LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Ce sont nos choix qui montrent qui nous sommes, bien plus que nos capacités.” Joanne K.Rowling

Perception du changement climatique par les producteurs agricoles de la région du Centre-nord du Burkina Faso

Publié le vendredi 9 février 2024 à 15h00min

PARTAGER :                          
 Perception du changement climatique par les producteurs agricoles de la région du Centre-nord du Burkina Faso

1. Introduction

Le changement climatique représente une menace de plus en plus perceptible pour la viabilité des ménages ruraux d’Afrique subsaharienne où les communautés vivent principalement de l’exploitation des ressources naturelles (KABORE et al., 2019). La forte pression humaine sur les zones semi-arides sahélo-soudaniennes de l’Afrique rend les écosystèmes plus vulnérables aux effets néfastes du changement climatique (RASMUSSEN et al., 2001). Ces conséquences néfastes combinées à la forte pression d’origine anthropique engendrent d’importantes modifications environnementales dont le déclin des forêts, la réduction du couvert végétal, l’extension des terres dénudées, la baisse de la fertilité des sols, des rendements agricoles, etc.

Dans les pays en voie de développement, de nombreuses études ont mis en exergue la perception du changement climatique par les populations locales. Au Burkina Faso par exemple, plusieurs études montrent que les populations locales perçoivent le changement climatique à travers la baisse et les irrégularités pluviométriques, le démarrage tardif de la saison des pluies, l’arrêt précoce des pluies et la fréquence plus élevée des séquences sèches (OUEDRAOGO et al., 2010 ; KABORE et al., 2019). Les pluies actuelles sont devenues plus intenses (FOSSI et al., 2013) et les vents plus violents (BAMBARA et al., 2013).

Au Kenya, les agriculteurs perçoivent la variabilité climatique à travers l’augmentation des températures moyennes annuelles, la baisse pluviométrique, le démarrage tardif de la saison des pluies, des périodes de sécheresse ou des séquences sèches plus longues depuis les 20 dernières années (BRYAN et al., 2013). Dans les régions côtières du Bangladesh, les agriculteurs constatent également une récession pluviométrique, des hausses de températures, des sécheresses, des inondations et des cyclones plus fréquents depuis les 20 dernières années (UDDIN et al., 2017).

Une étude portant sur la perception locale du changement climatique dans la région du Centre-nord du Burkina Faso et les facteurs déterminants de cette perception s’avère nécessaire. La présente publication de vulgarisation a pour objectifs principaux d’analyser la perception du changement climatique par les populations locales de cette région du pays et d’identifier les facteurs déterminants de cette perception. Elle constitue un outil d’information climatique utile à tous les acteurs du monde rural et les décideurs politiques au Burkina Faso.

2. Méthodologie

Des enquêtes ont été réalisées dans dix départements de la région (Figure 1). Le choix de ces sites a tenu compte des critères de variabilité pluviométrique, l’aridité climatique et des pratiques telles que l’irrigation de contre-saison autour des retenues d’eau. Dans chacun des départements de la région ou province, 30 ménages agricoles ont été sélectionnés de façon aléatoire parmi une liste de personnes répondant à des critères bien définis (expliqués ci-dessous). Cet effectif est basé sur les études de OUEDRAOGO et al. (2010) au Burkina Faso. Les ménages cibles sont composés essentiellement des paysans, des maraîchers et des agropasteurs. Le choix de ces ménages a été fait avec le concours des agents d’agriculture. Le chef de ménage doit avoir un âge égal ou supérieur à 45 ans.

Ce critère d’âge s’explique par le fait que l’évolution du climat est très lente et ce sont des personnes adultes qui peuvent l’avoir expérimentée. Les données ont été collectées durant les années 2015 et 2016. Cent soixante quatorze producteurs agricoles ont été enquêtés à l’aide d’un guide d’entretien (soit 15 focus groups). Ces groupes variaient de 8 à 14 personnes dans chacun des départements. Trente personnes sélectionnées ont répondu à un questionnaire individuel comportant des questions fermées et ouvertes. Les questions ont porté sur la perception paysanne des indicateurs du changement climatique. Il s’agit des paramètres météorologiques dont l’évolution dans le temps traduit le changement climatique.

