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Mort à Ouaga du journaliste Mohamed Maïga en 1984 : « Le pouvoir en a pris un coup sérieux, Sankara en a été éprouvé » (ambassadeur Bassirou Sanogo)

Publié le mercredi 3 janvier 2024 à 22h25min

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Mort à Ouaga du journaliste Mohamed Maïga en 1984 : « Le pouvoir en a pris un coup sérieux, Sankara en a été éprouvé » (ambassadeur Bassirou Sanogo)

Sous la Révolution démocratique et populaire (RDP), un journaliste malien, engagé pour la cause de la Haute-Volta d’alors, a trouvé la mort le 1er janvier 1984, « dans des conditions troublantes ». En ce 40e anniversaire de sa disparition, l’un des acteurs de la révolution et proche de l’infortuné, l’ancien ambassadeur du Burkina à Alger, Bassirou Sanogo, revient, sous fond d’hommage également, sur ce sujet peu connu des générations actuelles.

Lefaso.net : Le 1er janvier 2024 marquera le 40e anniversaire du décès à Ouagadougou de Mohamed Maïga. Pouvez-vous nous rappeler qui il était et comment l’avez-vous connu ?

Bassirou Sanogo : Mohamed Maïga est un journaliste malien, formé en journalisme au CESTI (Centre d’études des sciences et techniques de l’information, un institut de l’université Cheikh-Anta-Diop) de Dakar. Il est né en 1950 à Ansongo, dans la région de Gao au Mali. Il a donc fait ses études universitaires en journalisme à Dakar, en France et au Canada. Je l’ai connu réellement en 1976-1977.

A l’époque, il était moniteur du CESTI et moi, je préparais mon DEA en sciences de l’information, à l’Institut français de presse, à l’université Paris II. Nous nous sommes connus à la faveur de divergences politiques portant sur le conflit angolais. Tous deux progressistes, militants de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France) dirigée à l’époque par l’AEVF (Association des étudiants voltaïques en France), une section de l’UGEV (Union générale des étudiants voltaïques). Sur la question du conflit angolais, Mohamed était pro-MPLA, donc pro-soviétique et cubain tandis que moi j’épousais la position de la FEANF alignée sur l’option de la Chine populaire.

On peut dire que c’est la position idéologique de l’AEVF qui déteignait sur l’ensemble de la FEANF ; et cette position idéologique disait qu’un peuple se libère, il ne doit pas se faire libérer. Autrement dit, nous n’étions pas d’accord avec l’intervention soviéto-cubaine en Angola. Au contraire, Mohamed Maïga était, lui, pour cette intervention. Nous avons eu donc une discussion chaude dans les couloirs de l’université Paris-Panthéon-Assas qui a mal tourné, à telle enseigne que nous avons failli, par passion militante, en venir aux mains. Nous avons été séparés ce jour-là par un étudiant voltaïque du CESTI, Hamed Koné. Cet incident a créé une amitié : nous nous sommes mis à nous appeler réciproquement « Pop Pov » et « Chinetok », pour imager nos deux positions idéologiques antagoniques.

Mohamed Maïga à Ouaga, après le 4 août 1983

Mohamed Maïga était cultivé, curieux et éloquent. Je crois que c’était, là, des atouts qui ont garanti sa réussite dans le journalisme militant. Il a eu à exercer quelques temps à l’hebdomadaire Jeune Afrique, où j’ai personnellement collaboré également une année avant lui. Je ne sais pas dans quelles conditions il a quitté Jeune Afrique, mais tout porte à croire que son engagement politique ne concordait pas avec la ligne politique de Jeune afrique. Il a basculé à Afrique-Asie, qui était un journal progressiste avec pour vocation d’encourager et faire connaître les luttes d’émancipation à travers le tiers-monde, notamment en Afrique. En novembre 1982, à partir d’Afrique-Asie, il a pris ses premiers contacts avec les révolutionnaires voltaïques, dont il connaissait certains à travers la FEANF.

