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Phénomènes terroristes : un moment de communion médiatique entre journalistes et non journalistes

Publié le dimanche 10 décembre 2023 à 17h30min

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Phénomènes terroristes : un moment de communion médiatique entre journalistes et non journalistes

Introduction

Cet article est une synthèse partielle d’une recherche que nous avons menée et publiée en 2022 dans la Revue REFSICOM (Yaméogo, 2022). Il interroge les attentats terroristes perpétrés contre Ouagadougou le 15 janvier 2016 et le 13 août 2017 pour mettre en lumière la polyphonie du discours journalistique sur ces deux attaques. La polyphonie désigne la pluralité ou la diversité des voix qui s’expriment à l’intérieur d’un même discours ou d’un événement médiatique (Arquembourg-Moreau, 2003 ; Neveu et Guéré, 1996).

Elle est analysée ici sous deux angles : au sens où l’événement médiatique fait entendre plusieurs voix en tant que sources d’information médiatiques et au sens où il constitue une instance socio-discursive à laquelle participent volontairement des énonciateurs non journalistiques. Dans le premier sens, les voix qui s’expriment dans les contenus sont appelées discours-sources (Davier, 2009), lesquels renvoient aux personnes physiques ou morales auprès desquelles le journaliste collecte l’information et dont les propos sont cités dans les textes qu’il publie.

Dans le second cas, l’événement médiatique est rapporté par des instances énonciatives autonomes que nous nommons par le vocable discours-auteurs. Les auteurs des discours-auteurs participent, de leur propre initiative, à l’événement médiatique par des contributions discursives signées d’eux-mêmes. Le présent article étudie principalement cette dernière catégorie d’acteurs (les auteurs de discours-auteurs). Il s’inscrit dans la perspective de la « dialogalité » que Nowakowska et Sarale (2011) définissent comme l’intervention de plusieurs locuteurs dans un même événement. Alors, quelles sont les voix qui s’expriment en tant que discours-auteurs dans la presse à propos des attentats terroristes de janvier 2016 et d’août 2017 ? Nous voulons mettre en évidence, à travers ce questionnement, les traces d’une « mosaïque de voix » (Moirand, 2007, p.85) dans le discours journalistique sur le terrorisme ainsi que les instances productrices de ces discours.

Méthodologie

L’analyse de la polyphonie du discours journalistique sur le terrorisme repose principalement sur un corpus de presse portant sur les trois plus anciens quotidiens burkinabè : L’Observateur Paalga, Sidwaya et Le Pays. Le matériau analysé concerne les productions journalistiques et non-journalistes traitant des deux attaques terroristes parues dans ces journaux du 16 au 31 janvier 2016 pour le premier attentat et du 14 au 31 août 2017 pour le second. L’ensemble des textes sélectionnés a fait l’objet d’une analyse de contenu (Bardin, 1996). Méthode principalement quantitative, l’analyse de contenu a permis de dégager les grandes tendances du corpus, les occurrences qui le structurent et les catégories à partir desquelles se fonde l’analyse.

Grâce au logiciel d’enquête, de production et d’analyse de données, Sphinx, les « genres de discours » (Davier, 2009) ont été classés selon les catégories suivantes : Journalistes, Acteurs politiques, Acteurs de la société civile, Experts, Religieux, Citoyens. Ces corps sociaux discursifs sont identifiés sur la base de leur signature faisant d’eux les auteurs d’articles publiés et sur la base de leur référencement dans les articles en tant sources d’information. Une dernière catégorie que nous nommons « Autres » complète la grille d’analyse. Cette catégorie concerne les productions qui ne relèvent pas des champs journalistique, politique, intellectuel, religieux, de la société civile et des citoyens ordinaires.

Résultats

Les résultats montrent, d’une part, que les actes terroristes sont les moments où se mobilise une diversité de voix représentative des forces vives qui composent la communauté nationale. D’autre part, ils révèlent que l’expert et le religieux sont les figures sociales les moins représentées dans le discours médiatique.