Il est à noter que les questions posées aux producteurs sur leur perception du changement climatique sont en cohérence avec les indices de l’Expert Team on Climate Change Detection Monitoring and Indices (ETCCDMI) (ZHANG et YANG, 2004). Ces indicateurs sont les précipitations totales annuelles, les pluies intenses, les températures maximales et minimales journalières. Les autres paramètres sont les séquences sèches (SALACK et al., 2012), les vents violents et les tourbillons (BAMBARA et al., 2013), et les brumes de poussière (NOUACEUR, 2008).

Une question relative à l’alternance des années sèches et des années pluvieuses a été également posée aux producteurs. Les informations du passé (plus de 30 ans) relatives aux paramètres météorologiques ont été comparées avec celles des 15 dernières années afin de mettre en exergue le changement climatique. Cette comparaison a permis de savoir si les producteurs ont constaté ces dernières années une augmentation ou une baisse de la pluie dans leur zone.

Les facteurs qui influencent la perception locale du dérèglement de la saison des pluies ont été analysés à travers une régression logistique binaire (BRYAN et al., 2013 ; LOKO et al., 2013). Le dérèglement de la saison se traduit par la baisse, l’irrégularité, le début tardif et l’arrêt précoce des pluies (OUEDRAOGO et al., 2010).

Ainsi, quatre régressions ont été faites à partir de ces variables de perception. Les paramètres de ce modèle sont estimés par la méthode du maximum de vraisemblance (NKAMLEU et KIELLAND, 2006). Les variables explicatives de ces régressions sont les caractéristiques socio-économiques des ménages que sont le sexe du chef de ménage, son âge, son niveau d’éducation, son appartenance à une organisation paysanne, la taille du ménage, le nombre de bovins (Nbovins) et l’accès au crédit.

Figure 1 : Localisation des sites d’étude dans la région du Centre-nord du Burkina Faso.

3. Résultats
3.1. Perception endogène des indicateurs de changement climatique
3.1.1. Indicateurs de changement des précipitations

Les populations locales se souviennent d’une pluviométrie abondante et régulière dans le passé et des saisons de pluie plus longues. Lorsque les populations affirment que : « Auparavant, lorsque nous constations le matin que le ciel est nuageux, nous étions sûrs qu’il allait pleuvoir dans la journée ». Ce résultat traduit la perception paysanne de la régularité des pluies dans le passé. Ces pluies étaient fines et pouvaient durer plusieurs heures dans la journée. Actuellement, les populations locales constatent un dérèglement de la saison des pluies.

En effet, 76,7 % des personnes interrogées constatent une baisse des précipitations annuelles et 50,7 % trouvent que les pluies sont irrégulières (Figure 2). La mention élevée (99,0 %) des réponses de pluies avortées traduit cette irrégularité pluviométrique. Les saisons de pluie connaissent un démarrage tardif et une fin plus précoce selon respectivement 76,3 % et 92,7 % de la population. Cet arrêt précoce intervient parfois vers la période de floraison-maturation des cultures. Selon les populations, « Il manque souvent deux à trois pluies bien réparties dans le temps pour permettre aux cultures pluviales de boucler leur cycle ».

Les pluies actuelles sont plus fortes et ne durent que quelques instants au cours de la journée. Les séquences sèches sont plus fréquentes et d’une longue durée. Les plus observées par les populations sont celles de [10-13] et de [15-18] jours à cause de leurs impacts négatifs sur les cultures pluviales. Une séquence sèche est un jour ou une période sans pluie.

Elle prend fin à la veille de la prochaine pluie. Les années pluvieuses et les années sèches ont connu une alternance durant ces 15 dernières années dans le Centre-nord. Cette alternance est perçue à travers ses impacts positifs ou négatifs sur les rendements agricoles. Les populations ne perçoivent pas une hausse des précipitations durant ces dernières années dans leur zone, mais plutôt l’occurrence des extrêmes pluviométriques.

Figure 2 : Indicateurs de perception du changement climatique dans le Centre-nord.
3.1.2. Indicateurs de températures extrêmes

Les populations reconnaissent que les jours et les nuits sont de plus en plus chaudes (Figure 2). Ces résultats traduisent une hausse des températures maximales et minimales journalières observées pendant toute l’année. La perception locale indique que la saison froide classique d’antan (décembre à février) se réchauffe (71,3 % des réponses) et se raccourcit (85,0 % des réponses). Les populations perçoivent le réchauffement des températures à travers ses impacts négatifs sur leurs activités agricoles.

