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Production faunique au Burkina : Clark Lungren, un « Nassara » pionnier de l’élevage des animaux sauvages

Publié le jeudi 21 septembre 2023 à 22h45min

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Production faunique au Burkina : Clark Lungren, un « Nassara » pionnier de l’élevage des animaux sauvages

A Wedbila, un village de la commune de Koubri, Clark Lungren vit sa passion : l’élevage d’animaux sauvages. Arrivé en Haute-Volta en 1954 avec sa famille, ce fils de pasteur, qui a grandi dans les villages au sud de la Haute-Volta, possède une ferme de démonstration qui s’étend sur une soixantaine d’hectares. Une véritable école où se mènent des activités de recherche, d’essais et de mise au point d’élevages commercialement rentables d’espèces sauvages comme les porcs-épics, les phacochères, les aulacodes (agoutis), etc.

« Si vous êtes gentils avec les animaux, en retour ils seront gentils avec vous. Et c’est pareil avec les femmes. Mais si vous êtes méchants, elles le seront également », lance Clark Lungren à deux visiteurs qui viennent d’effectuer, en compagnie d’un guide, un tour devant les enclos des animaux de la ferme. Blanc à l’extérieur mais Burkinabè à l’intérieur, Clark Lungren a le sens de l’humour et s’exprime bien en langue mooré.

Nous sommes jeudi 14 septembre 2023, et c’est jour de visite. La ferme de démonstration de Wedbila accueille les visiteurs de 8h à 12h et de 15h à 17h. Les tarifs varient, selon la catégorie et le nombre de visiteurs. Il faut débourser entre 500 et 1 000 francs CFA afin d’admirer les animaux dans leurs enclos.

Couple de phacochères

150 animaux de 29 espèces

« Nous avons plusieurs espèces de rongeurs : le rat de Gambie, l’aulacode que les côtiers appellent Agouti et qui est très prisé par les restaurants. Nous avons aussi le porc-épic. Le rôti de porc-épic figure parmi la liste des meilleures viandes du monde. Nous avons aussi, cinq espèces d’antilopes de petites, moyennes et grandes tailles. Nous avons une espèce qui provient du croisement du potamochère, un porc sauvage, actuellement disparu du Burkina, et le porc domestique. On le nomme potoporc. Nous avons aussi quelques carnivores comme les civettes qui donnent un musc qui est à la base de beaucoup de parfums et très recherché par les parfumeries internationales. Nous avons des chacals dorés et à flancs rayés, des phacochères, une hyène rayée, un hippotrague, des autruches, des oies, un buffle, des pythons, etc. ».

En tout, la ferme compte aujourd’hui 150 animaux de 29 espèces différentes contre 290 animaux de 36 espèces en 2019, à la veille de la pandémie à coronavirus qui a touché le Burkina Faso officiellement en mars 2020. « Avant le Covid-19, on était à 20 000 visites par an grâce aux sorties scolaires et aux familles. Mais de 20 000 visites, on est tombé à 3 000 visites en 2020. Nous avons un déficit de visite de près de 44 000 visites depuis le début du covid-19, ce qui se traduit par un déficit de recettes de 32 millions de francs CFA. Toutefois, nous sommes en train de remonter la pente et on est autour de 15 000 visites actuellement en 2023 », souligne Clark Lungren.

Chacal doré dans son enclos

« Ce n’est pas un parc animalier »

La ferme de démonstration de Wedbila n’est pas un parc animalier, tient à préciser son promoteur. « On ne garde pas les animaux pour les montrer aux gens bien qu’on finisse par le faire. Mais, c’est surtout une ferme et l’élevage est notre premier objectif », rappelle Clark Lungren. Cette ferme a entre autres pour but d’appuyer le développement de l’élevage de la faune en vue de sa multiplication dans les villages en périphérie des aires fauniques à travers la disponibilité des souches génitrices et l’encadrement technique.

La ferme offre également des formations à ceux qui désirent tenter l’aventure dans l’élevage de la faune sauvage. « On peut organiser la formation, quand il y a assez de demandes. Des individus peuvent payer pour se faire former, des ONG peuvent le faire aussi. On consacre trois semaines pour la formation de l’élevage de porc-épic et de phacochères. Les apprenants ont droit à des séances techniques au bureau. Ensuite, ils pourront participer aux travaux journaliers, et c’est surtout cela qui leur permet d’être un peu rodés dans l’activité. On essaie de leur faire comprendre le potentiel de la faune sauvage dont l’élevage est une activité économiquement très intéressante », explique Clark Lungren qui ajoute que les apprenants sont aussi initiés à la fabrication des caisses de transport des animaux qui doivent obéir à certaines caractéristiques.

La ferme compte une seule hyène rayée

Une bonne marge bénéficiaire

« Si tu veux te faire de l’argent, laisse tomber ta photographie et ton travail de journaliste et commence par élever certaines espèces. La marge bénéficiaire de certaines espèces est grande. Par exemple, l’élevage de l’aulacode a une très belle marge bénéficiaire de 46 %. Il y a une dizaine d’années, il y avait 15 000 éleveurs d’aulacodes au Bénin. L’aulacode a une valeur de 20 000 F CFA. Certains hôtels l’achètent à 5 000 ou 6 000 F CFA le kilogramme mais ça ne suffit pas. D’autres vont même le chercher au Ghana, au Bénin ou en Côte d’Ivoire. Les gens ne pratiquent pas cet élevage parce qu’ils ne le connaissent pas », nous explique Clark Lungren.

