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Examen du marché des produits de Santé Sexuelle et Reproductive (SSR) au Burkina Faso : Un regard critique sur les défis et les perspectives

Publié le mardi 12 décembre 2023 à 21h00min

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Examen du marché des produits de Santé Sexuelle et Reproductive (SSR) au Burkina Faso : Un regard critique sur les défis et les perspectives

Plongez dans l’analyse approfondie du marché des produits de Santé Sexuelle et Reproductive (SSR) au Burkina Faso. Cette étude rigoureuse met en lumière les insuffisances majeures du marché des produits de SSR, qui vont de la dépendance financière aux lacunes de coordination. Découvrez également les recommandations stratégiques essentielles pour une offre de produits de SSR robuste et durable dans ce contexte burkinabé en pleine évolution.

Introduction

Le marché des produits de SSR au Burkina Faso suscite actuellement un intérêt particulier dans le cadre d’une étude entreprise par l’initiative SEMA (Shaping Equitable Market Access for Reproductive Health). Ce pays d’Afrique de l’Ouest, marqué par une avancée dans l’amélioration des indicateurs de SSR mais qui reste toujours confronté à des défis persistants dans ce domaine.

L’objectif principal de cette évaluation est d’apporter une compréhension approfondie du paysage de la SSR, mettant en lumière non seulement les défis prévalents mais également les opportunités d’intervention stratégique. Pour ce faire, SEMA a mis en œuvre le cadre méthodologique rigoureux appelé "Healthy Markets Framework" (HMF), élaboré spécifiquement pour évaluer la santé des marchés nationaux des produits de SSR.

L’étude se fonde sur des données statistiques clés relatives à la SSR et sur des avis d’experts. C’est au travers de cette aventure intellectuelle que nous vous invitons à plonger, pour comprendre les enjeux qui jalonnent le chemin vers un marché des produits de SSR plus épanoui au Burkina Faso.

Développement

Cette évaluation du marché des produits de SSR au Burkina Faso, a dévoilé des problématiques structurelles importantes. En effet, elle a mis en exergue des défis potentiels qui, s’ils ne sont pas abordés avec précision, pourraient compromettre la durabilité et la résilience du marché des produits SSR.

Défi N°1 : Dépendance financière vis-à-vis des fonds des bailleurs : les risques qui pèsent sur la santé sexuelle et reproductive

Le secteur public et celui des ONG, représentant la majorité des soins en SSR, sont de plus en plus tributaires des financements externes. Bien que les ressources des donateurs aient connu une augmentation notable ces dernières années (2018-2021), les fonds mobilisés à l’échelle nationale n’ont pas suivi la même tendance ascendante.

Cette situation expose le marché des produits la SSR à des risques particuliers. En effet, les fluctuations annuelles dans les engagements financiers des donateurs ajoutent une couche d’incertitude, remettant en question de la résilience du marché sur les trois à cinq prochaines années. Le Burkina Faso se retrouve à la croisée des chemins, nécessitant des actions immédiates pour atténuer ces risques et assurer la pérennité des produits de la SSR.

En réponse à cette lacune critique, l’étude recommande une approche stratégique en trois volets. Tout d’abord, il est impératif d’établir une approche de financement claire pour l’achat des produits de SSR. Cette initiative informera les stratégies nationales et guidera les efforts de mobilisation des ressources.

Deuxièmement, l’élaboration d’une stratégie nationale de mobilisation des ressources nationales et des donateurs s’avère cruciale. Cette stratégie devrait explorer de manière exhaustive les opportunités de financement des donateurs, visant à maximiser leur contribution à l’approvisionnement en produits de SSR. La clé réside dans l’efficacité et une coordination stratégique pour exploiter au mieux ces opportunités.

En parallèle à ces mesures, une campagne de sensibilisation dynamique est préconisée. Elle vise à mobiliser les acteurs gouvernementaux, les collectivités territoriales ainsi que les acteurs du privé en vue de les encourager à s’inscrire activement dans la mobilisation des ressources nationales. Cette sensibilisation, cherche à susciter un engagement accru des parties prenantes nationales dans la garantie de la durabilité des produits de la SSR.

Défi N°2 : Engouement limité du secteur privé pour le marché de la santé sexuelle et reproductive : une opportunité sous-exploitée

Actuellement, le secteur privé demeure une ressource très peu exploitée, avec une demande de soins minime dans ses établissements, notamment en ce qui concerne l’accès aux produits contraceptifs.

L’analyse révèle que les établissements du secteur privé, plus que leurs homologues publics et les ONG, éprouvent des difficultés à garantir la disponibilité de produits contraceptifs. Pour pallier ce problème, des actions décisives sont nécessaires, notamment l’incitation active du secteur privé à participer davantage à la prestation de services en SSR. Cette implication pourrait, à son tour, contribuer à la viabilité financière à long terme, en particulier si les prix sont structurés équitablement en réponse à la réduction du financement des donateurs.

Face à ces constats, des recommandations stratégiques émergent.

