Données archéologiques dans la région de l’Est (Burkina Faso)
Introduction
La présente étude est la synthèse d’un article scientifique intitulé : « La recherche archéologique dans le Gulmu : bilan et perspectives » (LANKOANDÉ H., 2023 : 117-144). En effet, la recherche archéologique au Burkina Faso est héritière de l’initiative coloniale. Les premières institutions nationales de recherche n’interviennent qu’au lendemain des indépendances, notamment à partir de 1970 à la faveur de l’ouverture du département d’Histoire et Archéologie à l’Université Joseph KI-ZERBO (MILLOGO A.K., 1993 : 7).
De ce point de vue, l’histoire de la recherche archéologique au Burkina Faso est récente et les données disponibles sont aléatoires d’une région à une autre. Le Gulmu ou pays des Gulmanceba s’inscrit dans cette logique nationale. Néanmoins, de précieuses informations sur l’archéologie dans cette partie du Burkina Faso depuis les périodes les plus reculées de l’histoire humaines jusqu’à celles les plus récentes sont disponibles grâce aux travaux d’éminents chercheurs (MILLOGO A.K., 1993 ; KOTÉ L. et al., 2000 ; KIETHÉGA J-B., 2009 ; THIOMBIANO/ILBOUDO F. É., 1991, 2010 ; LANKOANDÉ H., 2015, 2018, 2023). Quel bilan peut-on faire sur la recherche archéologique au Gulmu ? Quelle démarche préconiser pour l’avenir de la science archéologique dans cette partie du Burkina Faso ? La présente réflexion, qui se fonde principalement sur les données écrites et l’archéologie, tentera d’apporter des éléments réponses à cette problématique.
I. Les données archéologiques de la préhistoire
Des recherches entreprises dans l’Est du Burkina Faso offrent de précieuses informations sur la période préhistorique (SÉNÉCHAL J., 1973 ; MILLOGO A.K., 1993 ; KOTÉ L. et al., 2000 ; THOMAS F. et al. 2001 ; TOUBGA L., 2022). A l’état actuel des connaissances, le Sud-est de la région et plus précisément la province de la Tapoa enregistre le plus grand nombre d’investigations archéologiques de la période préhistorique. Les autres localités de la région restent encore faiblement explorées. Les résultats obtenus concernent essentiellement le lithique et la céramique et offrent ainsi des informations sur la préhistoire ancienne et celle récente.
1. La préhistoire ancienne
La préhistoire ancienne, d’après Lassina KOTÉ, correspond à une période allant du Early Stone Age (paléolithique inférieur) au début du Late Stone Age (paléolithique supérieur). Elle est marquée au plan technique par un outillage essentiellement lithique composé de choppers, de shopping tools, de hachereaux, de polyèdres, de grattoirs, de denticulés et de bifaces (KOTÉ L., 2019 : 55). Ainsi, les fouilles du site de Madaaga dans la Tapoa attestent une occupation qui débute avec un outillage attribuable à la préhistoire ancienne, plus précisément le Middle Stone Age (THOMAS F. et al., 2001 : 137).
Le mobilier mis au jour est composé des nucléus préparés, des lames Levallois, des pointes à retouche bifaciale et à base facettée, des denticulés, des racloirs et des grattoirs (Fig.1). Cette industrie lithique, marquée par la technique de débitage Levallois, est attribuée au Middle Stone Age ou Paléolithique moyen (MILLOGO A.K. et al., 2000 : 12). Le niveau paléolithique moyen du site de Madaaga s’inscrit dans un ensemble plus vaste. De nombreux sites paléolithiques ont été découverts et étudiés entre le fleuve Niger et la frontière du Burkina de même que dans la vallée de la Mékrou à la frontière du Bénin et du Niger (MILLOGO A.K. et al., 2000 : 15).
2. La préhistoire récente
La seconde phase, c’est-à-dire la préhistoire récente, court de la fin du paléolithique supérieur (Late Stone Age) jusqu’au néolithique en passant par le mésolithique (KOTÉ L., 2019 : 55-59). La culture matérielle caractéristique de cette période concerne les lames, les lamelles, des microlithes, de l’outillage poli (haches et herminettes), du matériel de broyage (meules, broyeurs) et de stockage (poterie).
