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Coronavirus au Burkina Faso : Enjeu et opportunités pour la transformation du système éducatif

Publié le vendredi 10 avril 2020 à 12h42min

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Coronavirus au Burkina Faso : Enjeu et opportunités pour la transformation du système éducatif

A travers cette réflexion, le Dr Bapindié OUATTARA, Enseignant IFOAD/Université Ouaga II, s’interroge sur les enjeux et les opportunités du système éducatif avec l’avènement du coronavirus au Burkina Faso. Pour Dr Ouattara, la pandémie de Covid-19 entrainera de nombreuses modifications et une nécessité d’adaptabilité notamment l’enseignement à distance pour le Burkina Faso dans les jours à venir.

La pandémie du coronavirus au Burkina Faso, place les décideurs et les gestionnaires du système éducatif devant un dilemme concernant le choix des technologies informatiques pour garantir la continuité des activités pédagogiques et académiques.

En effet, face aux mesures barrières prises contre la propagation du covid19, l’idée selon laquelle le recours aux TIC ayant beaucoup de fonctionnalité pour l’enseignement et la formation est fort répandue chez les acteurs de l’éducation.

Pourtant, de nombreux travaux de recherche avaient déjà montré que l’Afrique en matière d’intégration des outils technologiques à l’école a connu les quatre (4) générations des Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement (TICE).

La première génération est marquée par les cours par correspondance apparus à Londres en 1840. La deuxième génération est celle de la radio et de la télévision éducative avec les émissions de radio dès 1927 et de télévision en 1939. Coumaré (2010), nous fait savoir que la formation par la radio et le télé-enseignement a connu en Afrique de l’Ouest francophone un certain succès dans les pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Niger.

Mais pour des raisons multiples évoquées par Awokou (2007), cette technologie hertzienne a connu un arrêt autour des années 1982. Ce dernier cite d’abord, les rapports souvent conflictuels entre les acteurs nationaux et expatriés dans les pays comme la Côte d’Ivoire. Ensuite, il révèle que l’évolution du contexte économique a participé à l’arrêt de certains de ces projets à cause du manque de mesures d’accompagnement.

Enfin, affirme-t-il, le programme d’enseignement télévisuel était souvent réduit à des projets visant la résolution de situations d’urgences en éducation et formation sans aucune volonté politique globale d’intégration des médias dans l’éducation dans les pays concernés. La troisième génération des outils technologiques est caractérisée par l’introduction des ordinateurs à l’école dans les années 1970 à travers l’enseignement assisté par micro-ordinateur et l’introduction du multimédia. La quatrième et génération actuelle est celle d’Internet et des médias interactifs.

Ainsi, au Burkina Faso, même si à travers l’article 15 de la loi d’orientation de l’éducation du 30 juillet 2007, les autorités politiques donnent le ton pour une promotion des TIC (outils numériques, logiciels informatiques, multimédia, etc.) à l’école, la réalité sur le terrain ne permet pas d’opiner sur l’existence d’une véritable politique d’intégration des TIC.

Néanmoins, grâce à de nombreuses initiatives, le système éducatif burkinabé a pu bénéficier d’un accès Internet et expérimenter l’utilisation de plusieurs outils technologiques. Il s’agit principalement des projets et programmes comme le Réseau National d’Éducation et de Recherche, World Links, Partners in Learning (PIL), le projet (TICE-Burkina), les centres multimédias de la municipalité de Ouagadougou, le projet cyber centres scolaires et le projet pilote e-school du NEPAD.

Toutefois, si certaines de ces initiatives en faveur de l’usage des technologies dans les établissements peuvent être qualifiées d’expériences réussies et méritent d’être partagées avec la communauté éducative, force est de reconnaitre qu’elles restent insuffisantes pour que les ressources informatiques soient qualifiées de leviers d’enseignement et d’apprentissage.

Pour s’adapter aux contraintes liées à la pandémie du covid19, l’enjeu majeur de l’intégration des TIC à l’école au Burkina Faso doit découler plus d’un objectif pédagogique que technologique. Le numérique n’a de valeur ajoutée à l’école que s’il est intégré aux activités d’apprentissage.

L’application des TIC en situation d’enseignement signifie que le rôle de l’enseignant et les méthodes d’apprentissage traditionnelles vont changer de façon radicale pour les élèves et pour tous les enseignants y compris ceux qui travaillent avec des élèves à besoins spécifiques. Il est donc impératif d’en tenir compte dans le développement de ces environnements pédagogiques numériques. Ce n’est pas le choix de l’outil technologique qui déterminera la réussite, mais le scénario pédagogique (scénario d’enseignement et scénario d’apprentissage) qui sera imaginé à l’avance au regard des objectifs visés.

