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L’organisation socio-politique de Garango avant l’institution de la chefferie politique

Publié le jeudi 30 novembre 2023 à 12h34min

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L’organisation socio-politique de Garango avant l’institution de la chefferie politique

DABONE Alain
CNRST/INSS/DSJPH, Ouagadougou-Burkina Faso
alaindabone01@gmail.com

Résumé

De nos jours, il y a un chef traditionnel à la tête de Garango. Il est dénommé Garangnaa ou Garango kiri se traduisant par chef de Garango. L’existence de cette chefferie politique est la résultante d’une évolution car elle est adoptée dès la seconde moitié du XIX è siécle.

Avant l’adoption de ce système politique, les Bisanͻ de Garango disposaient bel et bien d’une organisation sociopolitique contrairement aux conclusions hâtives d’une certaine ethnologie coloniale prétendant l’existence « des sociétés sans organisation politique, sans État » en Afrique. Cette organisation était lignagère non centralisée de type gérontocratique. Le présent article vise à mettre en exergue cette organisation initiale avant l’adoption de la chefferie.

Pour ce faire, les sources écrites et des données issues du terrain sont mises à contribution pour étayer notre analyse. Dans le développement, il est question de présenter d’une part la vie sociale des Bisanͻ de Garango et d’autre part, leur vie politique avant l’institution de la chefferie.

Mots clés : Bisanͻ, Garango, gérontocratie, chefferie politique.

Introduction

Garango se trouve dans la région du Centre-Est du Burkina Faso. Cette localité dispose de nos jours d’une chefferie traditionnelle contrastant avec son organisation sociopolitique initiale. Cette organisation était lignagère non centralisée de type gérontocratique. Selon la nomenclature proposée par les anthropologues britanniques E.E. Evans-Pritchard et M. Fortes (1964, p.65), ce type de formation politique correspond à celle « des sociétés sans organisation politique, sans État ». Dans la réalité, la politique a toujours existé dans les formations sociales de l’Afrique précoloniale selon G. Balandier (1967, p.82). En dépit de toutes ces opinions, comment se présente l’organisation socio-politique de Garango avant l’influence de la chefferie traditionnelle ? Au cours de notre développement, nous tenterons de répondre à cette interrogation à travers un grand point sur le rappel historique de l ‘organisation socio-politique de Garango avant l’institution de la chefferie.

I. METHODOLOGIE

Tout travail de recherche scientifique doit suivre une démarche appropriée. Ainsi, la méthodologie de travail de la présente étude est essentiellement basée sur une enquête de terrain et une recherche documentaire

II. Rappel historique de l ‘organisation socio-politique de Garango avant l’institution de la chefferie

C. Savonnet-Guyot dans État et sociétés au Burkina : essai sur le politique africain paru en 1985 dresse une typologie des structures politiques existantes au Burkina Faso à l’époque précoloniale. Son étude range les entités socio ethniques du pays dans trois formations sociopolitiques essentielles à savoir les sociétés à pouvoir centralisé, les sociétés à organisation lignagère et les communautés villageoises ou encore démocratie villageoise. Selon sa classification, la société bisa a une organisation lignagère. Contrairement à cet auteur, Joseph Ki-Zerbo cité par J.M. Kambou-Ferrand (1993, p. I) propose une toute autre nomenclature en parlant de « monarchies fortement structurées », de « peuples sans gouvernement central ou même décentralisé » et de « régimes intermédiaires de monarchies décentralisées, confédérations de chefferies, ou hégémonies extérieures surimposées à des peuples sans hiérarchie politique ». Selon cette typologie, les Bisanͻ se retrouvent dans la dernière catégorie.

Avant la seconde moitié du XIXe siècle, les Bisanͻ de Garango n’avaient pas de chefferie à proprement parler. À la tête de chaque clan, il y avait un ancien ou un doyen. Celui-ci était désigné par le terme Dugutaré . À l’échelle du village, le plus ancien du clan anciennement établi était désigné comme chef ou kiri. Ils avaient la responsabilité de diriger la communauté.

Cette forme d’organisation politique a été qualifiée par une certaine ethnologie coloniale de « sociétés acéphales » par opposition à l’organisation politique des communautés à pouvoir centralisé. Ce type d’organisation est complexe en ce sens que les différents domaines (culture, économie, politique, religion, etc.) de la vie sont imbriqués.

En raison de cette imbrication, il est nécessaire de présenter la vie sociale et l’organisation politique des Bisanͻ de Garango également appelés Baarɔ.

2.1. La vie sociale des Baarɔ

Elle repose sur le principe du dakuhan qui se traduit en barka (dialecte parlé par les Baarɔ) par le terme solidarité. Cette solidarité se manifestait à des occasions diverses comme les fêtes coutumières, les mariages, les naissances, les décès, les funérailles et les travaux agricoles. La vie sociale des Baarɔ s’exprime à travers la famille, l’habitat, l’éducation et le mariage. Par ailleurs, il est important de noter qu’il n’y a pas de castes au sein de cette société.

