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« La première cause des abandons d’enfants c’est la pauvreté » Pierre Traoré

Publié le jeudi 8 septembre 2005 à 07h58min

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Trafic, abandon, exploitation et sévices divers : ce sont les pires formes de traitement inhumain que les grandes personnes continuent d’infliger aux plus petits. Des faits qui traduisent l’état de pourrissement des mœurs dans notre société.

Dans l’entretien qui suit, le directeur provincial de l’Action sociale et de la Solidarité nationale du Houet, Pierre Traoré, parle de ces phénomènes et de l’effort consenti pour y faire face.

Sidwaya (S.) : Monsieur le directeur, est-ce vrai que la province du Houet est devenue un carrefour de trafic d’enfants et Bobo-Dioulasso une ville où l’exploitation des enfants s’est accrue ?

Pierre Traoré (P. T.) : A l’instar de certaines localités du Burkina Faso, la province du Houet vit le trafic et l’exploitation des enfants. Cela tient d’abord de sa situation géographique de grand carrefour et de sa proximité des pays à grandes migrations comme le Mali et la Côte d’Ivoire. Ensuite le caractère cosmopolite de la ville est un facteur favorisant surtout l’exploitation des enfants. C’est malheureusement une réalité et les chiffres sont là pour le témoigner. En 2002 qui a été une année expérimentale en matière de lutte contre le trafic des enfants dans le Houet, nous avons intercepté 118 enfants dont 75 garçons et 43 filles. En 2003, 130 enfants ont été arrachés des mains de trafiquants dont 123 garçons et 7 filles. En 2004, 140 enfants dont 89 garçons et 51 filles. Pour le premier semestre de l’année 2005, 59 enfants tous des garçonnets ont été interceptés. Les chiffres montrent que le phénomène de trafic et d’exploitation des enfants existe bien dans la province.

S. : Quelle est la provenance de ces enfants ?

P. T. : A l’intérieur de la province du Houet ces enfants proviennent pour la plupart des départements de Satiri, de Fo, Faramana et Koundougou. Dans ces départements-là, des réseaux s’étaient organisés pour convoyer les enfants dans les champs de coton à Karangasso Vigué et sur les sites aurifères de Moussobadougou ou encore les jeunes filles qui viennent à Bobo-Dioulasso à la recherche d’un emploi. En dehors de la province les enfants interceptés proviennent pour la majorité du Yatenga, du Bulkiemdé et du Sourou avec pour destination soit la région de Bobo soit le Mali ou la Côté d’Ivoire.

S. : Est-ce vrai que la crise ivoirienne a quelque peu freiné le trafic des enfants en direction des plantations de cacao et de café ?

P. T. : Effectivement dès le départ, au temps fort de la crise, le phénomène de trafic était ralenti, mais depuis la baisse des hostilités, c’est encore reparti de plus bel. Donc la crise en fait n’a rien changé.

S. : La lutte contre ces pratiques n’est-elle pas perdue d’avance quand on sait qu’elles se sont fortement enracinées dans notre société ?

P. T. : Ce n’est pas perdu parce qu’avec les campagnes de sensibilisation que nous avons eu à mener et avec les interceptions d’enfants, le phénomène a régressé. Actuellement nous sommes à 59 cas pour le premier trimestre de cette année alors qu’à la même période de 2004 on avait enregistré plus de 100 cas. C’est dire que les populations commencent à comprendre que ces pratiques doivent être bannies de la société. Dans notre démarche nous avons sillonné tous les villages de la province pour sensibiliser et parallèlement les médias ont été approchés pour porter l’information là où il faut. D’une manière générale il y a une prise de conscience à ce niveau.

S. : Comment expliquez-vous la multiplication des abandons d’enfants dans la ville ?

P. T. : La première cause des abandons d’enfants c’est la pauvreté et la misère mais surtout le refus des jeunes de s’assumer, de reconnaître les grossesses. Selon nos statistiques 60% des bébés abandonnés sont le fait des filles étrangères venues à Bobo-Dioulasso dans le cadre de leurs activités de prostitution et de racolage. En plus de cela il y a les pratiques traditionnelles dans certaines coutumes qui bannissent les enfants adultérins, amenant donc les mères à abandonner leurs bébés.

