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André Eugène Ilboudo, activiste de la société civile

Publié le mardi 15 novembre 2005 à 09h21min

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André Eugène Ilboudo

Enseignant de métier, activistes des organisations de la société civile, André Eugène Ilboudo est bien connu des lecteurs de la presse burkinabè pour ses prises de position tranchantes et remuantes sur les questions d’intérêt national. A la faveur d’un séjour qu’il effectue aux Etats-Unis, notre collaborateur Samuel Kiendrébéogo de la Voix de l’Amérique l’a rencontré pour nous.

Que faites-vous aux Etats-Unis André Eugène Ilboudo ?

André Eugène Ilboudo : Avant de répondre à la question, vous me permettrez, au détour d’une phrase, de me présenter aux lecteurs. Je suis natif de Saponé, (c’est important, car comme l’on dit chez nous, « Wodog san ya noog me, Sapon n yiid ! Même s’il fait bon vivre à Ouaga, à Saponé c’est encore mieux ».

Professeur de français, je suis aussi activiste des Ongs. Je suis président de l’Association Vive le Paysan/Saponé, j’ai été, entre autre, Président de CA du Secrétariat Permanent des ONGs et présidé la cellule de la société civile du Burkina. Pour terminer, comme dirait l’autre, « jamais condamné, jamais décoré ».

Cela dit, je suis aux Etats-Unis pour un séjour initial de 3 mois (mais que je ramène à 2) pour un programme international d’échanges entre activistes de plusieurs continents (je suis l’un des quatre africains, les trois autres étant Sud Africain, Nigérian et Camerounais) et de plusieurs domaines pour confronter nos vues et nos pratiques sur l’éducation et la tolérance.

En quoi consiste ce programme de formation que vous suivez et en quoi cela peut-il apporter un plus dans l’action que vous menez dans le domaine de l’éducation au Burkina ?

AEI : Comme je le soulignais tantôt, nous sommes là pour échanger nos points de vues, nos pratiques et aussi notre vision sur l’avenir. Ce ne sont pas des cours académiques. C’est ainsi que nous avons pu échanger avec plusieurs responsables de différentes religions sur les questions de la paix entre croyants, avec plus de 100 philanthropes (ceux qui créent des fondations pour aider d’autres moins nantis) des Etats-Unis, de l’Asie et de l’Europe sur la question de l’aide au développement.

Entre autres célébrités, il y avait Corazon Aquino, ancienne Présidente des Philippines, le Directeur de cabinet de Koffi Anan, venu livrer un message sur les objectifs de développement pour le millénaire, Bill Gates, qui a annulé son déplacement en dernière minute, etc.).

A ma seule surprise, l’Afrique n’était pas représentée. Est-ce parce qu’elle manque de fortunes, ou est-ce parce que ceux qui sont fortunés se préoccupent moins des pauvres ou investissent-ils plus dans le Cha-cha ou dans le Massassi-calculé ?

En plus de ces échanges, nous avons des rencontres avec d’autres activistes, avec des professeurs d’universités. Je suis allé aussi dans plusieurs écoles et universités pour voir les méthodologies, l’environnement des écoles, les programmes, etc. C’est ainsi qu’à ma grande surprise, dans certaines écoles, les professeurs apprennent aux enfants à dire « merci » quand on leur offre un cadeau, à présenter leurs excuses quand ils marchent sur le pied de leur camarade, bref un programme de « jeux pour la paix ».

Maintenant ce que cela peut apporter comme plus dans
l’action que je mène est que en tant qu’enseignant, il faut savoir anticiper l’avenir pour rencontrer avec plus ou moins de succès l’attente des parents, de leurs enfants et aussi aider à la construction de demain. Et comme non seulement je suis enseignant mais aussi Président du Lycée prive vive le paysan/Saponé et Directeur d’un nouvel établissement au secteur 30 de Ouagadougou (le Groupe Scolaire l’Académie de Ouagadougou), il faut savoir d’où vient le vent et vers où il va.

Pour parler prosaïquement, la question de l’intolérance dans nos écoles n’est pas préoccupante. Mais il serait bon que les responsables des établissements et les professeurs disposent d’outils non seulement pour renforcer cet état d’esprit, qui semble aller de soi, mais surtout pour mener une bonne éducation orientée vers la paix, car les germes de l’intolérance, se sédimentent dans les esprits quand on ne les racle pas.

Et pour faire écho à l’Unesco, « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ». Et quel est le matériau le plus apte à être modelé sinon l’esprit des jeunes ? Et en cela, thanks to God, le Ministère de la promotion des droits humains a une petite longueur d’avance que nous pourrions aider à consolider, s’il y a de la place pour les bonnes volontés.