Une telle structure sociale ne manque pas d’impacter l’organisation politique de cette communauté.

2.2. La vie politique des Baarͻ

Elle est fondée sur le clan car le lien essentiel demeure la parenté. L’organisation politique est non centralisée. Elle repose sur deux principes à savoir le principe de la gérontocratie et celui de la primogéniture.

Selon le principe de la gérontocratie, c’est l’homme le plus âgé qui est désigné comme responsable à la tête de la communauté. Celui-ci assume les responsabilités de Halgan à l’échelle familiale, de Dugutare au niveau du clan ou même de Kir Gutare au village en faisant appel à « ses expériences passées pour éclairer l’avenir de ceux dont il est responsable » (T.F. Zigané, 1996, p.143). Cependant, A. Reikat (1998, p.75) trouve que cette règle de dévolution du pouvoir empêche « toute querelle de succession puisque l’ancienneté était incontestée ».

De ce qui précède, il ressort que l’ancienneté conférait à l’individu la position sociale voire le pouvoir dans la famille, le lignage et la communauté. Le pouvoir ainsi acquis n’avait besoin d’aucune légitimation consacrée par une cérémonie d’intronisation. C’est pourquoi, le détenteur du pouvoir ou Gutare n’avait pas d’insignes extérieurs (bonnet, bâton et hangar à réunion dans sa concession) comme chez les Moose. Notons aussi que ce responsable était entouré d’un collège de pairs provenant des différentes concessions. À ces derniers, il confiait des responsabilités précises. Sous l’arbre à palabre, les sujets de litige sont mis en débat sous la supervision du Gutare.

Quant au principe de la primogéniture, cette règle implique que la réalité du pouvoir politique se trouve entre les mains des aînés du clan. L’ensemble des doyens émanant des concessions issues du même clan prennent part à la palabre sous la supervision de l’aîné du clan. Celui-ci fait intervenir chaque participant en tenant compte de l’aînesse. Cette rigueur est strictement observée lors des débats avant toute délibération. Ce mode de fonctionnement a amené certains auteurs à soutenir que les Bisanͻ ont un système politique fondé sur la démocratie et sur l’égalité (A. Daboné, 2016, p.82).

Cependant, cette organisation socio-politique présentait des limites réelles en ce sens qu’elle ne permettait pas la rapide prise de décision et la mobilisation instantanée des guerriers dans un contexte marqué par de menaces permanentes (pillages, razzia).

En raison de ces difficultés, les Baarͻ ont procédé à un changement de système politique en adoptant la chefferie de type moaaga dès la seconde moitié du XIXe siècle.

CONCLUSION

L’ancienne forme d’organisation sociopolitique des Bisanͻ de Garango reposait sur la primogéniture et la gérontocratie. L’ancienneté conférait à l’individu la position sociale voire le pouvoir au sein de la famille, du lignage et de la communauté. le choix du Gutare comme responsable répondait à un certain nombre de critères. Si l’âge était essentiel, il faut noter que le Gutare était choisi parmi les descendants d’un lignage. En réalité, celui-ci tirait sa légitimité de sa position à l’intérieur du groupe de parenté dominante. Ce système comportait des faiblesses en ce sens que le plus ancien hissé à la tête du clan se montrait incapable de faire face aux agressions extérieures. La survie de la communauté était en cause. Il fallait trouver un autre mécanisme de gestion politique plus adéquat. Cet impératif explique sans doute l’adoption de la chefferie politique par les Bisanͻ de Garango dès la seconde moitié du XIXe siècle.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BALANDIER Georges, 1967, Anthropologie politique, P.U.F, Paris.
DABONE Alain, 2016, Approche historique de Garango (Province du Boulgou) : des origines à 1897, département d’Histoire et Archéologie, rapport de Master, Université Ouaga I Pr Joseph KI-ZERBO.

DABONE Alain, 2023, « Les mutations consécutives à l’adoption de la chefferie politique de type moaaga par les Bisanͻ de Garango (Burkina Faso) », in Revue Science et Technique, Lettres, Sciences humaines et sociales, Vol.39, n°1-janvier-juin 2023, p. 137-152.

EVANS PRICHARD Edward Evan et FORTES Meyer, 1964, Les systèmes politiques africains, P.U.F, Paris.

FAURE Armelle, 1996, Le pays bisa avant le barrage de Bagré, Ouagadougou, « Découvertes du Burkina », t.1, ADDB, Paris-Ouagadougou.

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JEAN BERNARD Odette, 1966, Les Bisa du cercle de Garango, Etudes voltaïques n°2, CVRS, Ouagadougou .

KAMBOU-FERRAND Jeanne Marie, 1993, Peuples voltaïques et conquête coloniale. 1885-1914, L’Harmattan, Paris.

KAWADA Junzo, 1979, Genèse et évolution du système politique des Mossi méridionaux (Haute Volta), Institut de recherches sur les langues et les cultures d’Asie et d’Afrique, Tokyo.

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