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Les effets induits sur l‘organisation socio-politique de Garango après l’institution de la chefferie politique

Publié le samedi 2 décembre 2023 à 19h00min

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Les effets induits sur l‘organisation socio-politique de Garango après l’institution de la chefferie politique

DABONE Alain
CNRST/INSS/DSJPH, Ouagadougou-Burkina Faso
alaindabone01@gmail.com

Résumé

À un moment donné de son évolution historique, les Bisanͻ de Garango aussi appelés Baarͻ ont adopté la chefferie politique inspirée du modèle moaaga. Cette adoption est intervenue dès la seconde moitié du XIX è siècle. Cette nouvelle forme d’organisation sociopolitique a généré des changements importants au sein de cette communauté. Le présent article se propose de faire ressortir les mutations consécutives à l’adoption de la chefferie politique tout en situant le contexte de l’adoption de ce système politique. À partir de la revue documentaire et des données de terrain, les changements induits par l’adoption de la chefferie politique par les Baarͻ sont examinés.

Mots clés : Garango, histoire, chefferie politique, mutations.

Introduction

Le présent article vise à analyser les mutations inhérentes à l’adoption du nouveau système politique par les Bisanͻ de Garango. La notion de chefferie politique renvoie à l’institution d’une nouvelle forme d’autorité fondée sur la centralisation du pouvoir politique. ce type de chefferie différent de la chefferie de terre. Quant au concept de mutations, il fait appel aux transformations induites par ce nouveau système politique dans la vie de Baarͻ. En s’appuyant sur des sources écrites et orales, l’analyse va relever les éléments d’emprunts consécutifs à l’adoption de la chefferie. L’objectif de cette étude est de montrer les mutations inhérentes à l’institution de la chefferie dans l‘organisation socio-politique de Garango

I. METHODOLOGIE

Tout travail de recherche scientifique doit suivre une démarche appropriée. Ainsi, la méthodologie de travail de la présente étude est essentiellement basée sur une enquête de terrain et une recherche documentaire.

II- Le contexte de l’adoption de la chefferie politique par Garango

Les Baarͻ ont adopté la chefferie de type moaaga dès la seconde moitié du XIXe siècle (A. Reikat, 1998, p.71). Les écrits des auteurs comme J.P. LAHUEC (1979, p.12), O. Jean Bernard (1966, p.173), J. Kawada (1979, p.91), A. Faure (1996, p.92) et A. Reikat (1998, p.71) s’accordent tous sur la date de 1850 et reconnaissent Busukudma comme l’initiateur de la chefferie à Garango. Nos informateurs s’accordent avec les données écrites sur le rôle de ce personnage dans l’avènement de la chefferie politique à Garango.

Son fils Naa Tigre qui était le responsable chargé des expéditions guerrières lui succéda (A. Kawada, 1979, p.91). Ce dernier opposa une résistance à l’occupation coloniale. Ce qui lui coûta une déportation dans la prison coloniale de Ouagadougou puis son remplacement par son frère cadet Naa Mougouba (T.F. Zigané, 1996, p.59). Ce nom n’a rien d’un nom de règne. En réalité, il se traduit en barka par kiri ka lèban en raison des circonstances de sa prise du pouvoir. Selon nos informateurs , Naa Mougouba et Naa Tigre seraient morts le même jour et enterrés dans une même tombe (T.F. Zigané, 1996, p.59 ). Sa succession assurée par Naa Koomkougri n’a duré que deux ans (T.Z. Zigané, 1996, p.59). L’enchaînement de ces événements malheureux amena la communauté à laisser le trône vacant jusqu’en 1925.

D’autres informateurs font mention de Naa Pougoudba comme l’acteur de ce changement politique. Il n’est pas exclu que ce nom renvoie à Busukudma. Toujours est-il que Pougoudba ressemble à un nom de règne se traduisant en mooré par « suivez le ! ». Cela est plausible, ce d’autant plus que les noms de règne des chefs de Garango sont en mooré, la langue des Moose. Il est par ailleurs manifeste que l’adoption de la chefferie politique par Garango est beaucoup plus récente. Pour preuve, l’actuel chef de Garango, Naa Koom est le huitième chef à occuper le trône. Celui-ci a succédé à son père Naa Tigre II le 9 juin 1995.

