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Un héro nous a quittés : Hommage au Colonel Maurice RIVES

Publié le jeudi 16 avril 2020 à 12h30min

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Un héro nous a quittés : Hommage au Colonel Maurice RIVES

A travers cette réflexion, Louis Dominique Ouédraogo, ambassadeur, ancien inspecteur et ancien président du Corps commun inspection du système des Nations Unies rend hommage au colonel Maurice Rive. L’auteur reconnait la valeur de ce soldat qui a servi dans diverses unités de tirailleurs malgaches et sénégalais dans la lutte pour la libération de la France.

Un héros connu

Dans un article publié le 23 août 2019 dans le quotidien « l’Observateur Paalga » et sur le site « Lefaso.net » j’ai expliqué pourquoi, par devoir de mémoire, je me suis autoproclamé « tirailleur sénégalais ». Référence y était faite à différentes sources d’informations sur le sujet, et notamment le livre « Héros méconnus », co-écrit par M. Robert Dietrich et par le Colonel (er) Maurice Rives. Edité par l’Association “Frères d’armes” (https://www.freresdarmes.org/) cet ouvrage met en exergue l’importance de la participation sous drapeau français des combattants d’Afrique noire et de Madagascar aux deux guerres mondiales. Il était peu connu au “pays des hommes intègres”, mais la situation a bien changé depuis la mi-décembre 2019, deux chaînes de télévision (3Tv et BF1), une chaîne de radio (Ouaga FM) ainsi que trois quotidiens (Le Pays, l’Observateur Paalga et Sidwaya) en ayant fait la publicité.

M. Dietrich qui a combattu dans les troupes coloniales de 1939 à 1945 est décédé en 2002. Quant au Colonel Rives, c’est avec une profonde tristesse que tous ceux qui l’ont connu ont appris son décès le 6 janvier 2020, à l’âge de 96 ans. Engagé volontaire en 1944 au titre de l’Infanterie Coloniale, il a servi dans diverses unités de Tirailleurs malgaches et sénégalais. Il en a gardé un attachement indéfectible à ses frères d’armes africains.

Le Général de division (2s) Jean-François Canicio, Président de l’Association “Frères d’armes” m’a annonçé ce décès en soulignant notamment : ...“Vous le connaissez bien et son amour pour les Tirailleurs africains l’a conduit dans de multiples batailles, bien sûr pour le devoir de mémoire avec son ouvrage co-écrit de Héros Méconnus, mais aussi son investissement farouche dans le combat pour la "décristallisation" des pensions des anciens combattants de l’ex-empire français et de nombreux articles et interview révèlent le cœur et la pugnacité qu’il a manifestés dans cette démarche hautement politique.

” Je m’honore en effet d’avoir fait la connaissance du Colonel Rives en mars 2002 à l’occasion d’une Table ronde dont j’étais le modérateur et qui avait pour thème : « Les tirailleurs africains et la question de la cristallisation de leurs pensions par la France : un devoir de mémoire et de justice ». Il était l’un des principaux intervenants et nous avions gardé depuis lors un contact épistolaire et téléphonique jusqu’en octobre 2019. Outre le livre “Héros méconnus”, son nom restera effectivement attaché au combat pour la décristallisation des pensions de ses frères d’armes originaires de l’ex-empire colonial français. Il a notamment contribué à la mise sur pied en 1993 du Conseil National pour les Droits des Anciens Combattants et Anciens militaires d’Outre-Mer.

Le combat pour la décristallisation

L’article 71-I de la loi du 26 décembre 1959 portant loi de finance pour 1960 stipulait que, “ à compter du 1er janvier 1961, les pensions, rentes ou allocations viagères imputées au budget de l’Etat ou d’établissements publics, dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l’Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France, seront remplacées pendant la durée normale de leur jouissance personnelle par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour lesdites pensions ou allocations, à la date de leur transformation.” [Ref Loi de finance pour 1960]