Je l’avais perdu de vue pendant sept ans environ ; et un beau jour, je le rencontre à l’aéroport de Ouagadougou. Il était étonné de me voir et me dit qu’il est venu ici en Haute-Volta, parce que ce qui s’y passe ici l’intéresse. Il m’a promis que dès qu’il revendra, il me contacterait. C’était sous le CSP I, en janvier ou février 1983. Sankara venait d’être nommé Premier ministre. Entre temps, il y a eu le 17 mai, qui a aussi provoqué la résistance et entraîné l’organisation d’un ‘‘maquis’’ animé par Blaise Compaoré, qui a pu s’échapper de la forfaiture du 14 mai, à Pô. Ce maquis, soulignons-le, a été nourri également par des éléments civils. Donc, Mohamed Maïga s’est particulièrement engagé pour faire connaître la tendance progressiste du CSP I (Conseil de salut du peuple I), parce qu’il estimait qu’il lui fallait s’engager dans la résistance. Il a mis son journal au service de la résistance voltaïque.

Par le canal de Rawlings, Mohamed Maïga s’est rendu à Pô, où il a réalisé des interviews et produit des articles sur la résistance organisée par Blaise Compaoré, ses commandos, mais également avec l’appui d’éléments civils. Il a donc expliqué le pourquoi et le comment de la situation. Autrement dit, de mai à pratiquement août 83, Afrique-Asie a été la tribune qui s’est mise à la disposition de la résistance voltaïque. Il n’y a pas une parution (parce que c’était un bimensuel) qui ne réservait pas un reportage, des analyses sur la situation. Mohamed Maïga est l’un des journalistes de gauche qui se sont réellement engagés pour la cause.

La délégation à la première conférence de presse internationale de la Révolution, et de la gauche vers la droite : Mohamed Maïga, Bassirou Sanogo, Pierre Askri (rédacteur en chef du journal Libération), Kaboué Buana, Paulin Bamouni(Sidwaya), Kouyaté (fils de Seydou Badjan kouyaté), Ali Zerbo (Sidwaya)

Quand le 4 août est arrivé, c’était évidemment la grande satisfaction chez Mohamed Maïga. Il est donc venu ici pour assister à la première conférence internationale de presse (voir photo ci-dessous, ndlr) en compagnie d’autres journalistes. Il faut citer le Zaïrois Kaboué Buana, ancien de Jeune Afrique et du périodique « Demain l’Afrique » et qui a aussi choisi de se mettre à la disposition de la révolution voltaïque. Il faut également mentionner le journaliste français Pierre Haski, à l’époque rédacteur en chef de « Libération », Kouyaté (fils de Seydou Badian Kouyaté) ; Paulin Bamouni et Ali Zerbo de Sidwaya ainsi que votre serviteur (Bassirou Sanogo, ndlr). Mohamed Maïga est venu en Haute-Volta donc à plusieurs reprises, et son dernier passage, c’était en décembre 1983. Il est mort à Ouagadougou le 1er janvier 1984.

Quelle a été la réaction du pouvoir à l’époque ?

Le pouvoir en a pris un sérieux coup. Ça a été très marquant. Sankara en a été éprouvé, on était au début de la révolution. Il perdait un compagnon, un soutien de grande valeur.

Que s’est-il passé après son décès ?

Son corps a été exposé au camp Sangoulé-Lamizana et tout ce Ouaga comptait comme CDR est passé se recueillir toute la nuit sur le corps. Le lendemain, une délégation de haut niveau, comprenant des membres du CNR, des ministres comme Adama Touré qui représentait d’ailleurs le CNR, le lieutenant Daouda Traoré, moi-même, Alpha, le jeune frère du regretté, s’est rendue directement à Gao pour l’enterrement à Ansongo (située à une quarantaine de kilomètres de Gao). Au quarantième jour également, l’Etat burkinabè a affrété un vol Air Burkina pour une forte délégation conduite par le lieutenant Moussa Diallo et qui était composée, entre autres, de Mariam Sankara et d’autres amis et militants. Au lieu d’aller directement à Ansongo pour le 40è jour, la délégation est passée par Bamako, à la demande expresse du président Moussa Traoré. Donc, il y a eu un hommage que le pouvoir burkinabè à l’époque, lui a rendu.

La délégation voltaïque conduite par le ministre de l’information Adama Touré, rend l’hommage posthume à Mohamed Maiga

Il semble également qu’une Maison de presse a porté son nom ! Si oui, où est-ce qu’elle était située et comment a-t-on pu l’oublier, si tôt ?

