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Le Révérend Père Jean Hébert, un des pionniers de l’histoire du Burkina, est décédé

Publié le mercredi 10 août 2005 à 08h08min

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Le Révérend Père Jean Hébert, des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) qui séjourna une trentaine d’années en Haute-Volta et qui fut un des pionniers de l’histoire et de l’école ethnologique françaises du Burkina est décédé à Bry-Sur-Marne près de Paris, le 15 juin 2005, à l’âge de 93 ans. Monsieur Magloire Somé, Maître-assistant à l’Université de Ouagadougou, rend ici hommage à l’illustre disparu.

Jean-Marie Paul Hébert est né le 16 avril 1912 à Amiens, en Picardie. Il était le quatrième d’une famille de cinq enfants. Son Père, Paul Hébert, d’origine normande et officier de l’armée française fut un vétéran de la première Guerre mondiale. Il meurt en octobre 1924 quand le jeune Jean Hébert n’avait que douze ans et demi. Mais avant de mourir, il avait pu influencer son fils dans sa vocation sacerdotale et lui avait imprimé un avenir de missionnaire.

De la vocation sacerdotale à la formation de l’homme

Jean Hébert était un de ces hommes qui exprimaient toujours le contraire de ce que le destin leur réservait, sans doute parce qu’il ne réussissait pas au départ à réaliser l’harmonie de la communication entre son inconscient et sa conscience, mais finissait par se rattraper lorsque son subconscient dictait à sa conscience ce qu’il devait faire. Ainsi après ses études primaires, il choisit de fréquenter une classe de sixième sans le latin qui n’était pas indispensable dans la formation d’un homme qui se destinait à la vie civile. Lorsque son père exigea qu’il s’inscrivît dans une classe de sixième avec latin, il lui répondit qu’il ne voulait pas être curé, lui qui n’y avait jamais pensé. Mais son père maintint sa décision et lui imposa la formation secondaire en étude latine. Le destin missionnaire du jeune Jean était ainsi tracé. Le père Hébert témoigne lui-même que ses parents étaient de fervents catholiques, mais son père n’était en rien un chrétien obtus. A preuve, son meilleur ami était un franc-maçon notoire !

A la fin de sa troisième, l’idée de devenir missionnaire le hante et finit par envahir tout son esprit. Il lisait beaucoup de livres et de revues missionnaires, rêvait d’aller en Chine, aux Indes, dans le Grand Nord Européen, mais les évasions de ses rêves l’emmenaient très rarement en Afrique. Et c’est pourtant en Afrique que son destin de missionnaire allait s’accomplir.

Le charisme du Cardinal Lavigerie avait tant marqué les Français, que lorsqu’il exprima son désir de devenir missionnaire, l’an de grâce 1929, il citait les congrégations missionnaires qui l’intéressaient, mais ne mentionnait nullement la Société des Missionnaires d’Afrique fondée par le Cardinal Lavigerie. Sa mère Cécile, pour compléter sa liste, évoqua le nom des Pères Blancs et lui suggéra l’idée d’y entrer. Il décida d’abord d’entrer au Grand Séminaire de Rouen où il subit l’influence de l’abbé Catois, puis il se renseigna pour adhérer à une société missionnaire.

L’abbé Catois retint la suggestion de sa mère comme étant la voie royale de l’accomplissement des rêves du jeune Jean et se chargea de se renseigner 31, rue Friant à Paris. Là, il soumit les intentions vocationnelles de celui-ci au Père Cauzin qui agréa sa demande. En octobre suivant, Jean Hébert entre au grand Séminaire des Pères Blancs à Kerlois, en Bretagne.

Après deux années de philosophie, il rejoint le Noviciat de Maison-Carrée en Algérie et plus tard le séminaire de Carthage en Tunisie où il sera ordonné prêtre le 29 juin 1937. Cette fois-ci, l’expression de ses désirs et la réalité concordent au grand bonheur du jeune Père Hébert. Il souhaitait ardemment être affecté dans le Vicariat de Bobo-Dioulasso et c’est là justement qu’il fut affecté.

L’appel de la Haute-Volta

De Bobo-Dioulasso, Mgr Groshenry, vicaire apostolique de ladite circonscription ecclésiastique, le nomme à Massala, village situé à dix kilomètres à l’est de Dédougou sur la route de Tougan. C’était là que Mgr Esquerre, son prédécesseur, avait établi en 1929, le poste de mission destiné à l’évangélisation des Bwa, pour oublier le mauvais souvenir du sac du poste de Bondokuy par les rebelles de 1916. Le Révérend Père Hébert séjourne chez les Bwa jusqu’au déclenchement de la guerre en 1939. Au début de l’année 1940, il est mobilisé comme aumônier militaire avant d’aller reprendre la direction du poste de Massala le 4 septembre 1940. Le 16 septembre 1941, il est affecté à Dano où il séjourne jusqu’à Pâques 1943. Mgr Dupont l’affecte à Bobo-Dioulasso pour diriger l’école de la mission, dont le premier directeur, le Père Maurois venait de mourir. Il fait un court séjour de seulement trois mois à la tête de l’établissement, car en juin 1943, il sera de nouveau mobilisé au camp militaire de Bobo-Dioulasso. Le 6 octobre, il arrive à Batié comme sergent-chef, cumulant les fonctions d’agent spécial (percepteur). Il apparaissait ainsi comme l’adjoint du chef de subdivision, le lieutenant Pierre Marchand. La subdivision de Batié, érigée en cercle en 1929, fut décrétée territoire militaire sous le régime de Vichy. Le Révérend Père Hébert ne sera démobilisé que le 10 décembre 1945. Il est nommé à Nasso, comme professeur au petit Séminaire où il est aidé dans sa tâche d’enseignement par Monsieur Joseph Ki-Zerbo. En 1949, il est nommé derechef à Dano, cette fois-ci, comme curé. Mais il n’y reste que trois ans, car en 1952, il sera nommé à Toussiana. C’est là, qu’il fit son plus long séjour de missionnaire. Il y resta jusqu’en 1965 où, par suite d’une maladie, il est évacué à Bobo-Dioulasso pour recevoir des soins et d’où il est nommé au Scolasticat des frères des Ecoles chrétiennes de Sakabi. C’est en 1968 qu’il quitte définitivement la Haute-Volta, après un séjour de 31 ans, pour rejoindre la France.

