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Améliorer la compétitive des ignames burkinabé grâce aux plateformes d’innovation

Publié le mardi 8 octobre 2024 à 08h30min

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Améliorer la compétitive des ignames burkinabé grâce aux plateformes d’innovation

RÉSUMÉ

Ce document vulgarisation est tiré de l’article intitule « Innovation platforms in the yam value chain in Ivory Coast and Burkina Faso : display or filter for endogenous innovations ? » publié dans la revue American Journal of Humanities and Social Sciences Research (AJHSSR), en 2021.
De 2015 à 2021, un consortium de centres de recherche et d’universités du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Bénin, du Nigéria et de la Suisse et ses partenaires ont mis en œuvre, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, le projet YAMSYS.

Celui-ci visait à développer des innovations en matière de gestion intégrée des sols qui soient acceptables d’un point de vue biophysique, institutionnel et économique, afin d’accroître la productivité des cultures, la sécurité alimentaire, la rentabilité et la durabilité environnementale des systèmes d’igname dans des zones agro-écologiques desdits deux pays. Reposant sur quatre composantes synergiques, ce projet a permis d’améliorer le fonctionnement et la structuration de plusieurs maillons du système igname dont la production des ignames, la qualité des semences d’igname grâce à l’adoption des techniques de gestion intégrée de la fertilité des sols, le renforcement des relations d’affaires entre les acteurs des chaînes de valeur d’igname frais.

Mots clés : YAMSYS, plateforme d’innovation, igname, Burkina Faso

INTRODUCTION

La question de la sécurité alimentaire devient très cruciale pour l’atteinte des objectifs 2 du développement durable en 2030 (FAO, 2020). Ainsi les cultures vivrières en particulier, les racines et tubercules sont démontrées être amènent de contribuer plus à la sécurité alimentaire (Sanginga et Mbabu, 2015). Au Burkina Faso, elle est qualifiée « d’autres cultures » par la structure en charge de l’agriculture et donc pas considéré comme important, malgré les 62 662 tonnes d’igname produites sur 6 369 hectares. Elle a fait l’objet de très peu d’investigations scientifiques dont les premières eurent lieu au milieu des années 1990 pour une meilleure connaissance de l’itinéraire technique courante de production de l’igname afin d’orienter les recherches la concernant.

De 1998 à 2000 fut réalisée dans la province de la Sissili (notre site d’étude) une recherche-action afin de renforcer les capacités de production des ignames aptes à la transformation tout en créant un marché agroalimentaire. En 2005, l’introduction de la culture du Mucuna dans le système de production de l’igname a été très appréciée par les producteurs qui ont pu évaluer les avantages d’une rotation culturale à base d’ignames sur jachères améliorées à base de la culture de Mucuna (INERA, 2005). En 2006, le Centre d’Analyse des Politiques Économiques et Sociales (CAPES) a fait l’état des lieux des résultats de recherche et d’innovation au Burkina Faso.

Ainsi, les technologies agroalimentaires à base des sous-produits d’ignames (couscous, cossette, chips, gâteau, pâtes alimentaires) sont de plus en plus prisées par les consommateurs en milieu urbain grâce aux actions du « projet régional cossettes » sur la valorisation de l’igname pour les marchés urbains (VALIMA) mis en œuvre de mars 2003 à décembre 2003. De ce fait, elle est quasiment absente dans les projets et programmes de développement des filières agricoles de l’institution en charge de l’agriculture et de la sécurité alimentaire.

Nonobstant ces orientations politiques, la recherche réoriente la question de la sécurité alimentaire et de la gestion des ressources naturelles autour de la culture des ignames en Afrique de l’Ouest dont le Burkina Faso en 2015 à travers le projet YAMSYS.

Au départ du projet en 2015, la campagne agricole 2014-2015 estimait la production d’igname à 28 762 tonnes (MARHASA, 2015). Sa production a ensuite progressée pour atteindre 39 725 tonnes (2018-2019), puis 50 152 tonnes (2019-2020), puis 62 186 tonnes (2020-2021) et 62 662 tonnes (2022-2023). La production moyenne nationale d’ignames de 2019-2020 était en hausse de 39,66 % par rapport à la campagne 2018-2019 et de 23,51% par rapport à la moyenne quinquennale (MAAHA, 2020). D’une durée de six ans, ce projet de recherche fut une réussite, puisqu’il a engendré un accroissement soutenu de la productivité de l’igname et un développement significatif du capital humain technique et scientifique dans le système igname. YAMSYS nous permet donc de tirer plusieurs enseignements utiles pour la promotion des chaînes de valeur igname.

