Lefaso.net, deux ans après
A l’occasion de son deuxième anniversaire le 19 octobre 2005, Lefaso.net a eu les honneurs de la presse nationale avec un article que lui a consacré le quotidien "Le Pays". Nous vous proposons cette interview dans laquelle l’auteur et animateur du site revient sur les raisons de sa création et sur son évolution.
Le Pays : Deux ans d’existence pour Lefaso.net, comment se porte le bébé ?
Cyriaque Paré : Le bébé se porte plutôt bien. Aujourd’hui le portail est présent sur les principaux moteurs de recherche et dans les premiers résultats des recherches sur l‘actualité du Burkina. Il a donc acquis une certaine notoriété qui est aussi perceptible dans les statistiques : à la date du 25 octobre, la newsletter enregistrait 1528 abonnés, les visiteurs se chiffraient à une moyenne de 2 500 par jour, avec quelque dix mille pages vues quotidiennement. 35 % des visiteurs se connectent à partir de la France, 17 % du Burkina, suivi des Etats-Unis (8 %), du Canada (5 %), de la Belgique (4 %) et le reste d’une soixantaine d’autres pays des quatre coins du monde.
L.P : Peux-tu nous rappeler les conditions de naissance de ce portail ?
C.P. : En tant que portail d’information, Lefaso.net a repris en fait un concept développé auparavant avec deux autres sites : Burkinet.com et Burkina.org. Ce sont des portails qui ont été lancés en 2000 avec pour objectif de donner plus de visibilité au Burkina sur Internet car il y a une demande d’information sur notre pays que l’on ne perçoit pas toujours quand on est à l’intérieur mais à laquelle ont est confronté à l’extérieur.
Burkinet.com était donc consacrée à l’actualité et Burkina.org était plutôt dédié au monde associatif comme plate-forme d’information, d’échanges et de communication pour les ONG, associations de jumelage et autres structures humanitaires qui sont très nombreuses à travailler sur le Burkina mais pas de façon toujours visible.
J’étais en stage à l’université de Bordeaux à l’époque et celui avec qui j’ai travaillé est un compatriote dont j’avais fait la connaissance sur le Net. Il s’appelle Younoussa Sanfo et résidait aussi en France mais il est aujourd’hui installé à Ouagadougou. Il est l’auteur de l’un des tout premiers sites Internet sur le Burkina (http://membres.lycos.fr/ysanfo/.)et d’un groupe de discussion sur le Burkina très populaire (http://fr.groups.yahoo.com/group/burkina-faso/).
Burkinet.com a connu un franc succès, en terme d’audience, avec la crise ivoirienne quand le public, surtout international, avait besoin d’informations sur le Burkina. Mais c’est aussi de là qu’est venu son malheur car dans les péripéties de la guerre de l’information qui a fait rage parallèlement à la guerre sur le terrain, il a été l’une des nombreuses victimes. Vous vous rappelez sans doute comment beaucoup de sites traitant de la crise ivoirienne de façon plus ou moins directe ont été attaqués ou sabotés comme, autre exemple, le site du MPCI qui avait été détourné un moment sur un site porno. En ce qui concerne Burkinet.com, on a pu suivre les traces des crackers jusque sur des serveurs en Roumanie...
C’est suite à ces déboires que l’animation du site a été arrêtée en 2003. Constatant ce que je pensais être un vide, j’ai approché l’auteur d’un autre portail sur le Burkina, très connu, Fasonews.net, pour lui proposer de restructurer la partie « Actualité » de son site. Mais le propriétaire, Abdel Azize Ouédraogo, un autre informaticien burkinabè résidant en France, a plutôt accepté de collaborer avec moi pour monter un autre site-portail. J’ai donc conçu une maquette qu’il a réalisée. Lefaso.net a été ainsi créé et lancé en octobre 2003.
L.P : Le nom Faso.net est-il un choix délibéré ou répond-il au concept d’abibjan.net ?
C.P : Je voudrais profiter de cette question pour donner la bonne syntaxe du nom du site qui est Lefaso.net et lever ainsi toute confusion avec Fasonet.bf, qui est le nœud national d’accès à Internet du Burkina géré par l’ONATEL.
