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Burkina : « Il nous faut une élite intelligente parce qu’un peuple, ça s’éduque », Gbato Doré

Publié le jeudi 31 août 2023 à 20h30min

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Burkina : « Il nous faut une élite intelligente parce qu’un peuple, ça s’éduque », Gbato Doré

Depuis 1960, le Burkina Faso fait face à de nombreux défis qui entament son développement. L’insécurité complique la situation déjà difficile et à cela s’ajoute le recul de la démocratie. Face à ce sombre constat, l’écrivain Gbato Doré interroge la responsabilité de l’élite intellectuelle, dans son œuvre intitulée « Trahison et faillite de l’élite intellectuelle burkinabè ». Pour lui, la société est un tout et chacun doit jouer sa partition. Et pour ce qui est de l’élite intellectuelle, y compris de la classe politique l’auteur est clair et ne tergiverse pas : "elle a failli à sa mission."

Lefaso.net : Face à un contexte socio-politique difficile, couplée à la question sécuritaire qui fissurent les fondements du vivre-ensemble, en quoi écrire pour vous pourrait changer les choses

Gbato Doré : La situation actuelle du Burkina Faso est difficile. Nous sommes plongés dans une crise militaro-socio-politique qui visiblement n’est pas prête de s’arrêter. Nous sommes à ce jour à neuf coups d’Etat et il serait trop de dire que c’est un symbole de grand malaise. Et quand il y a un malaise de ce genre, il sied de s’interroger sur les causes profondes et chercher des solutions.

C’est dans le cadre de cette réflexion générale, que j’ai décidé de passer par l’écriture, qui constitue aussi un canal d’information pour présenter mon œuvre qui, en réalité, est une collection de dix tomes. Et c’est le volume 1 consacré au Burkina Faso qui s’intitule « Trahison et faillite de l’élite intellectuelle burkinabè », y compris de la classe politique. Le premier Tome vient d’être publié et le titre est "Cabale ou faux procès contre les partis politiques."

Que faut-il entendre par politique selon vous ?

Je m’aligne derrière les philosophes qui définissent la politique comme étant l’art de gérer les affaires de la cité. Mais avant cela, il faut préciser qu’on ne peut parler de politique sans comprendre au préalable ce que c’est qu’un État. C’est cela qui nous permet de comprendre pourquoi on fait la politique. L’Etat est un regroupement de trois éléments. D’abord, un territoire qui est délimité par des frontières internationalement reconnues. Ensuite, les pouvoirs institutionnels, incarnés par une autorité politique. Enfin, la population, communément appelée le peuple. Et c’est l’harmonie de ces trois éléments qui rende un Etat viable, stable et où il fait bon vivre. Ce qui veut dire que ces trois éléments ont intérêt à être harmonieux.

De ces trois entités, je retiens l’homme avec grand H comme élément central de l’exercice de la politique. Je l’appelle aussi dans mon œuvre, l’élite intellectuelle. C’est lui qui actionne les leviers pour faire fonctionner la cité. C’est lui qui a la responsabilité de mettre en place une architecture institutionnelle fiable qui permet au pays d’être stable, d’avoir des institutions pérennes qui permettront une bonne gouvernance. Et étant donné que nous sommes en République, il faut répartir ces derniers selon leurs domaines d’intervention. De là, je distingue trois types d’élite : les politiciens, la société civile et les militaires.

Quelle est le rôle de chacune des élites dans la République ?

Je commencerai d’abord par le politicien, car c’est en lui que le peuple place le plus sa confiance. Si je dois le définir tel que je l’entends, son rôle c’est de mener des activités politiques au travers d’un parti dans lequel il se reconnaît et pour lequel il se dévoue. Cela suppose qu’il défend une idéologie bien sûr. C’est lui qui gère la cité.
Pour ce qui est de la société civile ou pour simplifier, les organisations de la société civile, elles ont pour rôle de faire la veille citoyenne, interpeller les dirigeants sur les manquements quant à la gestion de la chose publique. Elles doivent veiller à ce que la bonne gouvernance soit réelle, qu’elle soit effective. Elles doivent dénoncer les travers des dirigeants.

Quant aux militaires, ils ont pour devoir la protection des individus, la protection du territoire. Ils se donnent corps et âme pour la patrie. C’est d’ailleurs ce qu’on observe en période de guerre. Mais ce que je note de commun à toutes ces trois élites, c’est le rôle d’éducation qu’elles doivent incarner. Elles représentent des piliers de cette société. Elles sont la lumière de la société. Elles doivent guider le peuple. C’est à eux que je fais allusion dans mon œuvre.

