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Situation au Niger : « Les agissements de l’Élysée et les réactions émotionnelles de la CEDEAO ont tout facilité aux militaires » (Inoussa Idi Saouna, leader de la société civile)

Publié le dimanche 8 octobre 2023 à 23h32min

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Situation au Niger : « Les agissements de l’Élysée et les réactions émotionnelles de la CEDEAO ont tout facilité aux militaires » (Inoussa Idi Saouna, leader de la société civile)

Après une parenthèse démocratique de plus d’une décennie (2011-2023), le Niger a basculé dans une vie d’exception, avec l’irruption des militaires au pouvoir en cette journée de 26 juillet 2023. Quelles sont les réalités socio-politiques au Niger, deux mois après l’avènement du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) ? Faits et analyse de la situation avec Inoussa Idi Saouna, ce leader de la société civile nigérienne depuis plusieurs décennies, membre de la Convergence citoyenne pour la démocratie et la République, défenseur des droits de l’homme. Inoussa Idi Saouna…, sans langue de bois !

Lefaso.net : Après cette parenthèse démocratique (2011-2023) admirée par des observateurs à travers le monde, le Niger a basculé à nouveau dans un pouvoir d’exception, depuis cette date de 26 juillet 2023. Est-ce une crise que vous voyiez venir ou a-t-elle été une surprise pour vous ?

Inoussa Idi Saouna : Merci de l’occasion que vous m’offrez de me prononcer sur l’actualité de mon pays, le Niger. Effectivement, depuis le 26 juillet 2023, le Niger a, une fois de plus, basculé dans un régime militaire.

Cette interruption de la démocratie dans notre pays a été une très grande surprise. Surprise du fait que notre processus démocratique avance bien avec la garantie de toutes les libertés. En 2021, l’ancien président, Mahamadou Issoufou, ayant quitté le pouvoir avec élégance, permettant à notre pays de vivre sa première alternance démocratique depuis l’indépendance, a couronné la démocratie nigérienne admirée partout dans le monde.

Sur le plan sécuritaire, le Niger est le seul pays des trois frontières qui n’a pas de réfugiés ailleurs. L’intégrité du territoire est maîtrisée, bien que les menaces surviennent des cinq frontières à savoir, le Mali, le Burkina, le Nigéria, le Tchad et la Lybie. Jamais le Niger n’a été aussi confronté à des foyers d’insécurité qui lui ont été imposés, car venu des pays voisins. Malgré cela, le Niger a résisté. Donc, cette intervention militaire est, encore une fois, une grande surprise, mais il faut constater que c’est le retour des régimes militaires dans la sous-région depuis deux ans et hélas, le Niger n’a pas échappé à cette régression démocratique régionale.

Le coup d’Etat semble être bien accueilli par les Nigériens, si l’on en croit aux images et réactions dans les rues de Niamey !

Au regard des images des manifestations de soutien à la junte la militaire à Niamey, on peut aisément penser à un soutien populaire. Je vous fais constater qu’aux premières heures du coup, il y a eu des milliers de citoyens qui se sont mobilisés pour marcher sur le palais présidentiel et libérer le président Bazoum. Cette tentative a été dispersée. Au deuxième jour, c’est un autre courant politico-social de Niamey qui a pris le relais, pour soutenir le coup d’Etat, allant jusqu’à brûler le siège du PNDS (Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, parti de Bazoum) et plusieurs actes de vandalisme dans la ville de Niamey.

De mon point de vue, le soutien populaire à la junte s’est renforcé au fur et à mesure dans une stratégie de communication très habile qui est le discours anti-français.
A l’instar du Mali et du Burkina Faso, nous assistons au Niger à une stratégie de la junte militaire de communication et de mobilisation de l’opinion sur le discours anti-français. Déjà, comme partout en Afrique francophone, il existe au Niger un courant de pensée de certains acteurs de la société ouvertement contre la présence des forces françaises au Niger.