En d’autres termes, au fur et à mesure de l’accession à l’indépendance de leurs pays respectifs, les pensions ainsi visées ont été gelées ou “cristalisées”. Des dispositions ultérieures contribueront, par un mille-feuille législatif et règlementaire, à créer une double discrimination, d’une part entre pensionnés français et pensionnés étrangers, et d’autre part entre pensionnés étrangers en fonction de la date d’entrée en vigueur de la mesure de cristallisation. Selon une étude de l’Institut de recherches stratétigiques de l’Ecole militaire (IRSEM), et s’agissant des pays d’Afrique subsaharienne, la cristallisation a été réalisée en trois étapes : dès décembre 1960 pour la Guinée, le Togo, le Cameroun et le Mali ; en janvier 1962 pour la Côte d’Ivoire, le Dahomey (Bénin), la Haute-Volta (Burkina Faso), la Mauritanie et le Niger ; pour un troisième groupe de pays, l’article 71 est entré en vigueur après 1972 : il s’agit de Madagascar en 1973, du Congo-Brazzaville en 1974, du Gabon, de la RCA, du Sénégal et du Tchad en 1975 ; de Djibouti en 1977.

Le 13 juillet 2010, au cours d’un déjeuner offert au Palais de l’Elysée à 14 Chefs d’Etat africains (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, Gabon, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad et Togo) dans le cadre des commémorations marquant le cinquantième anniversaire des indépendances africaines, le Président Nicolas Sarkozy leur a déclaré :...“ Il est des dettes qui ne s’éteignent jamais. C’est le cas de celle que la France a contractée envers vos pays, où commença de briller, voici 70 ans, la flamme de la France Libre, et dont les fils ont versé leur sang pour libérer la France. Il était temps de la reconnaître avec toute la solennité qui convient. C’est également pour témoigner de notre reconnaissance indéfectible envers les Anciens Combattants originaires de vos pays, que nous souhaitons les voir bénéficier désormais des mêmes prestations de retraite que leurs frères d’armes français”. Objectif visé ? “Egalité parfaite” précisera-t-il. [Ref, Allocution du Président Sarkozy]

D’après une dépêche d’agence de presse reprise par un quotidien sénégalais, le Président Paul Biya du Cameroun a répndu au nom de ses pairs : “.. Votre décision sera unanimement saluée non seulement par les Etats ici présents, mais aussi par l’ensemble de nos opinions publiques ». Pour sa part, le Président malien Amadou Toumani Touré a estimé que “ le Président Sarkozy a pris une décision historique à un moment historique”, et que “... c’est un courage pour lui et pour la France de reconnaître le mérite de nos anciens, de nos grands pères et de l’accepter”.

Magnifier avec autant d’enthousiasme la “reconnaissance indéfectible” de la France envers les anciens combattants africains, c’est occulter le fait que, pendant un demi-siècle, les principaux intéressés et leurs ayant cause ont dénoncé ce qu’ils ont toujours considéré comme une mesure discriminatoire à leur égard et contre laquelle ils ont mené un véritable parcours du combattant pour y mettre un terme. S’ils ont bénéficié de l’appui de diverses associations en France y inclus celles de leurs frères d’arme, on trouve par contre peu de traces du soutien qu’ils ont reçu de leurs gouvernements respectifs.

A en croire Serge Bercillini, contrôleur général des armées et ancien directeur de cabinet au ministère de la défense, « Les anciens combattants étaient ceux qui restaient très attachés à la puissance coloniale….Cristalliser leurs pensions et leurs retraites, c’est aussi limiter leur poids dans la société »[Ref. Article RFI]. Leur contentieux a été porté sur plusieurs fronts incluant le Comité des droits de l’homme des Nations unies (Affaire Ibrahima Gueye et autres c/ France.

Constatation du 3 avril 1989), la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ( Halde), le Conseil d’Etat (Arrêt Diop du 3 novembre 2001), la Cour de justice des Communautés européennes (Ordonnance du 3 juin 2006), la Cour des comptes (Rapport annuel février 2010) et le Conseil constitutionnel (Décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010). Les améliorations intervenues jusqu’en 2010 sont davantage le résultat de cette lutte que celui d’une volonté des autorités françaises de se conformer à la régle de l’égalité.

