Burkina 2024 : La paix, recherchée, mais la haine et les divisions persistent toujours
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La terre vient de faire une révolution avec cette nouvelle année. Le Burkina Faso est toujours en guerre. Le conflit a débuté en 2015, mais le moins que l’on puisse dire, c’est que nous sommes toujours à la recherche des solutions. Nous avons connu deux coups d’Etat qui sont intervenus pour mettre fin à l’insécurité. Des efforts sont faits, des résultats obtenus mais des options faites sur des terrains qui n’ont rien à voir avec la bataille sécuritaire sont sources de frictions et entament sérieusement la cohésion sociale. Le pays aborde la nouvelle année dans une ambiance anxiogène, par manque de lisibilité de l’action gouvernementale, et d’une politique qui semble sourde à l’éclairage de nos chercheurs et savants et hostile aux avis critiques.
Des thèses fumeuses de ceux qui se présentent en soutiens du pouvoir fleurissent sur le net contre la science et l’école, alors même que nos ennemis se battent aussi pour pas d’écoles pour nos enfants. Bon nombre de Burkinabè s’interrogent sur certains choix, et ne perçoivent pas la cohérence de l’ensemble de la politique du Mouvement pour la sauvegarde et la restauration (MPSR2). Il y a une multiplicité d’acteurs qui prétendent agir au nom du pouvoir du MPSR2 qui n’a pas encore dévoilé sa composition.
Les opinions de ces acteurs s’entrechoquent comme celle de faire une nouvelle constitution dont la campagne était en cours et menée par des organisations de la société civile et le Premier ministre. C’est avec surprise que l’on voit le grand pont que les partisans de la nouvelle constitution viennent de prendre par la révision constitutionnelle adoptée par l’Assemblée législative de transition le 30 décembre 2023. Au moment où nous sommes en guerre, et que l’on appelle à l’unité pour vaincre nos ennemis, pourquoi le MPSR2 préfère ouvrir des fronts qui nous désunissent et n’ont aucune plus-value pour gagner la guerre ? La logique du "tout est prioritaire" et du "en même temps est mieux", crée plus de désagréments et d’inconvénients. Même si les hommes sont multitâches comme les ordinateurs, les ressources sont limitées et les priorités et les urgences s’imposent.
Revenons sur des réformes qui sèment le trouble par la manière dont le gouvernement les a conduites et qui semblent avoir pour but de revenir sur les acquis de l’insurrection populaire de 2014.
L’Assemblée législative de transition a fini de convaincre les plus sceptiques, après le vote de la loi sur le Conseil supérieur de la communication, et le vote de ce projet de loi de révision de la constitution, qu’elle est une chambre d’enregistrement. Pourtant le processus conduisant à ce vote sur la révision de la constitution a requis de la part de l’Assemblée de transition, l’éclairage d’experts et de scientifiques sur les points importants de cette révision constitutionnelle comme la révision du Conseil supérieur de la magistrature, la question des langues officielles, pour ne citer que ceux-là.
Aimons-nous la science et les scientifiques ?
Mais au final, les députés n’ont pas tenu compte des explications de ces personnes expérimentées et ont voté à plus des ¾ requis pour cette révision de la constitution qui ne peut se faire dans le contexte actuel de guerre, de mise en garde et de mobilisation générale, où l’intégrité du territoire est menacée. Pourquoi après tous ces éléments dirimants, l’Assemblée de transition a quand même voté cette révision ? On se le demande toujours. Et dans une précipitation telle qu’il fallait le faire à la veille de la nouvelle année 2024. La proposition de loi du gouvernement est sortie du conseil des ministres le 6 décembre 2023 et le 30 décembre l’affaire était pliée.
A quoi cela rime de rendre nos langues officielles, quand on sait qu’une langue officielle doit être une langue de travail. ? Alors que nous ne nous sommes pas donné les moyens d’en faire des langues de travail. Quand les experts disent qu’il y a des pays qui n’ont pas de langues officielles, on aurait pu déclarer que le français n’est plus notre langue officielle, et continuer à l’utiliser comme langue de travail et renforcer la promotion de nos langues nationales. Mais l’option choisie de les officialiser de façon formelle paraît légère parce que ce statut implique de les utiliser dans l’administration et l’enseignement.
Si la mobilisation générale n’était pas dévoyée en une lutte contre les avis critiques, des crédits importants auraient été accordés aux départements de linguistique, d’anthropologie et de sociologie de nos universités et centres de recherche pour connaître davantage les sociétés et les langues des zones à haut défi sécuritaire. Nos insuffisances et nos carences sont davantage de notre fait que de l’étranger.
Vers le retour des « juges acquis »
Cette révision constitutionnelle, si elle est vraiment possible (l’avis du conseil constitutionnel est attendu) aurait pu se faire de manière participative et inclusive sans trop d’accrocs quant à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Pourquoi rechercher le fait du prince qui s’impose à tous, alors que les discussions, le dialogue, la communication peuvent aboutir à des réformes pérennes, consensuelles ?
Les magistrats sont favorables à la présence de non magistrats au sein du conseil supérieur de la magistrature dans la proportion d’un tiers. Pourquoi vouloir inonder cet organe de 50% de non magistrats dont le profil n’est pas connu, ni le mode de désignation ? On dirait que le gouvernement coche toutes les cases pour que cette proposition déplaise, voir irrite les magistrats.
Alors que la communication gouvernementale veut faire de la transition un gouvernement proche des valeurs de Thomas Sankara, les dernières réformes sur le Conseil supérieur de la communication et la justice sont des réformes qui remettent au goût du jour les us de l’ère de l’assassin de Thomas Sankara, Blaise Compaoré avec les procureurs dépendants du ministre de la justice qui recherchera inévitablement les "juges acquis".
Le sentiment d’insécurité des Burkinabè s’accroît. Certains ont l’impression que le pays s’époumone à des réformes incessantes. Chaque régime cassant et déconstruisant celles que les précédents ont amorcées sans faire une étude de ce qui a été fait pour dégager les points forts et les points faibles.
Avons-nous vraiment besoin de cette révision constitutionnelle, et quel apport pour gagner la guerre ? Le débat à l’Assemblée législative de transition et les explications du gouvernement ne nous ont pas permis de le savoir. Le dire n’est pas être contre la Transition ou qui que ce soit, c’est chercher à comprendre et emmener à plus de réflexion.
Que 2024 nous apporte tous davantage de paix dans nos cœurs pour une cohésion sociale et une lutte ensemble pour la reconquête de l’intégrité de notre territoire.
Sana Guy
Lefaso.net