Des indices de la préhistoire récente ont été identifiés dans le Sud-est du pays. Les contextes archéologiques fouillés sur les sites de Madaaga, de Yobri, de Pentenga et de Kidikombou offrent de résultats intéressants. En effet, pour ce qui est de l’industrie lithique, on note une production microlithique caractérisée par des microlithes géométriques tels les segments, les triangles, les trapèzes ; cultures matérielles témoins du mésolithique (Fig.1). Aux microlithes sont associées des pièces de grandes tailles comme les lames et les éclats dont certains sont retouchés (KOTÉ L., 2019 : 59). Sur le site de Pentenga, l’outillage lithique est associé à des objets de poterie datés entre le VIe et le Ve millénaire BC (THOMAS F. et al., 2001 : 160). Il en est de même pour le site de Yobri où les microlithes sont associés à de la céramique (MILLOGO A.K., 1993 : 132). Ces dates jugées trop précoces pour la zone selon les auteurs, sont désormais à prendre en considération au regard des dates de Ounjougou dans le Plateau Dogon et surtout de la Pendjari plus proche du Gobnangou fournies respectivement par les travaux de HUYSECOM E. et N’DAH D. (KOTÉ L., 2019 : 60).
Dans le Nord-Gulmu, des vestiges archéologiques composés de pierres polies, de buttes anthropiques, de fosses artificielles et de tombes anciennes ont été recensés. La présence de pierres polies est un indice d’une civilisation antérieure à celle du fer (SÉNÉCHAL J., 1973 : 371). La préhistoire cède la place à la période historique dont la culture matérielle est aussi spécifique.
Fig. n°1 : Des pièces lithiques préhistoriques
II. Les données archéologiques de la période historique
Contrairement à la période préhistorique, les recherches archéologiques de la période historique concernent le Centre et le Nord du Gulmu et sont principalement à l’actif d’auteurs burkinabè (MADIÉGA Y. G., 1982 ; KIETHÉGA J-B., 2009 ; THIOMBIANO/ILBOUDO F. É., 1991, 2010 ; YOUGABARÉ O., 1992 ; OUÔBA G., 2008 ; LANKOANDÉ H., 2015, 2018, 2023). Les résultats de leurs recherches renseignent sur l’occupation humaine de la période historique en deux grandes phases.
1. Les résultats de l’âge du fer 2
L’âge du fer 2 ou moyen correspond, d’après Lassina KOTÉ, à la période qui va du VIe siècle à la fin du XIVe siècle AD (KOTÉ L., 2019 : 74). Le peuplement de cette séquence chronologique est l’œuvre des populations anciennement installées dans notre pays comme les Bwa, les Dogon, les Ninsi, les Nyonyoose, les Sana, les Bissa, les Gurunsi, les Kurumba, les Tankamba, les Berba, les Gulmanceba-préburcimba (Tindano, Nassouri, Tankoano, Diabri, Namoano, etc.).
Au plan archéologique, l’âge du fer 2 au Gulmu se caractérise par des vestiges comme les buttes anthropiques de grandes dimensions, les meules dormantes, les ateliers de réduction du minerai de fer aux fourneaux à tirage naturel. Les sites d’habitats anciens dont il est question se présentent sous forme de buttes de 50 m de diamètre en moyenne et avec une hauteur de plus de 1,5 m parfois. La surface de certaines buttes est parsemée de grosses jarres enfouies jusqu’aux lèvres (MADIÉGA Y.G., 1978 ; LANKOANDÉ H., 2018, 2020) (Fig. 2), tandis que d’autres ne contiennent que des petits pots in situ, des tessons de céramique, du sol damé par endroit et des pierres de foyer (THIOMBIANO/ILBOUDO F.É., 2010). L’aire des sites d’habitats aux grosses jarres va du Sud-ouest de la province du Gourma (Kouaré, Tibga, Balga, Tantiaka, Yamba) (LANKOANDÉ H., 2018, 2020) jusqu’aux confins de la province de la Gnagna (Bilanga, Bogandé, Piéla, Tion, Koala) (MADIÉGA Y.G., 1978 : 42).