Garangnaa est le terme par lequel le chef de Garango est désigné par ses sujets. Mais le terme bisa pour désigner le chef est Kiri auquel on pourrait associer le nom de la localité. Ainsi, pourrait-on dire Garango kiri pour désigner le chef de Garango. Le premier terme semble plus usité de nos jours du fait de l’action de Naa Saaga (1925-1964) qui régna près de trente-neuf ans. Ancien militaire de l’armée coloniale (1914-1918) et collecteur de taxes de marché (Daa-naaba) en zones morephones (koupèla et Zorgho), celui-ci a su introduire la langue, les coutumes ainsi que la culture des Moose dans la structuration de la chefferie de Garango (T.Z. Zigané, 1996, p.61). Mais, comment se fait le choix et l’intronisation du Garangnaa ?

Il faut reconnaitre d’emblée que le choix du chef de Garango n’est pas fait par un seigneur moaaga contrairement aux Bisanͻ de l’Ouest et ceux des environs de Tenkodogo ( A. Reikat et I. Cissé, 2000, p.397). Cette prérogative revient au chef de Tangaré. Ce dernier se place à son tour sous les ordres du Garangnaa.

Selon nos informateurs , le droit d’investiture octroyé au chef de Tangaré repose sur la position d’ainesse. En effet, Soulé (l’ancêtre du clan de Tangaré) serait en réalité le frère aîné de Barsͻ, le fondateur de Garango (H.A.V. Zouré, 1995, p.38).

Le candidat est choisi à l’issue d’une compétition ouverte. Cette compétition mettait généralement en concurrence soit les fils ou les frères du défunt, soit les membres de la lignée régnante . Mais notons que des discussions sont menées en vue de déboucher sur un consensus autour d’un seul candidat. Ces pourparlers étaient engagés par les doyens ou Gutannͻ et le candidat est retenu à l’issue d’une sorte de conclave. Ce qui n’exclut pas de candidatures concurrentielles.

À la date convenue, les prétendants avec leurs peaux de mouton faisant office de tunique se rendaient chez le chef de Tangaré. Ils s’asseyent devant la concession royale. C’est alors que ce dernier sort et tend la main au candidat de son choix. Il l’invite à se lever et l’introduit dans une case sacrée. À sa sortie, il est accueilli par le ginsi . Ce geste marque l’élection du chef qui est porté en triomphe pour faire le tour des tombes de ses prédécesseurs puis amené à Guierma, un village de forgerons.

Il est gardé dans ce village pour une retraite de deux (02) semaines dans une concession dénommée Moa Yar . Au terme de ce séjour, il retourne dans sa concession à Garango en passant par Bougoula . Dès lors, une date est fixée pour sa sortie officielle. Au dit jour, les doyens de Guierma se chargent de l’investir en le dotant des attributs de son pouvoir politique à savoir une pioche, une canne et un bonnet.

L’institution de la chefferie politique chez les Baarͻ a généré des transformations qu’il est important de noter.

III-Les mutations inhérentes à l’adoption de la chefferie

Il est question ici de mettre en exergue les changements induits par l’introduction de la chefferie politique chez les Baarͻ.

III-1- Une nouvelle stratification sociale

L’introduction de la chefferie politique à Garango dès la seconde moitié du XIX é siècle s’est accompagnée de la formation de groupes sociaux distincts. Ainsi, on assiste dans cette société à l’émergence de nouvelles classes sociales. C’est le cas des Nabirͻ , des Talgarͻ et des Sanarͻ .

Les Nabirͻ désignent l’ensemble des individus issus de la lignée du chef. Même ceux dont le lignage ne règne plus revendiquent ce statut. Ce sont généralement des hommes car il n’y a pas de privilège particulier pour les femmes. Ils ont des privilèges liés à leur statut de gens du pouvoir. Cette classe est exemptée du tribut en récoltes que les autres doivent verser au chef. Ils sont par ailleurs chargés de la collecte de tout type de taxes imposé par le chef. Les guerriers, en l’occurrence les cavaliers, se recrutent dans cette classe sociale. C’était parmi cette unité que les chefs de guerre, qui conduisaient les opérations militaires, émergeaient. Par ailleurs, l’exploitation des terres litigieuses retirées par le chef revenait de droit à cette classe. Etant les descendants en ligne directe des chefs précédents, ils peuvent prétendre à leur succession (A. Daboné, 2016, p.116).

Quant aux Talgarͻ, ils font appel à des individus n’appartenant pas à la lignée dominante. En effet, le talga est tenu de se décoiffer lorsqu’il rencontre un nabi (prince). Chaque année, ils doivent prélever une part une partie de leur récolte et la verser au chef. Pendant les fêtes coutumières, cette classe est tenue de faire parvenir au chef sa contribution (bois, sekos, vivres, volaille, etc.). Cette classe fournissait par ailleurs aux nabirͻ des fantassins qui combattaient à leurs côtés pendant les guerres. Certains talgarͻ, en fonction de leurs prouesses guerrières, se voient confier les responsabilités de chefs militaires (A. Daboné, 2016, p.117).

