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Province du Soum : Les criquets, la solidarité gouvernementale et la pluie

Publié le vendredi 24 juin 2005 à 07h35min

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Comme un malheur ne vient jamais seul, à l’attaque acridienne de la saison passée, qui a obligé l’Etat à voler au secours des populations meurtries même si l’opération a été viciée par "des gens sans cœur et sans âmes", est venue se greffer le déluge qui s’est abattu le 4 juin 2004 sur la province du Soum. Avec les conséquences qu’on sait.

Au Soum, l’année agricole et pastorale 2004-2005 restera pendant longtemps gravée dans la mémoire des populations. En effet, cette année a été marquée par des événements majeurs : les criquets, les actes de solidarité gouvernementale et les conséquences de la pluie du 04 juin 2005.

1- Les criquets

Ils sont venus par nuées compactes à l’image des essaims d’abeilles. Leur quantité innombrable a paniqué plus d’une personne, et ce n’était qu’un effet d’annonce. Alors que les gens dissertaient sur l’espèce qui les caractérisait, ils se sont mis à révéler leur nature prédatrice sans commune mesure avec ce que l’histoire a retenu jusqu’ici. En effet, la gloutonnerie et la rapidité avec lesquelles ils ont cerné les champs ; la dextérité avec laquelle ils ont prélevé tous les grains des épis dépasse tout entendement.

Ceux qui ont assisté impuissants à ces scènes affirment qu’au bout d’une demi-heure, un champ de plusieurs hectares est totalement dévoré. Le vacarme organisé par les paysans pour les chasser est demeuré vain. Ce qui a intrigué et dépassé les paysans, c’est la résistance avec laquelle ces criquets-là affrontent les produits phytosanitaires utilisés pour les détruire.

Aujourd’hui, ils sont tous partis. S’agit-il d’un repli tactique ou d’un adieu ? Toujours est-il qu’ils laissent derrière eux des plaies béantes : familles sans ressources, réduites à la mendicité ou en tout cas à une vie parasitaire aux antipodes de ce que les habitants de cette partie du pays ont toujours conservé jalousement : le sens de l’honneur et de la dignité, en se contentant de boire le contenu de leur louche et de manger celui de leur écuelle. Maintenant le regard est tourné vers autrui.

2- Les sacs de mil

Aujourd’hui, dans tous les marchés de la région du Sahel, il est impossible d’acquérir un sac de mil de 100 kg à moins de dix-huit mille (18 000) francs CFA. Cette situation est dramatique et c’est pourquoi il y a lieu de noter l’effort fait par l’Etat en direction des population éprouvées. La solidarité nationale est manifestée ici, mais, car il y a hélas un mais, les hommes chargés de la mise en œuvre de ce soutien ont manqué de perspicacité ou tout simplement de réalisme. Que s’est-il passé ?

Pour ce qui concerne le cas que je connais le mieux, celui de la province du Soum, toute la dotation a été centralisée à Djibo, chef-lieu de la province. Je ne connais pas les raisons qui ont milité en faveur de cette centralisation, mais le résultat patent qui en est issu, c’est l’épuisement physique, moral, financier et par voie de conséquence un désagrément qui affecte et infecte sérieusement l’effet escompté.

Initié et voulu pour atténuer les conséquences du spectre de la faim due en grande partie aux criquets, le soutien apparaît maintenant comme une nouvelle affaire, un nouveau "deal" pour des gens sans cœur et sans âme. En effet, chaque village du Soum (environ 200) doit descendre à Djibo muni du prix de sa dotation, des frais de transport, du coût de son hébergement et de son alimentation pour prendre possession de sa dotation. Mais, imaginez le monde qui se retrouve à Djibo.

Si vous n’avez pas de relations, vous êtes obligé de recourir au service "d’un courtier" qu’il faut nécessairement payer pour service rendu. Moralité : au décompte final, certains voient leur sac, au lieu des 10 000 francs CFA fixés par l’Etat, revenir à 14 000 francs CFA et même plus pour ceux qui habiteraient les villages de Soum, Bosseye ou Gassélnaye.

