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Kant et la question de l’éducation

Publié le jeudi 2 août 2018 à 15h25min

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Kant et la question de l’éducation

La question de l’éducation est cruciale parce qu’elle permet d’humaniser l’homme. Kant, théoricien de l’éducation propose une éducation sur le plan physique, intellectuel et moral. C’est pourquoi, il propose que l’enfant soit pris en charge très tôt pour sa formation complète. Sans éducation, l’être humain n’actualisera pas ses virtualités en latence. L’éducation selon Kant contribue à la culture du corps, de l’âme et la culture morale. C’est elle qui réalise pleinement l’être humain.
Mots-clés : Corps culture, éducation, être humain, raison

Introduction

L’éducation, éclairée par des sciences telles que la philosophie, la sociologie, la psychologie a été toujours la préoccupation de tous les temps et de toutes les sociétés. Ainsi, il ressort dans la philosophie de l’éducation de Platon et de Rousseau qu’elle est le remède magique qui peut lutter contre les maux dont souffrent les sociétés. Nous pourrons nous en convaincre encore avec les réflexions de Kant sur l’éducation qui découlent de sa philosophie politique et morale. Admirateur de Rousseau qui l’a beaucoup influencé dans sa philosophie de l’éducation à travers son ouvrage l’Emile ou De l’éducation, Kant sera lui aussi une référence parmi les théoriciens de l’éducation. Si l’éducation participe de l’humanisation de l’homme, pourquoi l’être humain est-il capable de violence, de barbarie ? L’éducation a-t-elle échoué dans sa mission ? Ces questions permettent de mettre en lumière la puissance de l’éducation proposée par Kant à travers les différentes étapes. Cette éducation humanise l’homme sur le plan physique, intellectuel et moral.

1. L’éducation du corps

Kant définit l’éducation comme l’action de développer dans l’individu toute la perfection dont il est susceptible. Il a foi en l’humanisation de l’être humain par l’éducation. E. Kant (1981, p. 37) écrit à ce propos : « l’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Il n’est que ce qu’elle le fait ». Sans éducation, l’homme restera dans son stade animal pour dérouler le programme instinctuel en lui. C’est l’éducation qui le différencie de l’animal. La puissance de l’éducation permet de développer les potentialités virtuelles de l’homme. C’est dans cette optique que E. Kant (2004, p. 102) affirme : « il y a beaucoup de germes dans l’humanité et c’est notre tâche que de développer d’une manière proportionnée les dispositions naturelles, que de déployer l’humanité à partir de ses germes et de faire en sorte que l’homme atteigne sa destination ». Il soutient que l’homme est la seule créature qui a besoin d’être éduquée.

C’est pourquoi, E. Kant (2004, p, 93) donne une conception de l’éducation comme suit : « par éducation on entend en effet les soins (l’alimentation, l’entretien), la discipline, et l’instruction avec la formation. Sous ce triple rapport l’homme est nourrisson, -élève,- et écolier. » Il ajoute que « l’homme a besoin de soins et de culture. La culture comprend la discipline et l’instruction » (E. Kant 2004, p, 97). Le philosophe pense qu’il faut l’accoutumer de bonne heure à se plier aux prescriptions de la raison. L’homme n’est rien que ce que l’éducation fait de lui. Kant montre la nécessité d’intervention des êtres humains pour éduquer les jeunes générations. Il suggère dans ce sens d’éduquer l’homme sur le plan physique, intellectuel et moral.

En ce qui concerne l’éducation physique, elle est la première période de l’humanisation de l’être humain. D’une manière générale, elle est communément pratiquée par les hommes et les animaux. Cette éducation comporte deux phases : l’éducation du corps proprement dite qui consiste à donner des soins à l’enfant par les parents ou la nourrice ou les surveillants ou les infirmières ; et l’éducation physique active c’est-à-dire celle acquise par les exercices. Comme Rousseau, il affirme qu’aux premières années de naissance, il faut donner à l’enfant une éducation négative, sans troubler la providence de la nature ; elle ne doit pas contrarier la nature.