En quoi consiste au fait votre action dans le domaine de l’éducation au Burkina ?

AEI : J’ai déjà dit que je suis enseignant de profession. Actuellement j’assume la fonction de dirigeant d’établissements, même si de plus en plus, je suis irrésistible à l’appel d’aller « bouffer la craie ».

L’éducation n’est pas pour moi simplement un gagne salaire, mais un désir d’enfance inassouvi. J’essaie autant que je peux, et cela en hommage à certains de mes maîtres du primaire et à un du secondaire « d’ajouter de la terre à la terre » dans ce domaine.

Dans mon Saponé natal, j’ai été pour quelque chose dans la construction de plus d’une vingtaine d’écoles primaires, de la construction des 4 collèges dans les 4 anciens cantons de Saponé, aujourd’hui départements, sans oublier le Lycée privé "Vive le paysan" avec son internat, qui aux dire des élèves et des parents, « fait du bon boulot ».

A Ouagadougou je lance, avec beaucoup de difficultés, il est vrai, « l’Académie de Ouagadougou ». En plus de ce travail que je dirais physique, je suis un fervent militant de la méritocratie. Et pour cela je suis intraitable avec mes élèves sur le plan de la discipline pour un meilleur apprentissage. Je dis toujours à mes élèves : « Le pauvre n’a pas droit à l’indiscipline. Vous pouvez vous en sortir dans ce complot généralisé contre les pauvres, mais à condition que vous marchiez au pas, que vous fassiez « un pas, deux pas, trois pas », (Aimé Césaire) là où les autres, les enfants des plus riches, n’en feront qu’un demi pas et marchent en quinconce ».

C’est peut-être sévère comme mise en garde, mais c’est cela ma conviction et toute mon action consiste à proposer aux jeunes, à remonter les ressorts de leur volonté afin qu’ils aient envie de s’en sortir par eux-mêmes, par des moyens honnêtes que leur offre une bonne éducation, un bon enseignement de base.

Malgré l’apport du secteur privé, le taux de scolarisation laisse à désirer au Burkina. Que reste-t-il à faire selon vous pour une démocratisation plus accélérée de l’éducation ?

J’ai parlé de « complotite aiguë » contre les pauvres. Tout le monde sait qu’une bonne éducation est l’un des moyens les plus surs pour se sortir du trou de la pauvreté. Un pays comme le Burkina Faso, classé avant dernier mondial sur le hit parade de la richesse, pays sans grandes richesses minières et sans pétrole (pour le moment ?! et peut-être qu’il faut remercier Dieu), même si quelques uns s’en défendent, s’autoproclamant un « pays de services », devrait, toutes affaires cessantes, miser plus sur une meilleure formation de ses ressources humaines.

Mais pour notre malheur, « pour une démocratisation plus accélérée » l’on massifie les classes du primaire et du secondaire, où les enfants n’apprennent rien. Des élèves à la porte du secondaire ne savent même pas écrire leur nom. Des étudiants à l’université ne savent pas mener un bon raisonnement cartésien. Et sur la tombe de Naaba Kouda, je n’exagère rien. Pire, l’on y pratique des méthodes archaïques comme le double flux et autres classes multigrades. Et quand cela ne suffit pas, les élèves manquent de matériels didactiques comme les livres de lecture.

Pour moi, démocratiser l’école, ce n’est pas apprendre l’afrikans aux uns et l’anglais aux autres. C’est faire en sorte que tous nos enfants, selon leurs droits constitutionnels, aillent à l’école et à une bonne école où ils apprennent vraiment et véritablement les clés de l’avenir. Et pour résoudre cette question, il faut, avec la carte scolaire du Burkina en mains, déclarer la guerre aux zones, ou à cause du manque d’écoles, les élèves s’entassent dans les classes.

Il faut aussi résoudre honnêtement le sort de ceux qui abattent ce travail. Nous ne pourrons pas avoir une école performante et démocratique tant que des écoles, même non loin du ministère de l’Enseignement de base manquent de tables bancs, tant que des maîtres dorment avec les cobras et autres serpents venimeux, tant que les inspecteurs font le tour des écoles sur leurs propres motos pourries sur la base de leur propre carburant.

Le manque de moyens pour l’éducation, tout bref, n’est pas un argument recevable. Les moyens ont cela de cynique : l’argent que l’on refuse de mettre dans l’éducation de nos enfants, l’on le mettra forcement dans la construction des prisons pour les y garder, même les enfants des plus riches. Mais auparavant nul ne dormira tranquille. Le minimum exigé est que l’état consacre 40% de ces recettes à l’éducation, quitte à ce que nos ministres n’aient qu’une seule et une seule voiture de fonction et qu’ils achètent le carburant de leur propre poche. (Je commence par eux car « ministre » veut dire serviteur et comment un serviteur peut-il être mieux nanti que celui qu’il sert) ?