Il faut absolument arrêter de laisser croire qu’en connectant tous les établissements sans aucune référence à des modèles pratiques d’intégration des TIC, les élèves apprendront mieux. L’outil technologique n’est éducatif que si l’enseignant lui apporte sa dimension didactique en l’intégrant dans sa pratique. Et il faut plutôt veiller à la cohérence entre l’outil informatique et les pratiques pédagogiques.

Le recours aux TIC pour la continuité des activités pédagogiques et académiques, pour qu’il soit pertinent et réussi, les établissements d’enseignement doivent saisir les diverses opportunités qui se présentent de nos jours.

Premièrement, il y a une réelle prise de conscience des autorités politiques et académiques quant aux potentialités que représentent les TIC à l’école. En effet, de bonnes résolutions concernant la promotion des TIC vont être prises, car, il ne fait aucun doute chez ces acteurs, que les TIC offrent la possibilité d’assurer la continuité des activités pédagogiques et académique dans un contexte comme celui du covid19.

Deuxièmement, il faut ajouter l’accroissement des infrastructures de communication et l’augmentation sans cesse croissante des abonnés de la téléphonie et de l’internet qui donne beaucoup d’espoir à propos du virage à la formation en ligne. L’Afrique est actuellement le deuxième continent après l’Asie en matière de connexion à travers la téléphonie mobile car, mêmes les zones les plus isolées sont connectées au réseau cellulaire (Coulibaly, 2014). Effectivement, selon le rapport UIT (2013), le continent africain comptait en 2014 déjà, 650 millions d’abonnés à la téléphonie mobile, soit de plus belle qu’en Europe et aux États-Unis.

Au Burkina Faso, des actions qui suscitent de l’espoir face aux nombreuses critiques formulées pour dénoncer le faible débit de la connexion Internet sont en cours d’après les responsables politiques en charge de l’économie numérique. Il s’agit par exemple, des travaux comme l’extension du backbone en fibre optique à travers des interconnexions transfrontalières avec le Ghana, le Togo et le Niger pour l’accès à une connexion Internet rapide dans le pays et l’augmentation de la bande passante de 10 à 40 Mbit/s puis à 80 Mbit/s.

Troisièmement, un autre facteur qui présage d’un bel avenir pour le passage au e-learning est la création de structures spécialisées dans la Formation Ouverte À Distance (FOAD) dans la plupart des établissements d’enseignement public et privé au Burkina Faso. En 2013, la naissance de l’IFOAD de l’université Ouaga II suivie en 2014 de celle de l’Université Ouaga1 Joseh Ki-Zerbo et le projet 2016 visant la création de l’Université virtuelle avec treize espaces numériques ouverts constituent des actions susceptibles de renforcer la confiance à la formation en ligne.

Quoi que ces déterminants puissent présager de positif pour l’avenir de la FOAD au Burkina Faso, nous ne saurons faire l’économie des facteurs défavorables qui continuent à susciter des inquiétudes. Il s’agit des déterminants comme la rareté des ressources pédagogiques numériques propres à l’Afrique. En effet (Ndiaye, 2011) attirait notre attention sur le faible taux de contenus africains sur le Web. À ce facteur, nous pouvons ajouter la massification qui caractérise presque tous les établissements d’enseignement publics en Afrique ces dernières années. En effet, l’accroissement des effectifs, est l’une des raisons évoquées le plus souvent par les hommes politiques et autorités académiques pour justifier la nécessité urgente de promouvoir les TICE.

Cependant, sur le terrain, nous rencontrons de plus en plus d’établissements disposant d’un centre de ressources informatiques alors que l’utilisation de ces centres à des fins pédagogiques n’est pas toujours effective. Dans ce cas, l’évolution croissante des effectifs qui est l’argument très souvent évoqué par les enseignants pour limiter l’usage des TICE, contraste avec la perception des acteurs politiques et des autorités académiques qui pensent au contraire que la présence d’effectifs pléthoriques devrait imposer le recours aux TICE.

En résumé, nous pouvons noter que la formation en ligne peut susciter beaucoup d’espoir pour la continuité des activités pédagogiques. Cependant, passer de l’enseignement classique au e-learning crée de nouvelles préoccupations comme celles de l’incertitude de la cohérence entre l’outil numérique et les pratiques pédagogiques, le problème d’accès pour les apprenants issus de familles à revenus modestes, le problème de formations et d’assistance technique. Nonobstant ces défis, il nous semble important dans ce contexte de la pandémie du covid19 de maintenir la réflexion pour que l’école continue de jouer pleinement sa mission qui consiste à rapprocher le savoir des populations.

Dr OUATTARA Bapindié
Enseignant IFOAD/Université Ouaga II
Consultant en technologies pour l’éducation

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