Selon E. Kant, (1981, p. 51), cette éducation négative veut dire « qu’on ne doit rien ajouter aux précautions qu’a prises la nature, mais se borner à ne pas détruire son œuvre ». Il pense qu’il faut une éducation dure pour fortifier le corps de l’enfant. Dans la première phase de l’éducation du corps, des soins suivant la nature, doivent être donnés à l’enfant. Il conseille de le nourrir au lait maternel. A ce propos, E. Kant (1981, p. 49), soutient : « la nourriture que la nature a destinée à l’enfant est le lait de sa mère ». Il ne doit pas prendre des boissons et des nourritures très chaudes car cela peut le fragiliser. Il déconseille l’utilisation d’excitants pour faire naître l’appétit chez le bébé, c’est le besoin physiologique qui doit l’engendrer. L’enfant ne doit pas être habillé trop chaud et on doit éviter de l’emmailloter pour ne pas le déformer. Il trouve que bercer le bébé ne rime à rien. Les pleurs sont naturels et salutaires pour l’enfant, cela développe les parties internes et les canaux du corps. Cependant, les nourrices accourent dès les premiers cris pour le bercer par des chants. Il en fait une habitude, ce qui constitue sa première source de corruption qui consiste à soumettre les autres à sa volonté despotique. Dans ce sens, E. Kant, (2004, p. 124), écrit : « Satisfaire tous leurs caprices dans leur première jeunesse, c’est corrompre leurs cœurs et leurs mœurs ». Il poursuit sa réflexion en disant que la lisière et les roulettes qui sont des instruments artificiels, sont nuisibles dans l’apprentissage de la marche. Les enfants doivent traîner par terre avant d’acquérir l’équilibre de la marche par eux-mêmes.

La deuxième phase de l’éducation du corps est celle dite éducation physique active. Elle permet à l’homme de se distinguer de l’animal. La partie positive de cette éducation est la culture de l’habileté naturelle par l’usage de mouvements volontaires et l’exercice des sens. L’éveil par les organes de sens permet à l’enfant de développer ses facultés mentales. Ainsi, les parents doivent créer les conditions favorables pour qu’il fasse fi des instruments et s‘adonner totalement à des exercices de perfectionnement des sens. Pour mettre cela en exergue, E. Kant (2004, p. 139) écrit : « on use ainsi d’une ficelle pour mesurer une étendue ; mais on peut tout aussi bien y parvenir par la seule vue ; on se sert d’une montre pour déterminer l’heure, mais on le peut en considérant la position du soleil » L’enfant possède donc des moyens naturels pour épanouir ses sens. E. Kant (2004, p. 142) conseille la course car selon lui, c’est « un mouvement sain qui fortifie le corps. Sauter, lever, porter, lancer, lancer vers un but, lutter, disputer une course et tous les exercices de ce genre sont très bons ». Le jeu de ballon, la balançoire et le cerf-volant sont meilleurs et salutaires pour l’enfant. Les meilleurs exercices sont ceux qui font intervenir les exercices d’habileté et ceux des sens. Mais il prévient que la gymnastique ne doit pas avoir pour but de guider la nature de l’enfant ni de développer des grâces forcées. E. Kant (2004, p. 144) affirme à ce propos : « c’est la discipline qui doit avoir le premier rang et non l’instruction ».

2. L’éduction intellectuelle ou « la culture de l’âme »

Elle est considérée par Kant comme une éducation physique parce qu’elle est aussi basée sur la discipline. Elle est une culture physique de l’esprit. Elle consiste en une éducation de l’âme qui se distingue de l’éducation morale parce qu’elle concerne seulement la nature. Un homme peut être un érudit mais n’incarnant aucune vertu humaine c’est-à-dire être mal cultivé moralement. Cette éducation se fait par une culture libre constituée de jeux. L’enfant, étant une fringale de mouvement, prenant du plaisir en jouant, s’épanouit de façon naturelle par cette auto-éducation. L’éducation intellectuelle qui est systématique, s’acquiert aussi par une culture scolaire qui elle est plus rigoureuse, sérieuse, organisée et plus efficace. Elle vise un objectif bien déterminé qui est le développement des facultés de l’âme, d’où la contrainte de l’enfant par le travail à se discipliner pour l’atteinte de cette finalité. E. Kant (1981, p. 61) soutient qu’« on doit donc accoutumer l’enfant à travailler ». L’activité scolaire étant une activité sérieuse et non un jeu, il faut forcer l’enfant à une obéissance absolue dès les premiers moments de l’apprentissage. Dans ce sens, E. Kant (2004, 149) écrit : « l’école est une culture par contrainte ». Mais des instants de récréation sont nécessaires pour ne pas les abrutir et les transformer en esclaves.

