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Procès « Thomas Sankara » et douze autres : Le verdict diversement apprécié par les différentes parties

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Publié le mercredi 6 avril 2022 à 21h35min

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Procès « Thomas Sankara » et douze autres : Le verdict diversement apprécié par les différentes parties

Après plusieurs mois de débat, le verdict du procès Thomas Sankara et douze autres est tombé ce 6 avril 2022. Si pour certains ce verdict est un soulagement parce que justice a été rendue, d’autres par contre estiment que la chambre de jugement a eu la main lourde. Nous avons tendu notre micro à des victimes, à des avocats des différentes parties, des témoins qui ont bien voulu nous livrer leur ressenti. Lisez plutôt.

Mariam Sankara, veuve de feu Thomas Sankara

« Nous avons tous attendu ensemble aujourd’hui le verdict est tombé, le juge a donné son verdict, c’est la loi, tout le monde apprécie. Nous avons demandé la justice, la vérité, et le procès a permis de confirmer beaucoup de choses qui étaient dites. Le verdict est tombé, le juge a fait ce qu’il pouvait. Notre but était aussi que ces violences politiques finissent. Je pense que ce verdict va donner à réfléchir à beaucoup de personnes. Je remercie tout le monde, les médias, qui nous ont soutenu depuis que cette plainte a été déposée ».

Me Bénéwendé Stanislas Sankara, avocat de la famille Sankara

« Le droit a été dit, justice a été rendue au nom du peuple burkinabè. L’essentiel, c’est que dans un jugement, il y a toujours une partie qui est contente et une partie qui n’est pas satisfaite. C’est aussi cela le rôle du juge. Mais je pense en tant qu’avocat de la famille du président Sankara, que cette décision était attendue. Cela fait déjà 35 ans que le président Thomas Sankara a été assassiné avec ses compagnons, ça fait 25 ans de procédure, vous comprenez qu’après toutes ces péripéties on arrive à un épilogue avec une sentence qui a été rendue à la hauteur du forfait, en tant qu’avocat il fait simplement saluer l’œuvre de justice. Cette œuvre de justice qui est au Burkina Faso est désormais une justice indépendante avec la liberté du juge qui s’assume. C’est ce que nous voulons comme instrument, comme rempart des libertés individuelles et collectives pour défendre les citoyens de tous bords. Aujourd’hui le Burkina Faso vient d’inscrire en lettres d’or au panthéon de l’histoire que l’impunité peut prendre fin quelle que soit sa grandeur ou son rang social ou politique ».

Me Maria Kanyili, avocate de Bossobè Traoré

« La chambre a rendu une très bonne décision à l’égard de mon client Traoré Bossobè. J’estime que c’est une bonne décision parce qu’il n’y avait pas de preuves tangibles dans le dossier à son encontre. Les témoins qui ont déposé n’avaient que des soupçons, des rumeurs, et quelques fois il y avait trop de contradictions dans les témoignages. J’estime donc me concernant que la chambre a rendu une décision sage et courageuse ».

Me Guy Hervé Kam, avocat de la partie civile

« Je suis fier de l’aboutissement d’un combat judiciaire de près de 30 ans, fier d’avoir un pays où la justice fonctionne malgré les vicissitudes. Je crois qu’aujourd’hui, la justice a mis tout le monde d’accord. Les familles des victimes avaient leurs vérités, les accusés avaient leurs vérités et aujourd’hui nous avons une vérité judiciaire qui est au-dessus de chacune de nos vérités. C’est cela le plus important, je pense. A partir d’aujourd’hui, les familles des victimes pourront commencer leur deuil. Je suis très content aujourd’hui. Compte tenu du contexte, tout le monde était inquiet, mais heureusement qu’on a une justice qui est au-dessus de la mêlée. »