A l’en croire, l’élevage du porc-épic est aussi intéressant en termes de rentabilité (23 à 40%) de même que celui du rat de Gambie qui l’est encore davantage. « Environ 370 porcs-épics ont été reproduits à la FDW et en tout environ 290 ont été vendus à d’autres éleveurs au Burkina Faso et les pays voisins, dont le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Sénégal. « Si vous voulez savoir si vous pouvez élever une certaine espèce, on vous donnera la fiche technique, qui réunit toutes les informations sur son habitat, son régime, ses coûts, etc. pour vous permettre d’évaluer la rentabilité ou pas de cette espèce », nous dit le promoteur de la ferme.

Clark Lungren discutant avec l’un des chefs d’équipe de la ferme

Une vingtaine d’employés

A en croire Clark Lungren, la ferme a formé des couples d’éleveurs (couples de conjoints et couples d’amis) ressortissants des villages situés en limite des aires de conservation pour les aider à acquérir une connaissance dans un élevage qui peut aider à compenser le braconnage. Ainsi 38 stagiaires ont été formés avec l’appui des projets souvent gérés par le ministère de l’Environnement.

Clark Lungren travaille avec une vingtaine de personnes. Mais ce nombre varie en fonction de la saison. « Dans quelques semaines, dit-il, nous allons démarrer la production de foin. Nous allons prendre une quinzaine de jeunes au village pour venir couper l’herbe. Notre méthode est de couper l’herbe, de la mettre au soleil, le soir, de la recouvrir pour la protéger de la rosée. C’est toute une chaîne de production pour avoir du bon foin de qualité ».

Selon le promoteur de la ferme de démonstration Wedbila, l’élevage de l’aulacode a une très belle marge bénéficiaire de 46 %

Le contraste

Si Clark Lungren est un modèle dans la conservation et la protection de la faune, ce n’est pas le fruit d’un hasard. Sa passion ne date pas d’hier. Enfant, il se souvient qu’à l’arrivée de sa famille avec la mission protestante, en 1954, la Haute Volta comptait environ 3,5 millions d’habitants.

« Le pays était une grande brousse, peuplé par la faune sauvage. On mangeait de la viande de brousse ; le poulet, le mouton et la chèvre étaient réservés aux jours de fête. Aujourd’hui, on a une population de plus de 20 millions d’habitants. L’habitat est fortement modifié puisque la plus grande partie du Burkina aujourd’hui est cultivée. Les éléphants, les buffles et les antilopes se sont retirés dans les petits coins réservés à la protection de la nature. La grande faune a fortement diminué », retient-il du contraste entre la Haute-Volta et le Burkina Faso.

Un hippotrague après un bon festin

De Nazinga à Wedbila

Clark Lungren a débuté l’activité professionnelle dans le domaine de la faune à travers la conception, l’organisation, et la gestion du projet Nazinga, un ranch de gibiers entouré des zones villageoises de chasse qui se trouve entre Léo et Pô, le long de la frontière avec le Ghana, sur une superficie de près de 1 000 km2. « C’était une gestion extensive de la faune avec l’idée de produire le tourisme vision, la production de viande, la capture et la vente d’animaux. Le but était de créer de l’embauche pour les villageois riverains du ranch. Cela a eu un grand succès puisqu’on est parti de 1 000 grands animaux à plus de 20 000 en 18 années du projet. », se réjouit-il.

En 1990, Clark Lungren quitte le projet Nazinga et décide de répliquer le même projet au niveau communautaire. Il initie un programme d’extension qui aboutit aux projets de Gestion participative des ressources naturelles et de la Faune (GEPRENAF) dans la Comoé-Léraba. Quatre ans plus tard, il obtient l’accord de principe du ministre de l’environnement et du tourisme de l’époque pour la création d’une ferme faunique, ce qui deviendra plus tard la ferme de Wedbila. Après des recherches pour un site convenable, il obtient le terrain après négociations avec la communauté locale en 1996/97. La collecte des géniteurs a démarré en 1998 et les premiers enclos ont été construits en 1999.

La ferme compte deux autruches dont une à cou rouge

Stratégie de communication de proximité

Pour faire connaître la ferme, Clark Lungren et son équipe conçoivent des posters et flyers qu’ils déposent dans les écoles, les bureaux et les stations-service. Le message est également véhiculé de bouche à oreille. La ferme dispose également d’une page Facebook et constitue un répertoire avec les contacts WhatsApp de tous ses visiteurs à qui des photos de la ferme sont envoyées.

Attention au buffle, ne vous approchez pas trop

Perspectives

Quid de la relève ? A ce propos, Clark Lungren rassure avoir le soutien moral de ses fils qui lui donnent souvent un coup de pouce pour débloquer certaines situations. « Ils ne sont pas forcément amoureux de l’élevage, mais ils font beaucoup de travail dans les aires protégées en termes d’aménagement des points d’eaux et des pistes dans les zones communautaires périphériques des aires de faune. Je forme aussi des chefs d’équipe avec l’idée qu’ils pourront davantage gérer chacun leurs sections. Mais il faut dire que rien n’est facile », confie le promoteur, marié à « une femme blanche de nationalité canadienne, née au Burkina, et qui parle le dagara et le birifor ».

On trouve également des antilopes de toutes les tailles

Des projets, ce n’est pas ce qui manque à l’esprit de Clark Lungren. Pour se relever du dur coup reçu par le covid-19 qui l’a contraint à vendre beaucoup d’animaux, il ambitionne restaurer l’éventail de la ferme. « Nous voulons surtout développer, accueillir et mettre en œuvre la reproduction de l’autruche à cou rouge qui est la souche sauvage disparue du Burkina, il y a une cinquantaine d’années. Nous voulons travailler avec d’autres personnes au Burkina et dans la sous-région pour promouvoir son élevage et la mise en liberté éventuellement des sujets acclimatés à la brousse, encore dans les aires protégées du Burkina », ambitionne Clark Lungren.

Fredo Bassolé
Lefaso.net

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