Il est évident que le discours paternaliste et les analyses blessantes des politiques et des médias français ont facilité cette mobilisation des populations.
La France et la CEDEAO n’ont tiré aucune leçon des situations malienne et burkinabè. Elles ont transformé en lutte de libération, un coup d’état.
Les agissements de l’Élysée, les réactions émotionnelles de la CEDEAO sans chercher à comprendre la situation sur le terrain, ont tout facilité aux militaires.
Les démocrates sont devenus inaudibles et les discours patriotiques face à un projet d’agression contre la nation a emballé tout le monde.

Cette galaxie a été intelligemment utilisée par le CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie) pour renforcer son pouvoir et mobiliser la population.
Les sanctions inhumaines imposées au Niger ont eu l’effet contraire espéré. Les manifestants mobilisent, au-delà des révolutionnaires, tous les Nigériens, qui se sont sentis blessés dans leur fibre nationale.

L’ancien président et prédécesseur de Bazoum, Mahamadou Issoufou, est indexé par certains proches du président Bazoum d’être derrière le coup d’Etat. Qu’en est-il exactement et qu’est-ce qui explique une telle thèse ?

J’ai lu aux premières heures du coup de force, certaines paraboles des proches intimes de l’ancien président Mohamed Bazoum, faisant insinuer une accusation en direction de l’autre ancien président de la République, Mahamadou Issoufou. Cette communication s’est renforcée avec des articles très critiques et souvent offensants. De mon point de vue, premièrement, si cette catégorie d’acteurs très proches de M. Bazoum s’exprime sur le sujet de cette manière, je suis convaincu qu’ils ont reçu l’ordre de Bazoum qui est joignable au téléphone et donc, il a dû donner ce mot d’ordre pour accuser l’ancien président Mahamadou Issoufou.

Une telle réaction relève de la félonie. Comment imaginer et croire que M. Issoufou, qui s’est battu contre tous au sein de son parti d’abord pour faire accepter la candidature de Bazoum, et ensuite se battre dans la sociologie politique nigérienne très compliquée et bâtir une alliance solide autour de la candidature de Bazoum et permettre son élection, verse dans un tel acte ? J’ai été témoin de ceci : après avoir quitté le pouvoir, Issoufou Mahamadou a rencontré certains de ses anciens collaborateurs, dont j’ai eu l’honneur de faire partie. Durant une heure d’horloge, son message consistait à demander de soutenir Bazoum Mohamed. Avec des arguments très sincères.

Mais il faut constater que la majorité des personnes qui alimentent cette accusation sont au niveau d’un groupe très marginal dans le système, mais qui ont eu des positions élevées grâce à Bazoum.
Je comprends donc que cette tranche juvénile n’a pas la capacité d’un discernement stratégique en pareille situation de perte brutale du pouvoir.

En alimentant cette psychose, c’est un deuxième coup cette fois-ci contre leur propre parti politique qui domine l’espace politique depuis une décennie. Je n’ai écouté ni lu personne de sérieux du PNDS ou au sein de la classe politique soutenir cette posture.
C’est donc une réaction émotionnelle de certains proches de Bazoum, que les gens accusent fortement d’ailleurs d’avoir œuvré à l’isoler et à le manipuler jusqu’à favoriser son renversement.

Je vous informe qu’après les services loyalement rendus sous le magistère de Issoufou Mahamadou, le général Tchani était prêt à partir pour une formation à l’école de guerre au Nigeria, c’est Bazoum lui-même qui a demandé ses services à cause de son efficacité. C’est donc faux de dire que c’est sur imposition de Issoufou Mahamadou qu’il a été reconduit à son poste. Cette affirmation que Issoufou Mahamadou est complice du putsch est donc une pure absurdité.

Deuxièmement, après l’émotion de cette action militaire et les réactions sur le plan international et national, le président Issoufou Mahamadou a, dans le silence, joué un rôle important pour stopper les velléités interventionnistes de la CEDEAO et de la France. En gardant un juste milieu entre les acteurs, car il les connaît, il est resté dans le couloir, la seule voix raisonnable pour éviter le pire pour le Niger.
Grace à sa diplomatie underground (souterraine, ndlr), il a d’abord désactivé les Américains, bloqué le Nigéria en interne et isolé la France sur toute action militaire contre le Niger, dont les conséquences seront dommageables pour la sous-région, comme il l’a dit dans son tweet.