Tout d’abord, il est essentiel de mener une évaluation approfondie du marché du secteur privé en produits de SSR. Cette évaluation doit explorer le paysage financier, l’approvisionnement, l’offre et la demande. Les résultats de cette étude deviendront les fondations sur lesquelles les stratégies pour attirer davantage le secteur privé pourront être élaborées.

Deuxièmement, une évaluation exhaustive visant à comprendre les raisons qui poussent les patients à choisir le secteur public ou les ONG pour les produits de SSR est préconisée. Ces données seront utilisées pour informer les stratégies visant à orienter la demande vers le secteur privé.

En outre, le soutien actif des parties prenantes de la SSR dans l’élaboration d’une stratégie nationale d’engagement du secteur privé est une recommandation majeure. Cette stratégie devrait définir des objectifs clairs et les moyens par lesquels le secteur privé pourrait être utilisé et soutenu pour garantir un accès équitable aux produits et services de SSR au Burkina Faso.

Enfin, une invitation pressante est lancée aux acteurs clés du secteur privé pour une participation plus active aux groupes de travail et aux forums techniques existants mais aussi d’amener les autres acteurs privés qui n’y participent pas pour le moment à rejoindre ces cadres. Leur contribution conjointe à l’élaboration d’une analyse de rentabilité contribuera à stimuler leur engagement croissant sur le marché de la SSR.

Défi N°3 : Prédominance d’un nombre restreint de fabricants : un défi crucial dans la sécurité de l’approvisionnement en produits de SSR

Cette lacune représente une préoccupation majeure, d’autant plus qu’elle pourrait exposer la Centrale d’Achat des Médicaments Essentiels Génériques (CAMEG) à des difficultés d’accès à une base d’approvisionnement diversifiée et fiable, considérée comme une priorité par les principales parties prenantes.

Des retards mineurs ou des pénuries pourraient déstabiliser l’équilibre délicat entre l’offre et la demande de contraceptifs et inciter les utilisateurs à se tourner vers le marché parallèle, engendrant ainsi des risques de consommation de produits de moindre qualité. Par exemple, les défaillances de diversification de l’offre ont été manifestes en 2021, lorsqu’une rupture nationale d’implants a entraîné des retards de livraison, forçant la CAMEG à solliciter un soutien d’urgence de l’UNFPA pour l’approvisionnement.

Face à ces défis, les experts proposent un certain nombre de points d’action.
Tout d’abord, une évaluation approfondie des facteurs contribuant à la limitation de la diversité et de la qualité des fournisseurs est impérative. Cette analyse servira de base à l’élaboration d’une stratégie visant à surmonter les défis identifiés.

En parallèle, il est crucial de soutenir les efforts visant à accroître le nombre de fabricants enregistrés localement pour chaque produit de SSR. Cela implique la fourniture d’une assistance technique à la CAMEG et/ou à l’Agence nationale de réglementation pharmaceutique (ANRP) pour simplifier les processus d’enregistrement. Les fabricants doivent être encouragés par des incitations et des analyses de rentabilité afin de surmonter les obstacles qui les découragent de s’enregistrer.

En outre, le développement d’un cadre décisionnel est préconisé pour guider la CAMEG dans l’identification et la sélection d’options d’approvisionnement flexibles, permettant d’avoir plusieurs fournisseurs par produit. Ceci est particulièrement crucial en cas de ruptures de stock ou de retards des fournisseurs, minimisant ainsi le risque de pénuries nationales.

De plus, la promotion de la fabrication locale et/ou régionale de produits de SSR est recommandée à travers des politiques incitatives, y compris des avantages fiscaux et un soutien aux fabricants locaux pour obtenir la préqualification de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Enfin, pour renforcer la résilience régionale, des efforts conjoints régionaux, tels qu’une politique d’achat groupé entre les pays, devraient être soutenus. Par exemple, par le biais de l’Organisation Ouest-Africaine de la Santé (OOAS), ces initiatives visent à accroître les volumes d’acquisition de produits de SSR.

Défi N°4 : Prise en compte insuffisante des données sur les préférences des utilisateurs : un obstacle dans la marche vers un marché des produits de SSR axé sur les besoins des utilisateurs.

L’absence de collecte et d’intégration systématique des préférences des consommateurs dans les décisions budgétaires et d’achat crée des lacunes dans le suivi et l’assurance que les produits disponibles sur le marché répondent effectivement aux besoins de la population. Cela a des implications majeures sur la capacité des fournisseurs à optimiser des ressources limitées pour satisfaire au mieux la demande des consommateurs et à introduire de nouveaux produits en fonction des besoins émergents.

Face à cette réalité, deux mesures pourraient guider le système de santé vers une approche plus centrée sur les utilisateurs dans le domaine de la SSR.

D’une part, il est impératif de mettre en place un groupe de travail dédié au sein du Ministère de la santé, ou par le biais d’une plateforme technique existante, réunissant les parties prenantes du gouvernement, les chercheurs et les partenaires. Ce groupe aura pour mission d’élaborer un plan stratégique visant à recueillir des données sur les préférences des utilisateurs. Ceci peut nécessiter la mise en œuvre d’enquêtes dédiées ou l’inclusion d’indicateurs sur les préférences des consommateurs dans des enquêtes nationales existantes, telles que les enquêtes démographiques et de santé (EDS).