Les fortes températures des mois de mars, avril et mai influencent la préparation des champs (épandage de la fumure organique, ramassage des moellons pour la réalisation des cordons pierreux, réalisation des trous de zaï, etc.). Le tarissement précoce des retenues d’eau est en partie lié aux hausses de températures qui provoquent leur forte évaporation, réduisant ainsi la disponibilité de l’eau pour les usagers.

3.1.3. Vents, tourbillons et brumes de poussière

L’apparition des grands vents est un phénomène nouveau pour les populations locales. Selon 98,7 % des personnes enquêtées, les vents sont devenus plus violents et plus fréquents (Figure 2). Ils se manifestent sous forme de tornades pendant la saison des pluies et provoquent d’importants dégâts sur les habitations et les cultures.

La violence croissante des tourbillons est rapportée par une grande majorité de la population (95,7 %). De plus, la quasi-totalité de la population (90,7 %) rapporte que les brumes de poussière sont plus fréquentes à l’approche de la saison des pluies et peuvent persister plusieurs jours. Ces brumes affectent la fructification des ligneux tels que Vitellaria paradoxa, Lannea microcarpa, Parkia biglobosa, etc.

3.2. Les facteurs déterminants de la perception du changement des précipitations
La perception paysanne du changement climatique est influencée par les caractéristiques socio-économiques des ménages. Le tableau I présente les effets marginaux de la régression logistique binaire sur les déterminants de la perception paysanne du dérèglement de la saison des pluies. Le pourcentage de bonne prédiction de ces modèles est respectivement de 76,7 % pour le début tardif de la saison, 77,0 % pour la baisse et 92,7 % pour l’arrêt précoce des pluies. Ces valeurs traduisent un choix judicieux des variables prédictives. La variable Education affecte significativement la perception du début tardif des pluies au seuil de 10 %.

Les plus instruits s’intéressent davantage aux dates du calendrier ou au début des vacances scolaires qui coïncident généralement avec le début de l’hivernage. Les moins instruits ne font pas trop la différence entre une saison précoce ou tardive. Le niveau d’éducation du chef de ménage est un repère chronologique. La variable Taille du ménage influence positivement la perception de la baisse et du début tardif de la saison des pluies au seuil de 1 %.

Les chefs des grands ménages perçoivent plus la baisse et le démarrage tardif des pluies que les chefs de petits ménages. La variable appartenance à une organisation paysanne (OP) influence positivement la perception de la baisse pluviométrique au seuil de 5 %, et négativement le début tardif et l’arrêt précoce des pluies.

Les groupements villageois ont l’avantage de bénéficier des informations ou des formations sur l’adaptation au changement climatique dispensées le plus souvent par les agents de vulgarisation agricole, les structures de recherche, les ONG ou les projets de développement rural. La variable Nombre de bovins (Nbovins) affecte positivement la perception de la baisse et l’arrêt précoce des pluies à des seuils respectifs de 10 % et 1 %, et de façon négative le début tardif des pluies (seuil de 1 %). Les détenteurs de gros cheptels de bovins perçoivent mieux la baisse et l’arrêt précoce des pluies que les petits éleveurs du fait de la forte demande en eau et en fourrage.

Tableau I : Les effets marginaux de la régression logistique binaire sur les facteurs déterminants de la perception paysanne du dérèglement de la saison des pluies.

4. Conclusion

Les populations de la région du Centre-nord du Burkina Faso perçoivent le changement climatique à travers la baisse des pluies, les hausses de température et la violence des vents. Cette étude a montré que les caractéristiques socio-économiques des ménages influencent les perceptions locales du dérèglement climatique. Des formations sur l’adaptation au changement climatique dispensées aux producteurs agricoles à travers les groupements paysans contribueraient à améliorer leur perception de ce phénomène et les aident à mieux développer leurs stratégies. La production et la diffusion de l’information climatique sont indispensables aux acteurs du monde rural et aux décideurs politiques au Burkina Faso.

KABORE Pamalba Narcise1, BARBIER Bruno2, OUOBA Paulin3, KIEMA André1, SOME Léopold1, OUEDRAOGO Amadé4

1 Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA), Centre de Recherches Environnementales, Agricoles et de Formation de Kamboinsé (CREAF), 01 BP 476 Ouagadougou 01 – Burkina Faso.