Il est vrai que Lefaso.net exploite le même concept de portail d’information que Abidjan.net. Mais comme je l’ai déjà dit, c’est surtout pour combler le vide laissé par Burkinet.com et Burkina.org qu’il a été lancé. Bien sûr, la conception s’inspire non seulement d’Abidjan.net par certains côtés mais aussi de beaucoup d’autres sites d’information en ligne. En la matière, Abidjan.net n’a pas inventé la roue car il y avait déjà des portails comme Africaonline, Woya ! Actualités que je fréquentais bien avant.
Je signale en passant que les médias en ligne sont mon propre champ de recherches universitaires ; ce qui permet d’avoir une idée globale des évolutions et des bonnes pratiques en la matière et d’expérimenter certaines théories et hypothèses.
Enfin, quant à la dénomination même, il ne faut pas oublier que personne n’a le monopole de fait d’un nom sur Internet ; c’est le premier à s’en servir et surtout à le déposer qui en est le propriétaire. Vous verrez ainsi que certaines déclinaisons de « Burkina Faso » appartiennent à des américains, des australiens ou d’autres nationalités qui n’ont rien à voir avec le Burkina. Lefaso.net étant libre à l’époque, alors je l’ai enregistré. Voilà tout simplement. En plus, il est pratique et facile à retenir.
Combien de personnes travaillent sur ce site ? Sont-elles rémunérées ? Et comment est organisée la collecte d’infos ?
C.P : De façon permanente, je suis seul à travailler à la mise à jour quotidienne. Il ne faut pas oublier que c’est avant tout un hobby, donc porté par une motivation et une passion personnelles. La collecte d’informations se fait simplement sur les sites d’informations du Burkina, le vôtre bien sûr et tous les autres sites-médias nationaux. L’idée de site-portail est de constituer un espace à partir duquel on peut avoir accès à toute l’actualité burkinabè.
Alors pour la collecte d’informations, chaque matin, je dois visiter les sites (quotidiens et périodiques du jour) pour sélectionner les articles que je pense être les plus intéressants, les mettre aux normes du cyberjournalisme, car ce n’est pas toujours le cas pour tous les sites, et les publier.
C’est l’occasion pour moi de remercier tous les confrères nationaux qui me laissent généreusement exploiter leur contenu ; même si en retour, le portail peut contribuer à leur accessibilité et leur visibilité.
Mais le site a aussi une production autonome, plutôt marginale pour le moment, qui est assurée par des collaborateurs assez épars. Les signatures les plus régulières, si vous êtes un « fasonaute » régulier, sont Ismaël Bicaba, Juvénal Somé qui sont mes anciens étudiants de l’université de Ouaga et qui se sont laissés tenter par l’aventure. Il y a aussi des amis comme Issouf Zabsonré qui était en stage à Paris quand on montait le site. Sans oublier les nombreux burkinabè de la diaspora qui parfois, spontanément, proposent des articles : par exemple Samuel Kiendrébéogo, notre compatriote de la Voix de l’Amérique qui envoie des articles sur la vie des Burkinabè aux Etats-Unis, ou encore Alex Moussa Sawadogo, un autre compatriote résidant en Allemagne qui s’est proposé comme correspondant du site dans ce pays.
Pour l’aspect technique ; il y a bien sûr l’informaticien, Azize Ouédraogo, qui intervient quand il y a des problèmes techniques, et aussi tout un réseau d’amis à qui je fais appel de manière ponctuelle. Car le site contient aujourd’hui beaucoup de services et plus de dix mille articles et la volonté d’en faire un espace documentaire accessible de manière permanente en fait une base de données qui n’est pas toujours facile à gérer.
Mais tout ce monde travaille bénévolement ; un peu dans l’esprit libertaire qui a démocratisé Internet et qui veut que ce soit un espace où on apprend ce que l’on ne connaît pas et que l’on partage ce que l’on connaît.
L.P : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’animation du site qui est quotidienne ?
C.P : La contrainte majeure, c’est qu’il faut travailler de telle sorte que le site, comme tous les autres sites, soit à jour tôt le matin. Ce qui nécessite environ trois heures de travail dès 5 heures du matin, pour le mettre à jour avant d’aller au boulot. Car il n’y a rien de plus rageant pour un internaute qu’un site qui n’est pas à jour, surtout quand il s’y attache.