Pour le premier semestre de 2005, nous avons enregistré 34 enfants abandonnés dont 12 bébés de 0 à 36 mois. En ce qui concerne les violences faites aux enfants, nous avons eu 36 cas dont 12 cas de viol.

S. : Existe-t-il des structures de prise en charge de ces malheureux ?

P. T. : Les services de l’Action sociale ne disposent pas de structures propres à elles. C’est pourquoi nous travaillons en étroite collaboration avec certains partenaires qui accueillent les enfants. Il y a la pouponnière « Den Kanu », le Nid, un Cœur pour tous et Dispensaire trottoir. Ce sont eux qui hébergent les enfants et qui les prennent en charge jusqu’à un certain âge où ils rejoignent leurs familles ou des familles d’accueil.

S. : Parmi les ministères, celui de l’Action sociale et de la Solidarité nationale fait figure de parent pauvre. Comment arrivez-vous donc à faire face aux multiples sollicitations ?

P. T. : Il faut reconnaître que nous faisons face difficilement à nos sollicitations, les moyens étant insuffisants. Par exemple la direction provinciale ne dispose pas de véhicule, ce qui limite les sorties sur le terrain. Mais grâce à nos partenaires, nous arrivons à exécuter le maximum de notre programme d’activités. Dans ce cadre, en plus du soutien politique et administratif et des bonnes volontés, nous avons l’aide du Projet d’appui à la lutte contre le trafic des enfants en Afrique de l’Ouest (PACTE), l’UNICEF et l’ONG Terre des hommes.

Pour revenir au projet PACTE, c’est une ONG qui, depuis la célébration de la Journée de l’enfant africain, nous a permis d’atteindre un certain nombre d’objectifs. Grâce au soutien de ce projet nous avons pu sauver trois fillettes qui étaient séquestrées par un Français au secteur 22 de Bobo-Dioulasso. L’affaire a défrayé la chronique un moment et les médias en ont largement fait l’écho. Comment cela s’est-il passé ?

Nous avons sollicité l’appui de ce projet pour des activités de sensibilisation contre le trafic et l’exploitation des enfants. C’est ainsi que lors d’une séance de théâtre forum financé par le projet dans l’enceinte de la gare routière de Bobo-Dioulasso, la population a été tellement imprégnée du message qu’un spectateur est revenu nous voir après pour signaler l’existence d’un cas similaire dans son voisinage. C’est ainsi que le sieur François Daniel Georges, de nationalité française qui séquestrait trois fillettes âgées de 10, 11 et 13 ans a été interpellé et conduit devant les juridictions compétentes. Il faut souligner que la plus âgée de ses filles Farma Mariam qui avait 13 ans a été plus ou moins violée par son bourreau.

Par la suite l’intéressé qui a reconnu les faits a été condamné à 10 ans d’interdiction de séjour et à 6 mois de prison avec sursis. Depuis lors, les enfants ont pu regagner leurs familles à Loropéni. C’est donc grâce au PACTE que nous avons abouti à ces résultats-là. Je saisi donc l’occasion pour une fois de plus remercier cette ONG pour son concours combien appréciable pour l’éradication des pratiques néfastes sur les enfants dans la province du Houet.

S. : Notre société actuelle prône l’individualisme et l’égoïsme en parlant de famille nucléaire. Comment peut se manifester la solidarité nationale dans ce contexte ?

P. T. : La solidarité existe bien dans la province du Houet et nous l’avons constaté lors des deux éditions du Mois de la solidarité. A ces occasions les populations se sont positivement illustrées en faveur des couches les plus défavorisées. Mais le constat est que cette solidarité ne se manifeste que si elle est sollicitée, ce qui n’est pas normale. C’est pourquoi nous travaillons à cultiver une solidarité naturelle, purement africaine et qui n’a pas besoin d’être suscitée quelque part.

Propos recueillis par Frédéric OUEDRAOGO
Sidwaya

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