En quoi ces dernières ont-elles failli à leurs missions ?

Parmi les valeurs que doit incarner le politicien, le bon, on peut citer par exemple l’honneur, la dignité, la probité, la bonne moralité, etc. Mais je fais remarquer que tout cela n’est que théorie. Il est difficile d’appréhender cela en un homme. Par exemple, on a tendance à dire que le bon politicien doit refléter l’intégrité. Mais comment mesure-t-on l’intégrité ? C’est la question que je me pose. Lorsque le président prend fonction, il jure devant le Conseil constitutionnel de respecter la constitution, les lois du pays et d’exercer sa mission selon les valeurs républicaines.

Mais sur place, est ce qu’on a un instrument pour mesurer si oui ou non les propos qu’il est en train de tenir sont vrais ou faux, s’ils seront respectés ou non ? Il n’y en a pas. On le vote d’abord, avant de voir si vraiment ce qu’il a promis faire sera respecté ou non. On dit d’ailleurs que c’est au pied du mur qu’on voit le bon maçon. Et jusqu’ici, l’histoire nous a plusieurs fois montré que cette maxime est vraie. Nous avons vu les politiciens au pied du mur, mais le résultat est catastrophique. Dans mon livre, je pars du fait que le meilleur indicateur pour s’assurer de la réussite d’un politicien est l’éducation. Pour moi, il n’y a rien de plus grand. C’est l’éducation qui tient une société.

C’est elle qui la fait vivre. Sans éducation, le peuple se fera toujours duper. Et de mes recherches, il ressort que 86,5% de la population à un faible niveau d’instruction. Parmi eux, 59,6% n’ont aucun niveau. 26,9% ont le niveau primaire. 13,5% le nouveau secondaire et 1,5%, le niveau supérieur. C’est sur ce chantier pourtant qu’on attend le plus l’élite politique. Pour moi, c’est au politicien de s’occuper de ce volet. C’est à lui d’expliquer les choses au peuple qui aujourd’hui ne comprend pratiquement rien de ces devoirs, ceux que lui confèrent la loi ou la constitution.

C’est à lui d’éduquer le peuple et d’animer la vie politique, expliquer au peuple le bien-fondé de la démocratie pour qu’il puisse la protéger, comprendre qu’elle est sacrée et qu’elle n’a pas de prix. Aujourd’hui nous avons un peuple qui ne vote pas. C’est au politicien de former le peuple pour qu’il participe aux élections, qu’il sache leur importance et pour qu’il puisse exercer sa souveraineté, telle que cela lui est reconnue dans la constitution. C’est à l’élite politique d’expliquer au peuple qu’il a pour devoir de protéger le mandat du président. Une fois qu’on a son dirigeant, c’est la démocratie qui commence à être enclenchée.

On ne peut pas souffrir pour organiser les élections et du jour au lendemain, il est renversé par un coup d’Etat. Il faut expliquer cela au peuple pour qu’il sache que ce qu’il a acquis, il doit le conserver. Dans la constitution, il est précisé qu’il peut même aller jusqu’à la désobéissance civile. C’est ce que nous avons observé avec le coup d’Etat du général Gilbert Diendéré en 2015. C’est encore à l’élite politique d’expliquer au peuple qu’il a l’initiative de la loi, du référendum et de la révision de la constitution. Tout cela constitue des leviers pour le peuple souverain.

En allant plus loin, on a la question de l’emploi et à ce propos, le Mali, le Niger et Burkina Faso sont des pays où les indicateurs sociaux sont au rouge selon l’Institut national de la statistique et du développement. Par indicateurs sociaux, je parle de l’indicateur SU4 qui est un indicateur combiné, prenant en compte le chômage conventionnel qu’on appelle BIT, la main d’œuvre potentielle qu’on appelle chômage déguisé et le sous-emploi lié au temps du travail. Et c’est dans ces trois pays qu’il y a des coups d’Etat. Il nous faut une élite intelligente parce qu’un peuple, ça s’éduque. Mais s’ils ne sont pas au rendez-vous, c’est compliqué. Dans mon livre je parle d’intellectualisme foireux.

On induit le peuple en erreur, on le manipule. Regardez le bras de fer actuel entre le Niger et la CEDEAO. A quoi est-ce qu’on joue ? On applaudit pratiquement les coups d’Etat. Alors qu’on a signé des accords et des traités. Ce n’est pas le sabotage de ces textes qui m’inquiète le plus, mais c’est ce qu’on apprend à cette jeunesse.