Le Général de corps d’armée (2s) Pierre Lang, Président de la Fédération nationale des anciens d’outre-mer et anciens combattants des troupes de marine ne pensait pas autrement lorsqu’il a estimé que “« La France n’a jamais bougé que sous la contrainte... À chaque fois, elle a fait des concessions a minima pour éviter la condamnation. En 2002, si une première réévaluation a été opérée, c’est parce que le Conseil d’État le lui avait ordonné.

En 2006, la décristallisation totale des prestations « du feu » a été instituée après une recommandation de la Halde et le film Indigènes qui a ému le couple Chirac” [Ref article RFI. Décristallisation des pensions]. A l’appui de la prise de position du Général Lang, on peut ajouter que le “cadeau” présenté aux Chefs d’Etat africains le 13 juillet 2010 n’a été que la suite logique et incontournable de la décision historique du Conseil constitutionnel qui, saisi par le Conseil d’Etat d’une QPC (question prioritaire de constitutionalité), a déclaré contraires à la Constitution certains articles relatifs à la législation sur les pensions accordées aux anciens combattants algériens et décidé de leur abrogation à compter du 1er janvier 2011, ouvrant de ce fait la voie à une révision du dispostif concernant les autres étrangers. Encore faut-il souligner que la loi de finance pour 2011 a soumis la révision des pensions à une demande expresse des intéressés et que nombre d’entre eux, peu ou mal informés, n’en ont pas bénéficié pour cette raison.

“Nous voulons une parité complète”

Après la revalorisation de 2002, le colonel Maurice Rives a été interrogé par Christophe Boisbouvier pour l’hebdomadaire Jeune Afrique/ l’intelligent [Ref article J.A I]

“J.A.I : La revalorisation des pensions des vétérans de la Coloniale est-elle pour vous une victoire ?

M. R : Pas encore. La victoire n’est pas totale. Il est vrai que, depuis 1959, c’est la première fois que le gouvernement français apporte aux anciens combattants du Maghreb et d’Afrique noire une preuve tangible de son attention. Il est vrai que cette preuve est conséquente, puisque les allocataires bénéficieront d’un rappel d’au moins quatre ans. Mais, pour nous, le combat n’est pas fini. Nous voulons une parité complète entre les allocations perçues par les anciens combattants d’outre-mer et ceux de France. Nous allons mener une campagne en ce sens auprès des parlementaires français avant le vote du budget 2005. Il n’est pas normal qu’un ancien combattant malgache ne touche que le tiers de la retraite perçue par un Français de souche. C’est un traitement discriminatoire.

Quand nous sommes entrés dans l’armée, on ne nous a pas dit que les uns étaient noirs et que les autres étaient blancs. En mars 1954, à Dien Bien Phu, c’est une batterie du 4e régiment d’artillerie coloniale qui a réussi à retarder de deux mois la chute du camp retranché. Alors je crois vraiment que la meilleure façon de rappeler la fraternité d’armes qui nous a unis sur le champ de bataille c’est d’instaurer la même retraite pour tous. Ce serait le signe le plus fort de l’affection que porte la République à ses anciens serviteurs”.

Cette vision de la parité était bien éloignée de celle du Gouvernement français. En réponse à une question orale lors d’une audition au Sénat, M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué aux anciens combattants a notamment déclaré : “Nous ne voudrions pas qu’en opérant une distribution nominale des droits de chacun l’on arrive à une iniquité qui frapperait alors les Français métropolitains. Si, par exemple, un ressortissant sénégalais, vietnamien ou algérien, avec un taux d’invalidité équivalent à celui de ses camarades français à Paris, peut se procurer 10 kilos de sucre, alors qu’un autre peut s’en procurer 100 kilos, ce n’est pas équitable. C’est donc le pouvoir d’achat qui est important et non pas la distribution nominale, dont on veut nous faire croire qu’elle représente l’égalité (J.O du Sénat du 2 juin 2006, page 241)

Interrogé sur la pertinence de cet argumentaire, le Colonel Rives était d’un tout autre avis.