Me Prospère Farama, avocat de la partie civile

« C’est un jour de délivrance pour le peuple burkinabè. Un jour de délivrance aussi pour ses familles qui ont souffert le martyre pendant près de 35 ans. Ce que nous retenons aujourd’hui c’est que le peuple burkinabè, l’Afrique toute entière et peut-être le monde, se souviendra qu’un jour, un peuple s’est battu durant plus de 34 ans pour que justice soit rendue à des hommes valeureux qui sont tombés un 15 octobre 1987, tués par la barbarie de leurs camarades. Notre espoir aujourd’hui dans ce verdict, c’est que ce genre de crime odieux n’arrive plus jamais au Burkina, et nulle part en Afrique. C’est donc un jour historique, parce que le deuil de ces familles qui pendant 34 ans ont souffert et croyez-moi ils ont souffert, commencera véritablement. Pour nous, c’est un verdict qui est conforme aux débats qui ont eu lieu durant 6 mois. Parce que durant 6 mois, contrairement à ce que la défense a voulu prouver, on a tous vu et compris, à travers les témoignages et le déroulement des évènements, que c’est quelque chose qui a été préparé froidement, et exécuté en connaissance de cause, contrairement à ce qu’on aurait pu dire, sans qu’il y ait un prétexte qui puisse justifier cela. On a dit qu’il y avait un complot. 6 mois durant, aucun élément, aucun commencement de preuve de ce complot, n’a pu être apporté. Donc nous sommes soulagés. Mais c’est en même temps un jour triste pour le Burkina parce que le grand souhait de ces familles, c’est qu’elles auraient aimé être aujourd’hui ailleurs avec leurs parents. Les enfants aujourd’hui qui ont 30 ans et qui ont connu leur papa que 4 ans durant, auraient peut-être aimé être ailleurs que dans cette salle, a entendre des condamnations pour des assassinats aussi odieux. »

Me Mathieu Somé, avocat de Gilbert Diendéré

« Pour mon client, c’est la peine plafonnée, en conséquence elle est excessive. Si vous remarquez, en étant accusé présent, il a pris la même peine que ceux qui étaient absents. Sans rentrer dans les détails, j’ai trouvé cela pas tout à fait juste, parce qu’il a apporté sa contribution en s’expliquant devant le peuple. La décision si vous remarquez est aux antipodes des moyens que j’ai développés. Même dans la formulation des questions, la question de la prescription qui a été posée n’a pas été formulée comme question soumise à une réponse attendue des membres de la juridiction. Déjà quand il y a eu la formulation on a compris qu’il y avait un problème. Parce que normalement quand c’est comme ça, la prescription qui est soulevée et qui est une fin de non-recevoir qui dit que lorsqu’on tranche sur cela on ne discute pas du reste, alors il faut poser cette question d’abord. Mais vous avez remarqué que ça ne faisait pas partie des questions. »

Me Abdoul Latif Dabo, avocat de Gilbert Diendéré

« En tant qu’avocat de la défense, on ne peut pas être au service d’un client pendant sept mois, pour nous autres qui sommes dans le dossier depuis l’instruction, presque 7 ans et recevoir un tel verdict et se réjouir. Lorsqu’un client s’attache vos services, la première chose est que vous puissiez le sortir du bourbier. Lorsqu’une telle décision tombe, il n’y a pas de quoi ravir un avocat. Dans tous les cas, nous allons faire un débriefing sans passion au sein du collectif des avocats et l’on verra avec le client, ce qui sied de faire en pareille circonstance. »

Moumina Shérif Sy, ancien ministre de la défense

« Le verdict que nous venons d’entendre devrait apaiser les cœurs. Cela devrait pouvoir permettre à certains de faire leurs deuils. Je pense que c’est véritablement un grand soulagement pour tous ceux-là qui depuis 1987 ont lutté, ont subi la torture, les emprisonnements et ont subi un certain nombre de douleurs pour qu’on y arrive à cette vérité-là. Je pense que c’est une bonne chose dans la dynamique de l’histoire de notre pays, parce que cela contribue aussi à une certaine sociabilisation et au développement de notre pays, avec l’espoir que des crimes aussi odieux ne se reproduisent dans notre pays.