2 CIRAD, UMR G-eau, F 34398 Montpellier, France.

3 Université Polytechnique de Bobo-Dioulasso, Unité de formation et de recherche en sciences et techniques (UFR-ST), Département de Sciences Biologiques, 01 BP 1091 Bobo-Dioulasso 01, Burkina Faso.

4 Université de Ouagadougou, UFR en Sciences de la Vie et de la Terre, Département de Biologie et Physiologie Végétales, Laboratoire de Biologie et Écologie Végétales, 09 BP 848 Ouagadougou 09 – Burkina Faso.
*Auteur correspondant : KABORE Pamalba Narcise « kaborenarcise@yahoo.fr

5. Références bibliographiques

BAMBARA D., BILGO A., HIEN E., MASSE D., THIOMBIANO A. et HIEN V., 2013. Perceptions paysannes des changements climatiques et leurs conséquences socio-environnementales à Tougou et Donsin, climats sahélien et sahélo-soudanien du Burkina Faso. Bulletin de la Recherche Agronomique du Bénin, (74) : 8-16.
BRYAN E., RINGHER C., OKOBA B., RONCOLI C., SILVESTRI S. et HERRERO M., 2013. Adapting agriculture to climate change in Kenya : Household strategies and determinants, Journal of Environmental Management, (114) : 26-35.

FOSSI S., OUEDRAOGO D., ZONGO B., TRAORE Y. M. et DA SILVERA K.S., 2013. Acceptation et vulgarisation de l’irrigation de complément dans la province du Bam, Burkina Faso. Revue scientifique et technologique, N°21 et 22 : 29-36.
KABORE P.N., BARBIER B., OUOBA P., KIEMA A., SOME L. et OUEDRAOGO A., 2019. Perceptions du changement climatique, impacts environnementaux et stratégies endogènes d’adaptation par les producteurs du Centre-nord du Burkina Faso. VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement, 19 (1), 29p.

LOKO Y.L., DANSI A., AGRE A.P. AKPA N., DOSSOU-AMINON I., ASSOGBA P., DANSI M., AKPAGANA K. et SANNI A., 2013. Perceptions paysannes et impacts des changements climatiques sur la production et la diversité variétale de l’igname dans la zone aride du Nord-ouest du Bénin. International Journal of Biological and Chemical Sciences, 7 (2) : 672-695.

NKAMLEU G.B. et KIELLAND A., 2006. Modeling farmers’ decisions on child labor and schooling in the cocoa sector : a multinomial Logit analysis in Côte d’Ivoire. Agricultural Economics, (35) : 319-333.

NOUACEUR Z., 2008. Brume sèche, brume de poussière, chasse-sable, et tempête de sable, Norois [En ligne], 191 1 2004/2, consulté le 30 décembre 2015, URL : http://norois.revues.org/1188 ; DOI : 10.4000/norois.1188.
OUEDRAOGO M., DEMBELE Y. et SOME L., 2010. Perceptions et stratégies d’adaptation aux changements des précipitations : cas des paysans du Burkina Faso. Sécheresse, 21 (2) : 87-96.

RASMUSSEN K., FOG B. et MADSEN J.E., 2001. Desertification in reverse ? Observations from northern Burkina Faso. Global Environ Change, (11) : 271-282.
SALACK S., MULLER B., GAYE A.T., HOURDIN F. et CISSE N., 2012. Analyses multi-échelles des pauses pluviométriques au Niger et au Sénégal. Sécheresse, (23) : 3-13.
UDDIN M.N., BOKELMANN W. et DUNN E.S., 2017. Determinants of Farmers’ Perception of Climate Change : A Case Study from the Coastal Region of Bangladesh. American Journal of Climate Change, (6) : 151-165.

ZHANG X. et YANG F., 2004. RClimDex 1.0. User Manual. Climate Research Branch Environment, Downsview, Ontario, Canada, 23p, Expert Team on Climate Change Detection, Monitoring and Indices (ETCCDMI). URL : http://cccma.seos.uvic.ca/ETCCDMI/RClimDex/rclimdex.r.

PARTAGER :                              

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Données archéologiques dans la région de l’Est (Burkina Faso)