Le Père Hébert et la passion de l’Histoire

Cette brève biographie du Père Hébert, nous montre que contrairement aux missionnaires chrétiens en général qui séjournaient plusieurs années dans un même poste, le père Hébert a eu une carrière missionnaire semblable à celle d’un administrateur colonial. Affecté de poste en poste, l’administrateur avait à peine le temps de connaître ses administrés qu’il était affecté ailleurs. Mais le Père Hébert mettait à profit ses courts séjours pour s’attacher à l’étude historique ou ethnologique des populations dans le but de les connaître afin de mieux les évangéliser. Toutefois, il aimait davantage l’histoire que l’ethnologie. La liste de ses publications est longue (27 titres au total) allant des questions historiques à celles de l’ethnologie. Par ses nombreuses publications, il a ouvert des pistes pour l’approfondissement de la recherche sur l’histoire du Burkina. Avec la disparition progressive des témoins, les résultats de ses recherches restent de précieuses approches pour l’histoire nationale burkinabé. Et qui plus est, le Père Hébert sait, en amoureux du métier d’historien, que l’archive est avant tout un matériau de première importance pour l’écriture de l’histoire et s’est attaché à constituer des archives personnelles qu’il a volontiers mises à la disposition des chercheurs. Ses archives personnelles sont déposées à la Maison Provinciale des Pères Blancs sise, rue Roger Verlhomme à Paris. Plusieurs chercheurs, dont le Révérend Père Joseph Roger de Benoist, Jean-Pierre Dembélé du Mali et moi-même avons utilisé avec profit ses archives personnelles. Plus que l’historien et le conservateur des archives, le Révérend Père Jean Hébert est un mécène pour les recherches historiques sur l’histoire missionnaire de l’Eglise catholique au Burkina. Il s’est attaché de son vivant à financer la recherche de prêtres, de religieuses ou de laïques aussi bien que la publication des résultats de la recherche dans ce domaine précité. Ce missionnaire qui s’en est allé est un Burkinabé d’adoption et de cœur. Il s’est fait, à l’exemple de Saint Paul, Bwa avec les Bwa, Dagara avec les Dagara et Toussian avec les Toussian.

Citons parmi ses publications : "Une page d’Histoire voltaïque : Amoro, chef des Tiéfo", in Bulletin de l’IFAN nº3-4, 1958, pp. 377-405. "Esquisse de l’Histoire du pays toussian", in BIFAN, nº1-2, 1961, pp. 309-327. "Du mariage toussian", in BIFAN, nº3-4, 1961, pp. 696-731. Précis d’Histoire de la Haute-Volta (en collaboration avec le Père Marcel Guilhem), Paris, Ligel 1961, 125 pages. "Prénoms théophores en pays dagara" (en collaboration avec l’abbé Victor Hien), in Anthropos, 1969, pp. 566-571. "Les révoltes de 1914-1918 en Haute-Volta" in Notes et Documents Voltaïques, juillet 1970, 55 pages. "La Bataille de Bama", in Notes et Documents Voltaïques, octobre 1970, 26 pages. Esquisse d’une monographie historique du pays dagara, Diébougou 1975, 270 pages. "La révolte des enfants des Pères chez les Bwa" (en collaboration avec Joseph Bicaba, actuel évêque de Nouna), in Notes et Document Voltaïques, octobre 1976, pp. 25-60. Il est également coauteur avec plusieurs autres de l’ouvrage intitulé Histoire de la Haute-Volta, l’Afrique et le monde, Paris, Ligel 1964, 387 pages.

Lorsque je rédigeais la synthèse des notes de ma thèse de doctorat, je le citais si souvent que le directeur de ma thèse m’a demandé de consacrer un passage de ma thèse à sa biographie. Je lui demandai donc de me faire brièvement son autobiographie pour les besoins de ma cause. Le Révérend Père Hébert me produisit au bout d’un ou deux mois, un ouvrage manuscrit de 100 pages avec 55 pages d’annexes intitulé "Ma drôle de guerre" (1939-1945). Ce document inédit, écrit à Bry-sur-Marne en juin 1990, est à ma connaissance, le 27e et dernier titre de ses travaux.

L’Homme, le Missionnaire, mais aussi l’Historien, l’Ethnologue et le Burkinabé d’adoption mérite bien qu’on lui rende un vibrant hommage.

Magloire SOME (magloire.some@univ-ouaga.bf),
Maître-assistant au Département
d’Histoire et Archéologie
Université de Ouagadougou

Sidwaya

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