J.A.I : Le secrétaire d’État français aux Anciens Combattants, Hamlaoui Mékachéra, affirme : « Payer les Africains comme les Français créerait une injustice au détriment de ces derniers »…

M.R. : Oui, je sais que le niveau de vie n’est pas le même. Je sais que, pour dénoncer la parité, les autorités françaises donnent l’exemple d’un adjudant burkinabè amputé des deux jambes. Étant donné qu’il touche à la fois une retraite de combattant et une pension d’invalidité, une mesure de parité peut lui permettre de gagner plus qu’un ministre de son pays. Mais d’abord je vous rappelle qu’en Afrique une pension fait vivre toute une famille. Ensuite, je crois que les Maghrébins et les Subsahariens sont fiers de leurs anciens combattants. Certes, ils n’ont pas fait d’études aussi poussées qu’un ministre, mais ils ont connu l’épreuve du feu. Enfin, j’affirme que c’est une question de dignité. Les goumiers marocains qui ont enlevé Monte Cassino….et les Tunisiens qui ont passé le Rhin sont des soldats d’élite qui n’ont jamais marchandé leur sang. En revanche, ils ont toujours été intraitables sur leurs droits. C’est pourquoi les tirailleurs sénégalais se sont révoltés au camp de Thiaroye”.

L’adage populaire dit qu’il vaut mieux tard que jamais. Concernant la revalorisation des pensions en 2002, le Colonel Rives avait une autre appréciation marquant son amertume.

J.A.I. : Les nouvelles mesures ne sont-elles pas mieux que rien ?

M.R. : Bien sûr. Mais il a fallu attendre quarante-cinq ans ! Pendant tout ce temps, des milliers d’anciens combattants ont été oubliés et, de plus, les veuves ont été délaissées. En ce jour, j’ai une pensée particulière pour le Sénégalais Bourama Diémé. Il fut dans l’armée française le seul adjudant – toutes nationalités confondues – à être promu commandeur de la Légion d’honneur pour fait de guerre. Il avait combattu héroïquement sur la Somme en 1940. Il est mort il y a quatre ans sans avoir reçu cette marque de reconnaissance.

Le Colonel Maurice Rives a mené le bon combat avant de nous quitter pour retrouver ses frères d’armes, les Bourama Diémé, Addi Bà et autres Abdoulaye N’Diagne.

Adieu mon Colonel,

Ambassadeur Louis Dominique OUEDRAOGO
Ancien inspecteur et ancien président du Corps commun d’inspection
du système des Nations Unies


Références

1. Loi de finance pour 1960 (n° 59-1454 du 26 décembre 1959). Article 71
https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000000874213&pageCourante=12372
2. Allocution du Président Nicolas Sarkozy 13 juillet 2010
https://cg.ambafrance.org/Allocution-du-President-Nicolas
3. Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Constatation du 3 avril 1989 (Affaire Gueye)
https://www.ohchr.org/Documents/Publications/SDecisionsVol3fr.pdf
4. Conseil d’Etat / Arrêt Diop du 30 novembre 2001
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000008029234
5. Conseil constitutionnel Décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2010/20101QPC.htm
6. “Nous voulons une parité complète”. Interview Maurice Rives / Jeune Afrique (http://www.jeuneafrique.com/97415/archives-thematique/maurice-rives-nous-voulons-une-parit-compl-te/)
7. “Le contentieux de la « cristallisation » des pensions des anciens combattants étrangers” (https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2010-3-page-I.htm)
8. Extrait du Rapport annuel 2010 de la Cour des comptes, pages 557 à 581
https://www.gisti.org/IMG/pdf/22_decristallisation-pensions-anciens-combattants.pdf
9. RFI. “La décristallisation des pensions”. Texte par François Damien Bourgery 30/03/2010
http://www.rfi.fr/fr/tirailleurs/20100330-decristallisation-pensions
10. “Inégalité des pensions des tirailleurs africains”. Sénat. 12ème législature
https://www.senat.fr/questions/base/2006/qSEQ06020927S.html
11. Camille Evrard. “Du gel au dégel des pensions des anciens militaires subsahariens des armées françaises. Histoire politique, combat juridique et difficultés actuelles”, Études de l’IRSEM, 57, mai 2018.
https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/2427/Etude_IRSEM_n57_2018.pdf
12. Loi de finance pour 2011 (n° 2010-1657 du 29 décembre 2010) - Article 211
https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2010/12/29/2010-1657/jo/article_211

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