Ces vestiges sont attribués aux groupes anciennement installés comme les Kumbetieba (Dogon/Kibse) et les Koarima (Kurumba/Fulse). Dans la province du Gourma (Namoungou, Kouaré), les buttes anthropiques sont attribuées aux Gulmanceba pré-Burcimba, à savoir les Nassuba, les Tankoano, les Wulba (Naba), les Namoano, les Natama. Ces mêmes populations anciennement installées sont considérées comme les auteurs des meules dormantes qu’on rencontre sur toute l’étendue des zones prospectées. (THIOMBIANO/ILBOUDO F.É., 2010 : 515). Les datations radiocarbones réalisées les fourneaux à tirage naturel offrent des dates antérieures (VIe-XIIIe) à la période d’arrivée des Gulmanceba-Burcimba, c’est-dire à partir du XVe siècle de notre ère (MADIÉGA Y.G., 1982 ; THIOMBIANO/ILBOUDO F.É., 2010).
Fig. n°2 : vue d’une butte anthropique de l’âge du fer 2

2. Les résultats de l’âge du fer 3
L’âge du fer 3 renvoie, d’après Lassina KOTÉ à la période des « conquérants ». Il coure du XVe siècle à jusqu’à l’abandon de la production du fer au milieu du XXe siècle (KOTÉ L., 2019 : 75). Cette période est marquée par l’arrivée de nouveaux groupes dont certains mettent en place des systèmes sociopolitiques à pouvoir centralisé. Encore appelés ‘‘gens du pouvoir’’, ces groupes se distinguent fondamentalement de ceux des ‘‘gens de terre’’ qui ont statut d’autochtone (MARSHALL J.Y., 1978 : 459). Il s’agit des Moose-Nakombse (descendants de Ouédraogo), les Gulmanceba-Burcimba (descendants de Diaba Lompo), le groupe Gan-Padoro-Dorobe-Komono, le groupe Dyan-Lobi-Birifor-Dagara, le groupe Gouin-Turka, les Wattara du Gwiriko de l’Ouest et du Sud-ouest, les Peul et Touareg du Sahel (KIETHÉGA J-B., 1993 : 19-25).
Les données archéologiques de cette période concernent principalement les ateliers de réduction aux fourneaux à tirage forcé, les puits de teinture, et les fortifications (Fig. 3). Contrairement aux fourneaux à tirage naturel, les fourneaux à soufflets et les puits de teinture sont bien connus des populations actuelles. Par ailleurs, les ateliers sont généralement implantés à proximité des habitations des artisans. La teinturerie semble avoir été une activité libérale. Plusieurs familles affirment avoir pratiqué la production de la teinture. A ces sites de production industrielle, il faut ajouter les édifices militaires que sont les fortifications.
Les fortifications qui sont des dispositifs de sécurité se rencontrent presque dans tous les chefs-lieux d’anciens royaumes. Elles sont de trois catégories selon l’architecture. On a des haies vives ou Kpiaru (ceinture d’arbres autour des palais ou des quartiers royaux), des Birni (constructions avec des parpaings de banco) et des tranchées (grande fosse autour des palais royaux). Ces fortifications auraient été construites au lendemain de l’avènement de la chefferie de type centralisé avec les Gulmanceba-Burcimba, soit entre le XVe et le XXe siècle après J.-C. (Y.G. MADIÉGA, 1982 : 224). Les luttes de conquête entre royaumes frères, les rivalités avec les Peuls au XVIIIe siècle et enfin la conquête coloniale intervenue au XIXe siècle nécessitaient l’édification des structures de défense dans tous les foyers politiques du moment.
Fig. n°3 : vue d’un atelier de teinture

Conclusion et perspectives
Les résultats ci-dessus présentés renseignent sur l’archéologie dans l’Est du Burkina Faso depuis la préhistoire jusqu’à la période historique. Les données de la période préhistoire proviennent en grande partie du Sud-est de la région et concernent essentiellement un outillage lithique et céramique. Elles rendent compte de ce fait du matériel caractéristique de la préhistoire ancienne et de celui propre à la préhistoire récente.