L’approche pacifique préconisée par Issoufou a également été soutenue par le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya). Selon un diplomate de la sous-région : « L’attitude d’Issoufou Mahamadou, loin de légitimer le coup de force militaire, traduit une volonté de privilégier la voie du dialogue et de la négociation. Une démarche qui, tout en préservant l’intégrité du Niger, met en exergue l’importance de la diplomatie silencieuse dans un contexte régional volatile ».

De nombreux Nigériens ont pourtant vu en la gestion de Bazoum, la main de Mahamadou Issoufou (casting des hommes, attribution de contrats, etc.). Comment expliquez-vous une telle coïncidence ?

Il faut savoir d’abord que Bazoum et Issoufou sont militants d’un même parti politique depuis 30 ans. Et c’est le même parti qui a présenté la candidature de Bazoum avec le soutien des mêmes cadres et militants du parti. Vous savez dans nos pays, on n’est pas habitué à voir un ancien président de la République qui est libre, actif ou même vivant. Regardez au Nigéria, les anciens présidents sont les relais diplomatiques efficaces et qui font la force du pays.

Ayant quitté le pouvoir pacifiquement et que c’est son propre parti qui est au pouvoir encore, il est tout à fait normal qu’il soit l’objet des supputations et souvent de critiques.
Mais sachez que le pouvoir, ce n’est pas un banc et un fauteuil. Le pouvoir était donc exercé par une seule personne, c’est le président Bazoum, comme il l’a dit. Cependant, le contexte nouveau pour notre processus démocratique peut créer des polémiques très souvent de mauvaise foi. Issoufou était plus occupé par un agenda international fourni et sa fondation.

Comme il fallait s’y attendre, les institutions internationales n’ont pas tardé à réagir hostilement face au putsch, et la CEDEAO a immédiatement pris des sanctions économiques contre le pays. Quelle est aujourd’hui la situation au Niger, surtout au point de la vie socio-économique ?

Comme je l’ai souligné plus haut, l’attitude de la CEDEAO et de son seul soutien qui est la France a été pitoyable et irresponsable. L’attitude démesurée et irréfléchie des deux continue de punir une population innocente au Niger. Le Nigéria et le Bénin ont été vraiment au summum de l’immoralité jusqu’à couper l’électricité pour l’un, la nourriture et le médicament pour l’autre. Rien ne peut justifier une telle réaction entre mêmes peuples.

La France sort fragilisée de sa confrontation avec le Niger. Pire, humiliée, car elle est isolée sur le plan international par rapport à une lecture lucide et pacifique de la situation au Sahel.
Je voudrais saluer la solidarité du peuple et des autorités burkinabè en faveur du Niger et de son peuple. C’est un soutien fort pour l’approvisionnement des populations en vivres et en médicaments. C’est un geste très fort qui doit servir de leçon aux autres qui se sont laissés emporter. Demain, comment nos populations vont agir ? Heureusement, les peuples ont compris que ce sont des décisions des dirigeants et qu’ils n’ont rien à y avoir.

L’Algérie a, en tant que pays voisin, pris une initiative qui, je pense, peut permettre une sortie de crise rapide. Le vin est tiré, il faut le boire. Il faut rapidement aller vers la transition et un retour rapide à l’ordre constitutionnel normal.

On assiste à des arrestations de cadres du pouvoir Bazoum, et même dans les rangs des leaders d’opinion. Faut-il craindre une chasse aux sorcières ?

Après les coups d’Etat, il y a généralement des arrestations. Plusieurs personnalités de l’ancien régime sont arrêtées et écrouées dans des prisons. En tant que défenseur de droits de l’homme, notre souhait est de constater que cela se fait dans une démarche qui respecte non seulement la présomption d’innocence, mais également un traitement dans le respect de la loi.

Comment voyez-vous l’avenir politique du Niger ?