D’autre part, l’intégration des données sur les préférences des utilisateurs dans le processus de prise de décision est essentielle pour garantir un marché des produits de SSR aligné sur les besoins réels des populations. Cela implique d’améliorer l’intégration des données relatives aux préférences des consommateurs dans les quantifications nationales et les décisions d’achat et de financement à travers le Tableau d’Acquisition des Contraceptifs (TAC). Cette approche permettra de garantir que les ressources sont allouées de manière efficiente, en maximisant l’impact sur la santé reproductive de la population.

Défi N°5 : Coordination du marché des SSR au Burkina Faso : une harmonie à construire

En dépit des cadres nationaux existants et des mécanismes de planification, des lacunes persistent dans la capacité à analyser et discuter des questions du marché globalement, notamment les préférences des consommateurs, l’adoption des produits et la conception de stratégies financières durables.

Il apparaît que le manque de mécanismes dédiés à l’analyse des aspects liés aux préférences des consommateurs et à la conception de stratégies financières robustes devient de plus en plus critique, surtout à la lumière des récentes modifications des priorités gouvernementales, entraînant une réduction des engagements des partenaires extérieurs sur le marché des produits de la SSR.

Face à cette réalité, des pistes claires pour construire une harmonie dans la coordination du marché de la SSR au Burkina Faso pourraient être dégagées en appliquant certaines mesures.

Tout d’abord, il est essentiel d’élaborer une stratégie de marché spécifique aux produits de la SSR au Burkina Faso. Au cours des cinq à dix prochaines années, cette stratégie devrait servir de feuille de route alignant les principales parties prenantes sur des priorités communes et définissant des mesures concrètes pour surmonter les obstacles identifiés.

Parallèlement, la création et le soutien d’un groupe de travail technique dédié au marché de la SSR sont impératifs pour renforcer la coordination entre les acteurs des secteurs public, ONG et privé. Ce groupe fournira une plateforme pour discuter des défis actuels, explorer des solutions novatrices et faciliter une collaboration étroite.

Une meilleure utilisation des données existantes, notamment celles sur les commandes et les expéditions capturées par le réseau FPVAN (Global Family Planning Visibility and Analytics Network), est également essentielle. Cela peut nécessiter la révision des outils analytiques existants ou la conception de nouveaux, afin d’améliorer la coordination et le partenariat.

Enfin, l’établissement d’un cadre de dialogue entre le secteur privé et le Ministère de la santé émerge comme une recommandation clé. Ce cadre permettra de prendre en compte les intérêts de toutes les parties, favorisant une compréhension mutuelle et renforçant la collaboration entre les secteurs public et privé pour relever les défis du marché des produits de la SSR.

Conclusion

L’analyse approfondie du marché des produits de SSR au Burkina Faso met en exergue des défis majeurs. La dépendance financière aux ressources des donateurs menace la durabilité, soulignant l’impératif d’établir des objectifs de financement clairs et d’adopter une stratégie nationale pour mobiliser efficacement les ressources. Le secteur privé, confronté à des politiques restrictives, nécessite une stratégie nationale d’accompagnement et d’engagement et une participation accrue dans les forums existants.

Les défis d’approvisionnement, notamment le nombre limité de fabricants, exigent des évaluations approfondies et des incitations à la diversification des fournisseurs. Le déficit en données sur les préférences des consommateurs requiert la création d’un groupe de travail et l’intégration de ces données dans les processus d’achat, visant à aligner l’offre sur les besoins réels. La lacune globale dans les fondements du marché souligne le besoin d’une coordination renforcée, avec des recommandations telles que l’élaboration d’une stratégie de marché et l’amélioration de l’utilisation des données existantes pour favoriser la collaboration entre les secteurs public, privé et les ONG.

Toutes fois des questionnements persistent : Comment ces recommandations seront-elles concrètement mises en œuvre, et quel impact auront-elles sur les marchés des produits SSR au Burkina Faso ? Ces interrogations appellent à des actions supplémentaires et à une surveillance continue du marché pour garantir des progrès significatifs dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive.

Auteurs :

-  Charlemagne TAPSOBA, Médecin de Santé Publique, Chercheur Associé à RESADE, Coordonnateur du Consortium RESADE-R4D-RAME.
-  Noéllie Teine H. KONSEBO, Médecin de Santé Publique, Chercheure Associée à RESADE
-  Yamba KAFANDO, Géographe de la santé, Chercheur à RESADE

Informations sur l’étude :
Il s’agit d’une étude multi sites qui a concerné trois pays (Burkina Faso, Nigeria, Sénégal). La présente étude a été réalisée en 2022-2023 au Burkina Faso par le consortium RESADE (www.resasde.org)- R4D (https://r4d.org/) - RAME (http://www.rame-int.org/) avec l’accompagnement du Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique (MSHP) du Burkina Faso. Elle a été financée par la fondation BMGF, l’AFD et la Fondation du Fonds d’investissement pour l’enfance (CIFF) à travers AMREF Health Africa.

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