MÉTHODOLOGIE

Le projet YAMSYS a été mis en œuvre dans deux provinces à savoir la Sissili de la région du Centre-Ouest et le Noumbiel de la région du Sud-Ouest en collaboration avec les universités et des institutions de la Suisse (ETH, FiBL), de la Côte d’Ivoire (CSRS, UFHB), du Burkina Faso (INERA, IDR-UNB), et deux institutions du Groupe consultatif international pour la recherche agricole (CGIAR) constitué par le Centre international pour la recherche en agroforesterie (ICRAF) et l’International Institute of Tropical Agriculture (IITA). YAMSYS est financé par le fonds national suisse de la recherche scientifique (FNSNF) et l’agence suisse pour le développement et la coopération (SDC). Le projet s’est déroulé en deux phases la première est allée de 2015 à 2018 et a concerné l’exécution des activités relevant des quatre composantes du projet et la seconde phase ira de 2019 à 2021 après une évaluation concluante de la première phase.

L’ICRAF était en charge de la coordination du premier pilier relatif aux activités de description contextuelle du système igname des sites d’études. Quant à l’Université de Zurich (ETH), elle coordonnait la deuxième composante relative à la co-construction et d’adaptation des options innovantes de gestion intégrée de la fertilité des sols dans les « systèmes igname ». L’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBl) a coordonné la composante trois en charge de co-conception des scénarios d’adoption et de diffusion des innovations dans les « systèmes igname » et enfin, les activités de la quatrième composante concernant le renforcement des capacités institutionnelles et individuelles, ont été coordonnées conjointement par l’IITA et l’ETH.

L’enquête de référence effectuée au démarrage du projet a permis d’identifier trois piliers sur lesquels s’appuyer pour améliorer la productivité de l’igname sensible à une gestion de l’environnement : les piliers « Production et gestion intégrée de la fertilité des sols », « Plateforme d’innovation », et « dynamiques institutionnelles ».

Pour le pilier « Production et de gestion intégrée de la fertilité des sols », deux types de champs écoles paysans ont été installés pour promouvoir le système de production d’igname qui s’appuie sur les principes de gestion intégrée de la fertilité du sol et de l’eau dans cinq villages par province. L’un des champs école dénommé essai mère sous contrôle des chercheurs servait de lieu de co-élaboration des options de GIFS et le second champ écolé dénommé essai fils au nombre de cinq servait d’unité de démonstration, d’apprentissage et d’application des options de la GIFS sur la production de semences saines, réunissant une cinquantaine de producteurs par campagne et par province. Des rencontres périodiques sont organisées pour partager des expériences sur les pratiques agricoles. Puis les producteurs issus de ces essais fils deviennent des producteurs expérimentateurs des technologies co-construites dans leur propre exploitation agricole.

Concernant le pilier de « plateforme d’innovation », il est un groupement d’individus représentant souvent des organisations, réunis dans le but de trouver des solutions aux problèmes communs qui limitent leurs performances. Ici, elle est composée de producteurs, transformateurs, commerçants, de structures de soutien et d’appuis (recherche, de la vulgarisation, de vendeurs d’intrants agricoles) des institutions de financement, et des acteurs de la régulation des activités agricoles (décideurs politiques, les administrations de « tutelle » de l’agriculture, de l’environnement, les organisations professionnelles). Enfin, dans le cadre du pilier « dynamiques institutionnelles » deux modules de formations ont été déroulés au profit des vendeurs d’intrants et des vulgarisateurs, le renforcement des capacités des étudiants du premier et second cycle et un réseautage des acteurs permettant d’identifier les conditions favorables à l’épanouissement de la GIFS sur les cultures de racines et tubercules sous-exploitées tant à l’échelle nationale, régionale qu’internationale. Par ailleurs, un gestionnaire de site et un facilitateur ont été recrutés, formés et positionnés dans chaque province pour accompagner la mise en œuvre des activités quotidiennes du projet.

Figure 1 : Dispositif de co-construction et de diffusion des innovations techniques et organisationnelles

RÉSULTATS
Surmonter les obstacles au changement
Le pilier « Plateforme d’innovation » fut déployé en premier afin de mettre les acteurs en relation et de créer un espace d’information, d’échange, d’identification et de résolution collectives des problèmes. Dans son exécution, il s’agissait d’abord d’identifier les acteurs impliqués dans le système igname au niveau local et national, puis d’organiser avec eux un atelier de sensibilisation, de structuration de la plateforme, d’approfondissement de diagnostic et de planification d’activités prioritaires.

