des Boly pourrait débuter comme débutent les contes de la savane tant elle y ressemble. Donc, il y a très longtemps, l’an zéro de notre indépendance naissait à Sabcé, province du Bam, un petit Peulh du nom de Sambo.

Son père le confia à un maître coranique pour son éducation maraboutique mais... le petit talibé découvrit en traçant les signes d’ Allah sur sa tablette de bois, l’art de calligraphier l’Aleph et maints autres signes. De la représentation du signe, il passa à la mise en image de l’objet et le voilà peintre. Sambo Boly est l’aîné et aussi le plus original et le plus créatif de la famille.

Il a participé à des expositions partout sur le globe. Ses toiles, Imploration des sages, Gardien des secrets, Livre de Naaba et Jour de jugement ont séduit les critiques d’art. Sambo Boly propose un art pictural assez atypique qui n’emprunte rien à la peinture occidentale et se départit aussi de l’art naïf et des références locales.

N’étant d’aucune école et ne se revendiquant d’aucun courant, il trace seul, en véritable autodidacte, une voie qui lui est propre. Une voie au confluent de sa culture islamique, peuhl et urbaine. Ses toiles sont faites d’éléments composites empruntés à l’univers traditionnels et d’objets de récupération comme les cuillères, les fers de lances et même des fragments de photos qu’il enchevêtre selon son inspiration.

Ses œuvres sont un questionnement sur la Nature humaine et se donnent à lire comme des contes où des historiettes avec leur charge moralisatrice. Elles s’offrent à une lecture riche, variée et multiple, car il émane d’elles un certain mystère qui génère des interprétations et des spéculations. Les clés n’étant pas offertes et les codes étant personnels, c’est au contemplateur des toiles de les trouver.

S’étant fait un nom dans le monde de la peinture, il décida, un jour, de faire venir ses quatre frères au Centre d’Artisanat et d’Art de Ouagadougou. Il les prit sous son aile et devint leur mentor. Kader et Mamadou ont quitté le nid et sont respectivement en France et aux USA où ils poursuivent leur activité de peintres.

Sont restés avec lui au Burkina Moussa et Aliou. Aliou Boly fait de la peinture abstraite, entendu comme un dessin très stylisé qui réduit le référent à une trace. Ses thèmes sont puisés dans sa culture de pasteur nomade ; aussi revient souvent le thème du voyage. Son tableau intitulé "La traversée" représente un groupe d’hommes stylisés en i sur un croissant blanc et au-dessus d’eux, un ciel rouge crépusculaire.

Est-ce la traversée d’un pont, d’un gué, un chemin vicinal, un pont de négrier ou une voie entre ici-bas et l’au-delà ? C’est sûrement tout cela et autre chose : une procession de prêtres vers la forêt sacrée, des âmes errantes du paganisme peulh, une vague de migrants ou de réfugiés ou encore « la négraille inattendument debout sur la cale du Négrier ». C’est sur des bandes de cotonnade que ces motifs proches des fresques du Tassili sont ébauchés.

Il y a quelque chose de primitif, de naïf et de hautement ésotérique dans les toiles d’Aliou Boly. Pour ses toiles, il utilise la terre (rouge de la latérite, noire de la vase argileuse), de la craie et des morceaux de tissu. Quant à Moussa Boly, s’il partage beaucoup de proximité thématique avec sa fratrie, sa particularité est vraiment l’utilisation de la toile de jute et le recours à certains canons esthétiques de la peinture européenne.

Il a une série de tableaux présentant des baobabs découpés dans la toile de jute et collés sur du papier. Ces toiles sont disséminées dans des boutiques d’art aux quatre coins du pays. Par une certaine science des tons qui lui est personnelle et les arabesques qui bordent ses tableaux, on reconnaît son œuvre même sans la signature. Son tableau "Voyageurs dans la nuit" est très apprécié.

Il met en scène quatre bonshommes marchant à la queue leu leu dans une sorte de boyau. L’un d’eux, celui qui ouvre la marche, tient une torche et marche d’un pas plus assuré que ses compagnons. Dans ce tableau, il y a un point de vue, une perspective monoculaire qui situe le regard du peintre sur les éléments qu’il transpose sur sa toile. Aussi y a-t-il dans ce tableau une organisation de la toile en lignes de force, en proportion et aussi une échelle dans le rendu des personnages.

Par l’inclusion d’un académisme occidental et de la rationalité dans sa peinture, Moussa Boly est le plus classique de la famille. Il y a aussi beaucoup de lumière dans ce tableau composé d’un rouge latéritique à nuances. Quoiqu’il ne l’affirme pas, ce tableau peut être compris comme un autoportrait de la famille. L’homme avec le phare étant l’aîné et les autres, Aliou et ses frères.

Une des particularités de la famille est le parti pris de recourir à la richesse chromatique de la nature. Les années passées derrière le troupeau dans la brousse à la recherche des herbes grasses et des feuillages tendres ont donné aux Boly une grande connaissance de la nature. Et ils puisent les richesses de celle-ci pour les réinvestir dans leur art. Ce sont, en effet, les sols, les fruits et les céréales qui offrent leurs couleurs aux tableaux des peintres Boly.

Ainsi, le jaune est tiré des feuilles de l’arbre Siga ou Kodiolo (en peulh), le rouge, des tiges de mil ou du jus de raisin sauvage, l’indigo, d’un savant mélange de plusieurs couleurs ; les tons et les nuances découlent d’un art maîtrisé du dosage. Bref, ils ont un spectre de couleurs à faire pâlir d’envie l’arc-en-ciel.

L’unique produit manufacturé qui intervient dans leur peinture est la colle liquide utilisée aussi par les ébénistes. Mais celle-ci, de par sa couleur blanc laiteux et son épaisseur, ressemble tellement au lait que pour ces fils d’éleveurs, c’est une moindre concession à leur décision de faire une peinture bio !

Aucune morale, pourtant, ne sera tirée de cette histoire, car contrairement au conte qui est achevé, la trame des Boly continue à tisser une odyssée passionnante dans le monde de la peinture. Donc, wait and see.

Barry Alceny Saïdou

L’Observateur Paalga

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