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Ecole nationale de police : pratiques religieuses et ordre public

Publié le mardi 19 juillet 2005 à 06h41min

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L’ordre public est parfois troublé par les pratiques religieuses. L’élève-commissaire de police Laurent Ouédraogo s’est intéressé à cette problématique comme thème de mémoire de fin de formation, dont la soutenance a été sanctionnée par la mention très bien (17/20). Dans cet entretien, il donne quelques explications sur des problèmes liés à son sujet.

Pratiques religieuses et ordre public, qu’est-ce à dire exactement ?

• "Pratique religieuses et ordre public au Burkina Faso", c’est le thème exact de notre mémoire de fin de cycle sanctionnant notre formation de commissaire de police. A travers ce thème, nous voulons faire la relation entre les pratiques religieuses et l’ordre public dans le contexte de la laïcité de l’Etat au Burkina Faso afin de dégager son impact sur la sécurité publique.

Qu’est-ce qui a motivé le choix de ce sujet ?

• Le choix de ce sujet a été motivé par le fait que la problématique des pratiques religieuses et de l’ordre public est une question d’actualité. Au regard du contexte mondial marqué par des violences religieuses, il est à craindre une répercussion négative dans notre pays où des voix s’élèvent de plus en plus pour dénoncer des pratiques religieuses attentatoires à l’ordre public. Cela se vérifie à travers les différentes plaintes enregistrées dans les services de sécurité et auprès de certaines autorités communales.

Faisant parti d’une institution dont l’une des missions essentielles est d’assurer le maintien et le rétablissement de l’ordre public, nous voulons, par ce thème, apporter notre modeste contribution à la résolution du problème posé par cette problématique en interpellant tous les acteurs intéressés, car, gouverner, c’est prévoir.

Quelles sont les conclusions auxquelles vous êtes parvenu ?

• Nos recherches font ressortir que les pratiques religieuses, bien qu’ayant des effets positifs sur l’ordre public, sont parfois sources de nuisances et de troubles qui affectent la sécurité publique notamment la tranquillité, la salubrité, la sûreté de l’Etat, ainsi que la sécurité des personnes, des biens et les droits de l’homme. Il s’agit essentiellement des nuisances sonores provoquées par le son des cloches des églises, des appels à la prière des muezzins, de la tenue de culte nocturne avec utilisation d’appareils de sonorisation et des occupations anarchiques du domaine public par certaines confessions religieuses ; toutes choses qui portent atteinte à l’ordre public et menacent la cohésion sociale dans nos cités.

Pouvez-vous nous citer quelques exemples concrets de pratiques religieuses qui portent atteinte à l’ordre public ?

• La pratiques religieuses en tant que telles ne portent pas atteinte à l’ordre public. Par contre, l’abus dans la pratique du culte peut engendrer des conséquences négatives sur l’ordre public. On peut citer par exemple les prêches, les homélies... qui dénigrent les autres confessions et suscitent des rancœurs, les délits de bruitage occasionnés par les animations confessionnelles, l’occupation des voies publiques sans autorisation pour la pratique du culte... toutes choses qui portent atteintes aux droits et libertés des citoyens. Car, le Burkina Faso est un Etat laïc (article 31 de la Constitution du 11 juin 1991). De ce fait, la liberté de culte est un droit constitutionnellement garanti, mais dont l’exercice est soumis au respect de la loi, de l’ordre public et de la personne humaine (article 7 de la constitution précitée).

On constate l’érection de lieux de culte sauvages (maison à usage d’habitation, en plein air, dans la rue...) aussi bien chez les musulmans que chez les chrétiens. Tout cela est-il légal ?

• Je ne sais pas ce que vous appelez "lieux de culte sauvages", mais ce que je peux dire est qu’il est important de savoir que l’érection d’un lieu de culture telle que prévue par les textes en vigueur est soumise à l’acquisition préalable des autorisations de construire et d’ouverture délivrées par les autorités compétentes. Pour les maisons ou parcelles à usage d’habitation, il faut satisfaire aux procédures de déclassement et de transfert avant leur érection en lieu de culte.