La culture de la mémoire seule, fait de l’homme une bête de somme du Parnasse. Celui-ci possède beaucoup de mémoire, mais il n’a aucune faculté de juger, il devient un lexique vivant. Donc la mémoire ne doit pas être développée comme à l’école traditionnelle au détriment des autres facultés intellectuelles. Il suggère de la cultiver en vue de l’entendement et du jugement. Il faut la cultiver de bonne heure, tout en cultivant en même temps l’entendement. L’esprit se forme par une libre activité, une activité créatrice et non reproductrice. Elle est la base de la connaissance mais il faut nécessairement le développement de l’entendement pour acquérir une éducation de l’esprit. E. Kant (2004, p. 76), dit : « l’entendement est nécessaire pour comprendre ce que l’on apprend ou ce que l’on dit et pour ne rien répéter sans l’avoir compris ». Pour ce faire, il faut des méthodes adéquates. Par la méthode déductive qui consiste à aller du général au particulier et la méthode inductive, du particulier au général, l’enfant construit logiquement son savoir. La dernière méthode est plus indiquée et efficace pour les plus jeunes enfants qui n’ont pas encore développé la pensée formelle. Pour parfaire cette éducation, l’enfant doit être le conquérant de son savoir. A ce propos E. Kant (1981, p. 66), écrit : « la meilleure manière de cultiver les facultés de l’esprit, c’est de faire soi-même tout ce que l’on veut faire... » Mais il recommande de doser les apprentissages selon le niveau des apprenants en ces termes : « les enfants ne doivent être instruits que des choses qui conviennent à leur âge ». (E. Kant, 1981, p. 72).

3. L’éducation morale

L’éducation morale est celle qui élève l’homme de son état d’animalité à celui d’humanité. Kant affirme que l’éducation morale doit commencer à l’école et elle couronne toute éducation Elle consiste à former le caractère : l’aptitude à agir selon les maximes de l’école et celles de l’humanité. Selon E. Kant (2004, p. 81) « le caractère consiste dans la fermeté de la détermination avec laquelle on veut faire quelque chose et aussi dans sa mise à exécution réelle ». Le caractère se compose de trois moments essentiels : l’obéissance, la véracité et la sociabilité. Par le travail, la contrainte, la discipline de l’école, l’enfant est soumis à une obéissance passive, absolue. Ce qui le prépare à l’accomplissement des lois à obéir plus tard en tant que citoyen. Il faut former l’enfant à l’obéissance absolue « puisqu’elle prépare l’enfant à l’accomplissement des lois auxquelles il devra obéir plus tard comme citoyen même si elles ne lui plaisent pas ». (E. Kant, 2004, p. 169). Selon lui, la formation du citoyen est nécessaire pour la vie future de l’enfant en tant que citoyen. E. Kant (2004, p. 169) dira ceci : « les enfants doivent par conséquent être soumis à une certaine loi de nécessité. Mais cette loi doit être une loi universelle et l’on doit prêter attention à ce point surtout dans les écoles ». Et plus tard elle devient une obéissance volontaire : une obéissance à la raison, obéissance à soi-même dont le résultat est son activité. Ainsi, celui-ci intériorise la contrainte et petit à petit il cesse d’obéir à ce qui n’est pas lui : il obéit à lui-même et découvre sa liberté. En ce moment précis, la discipline disparaît au profit de la liberté et l’enfant acquiert une autonomie. A ce propos E. Kant (2004, p. 169) écrit que cette forme d’obéissance « ne repose pas alors sur la discipline, mais sur des maximes [...]. On doit s’appliquer à ce que l’élève agisse à partir de ses maximes [...] qu’il ne fasse pas seulement ce qui est bien mais qu’il le fasse parce que c’est le bien... » La maxime de cette obéissance volontaire est « toujours penser par soi ». Donc par l’obéissance il faut conduire peu à peu l’enfant à agir d’après des principes qu’il reconnaît comme justes, à obéir à sa propre raison, à penser par lui-même. Ainsi, on formera un être raisonnable.