La Maison de presse Mohamed-Maïga se trouvait sur l’emplacement actuel du Théâtre Koamba-Lankoandé (actuel Cenasa, ndlr). Elle a été détruite dans les années 93. Après sa destruction, on n’a plus jamais parlé de Mohamed Maïga. Je pense que le pouvoir de Blaise Compaoré avait décidé de faire table rase sur tout ce qui peut constituer un symbole qui ranime peut-être la révolution. Depuis que cette maison a donc été détruite, on n’a plus parlé de Mohamed Maïga. Or, aujourd’hui, et ça n’engage que moi, j’estime qu’il y a beaucoup de similitudes entre le pouvoir de IB et la RDP de Sankara.

Quelles peuvent être ces similitudes ?

IB (Ibrahim Traoré) a accepté de prendre le témoin. Non seulement il a pris le témoin, mais il pose des actes au quotidien qui rappellent, s’identifient ou prolongent la période sankariste. A partir de ce moment, où on a un pouvoir qui prolonge celui de Thomas Sankara, il est souhaitable qu’il prenne en compte les symboles marquants de la RDP. Le sacrifice de Mohamed Maïga pour la cause révolutionnaire fait partie de ces symboles.

Autrement, il faut faire quelque chose pour honorer la mémoire de Mohamed Maïga !

Je pense qu’il faut honorer sa mémoire. Cela veut dire qu’on peut retenir une place, une rue, une maison, un symbole physique en tout cas, qui rappelle l’histoire de cette révolution. Si on ne se fonde pas aussi sur les symboles, on risque d’être dans des situations où ceux qui n’ont pas fait la révolution vont parler de la révolution, s’en approprier et s’autoproclamer. Et là, ça peut faire le nid de toutes sortes de contrevérités. Si on ne témoigne pas, pendant que les témoins sont vivants, je pense qu’il y a un danger qui peut amener à dévier dans la mise à disposition de l’histoire véritable de cette révolution. C’est dans ce sens-là qu’il faut prendre en considération certains symboles, faire comprendre que la RDP est quelque chose qui a été préparé et animé par des hommes qui n’étaient pas tous Burkinabè. Et le fait qu’on reconnaisse aujourd’hui, à un niveau mondial, qu’une expérience de développement endogène s’est déroulée dans notre pays est encourageant pour le devenir de l’Afrique.

Avez-vous des contacts avec des membres de la famille Mohamed Maïga ?

Après son décès, le CNR m’a demandé d’être son intermédiaire avec la famille. C’est dans ce cadre qu’on m’a confié son jeune frère, Alpha, qui a logé chez moi, que j’ai inscrit en sociologie à l’université de Ouagadougou. Entre temps, j’ai été nommé ambassadeur à Alger. Il est resté ici, chez d’autres personnes. Je peux dire qu’il a été en contact avec moi jusqu’en 1987. Par ailleurs, je connais sa fille, qui est une grande actrice de cinéma, dans une soixantaine de films, avec qui je suis en contact. Elle vit en France et est parfois venue au Fespaco ; on est en contact. Je crois savoir qu’en tant que réalisatrice également, elle a entrepris de réaliser un film sur son père. Dans le cadre de ce projet, qui lui tient à cœur, elle viendra certainement au Burkina pour la réalisation de ce documentaire.

L’ambassadeur Bassirou Sanogo

Qu’est-ce que vous retenez de lui ?

C’est quelqu’un qui était beaucoup plus réaliste que la plupart d’entre nous. Par exemple, sur notre divergence dans le conflit angolais, au final, c’est lui qui a eu raison, car si l’Union soviétique et Cuba n’étaient pas intervenus aux côtés du MPLA, la région de l’Afrique australe aurait eu une autre évolution, pas forcément en faveur de l’indépendance africaine. C’est quelqu’un qui était ferme dans ses positions, dans l’affirmation de ses convictions, mais dans un réalisme mature.

En conclusion ?
Je souhaiterais vivement que quelque chose soit réalisé pour rappeler Mohamed Maïga. Je suis persuadé que la génération qui, aujourd’hui, supporte IB, en tirerait de la satisfaction ; parce que ça lui permettra de connaître la Révolution, les gens qui l’ont marquée, qui s’y sont donné corps et âme.

Entretien réalisé par Oumar L. Ouédraogo
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