Au démarrage, les charges de participation des participants à la plateforme étaient supportées par le projet puis ces prises en charge ont été progressivement revue à la baisse puis annulée. L’information n’était pas parvenue à temps à certains acteurs. Pour surmonter ces contraintes, les invitations aux activités ont été envoyées beaucoup plus tôt aux participants pour permettre à chacun de prendre ses dispositions, les facilitateurs des plateformes ayant identifié des personnes de contact servant de relai de communication dans les villages.

Pour réduire les charges liées au déplacement, de petites réunions de proximité appelé cadre de concertation furent préférées aux grands rassemblements qui restaient cependant nécessaires. Une fois les acteurs mis en relation, l’ampleur des obstacles à l’amélioration de la production et de gestion de la dégradation des sols s’est très vite révélée. Le processus de co-construction d’innovations s’est alors poursuivi dans les maillons spécifiques de la production, du renforcement du capital humain et du réseautage (Ouattara et al., 2021).

L’accompagnement des essais fils et de l’essai mère, maillon central du pilier « Production et GIFS », a consisté à identifier les producteurs intéressés, constituer des groupes d’apprentissage par village, organiser l’apprentissage et suivre les producteurs. Très tôt, les contraintes auxquelles les producteurs étaient confrontés pour l’adoption de la GIFS sont remontées à la plateforme.

Parmi elles : l’indisponibilité d’engrais et de semences saines, la réticence des structures de microcrédit à en octroyer aux producteurs – le faible niveau d’organisation des filières ne leur garantissant pas le recouvrement des créances –, ainsi que la pénibilité et l’exigence en temps du traitement des semenceaux, confection des buttes et du tuteurage. Le facilitateur de plateforme a donc aidé les producteurs à rechercher un arrangement avec les structures de distribution d’intrants (engrais et semence) et les institutions de microcrédit. Des mécanismes ont été élaborés pour mettre en confiance les institutions de services, basés sur la formation des vulgarisateurs sur l’itinéraire technique de la culture de l’igname et des vendeurs d’intrants sur les bonnes pratiques de gestion et d’usage des intrants d’une part et la sensibilisation des IMF sur la culture de l’igname afin de faciliter l’octroi de crédits aux producteurs qui ont été encouragé à se mettre en petits groupes.

Pour faire face à l’enjeu de l’amélioration de la productivité genre sensible, les producteurs ont permis à leurs femmes, pour participer aux apprentissages collectifs et l’expérimentation individuelle de production des ignames.

Effets différentiels des innovations techniques et organisationnelles de YAMSYS sur le système igname

Le principal critère d’évaluation du pilier « Plateforme d’innovation » est l’amélioration des relations entre les acteurs du système igname en retenant comme indicateurs la fréquence des rencontres d’échange et de travail, le nombre de goulots d’étranglement identifiés, l’instauration de nouvelles formes d’interaction et l’établissement de nouveaux liens d’affaires. Nous avons ainsi noté des échanges plus fréquents entre les membres des plateformes sur diverses préoccupations (via téléphone ou de petites séances de discussions sur des places spécifiques des villages) à la faveur desquels des obstacles ont pu être identifiés et traités.

Nous avons également constaté l’établissement de relations d’affaires entre les acteurs. Les bouviers mettent à la disposition des producteurs du fumier entrant dans la gestion de la fertilité des sols. Les transformatrices s’approvisionnent en ignames chez les producteurs expérimentateurs, qu’elles préfinancent pour garantir leur approvisionnement en igname de qualité. La Première Agence de Microfinance (PAMF) intervenant a élargi sa clientèle en intégrant l’accessibilité du crédit aux producteurs d’ignames. Les producteurs ont renforcé leur capacité de lobbying auprès des autorités en charge de l’agriculture qu’ils développent à chaque journée promotionnelle des tubercules.