Pour terminer sur ce point, que les burkinabè qui organisent les coupes de football et autres coupes du « choc des postérieurs », (le fameux Kigba) commencent d’abord par construire une école dans leur propre quartier du village pour leurs propres frères. C’est vrai qu’un peuple en perdition s’adonne plus au jeu qu’au travail, mais tout de même ! Rêvons collectivement d’un Burkina meilleur. C’est cela l’essence d’une démocratie et le dire ce n’est pas de l’intolérance !

Avez-vous eu l’occasion de rencontrer des Burkinabé pendant votre séjour ?

AEI : Oui, mais pas beaucoup. Je ne vous apprends rien en disant qu’aux Etats Unis, généralement, les immigrés (comme on dit ici) travaillent tous comme tous ceux qui veulent réussir : dur ! Ils sont dans un système, où il n’y a pas beaucoup de place pour les « affaires sociales ». Si bien que j’ai fait le tour de ceux que je connais au téléphone.

Vous êtes-vous senti concerné par la campagne électorale qui se déroulait au pays pendant votre absence ?

AEI : Oui, comme un bon villageois, quand il y a du folklore sur la place publique, sans que l’on ne soit danseur ou « tam-tamier », chacun y va. Même si je suis un sans abri politique, la question politique m’intéresse. Pour notre amusement, les empoignades, les ruses, les mensonges politiciens méritent d’être suivis tant ils révèlent l’animalité de l’être humain. Et grâce à leFaso.net, je suis ce qui se passe au Faso.

Si par honnêteté et par humilité, si on a la chance de sortir du pays, il faut reconnaître que le pays n’est pas si mauvais. Mais il faut aussi avoir le courage de s’indigner sur certains faits. Tout d’abord, la question de la faim. Il est inadmissible, quelque soit l’explication que l’on veuille trouver, qu’il y ait encore des Burkinabe qui soient obligés de boire de l’eau chaude pour se coucher. Je ne suis pas un aigri donc je n’exagère rien, et je n’invente rien non plus, encore une fois.

Ensuite la question de la santé. C’est proprement criminel (je souhaite rester politiquement correct, mais il n’y a pas d’autre mots) c’est criminel, dis-je, que le paludisme continue d’emporter nos enfants parce que leurs parents n’ont pas 500F pour leur administrer une bonne dose de médicaments. Là aussi je n’exagère rien. Enfin vient l’éducation. Il faut avoir le courage de refonder notre école et de mettre les moyens là ou il faut, c’est-à-dire dans nos enfants. Et c’est là que je m’attendais à ce que les candidats nous disent clairement comment ils comptaient s’y prendre.

Ce que j’ai lu est en deçà de mes espérances. Mais bon, à leur décharge, l’on peut les dédouaner parce qu’ils savent que la majorité des Burkinabe ne sont pas si exigeants jusqu’à leur demander de rendre compte de la gestion de leur misère. C’est pourquoi l’on peut s’interroger sur la valeur d’un vote comme celui-là si l’on sait que nos concitoyens ne jugent pas les politiciens sur les actes qu’ils posent mais sur l’épaisseur de leur « sac ».

Quelle valeur peut-on accorder au vote d’une personne qui, manquant de tout et incapable de se faire confectionner une carte d’identité, est autorisée à aller voter avec un acte de naissance de son cousin qu’il peut emprunter. Le vote est un acte de liberté. Or un homme qui vit dans la misère n’est pas un homme libre ! Quel crédit peut-on accorder à un vote dans un pays où dans un jamborée politique, ceux qui y participent n’y vont pas pour juger du projet de société mais pour demander qui une casquette de dernier choix qui une calebassée de tossé ? Le vote démocratique est un acte de dignité. Or un vote corrompu n’est pas démocratique. Est-ce tout cet ensemble d’interrogations qui a fait dire à Basile Guissou, (que nul ne ferait l’injure de dire que c’est un ignare politique), est-ce cela, dis-je, qui fait dire que tous les éléments sont réunis pour que l’on n’accorde pas beaucoup de crédit à un tel spectacle « démocratique » ?

Mais cela dit, j’en conviens, c’est bon pour le marketing extérieur. Mais dommage que pour le moment, « un bout de papier » ne nous aide pas à sortir du trou.

Par Samuel Kiendrébéogo
Pour Lefaso.net

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