Sont-ce seulement les politiciens qui sont comptables de ce recul démocratique que vous déplorez ?

Non. J’ai parlé plus haut de l’élite civile et des militaires. Et toutes ces crises que nous vivons présentement sont la somme de toutes ces erreurs. Dans l’élite civile, je mets les universitaires, les hommes de Droit qui jouent un très grand rôle dans la société, les journalistes, les organisations de la société civile, etc. Elle n’a pas pour rôle de chanter les louanges du pouvoir, ou d’acclamer les actions du pouvoir. Non ! C’est elle qui doit mettre le doigt sur la plaie, parler là où les autres se taisent.

Mais aujourd’hui, la société civile est devenue plus politicienne que les politiciens. Elle fait ce qu’elle n’a jamais fait et ce qu’elle ne doit pas faire. Toutefois, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il y en a qui aident, qui éduquent, qui ne dévient pas et respectent ce pour quoi elles existent. Ces organisations-là doivent être félicitées et accompagnées. Malheureusement on ne les entend plus, vu que celles qui chantent plus les louanges du pouvoir parlent plus.

Pour ce qui est de l’élite militaire, il faut être clair et formel. Ce n’est pas au militaire de gérer le pouvoir. Ce n’est pas son travail. Son rôle c’est de défendre l’intégrité du territoire. Quand on est militaire on ne fait pas la politique parce que l’armée est caractérisée par sa neutralité, son caractère apolitique et son impartialité. Pourtant, l’activité politique est partisane. Une fois que les militaires brisent cette neutralité, ils prennent automatiquement parti et peuvent être très désagréables vis à vis de ceux qui ne vont pas dans leurs sens. De toutes ces élites, aucune n’a vraiment réussi sa mission depuis les années des indépendances et le constat est net. Aujourd’hui, la société est en péril.

Vous souteniez plus haut que ces élites-là ont en commun l’éducation du peuple. Est-ce que le peuple lui-même se laisse guider ?

C’est normal que le peuple ne se laisse pas ou plus guider puisque c’est l’élite intellectuelle elle-même qui a prêté le flanc. Beaucoup d’entre elles sont corrompues. Elles ont failli à leurs missions. Elles ont démissionné. Elles ne font plus ce qu’elles doivent faire. A partir de ce moment-là, comment le peuple peut-il accepter d’être guidé par elles ? C’est difficile. Regardez bien parmi les intellectuels, beaucoup se sont compromis.

Trop compromis et ce, des universitaires aux grands savants en passant par les journalistes. Aujourd’hui quand elles ouvrent la bouche, plus personne ne les écoute. Et quand l’élite faillit, il faut s’attendre à des dégâts collatéraux. Notre pays est devenu complètement instable. Nous comptabilisons neuf coups d’Etat. C’est beaucoup. C’est très dangereux. Et pire encore, le pays est fractionné parce que chaque président qui prend le pouvoir arrive avec ses pros et ses antis. Cela ne facilite pas le vivre ensemble, encore moins l’unité nationale.

Au vu de ces réalités que vous venez de dépeindre, qu’avez-vous à dire à toutes ces élites qui ont en charge "l’éducation" du peuple ?

J’appelle tous les intellectuels, juristes, médecins, acteurs de la société civile, universitaires, militaires, politiciens, journalistes, étudiants, tous ceux qui sont passionnés par la politique et ce qu’il faut savoir à ce sujet à lire ce livre. Dans le contenu, j’y vais plus en profondeur et j’explique tout ce qu’il faut savoir sur la politique. Pourquoi on entre en politique, quand est ce qu’on entre en politique, qu’est-ce qu’un parti politique et je décris les onze caractéristiques que doit revêtir un parti politique.

Voilà pourquoi je m’oppose même à ce qu’on les réduise, mais ça c’est un autre débat. Pour finir je tiens à préciser que notre pays souffre parce que personne ne veut rester à sa place. Si chacun veut faire le travail de l’autre, on se retrouve dans une pagaille généralisée et tout est perdu. Il faut que chacun reste à sa place et fasse son travail ! Si je connais le rôle que la constitution ou les lois m’ont assigné et que je connais les vôtres, on va se respecter.