1. Les actes terroristes comme cadre d’expression d’une communauté nationale plurielle

L’analyse des voix qui se sont exprimées sur les deux attentats terroristes confirme le postulat de l’élasticité du territoire du journalisme ou l’indétermination productive du territoire professionnel (Ruellan, 1993). Elle montre que le journalisme en tant que pratique socio-discursive n’est pas une profession fermée, réservée aux seuls initiés que sont les journalistes, mais est aussi un espace d’expression de non professionnels. En effet, deux catégories de voix se sont exprimées sur les attentats : des sources d’information dont le discours est reproduit et mis en visibilité médiatique par les journalistes et des sources autonomes productrices de contenus. Cette dernière catégorie d’intervenants rédige elle-même son discours et le fait diffuser dans les médias. Elle regroupe les composantes sociales ci-après : le politicien, le religieux, l’expert, l’acteur de la société civile et le citoyen ordinaire. Les graphique ci-dessous illustre le phénomène :

L’attaque de janvier 2016 a enregistré, dans les trois quotidiens, 218 genres de discours dont 120 productions journalistiques (tous genres confondus) et 98 productions non-journalistiques (les discours-auteurs). On note dans le registre des discours-auteurs, 37 productions du champ politique (majorité et opposition), 41 de la société civile, 12 de citoyens ordinaires, 06 du champ religieux et 02 du champ intellectuel (les experts). Les discours-auteurs sont publiés in extenso, sans aucune modification de la part des journalistes. Ils comprennent les déclarations de condamnation et / ou de compassion, les communiqués, les analyses, les réflexions, etc. Le champ religieux et davantage le champ intellectuel ont été les instances discursives les moins représentées dans les médias en 2016. En revanche, le champ politique et la société civile ont été assez prolixes sur les attentats du 15 janvier 2016.

L’attaque d’août 2017 a été l’objet de 127 publications dont 69 productions journalistiques et 58 productions non-journalistiques. Des productions non journalistiques, 33 proviennent du champ politique, 10 de la société civile, 04 de citoyens ordinaires et 11 de la catégorie « Autres ». On note, l’absence, en 2017, dans le discours médiatique, de voix religieuses et expertes, confortant le constat de la passivité de ces composantes sociales dans l’espace public médiatique.

Les discours-auteurs représentent, pour chaque attentat, 45 % des publications sur le terrorisme, ce qui n’est pas négligeable. Cette forte présence du monde extra-journalistique dans l’espace public médiatique montre que devant certaines préoccupations d’intérêt national comme celle du terrorisme, le journalisme devient un espace de délibération collective. Il se transforme en objet protéiforme caractérisé par une « ‘‘dispersion’’ des pratiques et des acteurs » (Ringoot et Utard, 2005). Pendant ces moments difficiles où la vie de la Nation est ébranlée ou mise à mal, des acteurs non-journalistes co-participent avec les journalistes à la construction et à la définition de l’agenda médiatique en faisant entendre leurs voix sur la crise. Ce sont des moments pendant lesquels le journalisme se reconfigure en devenant soluble, flexible et l’affaire d’un « Nous » collectif, confortant le postulat de la porosité des territoires du journalisme.

L’expert et le religieux, les faibles instances de production discursive

Comme nous le mentionnions plus haut, deux figures importantes étaient absentes lors de l’attentat de 2017 : l’expert et le religieux, pourtant représentés en 2016 par 02 et 06 genres de discours (graphique 1). Dans le champ religieux, la voix dominante a été portée par la communauté musulmane (cinq publications contre une pour la conférence épiscopale). Cette (relative) forte présence, dans l’agora médiatique, de la communauté musulmane peut être interprétée comme un signal visant à dissiper le doute tendant à établir un lien entre terrorisme et islam.

Comme le montre le graphique ci-dessus (graphique 2), le religieux et l’expert ont choisi les journaux privés, Le Pays et L’Observateur Paalga, comme cadre d’expression. Chacun des deux quotidiens a reçu 01 contribution experte et 03 contributions religieuses (graphique 2). Sidwaya n’a enregistré aucune production venant des champs religieux et intellectuel. Les citoyens ordinaires se sont également exprimés sur les attentats par le biais de la presse privée avec 08 contributions au journal Le Pays, 07 à L’Observateur Paalga contre seulement 01 publication à Sidwaya (graphique 2).