Alors, dégager du temps pour faire ce travail qui est une occupation non officielle devient donc une vraie contrainte. Et quand on n’y fait pas attention, cela peut occuper tout le temps libre au détriment d’autres obligations sociales. Mon épouse plaisante parfois en disant que sa rivale, mon ordinateur, trône dans son salon. Et d’une certaine manière, ce n’est pas totalement faux quand on calcule le temps passé sur Internet pour gérer le site : non seulement le mettre à jour mais aussi répondre au courrier des internautes qui veulent des compléments d’informations, des renseignements pratiques sur le Burkina et qui vous croient en mesure de leur donner satisfaction à tous les coups. Au point que de passe-temps, c’est devenu un bouffe-temps. Peut-être que le site a atteint une envergure qui nécessite qu’il soit géré autrement. Mais il faut trouver les moyens pour ce faire et ça, c’est une autre difficulté.
L.P : Le site rapporte-t-il de l’argent à ses géniteurs ? Est-il subventionné ?
C.P : Je reçois certes beaucoup messages d’encouragements, de témoignages de sympathie, des soutiens ponctuels de personnes qui apprécient le travail qui est fait mais le site n’est pas subventionné et il ne rapporte pas d’argent. A part les bannières publicitaires de Google qui sont un service proposé à tout webmaster et qui peuvent rapporter quelques euros en fonction des taux de consultations par les internautes.
Pour le moment, tout ce qui est sur le site est gratuit. Même les bannières publicitaires d’institutions ou de sociétés nationales comme TELMOB, la CAMEG, Air Burkina, les ouvrages en librairie, etc. sont gratuitement affichés. Je n’ai pas reçu, même un mot de remerciement de leur part, encore moins une subvention. Il est vrai aussi qu’ils n’ont rien demandé car c’est moi qui ai décidé de les afficher car ça peut être utile pour le public au regard de certaines demandes de renseignements.
Je pense que le site peut être rentabilisé plus tard. Mais aujourd’hui, cela est difficile car la presse en ligne, particulièrement en Afrique, n’a pas encore trouvé de modèle économique viable. Mais c’est déjà bien, et même indispensable d’occuper le terrain car il y a ce qu’on appelle la prime à l’ancienneté qui veut que ce soit les sites Internet les plus connus du public qui puissent facilement monnayer leurs services quand le secteur sera plus mur.
Et il faut souligner aussi que quand vous recevez des témoignages de sympathie de Burkinabè qui vous écrivent depuis la Chine, le Japon, La Nouvelle Zélande ou d’autres pays très lointains ou même du « Burkina profond » (où ils utilisent les rares minutes qu’ils peuvent avoir, pour vous lire) et qui vous disent qu’ils arrivent à rester en contact avec le Faso et à suivre l’actualité nationale grâce à vos services, c’est une autre récompense.
L.P : Vous avez lancé une newsletter, combien de personnes y sont abonnées ? Cela ne va t-il pas limiter les visites sur le site ?
C.P : A la date du 25 octobre, la lettre d’information affichait 1528 abonnés. Elle ne limite pas les visites sur le site sauf si l’abonné décide de se contenter des titres et des brèves introductions des articles qu’il reçoit sur son mail. Car le concept de la newsletter, c’est de signaler les titres des articles du jour. Mais si l’abonné veut lire l’article et qu’il clique sur le lien, il est automatiquement conduit sur le site.
La lettre d’information est donc un moyen qui permet à l’internaute de gagner du temps et de simplifier la consultation des informations. De même que face à la surabondance de l’information sur le Net, les sites-portails permettent de guider l’internaute en lui évitant de faire le tour d’une multitude de sites pour savoir ce qui se passe sur un pays ou à propos d’une thématique précise, de même, la lettre d’information donne un fil conducteur à l’internaute.
Mieux, elle le fidélise car il peut ne pas aller sur un site, qu’il trouve par ailleurs intéressant, par manque de temps ou par oubli, mais la lettre d’information vient comme une piqûre de rappel. Et, aspect non négligeable, elle permet d’entretenir une relation interactive avec les lecteurs ; ce que beaucoup de sites commerciaux ont compris en en faisant un instrument de marketing très efficace.
Interview réalisée par Abdoulaye Tao
Le Pays