Mais personne ne veut s’en tenir à cette discipline-là. Les OSC veulent faire la politique. Les militaires veulent faire la politique. Les politiciens eux-mêmes ont des connexions avec les militaires, ils créent des OSC fictives. Et dans tout ça, le peuple doit suivre l’élite. Ici vous verrez certains intellectuels sur les plateaux télés acclamer les coups d’Etat et qu’il faut qu’il y ait plusieurs coups d’Etat pour améliorer la qualité de la gouvernance.

Ça aurait été ailleurs, une fois que vous dites que le coup d’Etat est bien, vous n’aurez même pas le temps de finir votre phrase que le procureur se serait déjà occupé de votre cas. On ne tient pas ce genre de propos dans une République. Mais la réalité est là, chaque jour on entend ça. La loi, on s’en fout. Les traités on s’en fout. La constitution on s’en fout. On s’en fout de tout. Mais quand on s’en fout de tout, qu’est ce qu’on retient à la fin ? Voilà pourquoi je dis que cette crise est une crise d’éducation et de valeurs. Quand il n’y a plus de référentiels de valeurs dans un pays, le peuple est foutu.

Erwan Compaoré
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 31 août 2023 à 19:38, par Ed En réponse à : Burkina : « Il nous faut une élite intelligente parce qu’un peuple, ça s’éduque », Gbato Doré

    De la clairvoyance utile à un moment où le Burkina tombe dans le désordre.
    Il y a un devoir pour chaque humain. Contribuer au développement en fonction de ses commaissances et compétences.
    Pour que les plus humbles s’instruisent, tous ceux qui ont la chance d’être instruits ont le devoir de leur apporter du soutien désintéressé, Il n’y a pas d’autre voie car il y a beaucoup de besoins et pas d’argent.

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  • Le 1er septembre 2023 à 10:14, par non’ga En réponse à : Burkina : « Il nous faut une élite intelligente parce qu’un peuple, ça s’éduque », Gbato Doré

    Merci pour cette analyse. mais j’aimerais ajouter que le problème ,aussi dans nos pays vient du fait que les intellectuels, les hommes de droit, de communication,... sont poussés malgré eux vers la politique pour avoir des postes, ou pour avoir du travail, ou une quelconque influence. On ne les considèrent pas pour leurs compétences. D’où le clientélisme ou l’opportunisme afin de sauver sa peau. Dans ces situations, vous êtes condamnés à la fermer ou à accepter des choses inadmissibles.
    Dans d’autres pays, les intellectuels et autres s’engagent en politique en seconde option par amour pour la politique ou parce qu’ils ont des projets pour leurs pays, et peuples. La plupart d’entre eux travaillent déjà dans leur domaine avant de s’engager dans la politique. Ce qui leur laisse la liberté. Et si ça ne repond plus à leurs attentes, ils retournent dans leur domaine de prédilection.

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  • Le 1er septembre 2023 à 10:52, par Diongwale En réponse à : Burkina : « Il nous faut une élite intelligente parce qu’un peuple, ça s’éduque », Gbato Doré

    Un des problème majeur de notre Faso est que les politiciens confondent "gestion de la cité" avec "les affaires", l’enrichissement illicite, les détournements de fonds publics". Comment placer notre confiance dans l’hypocrisie et le mensonge ?
    Les intellectuels manquent d’intelligence et de probité, les OSC voudraient remplacer les politiques, et les militaires se prennent pour des gens intelligents alors qu’ils ont été formatés à obéir et qu’ils ne se sont jamais vraiment préoccupés de défendre l’intégrité des frontières du territoire. Comment retrouver la paix dans un tel marasme ?
    On ne peut passer d’une transition militaire à un ordre constitutionnel avec élections prétendument démocratiques dans un pays où les votes sont achetés à coup de sacs de riz.
    Je pense qu’une transition civile et militaire est indispensable après l’actuelle transition, le temps que les prétendues élites intellectuelles corrompues s’éloignent ou disparaissent du paysage politique. Il y a dans ce pays suffisamment de personnes intègres et intelligentes que l’ALT serait capable de reconnaître comme "personnes ressources" capables de gouverner le pays.
    À l’ALT d’œuvrer à ce qu’une transition civile vienne, où les militaires auront le rôle de défendre l’intégrité des frontières du territoire et la paix intérieure, pas davantage.

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  • Le 1er septembre 2023 à 11:55, par Enfant de Boussé En réponse à : Burkina : « Il nous faut une élite intelligente parce qu’un peuple, ça s’éduque », Gbato Doré

    Malheureusement dans le contexte actuel au Burkina, ce discours, plein de bon sens, est inaudible.
    Dommage.

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