Aussi, il importe de rappeler que les lieux de culte sont des établissements recevant du public (ERP) soumis, quant à leur usage, à des règles de sécurité (décret n°97-316-PRESS/PM/MATS/MIHU du 29/07/97 portant règles générales de sécurité contre l’incendie et la panique dans les ERP).

Pour ce qui est de l’occupation des rues, des lieux publics (espaces verts, réserves administratives) pour des pratiques religieuses (prière, prêches...), l’autorisation préalable des autorités compétentes est exigée. Au regard de ce qui précède, toute érection de lieu de culte au mépris des conditions sus-mentionnées est illégale.

A votre avis, pourquoi l’autorité ferme-t-elle les yeux sur les pratiques religieuses attentatoires à l’ordre public ?

• Je ne pense pas que l’autorité ferme les yeux sur ces pratiques. Je pense plutôt que toute autorité responsable est soucieuse du respect et du maintien de l’ordre public. Et je crois qu’au Burkina Faso, les autorités veillent à cela. Cependant, nos recherches ont prouvé, comme vous le saviez d’ailleurs, que le domaine religieux est à la fois sensible et complexe, ce qui nécessite beaucoup de discernement dans le traitement des affaires y relatives.

Et rappelez-vous, la démolition de lieu de culte (mosquée) à Ouagadougou par l’autorité communale, la fermeture des lieux de culte par les autorités compétentes (voir arrêté n°95-037/MATS/SG du 26/04/95 portant suspension d’activités d’associations et fermeture de mosquées pour troubles graves à l’ordre public...) sont autant d’exemples qui prouvent que l’autorité ne ferme pas systématiquement les yeux sur les pratiques religieuses attentatoires à l’ordre public.

Des différentes confessions religieuses, laquelle est le plus "hors-la-loi" à la lumière de vos recherches ?

• A la lumière de nos recherches, les communautés religieuses d’une manière générale, à des degrés divers, ne respectent pas les textes relatifs au maintien de l’ordre public au Burkina Faso. Laquelle est le plus "hors-la-loi" ? Par manque de statistiques fiables, nous n’avons pas établi un classement dans ce sens. Cependant, l’étude démontre que les atteintes à l’ordre public sont généralement commises par des individus ou des groupes isolés au sein des communautés religieuses, qui se livrent à des actes contraires aux préceptes religieux et ou à l’ordre social sous le couvert de la religion.

Quelles propositions concrètes faites-vous pour solutionner le problème que vous avez étudié ?

• Le solutionnement d’un tel problème passe nécessairement par la prévention et la répression. Dans le domaine de la prévention, nous proposons entre autres des actions de sensibilisation, d’information et de vulgarisation des textes sur la liberté de culte, l’implication des communautés religieuses notamment des leaders religieux dans un partenariat avec la police, dans le cadre de la mise en œuvre de la police de proximité, comme solution alternative à la lutte contre le fléau.

En matière de répression, nous suggérons notamment la mise en place d’une réglementation de la liberté de culte, qui va régir spécifiquement ce domaine. En plus, il frauda envisager le renforcement de la capacité opérationnelle des forces de l’ordre et des structures impliquées dans la mise en œuvre des actions de répression.

Quelles ont été vos difficultés dans la conduite de cette étude ?

• La spécificité du domaine religieux fait que nous avons eu effectivement des difficultés pour mener à bien cette étude. Il y avait d’abord la crise au sein de la communauté musulmane, ce qui fait que nous avons eu du mal à rencontrer les leaders religieux de cette confession. Ensuite, les pesanteurs socioculturelles liées à la religion font que certains citoyens ont refusé de répondre à nos questions. Les autres difficultés rencontrées se résument au manque de statistiques des faits religieux au niveau des services techniques, à l’ambiguïté liée à l’interprétation des textes sacrés (Bible, Coran) et à des contraintes économiques dues au faible crédit alloué par la Direction de l’école nationale de police pour mener à bien cette étude.

Entretien réalisé par Adama Ouédraogo
L’Observateur

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