Enfin, les Sanarͻ sont issus des lignages récemment installés sur le territoire. Ils ne sont pas propriétaires terriens. À ce titre, ils sont dans l’obligation de verser une sorte de droit de résidence aux deux autres classes à qui ils doivent leur installation. Ce droit était payé en nature (vivres, volaille, bétail, etc.). Comme les talgarͻ, la contribution des sanarͻ est sollicitée à l’occasion des cérémonies coutumières du chef. En présence du chef et des nabirͻ, ils se décoiffent en fléchissant le genou pour les saluer (A. Daboné, 2016, p.117). Toutefois, il y a lieu d’indiquer que toutes ces pratiques relèvent du passé en raison du changement des mentalités.

Malgré cette nouvelle structuration sociale, il est remarquable de constater la survivance du système classique. Les doyens jouent toujours un rôle déterminant dans les prises de décisions car leurs avis comptent beaucoup plus. Cela se comprend, ce d’autant plus que ces doyens sont les oncles paternels du chef régnant. La parenté conférant l’autorité, ce dernier est attentif aux conseils donnés par les anciens. Dans la cour royale de Garango, la présence de ces doyens est bien visible. Ils sont beaucoup respectés et écoutés par le chef. Les litiges sont tranchés en leur présence. Dans les échanges, ils n’hésitent pas à contredire si nécessaire le chef. Ce qui laisse entrevoir le principe de liberté en vigueur dans l’ancien système. Par ailleurs, le principe de séniorité est strictement observé dans la prise de parole lors des délibérations.

En plus de cette stratification sociale, on peut noter que le mode d’accès au pouvoir a connu un changement.

III-2- Une modification du mode d’accès au pouvoir

Dans l’ancien système, le choix du Gutare comme responsable répondait à un certain nombre de critères. Si l’âge était essentiel, il faut noter que le Gutare était choisi parmi les descendants d’un lignage. En réalité, celui-ci tirait sa légitimité de sa position à l’intérieur du groupe de parenté dominante. Il arrive souvent que le neveu soit plus âgé que son oncle. C’est pour cela d’ailleurs qu’un jeune oncle peut être considéré comme Gutare eu égard sa position au sein du clan.

Quant au chef, il jouit d’une double légitimation car il est désigné parmi les nabirͻ qui sont en réalité les descendants en ligne directe des prédécesseurs. De même, son intronisation lui confére une seconde légitimité. C’est le fils aîné du chef défunt qui assure la succession. Le respect de la règle de primogéniture n’est pas strict car il arrive souvent qu’un frère succède à un autre. Le chef n’est pas nécessairement une personne âgée.

A. Reikat (1998, p.71) apprécie l’avantage de s’écarter de cette règle de stricte primogéniture car « conduisant à une concurrence entre les différents aspirants au trône et permet d’exclure les candidats complètement inaptes ». Si cette concurrence favorise une émulation dans la société, il est important de savoir qu’elle est aussi source d’inimitiés voire de conflits.

Certes, le mode d’accès au pouvoir a changé en ne tenant plus forcément compte de la règle de primogéniture.

CONCLUSION

L’adoption de la chefferie politique par les Baarͻ s’est faite dès la seconde moitié du XIXe siècle. Inspirée du modèle moaaga, cette nouvelle forme d’organisation sociopolitique a généré des changements importants dans les structures sociales, politiques et culturelles des Bisanͻ de Garango. L’émergence d’une nouvelle structuration sociale, les emprunts à la culture moaaga, le changement observé dans la gestion du foncier et la modification du mode d’accès au pouvoir constituent autant d’éléments tangibles de mutations observables chez les Baarͻ de nos jours. Tout cela démontre la capacité de résilience des communautés du Burkina Faso depuis la période précoloniale. Dans l’ensemble, cette analyse met en lumière les dynamiques internes d’évolutions, d’adaptations et d’innovations en cours en Afrique noire au XIXe siècle. L’exemple de Garango témoigne de cet état des faits au sein de la société bisa.

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DABONE Alain, 2023, « Les mutations consécutives à l’adoption de la chefferie politique de type moaaga par les Bisanͻ de Garango (Burkina Faso) », in Revue Science et Technique, Lettres, Sciences humaines et sociales, Vol.39, n°1-janvier-juin 2023, p. 137-152.

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