Le Niger est, depuis son accession à l’indépendance, à son 5e coup d’Etat. Jamais une telle action militaire n’a été aussi difficile à admettre. Après plusieurs semaines de manifestations, je pense qu’il faut maintenant reprendre une vie normale. Le CNSP et le gouvernement doivent entreprendre, par des canaux habituels, des échanges en vue non seulement d’un départ des forces françaises, mais aussi des négociations avec la CEDEAO pour une levée immédiate des sanctions. Au plan politique, nous attendons le forum national pour acter un retour à l’ordre constitutionnel et la reprise des activités des partis politiques.

Actualité oblige, on apprend qu’un collectif de la société civile nigérienne, M62, a saisi la Cour pénale internationale d’une plainte contre l’ancien président de la République, Mahamadou Issoufou, pour crime contre l’humanité et l’apologie du terrorisme. Quelle est votre réaction ?

Effectivement, j’ai suivi sur les médias, cette action médiatique du collectif M62 visant à porter une plainte contre l’ancien président de la République Mahamadou Issoufou. Je crois être en devoir de vous expliquer ce qu’est ce mouvement M62. Il s’agit d’une nébuleuse politico-sociale, créée à l’image d’un mouvement au Mali, qui avait pour objectif d’affirmer la lutte contre l’installation des bases militaires au Niger.
Très vite, dans le déroulement de son programme, ce mouvement est apparu comme une troisième colonne politique dont les actions et discours visent essentiellement à cultiver la stigmatisation de certaines personnalités, parmi lesquelles, la plus emblématique est l’ancien président, Mahamadou Issoufou.

Ainsi, ce n’est pas la première fois que le M62 est dans sa logique de déposer des plaintes contre l’ancien président. Au demeurant, les animateurs de ce mouvement ont fait de l’acharnement contre Issoufou ; objectif principal de leur existence en tant que mouvement. J’ai la faiblesse de croire qu’ils sont animés d’une idéologie de ressentiment et de stigmatisation.

Avec les évènements du 26 juillet 2023, ils pensent que c’est l’occasion tant rêvée de réaliser leur projet qui vise une arrestation sans aucune raison de M. Issoufou. Durant tous ses deux mandats, ils sont restés sans répit dans leur combat contre cette personnalité, Mahamadou Issoufou.

En tant que démocrate, il a ignoré leurs agissements et a poursuivi ses actions en faveur du progrès du Niger. Mais disons les choses clairement, ceux qui animent cette nébuleuse sont téléguidés par des gourous bien connus.

Pour eux, ce coup d’Etat apparaît comme une victoire de leur camp contre les autres. Tous leurs agissements ont, depuis toujours, consisté à bafouer l’honneur et la dignité de M. Mahamadou Issoufou pour la simple raison qu’il a eu le tort de diriger le Niger. Je peux vous dire aujourd’hui que, leur regret est que le coup d’Etat n’est pas intervenu durant le règne de Issoufou. Voilà pourquoi ce même lobby a tenté de manipuler les militaires pour demander son arrestation, lui qui n’a plus rien à voir avec la gestion de l’Etat, depuis presque trois ans.

Il faut aussi dire que ce groupe a eu un soutien de taille depuis le 26 juillet 2023 dans son combat contre Mahamadou Issoufou ; il s’agit de quelques individus qui se disent partisans de Bazoum, qui organisent et financent des actions anti-Issoufou. Que les gens sachent raison garder, le Niger d’aujourd’hui a besoin d’une union de ses forces face l’adversité, que de vouloir creuser dans les labyrinthes.

Relativement à la plainte, ils ont fait étalage de leur ignorance, même dans les procédures de saisine de la Cour pénale internationale. Il est inadmissible que les auteurs de la prétendue dénonciation puissent être aussi incultes juridiquement pour ignorer le contenu du statut de Rome quant aux conditions de la saisine de la CPI.
En effet, la Cour pénale internationale peut être saisie suivant trois procédures : un Etat signataire du Traité de Rome ; le Conseil de sécurité de l’ONU et par le procureur qui estime que l’ouverture d’une enquête est impérative.

Donc, l’action du collectif M62 est une opération de diversion communicationnelle visant simplement à nuire à l’image de l’ancien président de la République Issoufou Mahamadou, qui apparaît comme l’alternative crédible à des négociations ...

Interview réalisée en ligne par
Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

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