Le retour de producteurs dans la culture des ignames et l’amélioration des rendements avec des adaptations des options de GIFS sont les critères qui nous permettent d’évaluer le pilier « Production et de gestion intégrée de la fertilité des sols ». Les producteurs échangent aisément entre pairs des connaissances explicitées grâce aux producteurs relais du projet contribuant à la réapparition des variétés Sakapiè et une hausse de production des variétés Toula, ou larbacoua

Photo1 : Visite commentée dans un champ individuel

(espèces D. rotoundata) pour répondre simultanément aux besoins des consommateurs et des transformatrices. Plus de 73% des producteurs expérimentateurs ont réduit la taille des buttes et augmenté leur densité en confectionnant environ 6000 à 8500 buttes par hectare, 87% adoptent la pratique des Minisett qui a contribué à améliorer la qualité des semences d’igname et 57% ont un usage efficient de la fertilisation minérale. En conséquence les producteurs utilisent des semences de meilleure qualité, appliquent qualitativement les engrais chimiques et organiques et multiplient leur rendement en culture frais d’ignames. Un producteur d’Onliassan témoigne : « YAMSYS avec sa technique de fertilisation minérale avec « rebutage » ou la fertilisation organo-minérale, nous a permis de comprendre réellement ses « bénéfices » que nous ne saisissons pas puisque nous croyons fortement que seul l’engrais minéral était bon et que l’engrais organique apportait des maladies.

YAMSYS dans le champ d’Onliassan a expérimenté les différents types de fertilisation pour nous montrer. Après nous-mêmes, nous avons essayé chez nous ce qui nous a poussés à réfléchir dessus et de prendre ce qui correspond à nos forces pour avancer, aujourd’hui mes rendements sont fortement supérieurs à ceux de mes frères » (N09, 40 ans).

L’enrôlement de catégories d’acteurs dans la promotion du développement de la chaîne de valeur d’igname frais constitue le résultat majeur de l’axe des « dynamiques institutionnelles ». Les vulgarisateurs impliqués dans le projet ont fortement contribué à la diffusion des résultats par le biais des formations dans les champs écoles et individuels. Une dizaine d’étudiants et de stagiaires de domaines scientifiques différents comme les agronomes, les économistes, les sociologues constituent aujourd’hui un potentiel de ressources humaines nécessaire à la restructuration de la chaine de valeur igname.

Sous l’initiative d’un ces étudiants agronomes formé devenu cadre à l’école nationale de formation agricole (ENAFA) de Matourkou introduit un dispositif pratique d’apprentissage des paquets technologiques de YAMSYS, enrichissant ainsi leur curricula dès 2020. YAMSYS par l’intermédiaire de son partenariat avec la direction générale de la production végétale (DGPV) a suscité la signature d’un mémorandum entre les structures de recherche agricole et le ministère en charge de l’agriculture afin de faciliter la mise à échelle des options de GIFS adaptés aux contextes spécifiques.

CONCLUSION

Initiée par YAMSYS, l’expérience de la plateforme d’innovation et l’approche de co-construction des options de GIFS sur le système igname menée au Burkina Faso montrent la pertinence de ce type de structures dans la diffusion et l’adoption à grande échelle de technologies agricoles éprouvées, capables d’engendrer des gains significatifs pour les utilisateurs. La plateforme d’innovation constitue un outil efficace pour régler les problèmes socio-économiques et institutionnels auxquels sont confrontés les acteurs de la filière igname et leur permet de mieux définir leurs objectifs de production, améliorer les stratégies de commercialisation et d’accéder à un marché porteur.

Yabile Florence OUATTARA
Carmelle Ornélia HOUNNAKOUN, Liomehe
Sylvain TUO, Gian L. NICOLAY, Roch L. MONGBO, Anne FLOQUET

QUELQUES RÉFÉRENCES

MAAHA, (2020). Résultats définitifs de la campagne agropastorale 2019/2020 et perspectives alimentaire et nutritionnelle, Rapport global, 82.
MARHASA, (2015). Résultats définitifs de la campagne agricole 2014/2015 et perspectives de la situation alimentaire et nutritionnelle. Rapport définitif, 70p.
Yabile Florence Ouattara, Carmelle Ornélia Hounnakoun, Liomehe Sylvain Tuo, Gian L. Nicolay, Roch L. Mongbo, Anne Floquet, Innovation platforms in the yam value chain in Ivory Coast and Burkina Faso : display or filter for endogenous innovations ? In American Journal of Humanities and Social Sciences Research (AJHSSR) e-ISSN : 2378-703X Vol-5, Issue-6, 2021, pp-440-454.
Sanginga, N. et Mbabu, A. (2015) « Racines et Tubercules (Manioc, Igname, Pomme de Terre et Papate Douce) », in IITA (éd.) Conférence ‗Nourrir l‘Afrique du 21-23 Octobre 2015. Dakar, Sénégal, p. 35.

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