Ensuite dans la formation du caractère, l’enfant doit être éduqué à la véracité qui est le trait principal et essentiel du caractère. Kant condamne le mensonge parce qu’il est à la source du mal et il dépouille le menteur du caractère. La véracité permet l’acquisition de cette maxime qui est de pouvoir penser uniquement en accord avec soi-même, sans tutelle, de vivre en accord avec sa nature d’homme. Les enfants ont un penchant au mensonge qui est le plus souvent basé sur leur imagination vivante. Il faut les aider par l’usage du sentiment de honte qu’ils comprennent parfaitement. E. Kant (2004, p. 175) affirme que « retirer son estime est l’unique punition convenable du mensonge ».

Enfin la sociabilité est le troisième trait dans le caractère d’un enfant. Et c’est en cela que l’éducation morale a une vocation socialisante. Elle lutte contre la vie égoïste, le repli sur soi pour ne vivre que pour soi. Elle permet de vivre avec autrui et c’est en ce sens que la maxime de la sociabilité permet de toujours penser en se mettant à la place d’autrui, penser, être empathique. Les enfants doivent être éduqués à la joie de vivre en communauté avec les autres. C’est de l’ensemble des trois traits fondamentaux : l’obéissance, la véracité et la sociabilité que découlerait le caractère moral de l’homme. Donc pour ce dernier, l’éducation morale est l’aboutissement absolu de toutes les autres formes d’éducation. Dans cette mesure, E. Kant (2004, p. 61) soutient : « l’éducation morale doit précéder et fonder l’éducation religieuse et en même temps prévenir, orienter, la seconde naissance de l’homme pour parler comme Rousseau ». Donc l’éducation morale prépare à une vie religieuse et à une vie sexuelle. Selon E. Kant (1981, p. 28), « l’ascension à la moralité est le but de l’éducation ». La moralité est ce qui permet à l’enfant d’agir en accord avec la loi morale. Et cela est le degré suprême de l’humanisation de l’homme.

Conclusion

L’éducation revêt trois formes qui s’imbriquent et qui sont considérées comme une culture physique, scolastique, pragmatique et pratique. Ainsi l’éducation physique, intellectuelle et morale contribue à la formation intégrale de l’enfant et lui permet d’être humanisé. La formation morale dite pragmatique et pratique est considérée comme le summum de l’éducation de l’être humain. La moralité, permettant la formation du caractère est le moyen le plus sûr pour éviter que les penchants se transforment en passions c’est-à-dire donc pour arracher l’homme au « mal radical ». L’homme doit s’habituer à être au-dessus de ce qui lui est refusé. Il faut former en conséquence le caractère de l’enfant. Pour cela, il faut l’instruire des devoirs envers soi-même pour qu’il possède une certaine dignité afin d’assurer son bonheur propre ; et des devoirs envers autrui pour qu’il soit plus généreux et qu’il respecte les droits de l’homme.

SOME/SOMDA Minimalo Alice
Chargée de recherche,
Institut des Sciences des Sociétés (INSS) du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) – Ouagadougou, Burkina Faso
Mail : alicesomda14@gmail.com

BONANÉ Rodrigue Paulin,
Chargé de recherche en philosophie de l’éducation,
Institut des Sciences des Sociétés (INSS) du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) – Ouagadougou, Burkina Faso
Mail : rodbonane@yahoo.fr

Bibliographie
KANT Emmanuel, 1981, Traité de Pédagogie, traduction de J. Barni, collection « œuvres et opuscules philosophiques », Paris, Hachette Education.
KANT Emmanuel, 2004, Réflexions sur l’éducation, huitième édition, Paris, J. Vrin.

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