Ce verdict est une reconnaissance du combat mené par Thomas Sankara. C’est aussi un aboutissement de ceux-là qui depuis 1987 ont lutté pour qu’il y ait une justice. Mon souhait le plus sincère est que le verdict apaise les cœurs des uns et des autres et que nous avancions dans l’histoire de la construction de notre pays (…) On a tué des gens de la façon la plus odieuse, on les a enterrés comme des chiens. Vous pensez que ça, ce n’est pas la peine la plus forte ? La peine à vie et celle des victimes ne sont pas comparables. »

Germaine Pitroipa, haut-commissaire du Kouritenga sous la révolution et ancienne députée

« Merci aux insurgés. Ils nous ont permis de vaincre celui qui empêchait que la vérité n’éclate dans ce pays-là. Ce verdict est la victoire des insurgés. Merci à Mariam. Merci à Me Bénéwendé Sankara qui a osé au moment où personne ne voulait accepter ce dossier. Il fallait du courage à l’époque et je crois qu’il a démontré ce courage-là. On ne peut pas avoir tué Thomas Sankara et aller dormir et se balader avec des galons d’ailleurs mal acquis. Je suis fier d’avoir connu Thomas Sankara et d’avoir été aux côtés de Mariam. Elle a tenu bon. »

Bassirou Sanogo, ambassadeur du Burkina en Algérie sous la révolution

« Il y a quand même un sentiment de soulagement. Je ne dis pas qu’à 100%, je suis d’accord avec le verdict, mais ce qui a été livré me satisfait. C’est une leçon d’expériences qui doit être tirée pour tous les pays africains dans le sens de la mauvaise gouvernance. La gestion du pouvoir ne doit pas s’accompagner de violences telles que nous l’avons connu le 15 octobre 1987. Je rends grâce à Dieu de m’avoir permis à 73 ans passés de voir se dérouler ce procès. Il faut remercier tous ceux qui ont contribué à ce que ce procès se tienne et se déroule dans de bonnes conditions. Il faut rendre hommage au président Michel Kafando, au président Roch Kaboré, aux avocats dont Me Sankara, mais également à la famille Sankara et aux amis de Sankara qui ont lutté pendant des décennies pour que le dossier vive. Le résultat doit être considéré comme une victoire des peuples africains, une victoire de la démocratie, une victoire aussi de ceux qui osent lutter pour inventer l’avenir. Il y a des démarches à entreprendre par la suite pour apaiser les cœurs. Sur le champ, il y en a qui crient victoire, d’autres peut-être défaite. Le Burkina est un pays de tolérance depuis sa création en 1919 et ensuite sa partition. Il y a toujours eu un élan commun pour constituer le Burkina. Je pense que ces ressorts vont nous aider à oublier, après la justice bien entendu. »

Mousbila Sankara, ambassadeur du Burkina en Libye sous la révolution

« Le verdict est normal puisqu’il n’existe plus de peine de mort au Burkina Faso. La tenue du procès est à saluer, car elle a permis d’ôter le doute de l’esprit de bon nombre de Burkinabè. Ce verdict va faire réfléchir tous ceux qui auront ce type de projet (coup d’Etat, ndlr) à l’esprit. C’est aujourd’hui que certains vont faire la prison. Moi, j’ai déjà fait quatre ans en prison (sous le Front populaire). Je ne sais pas comment sera géré le cas de Tibo Ouédraogo qui vient d’être condamné à 10 ans de prison ferme, car il a déjà fait quatre ans de prison avec moi. Est-ce que la justice va tenir compte du temps qu’il a passé en détention et les meurtrissures qu’il a subies ? Je souhaite que les autorités allègent sa peine parce qu’il a déjà payé. »

Oscibi Jhoann, artiste musicien et activiste

« Cela ne fait que confirmer ce que nous disons depuis longtemps. La vérité est le socle de développement, c’est l’avenir. Cela vient alors confirmer que seule la vérité peut construire une démocratie sûre. Cela nous encourage donc à écrire des textes pour prôner la vérité, parce que c’est la vérité qui accouche la paix. Cette justice nous donne une leçon à tout le monde. Le pouvoir s’exerce avec l’intelligence et non par la violence. »

Propos recueillis par Frédéric Bassolé/ Armelle Ouédraogo/ Erwan Compaoré (Stagiaire)
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