Du reste, le 10 juin 2005, le délégué de ce dernier village (Gassélnaye), situé à 130 km de Djibo, attendait encore anxieusement son tour pour prendre possession de sa dotation qui se trouvait encore dans les environs de Ouahigouya, dit-on. Les commerçants de céréales ont donc beau jeu de maintenir leurs prix surtout qu’il s’agit d’une opération ponctuelle, donc limitée dans le temps.

Auparavant, les dotations de chaque département étaient déposées au chef-lieu du département et il y avait moins de problèmes. Cette fois, il faut s’attendre à ce que des délégués, pourtant choisis par leur village, aient à s’expliquer devant qui de droit pour des pertes ou des manquants injustifiés. Voilà donc des problèmes en filigrane. Mais le malheur ne vient jamais seul.

3- La pluie du samedi 04 juin 2005

En plus de la faim, il y avait aussi la soif. Les puisards ne pouvaient plus faire face à la situation et beaucoup de forages ne répondaient plus également aux attentes, eu égard à une maintenance défectueuse par manque de moyens financiers. Parfois, des boeufs font un aller-retour de 40 km par jour pour s’abreuver, sans au préalable bénéficier d’une alimentation conséquente. Le soir venu, ces animaux rentrent au parc épuisés ou en tout cas fragilisés. Le lendemain, c’est le même scénario qui recommence et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il faille aider ceux qui ont perdu toutes leurs forces à se remettre debout.

C’est dans ces conditions qu’une pluie souhaitée et même bénie est venue le 04 juin 2005, avec une couverture qui a embrassé toute l’étendue de la région du Sahel. Mais la joie s’est vite transformée en peine. C’est l’ironie du sort. Le spectacle était troublant. Le récit que j’ai entendu faisait à peu près état de- ceci : « L’eau est tombée beaucoup plus qu’il n’en fallait en ce début d’hivernage.

Les torrents se bousculaient et sur leur passage rien ne résistait. Même les gros troncs d’arbres morts (que j’ai vus à Gaik ngota) dansaient le tango au milieu des vagues furieuses et aveugles. Les bêtes (bœufs et moutons) qui étaient aux abords des marigots et rivières ont ainsi payé de leur vie le trop plein d’eau que le sol ne pouvait pas absorber de façon instantanée. Le sinistre est terrible, large et profond. Ce fut une véritable hécatombe ».

Dans le département d’Arbinda, que j’ai visité quatre jours après ce samedi noir, le décompte est ahurissant : A Pem Karyoo Débéré, le chef du village, sur un troupeau d’une cinquantaine de têtes, n’en compte plus qu’une dizaine. A Sénakaye, Garibou, avec un autre troupeau composé de plus de quatre-vingts têtes, n’en compte plus qu’une dizaine, pour ne citer que les cas poignants.

Ceux qui ont perdu dix, vingt têtes ne se comptent plus sur le bout des doigts. Que deviendront ces sinistrés qui ne savent plus où donner de la tête ? Quel recours possible ? Ici encore, la solidarité nationale doit jouer dans la mesure où des actions préventives (assurance) n’existent pas encore dans cet environnement pour espérer un dédommagement éventuel.

En conclusion, je n’ai cité que les cas qui ont été portés à ma connaissance. Mais il y a lieu de chercher à mesurer l’ampleur du désastre sur l’étendue de la province voire sur toute la région du Sahel pour envisager les mesures sociales possibles afin de venir en aide à une population déjà profondément éprouvée. En outre, il y a lieu de tirer les leçons de l’expérience vécue. Le mercredi 1er juin 2005, je lisais Zoodnoma Kafando dans l’Observateur paalga, qui disait :

« La manière d’organiser les secours et l’après-catastrophe est un paramètre sur lequel on peut agir avec une certaine efficacité même si les moyens sont maigres ». La pertinence de cette réflexion doit inspirer souvent ceux qui se présentent en sauveurs pour une méditation profonde aux fins d’atteindre l’efficacité et l’efficience de leurs actions. En attendant, celui qui a le ventre vide n’a pas d’oreille pour écouter ; il ne peut non plus patienter. Il a besoin d’un secours actif, urgent et positif.

Ouagadougou, le 16 juin 2005

Hassane Weremé

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