Les données de la période historique concernent par contre les buttes anthropiques, les sites archéométallurgiques du fer, les sites de la teinture, les sites de défenses et les anciennes nécropoles. Elles sont réparties entre deux grandes séquences chronologiques à savoir l’âge du fer 2 et celui du fer 2. Contrairement aux vestiges de la période préhistorique, les auteurs des vestiges de la période historique sont plus ou moins connus. Il s’agit des ancêtres directs des populations actuellement présentes sur les sites d’étude. Par ailleurs, des recherches historiques et archéologiques doivent être entreprises sur les groupes anciennement installés en vue de mieux établir les origines et les séquences chronoculturelles de l’occupation du Gulmu.
Dr LANKOANDE Hamguiri
Institut des Sciences des Sociétés (INSS)
Burkina Faso
Hamguiri.lankoane@yahoo.fr
Références bibliographiques
LANKOANDÉ Hamguiri, 2023, Recherches paléométallurgiques du fer dans les communes de Diabo, de Diapangou et de Tibga (Province du Gourma-Burkina Faso) : approches archéologique, technologique et historique, Thèse de Doctorat unique, Université Joseph KI-ZERBO, ÉD/LESCHO, LAHAT, 469 p.
LANKOANDÉ Hamguiri, 2023, La recherche archéologique dans le Gulmu : bilan et perspectives, Actes du colloque international en hommage au Professeur Moustapha GOMGNIMBOU, tenu du 25 au 26 mai 2023 à Ouagadougou (Burkina Faso), Tome 1, Presses Universitaires, pp. 117-144.
LANKOANDÉ Hamguiri, 2018, Les vestiges de l’occupation humaine de Dianga et environnants (Province du Gourma-Burkina Faso) des origines à la conquête coloniale : approche archéologique et historique, Mémoire de Master, Université Ouaga I Pr Joseph KI-ZERBO, Département d’Histoire et Archéologie, 247 p.
LANKOANDÉ Hamguiri, 2015, La métallurgie traditionnelle du fer à Piéla (Province de la Gnagna-Burkina Faso) : approche historique et archéologique, MM, Département d’Histoire et Archéologie, Université de Ouagadougou, 157 p.
KIETHÉGA Jean-Baptiste, 2009, La métallurgie lourde du fer au Burkina Faso : une technologie à l’époque précoloniale, Paris, Karthala, 500 p.
KOTÉ Lassina, 2019, « L’archéologie et l’occupation des espaces du Burkina Faso », in Cahiers du CERLESHS, P.U./Ouagadougou, pp. 53-87.
MADIÉGA Yénouyaba Georges, 1982, Contribution à l’histoire précoloniale du Gulmu (Haute Volta), Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, GMBH, 260 p.
MILLOGO Kalo Antoine et al., 2000, « Historique des recherches archéologiques au Burkina Faso », in L’archéologie de l’Afrique de l’Ouest : Sahara et Sahel, CRIAA, Nouakchott, Mauritanie/Sépia France, pp. 7-70.
MILLOGO Kalo Antoine, 1993, « Résultats des premiers sondages de l’habitat de Yobri (Sud-est du Burkina Faso) », in l’Anthropologie, Tome 97 (1993), N°1, pp.119-134.
OUOBA Géneviève, 2008, Art funéraire à Diabo en pays zaoga (province du Gourma), MM, Département d’Histoire et Archéologie, Université de Ouagadougou, 154 p.
SÉNÉCHAL Jacques, 1973, Espace et mobilité rurale en milieu soudano-sahélien. Le changement dans l’isolement (Gourma du Nord-Haute-Volta), Thèse de 3e cycle, ORSTOM, Paris, 371 p.
THIOMBIANO/ILBOUDO Foniyama Élise, 2010, Les vestiges de l’occupation humaine ancienne dans le Gulmu : des origines à la période coloniale : cas de Kouaré et de Namoungou, Thèse de doctorat unique, Département d’Histoire et Archéologie, Université de Ouagadougou, 664 p.
THIOMBIANO Foniyama Élise, 1990, La production ancienne du fer dans le Gulmu : cas de Namoungou (province du Gourma-Burkina Faso), Mémoire de Maîtrise, INSHUS, Université de Ouagadougou, 161 p.
YOUGBARE Oumarou, 1992, Le pays zaoga méridional : Archéologie et tradition orale dans l’approche du peuplement, MM, FLASHS, Université de Ouagadougou, 214 p.