Contrairement à la presse publique, la presse privée est, par excellence, l’espace de délibération collective et de discussions politiques. Elle est l’incarnation de la pluralité des forces socio-politiques composant la Nation. Le quotidien public Sidwaya dont le slogan est « Le journal de tous les Burkinabè » est paradoxalement le journal le moins polyphonique. Le religieux, l’expert et le citoyen ordinaire lui tournent le dos lors des attentats, préférant s’exprimer dans la presse privée. Ce désintérêt de ces catégories sociales vis-à-vis de Sidwaya n’est pas nouveau. Yaméogo (2010, p.59) avait montré, en analysant le débat démocratique qui a marqué la double commémoration, en 2007, du 20e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara et de l’avènement de Blaise Compaoré au pouvoir, que 41 % et 43 % de productions externes y relatives ont été publiées respectivement au journal Le Pays et à L’Observateur Paalga contre 16 % à Sidwaya.

Le champ intellectuel constitue la composante de la société la moins présente dans la presse quotidienne. Avec ses 02 productions sur les 345, il n’y est représenté que 0,5 %. Kanoté (2017) avait aussi fait le même constat. Dans une tribune intitulée « Intellectuels du Faso, réveillez-vous ! » parue dans L’Observateur Paalga du 29 août 2017, il fustigeait la léthargie des intellectuels dans les débats publics, affirmant qu’ils préfèrent s’illustrer dans « le carriérisme et l’opportunisme » que de s’afficher comme pédagogues-producteurs d’objets de savoirs.

Conclusion

L’analyse comparative des attentats de janvier 2016 et d’août 2017 révèle d’une relation quasi consubstantielle entre médias – terrorisme – société. Les médias, dans leur mission légitime d’information des citoyens, rendent compte des actes terroristes en les médiatisant. La société, du fait de la gravité du phénomène terroriste, s’introduit dans le champ médiatique, soit par le fait des journalistes (discours-source), soit par elle-même (discours-auteur), participant à la construction et à la définition de l’événement médiatique. Le journalisme devient, dès lors, l’espace d’expression d’une mosaïque de voix de journalistes et de non-journalistes, la résultante d’une co-construction mobilisant toutes les composantes de la société démocratique ou encore « le reflet d’un état de la société où interagissent différentes forces sociales » (Nowakowska et Sarale, 2011, p.12).
Références bibliographiques

Arquembourg-Moreau Jocelyne, Le Temps des événements médiatiques, Bruxelles, De Boeck, 2003. Bardin Laurence, L’Analyse de contenu, Paris, PUF, 1996,

Davier Lucile, « Polyphonie dans le discours journalistique : une étude comparative de la presse anglophone et francophone », ASp. la revue du GERAS, 2009, n°56

Konaté Dramne, « Intellectuels du Faso, réveillez-vous ! », in L’Observateur Paalga du 29 août 2017, p.9 et 17.

Moirand Sophie, Le Discours de la presse quotidienne : observer, analyser, comprendre, Paris, Presses universitaires de Paris, 2007

Neveu Éric et Guéré Louis (dir.), « Le temps de l’événement I », Réseaux, n°75, 1996, p.7-21

Nowakowska Aleksandra et Sarale Jean-Marc, « Le dialogisme : histoire, méthodologie et perspectivesd’une notion fortement heuristique », Cahiers de praxématique, n° 57, 2011, p. 9-20

Ringoot Roselyne et Utard, Jean-Michel, « Genres journalistiques et dispersion du journalisme » in Roselyne Ringoot e Jean-Michel Utard (Dirs.), Le journalisme en invention, nouvelles pratiques, nouveaux acteurs, Rennes, PUF, 2005, p. 21-47.

Ruellan Denis, Le Professionnalisme du Flou. Identité et savoir-faire des journalistes français, Grenoble, PUG, 1993

Yaméogo Lassané, « La polyphonie du discours journalistique sur le terrorisme : une analyse de la presse quotidienne sur les attentats de Ouagadougou de janvier 2016 et d’août 2017 », REFSICOM, 2022, (http://www.refsicom.org/1093#copyto)

Yaméogo Lassané, Médias et débat démocratique : le traitement du 20anniversaire de la renaissance démocratique et de la mort de Thomas SANKARA dans la presse quotidienne burkinabè, Mémoire de DEA en Sciences de l’information et de la communication, IPERMIC/Université Ouaga 1 Pr Joseph Ki-Zerbo, 2010.

Dr Lassané Yaméogo
Chargé de Recherche, CNRST

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