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Idriss Déby : « Une partition de la Côte d’Ivoire ferait resurgir la question des frontières dans toute l’Afrique »

Publié le jeudi 20 janvier 2005 à 09h46min

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Le président tchadien Idriss Déby, en France pour une visite privée et pour effectuer un bilan médical, dément les rumeurs sur son état de santé. Il profite de son séjour à Paris, où il a eu des entretiens politiques, pour dénoncer les errements, selon lui, dans le règlement des conflits africains.

Le pire est à venir au Darfour et en Côte d’Ivoire, affirme-t-il, si l’Union africaine ne se montre pas plus dynamique. Raison pour laquelle, assure le président tchadien, il a boudé le dernier sommet du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA), au début de la semaine dernière à Libreville, au Gabon.

LE FIGARO. - Quel est votre état de santé ?

Idriss DÉBY. - Je fais un check-up une fois par an depuis 1990. Cela n’a rien d’exceptionnel.

Quels sont les résultats de ce check-up ?

Rien de spécial. Vous voyez, je suis en bonne santé.

Au Soudan, l’accord de paix Nord-Sud, qui vient d’être signé, entraîne une intensification de la guerre au Darfour, les rebelles s’estimant tenus en dehors du traité. Ne craignez-vous pas un nouveau débordement de la guerre vers le Tchad ?

La situation au Darfour ne peut plus durer. Tant le gouvernement que la rébellion doivent se rendre compte que le recours à la force brutale est une impasse. Il faut qu’ils trouvent une solution rapidement. Le temps joue contre eux. Je conseille fortement à nos frères soudanais de renouer le dialogue. La possibilité leur en est offerte par la communauté internationale, et par l’Union africaine dans le cadre des négociations d’Abuja, au Nigeria. Abuja ne pourra pas se répéter. Ils doivent saisir la prochaine rencontre pour entamer une véritable négociation.

Les négociations ne progressent pas assez vite ?

Non. les seuls résultats tangibles restent les accords de N’Djaména d’avril 2004, qui ont permis aux organisations humanitaires d’intervenir. Depuis, on a plutôt reculé. Et dans ce conflit, on oublie les souffrances des peuples. Particulièrement celles des Tchadiens de l’est du pays. Le Tchad vit avec une économie de guerre. Si cette situation perdure, quel sera le sort des 250 000 réfugiés soudanais au Tchad, qui ne sont pas tous pris en charge par l’ONU ? Quand vont-ils partir ? Quelle sera leur attitude envers les nationaux tchadiens ?

J’ai l’impression que les instances internationales ne sont pas pressées. Mais nous, Tchadiens, nous sommes pressés. La communauté internationale, à part la France, ignore totalement le poids économique et sécuritaire supporté par le Tchad, y compris les Nations unies qui ne voient pas la destruction de nos routes par les centaines et les centaines de camions qui desservent les camps.

Ajoutez-y le saccage de la couverture végétale par les réfugiés, qui coupent tout le bois pour leur cuisine, la flambée des prix entraînée par leur présence. En outre, beaucoup de réfugiés sont venus avec leur bétail. Il n’y a pas assez d’espace pour tout le monde. En 2004, la région a consommé en un mois le contingent de médicaments habituellement utilisé en six mois. Personne ne nous a aidés.

Comment relancer les négociations sur le Darfour ? Le gouvernement de Khartoum doit-il, selon vous, satisfaire les revendications des mouvements rebelles ?

Il faut le dire clairement : il est illusoire de continuer à parler avec les deux mouvements ensemble. Ils sont trop différents. A côté du plus important - le Mouvement pour la libération du Soudan (MLS) - le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), dirigé par Khalil Ibrahim, ancien membre éminent du Front national de Hassan al-Tourabi (1), va beaucoup plus loin. Il pense que le Soudan doit être dirigé par un régime islamiste. Je viens aussi d’apprendre qu’il réclame comme préalable à la reprise des négociations la libération de Hassan al-Tourabi. Il est temps que l’Union africaine entame des négociations séparées avec chacun des deux mouvements.

Le gouvernement soudanais a accusé le Tchad d’avoir envoyé des éléments de son armée aider certaines factions rebelles, par solidarité ethnique. Que lui répondez-vous ?

Le Tchad a eu un rôle d’arbitre. Ce n’est pas un rôle facile. Nous avons été accusés aussi bien par les rebelles que par le gouvernement soudanais. Nous avons utilisé notre connaissance de ce pays, et nous y avons mis tout notre coeur. Les Soudanais se rendent compte aujourd’hui de ce que nous avons fait.

Comment jugez-vous les événements de Côte d’Ivoire, où le président Gbagbo veut soumettre à référendum l’article permettant à l’opposant Alassane Ouattara de se présenter à la présidentielle ?

Est-ce que cela réglera la crise de la Côte d’Ivoire ? Je ne le crois pas. J’ai connu la Côte d’Ivoire sous Houphouët-Boigny. Cela me fait mal au coeur de voir ce pays divisé, et cette fuite en avant des acteurs politiques qui sont à l’origine de la division. Et je crois que l’Union africaine n’en a pas fait assez pour sortir de la crise. Vous voulez régler un problème ? Il ne faut pas chercher à contenter tout le monde. On a signé les accords de Marcoussis, aujourd’hui on les oublie.

Il faut dire les choses telles qu’elles se passent : si l’armée française n’avait pas mis en place l’opération Licorne, nous aurions assisté à un drame. Il appartient maintenant à l’Union africaine et à l’ONU d’aller vite et de s’engager jusqu’au bout, sinon la division de la Côte d’Ivoire sera consommée. On assistera à la remise en question totale du principe qui a préservé l’Afrique jusqu’ici, celui de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation.

L’armée française a-t-elle encore sa place en Afrique ?

Il est souhaitable, après la création de l’Union africaine, d’aborder toutes les questions qui concernent la vie des Africains. Mais en attendant, chaque pays est libre d’inviter qui il veut, sans remettre en cause la solidarité africaine. L’armée française est venue à un moment de l’histoire du Tchad, à sa demande, pour le protéger. Si un jour nous voyions un inconvénient à sa présence, nous le dirions. Ce n’est pas une armée d’occupation.

L’année dernière, vous avez été victime d’une tentative de coup d’État, dont vous avez dit qu’elle vous visait personnellement. Qui était derrière ce putsch avorté ?

C’était un groupuscule manipulé. J’ai pardonné. Et je n’ai pas aujourd’hui la hantise de l’attentat. Il n’y en aura pas d’autre.

Vous avez fait modifier la Constitution pour pouvoir vous présenter pour un troisième mandat. L’opposition dit que le Tchad va rejoindre certains pays d’Afrique de l’Ouest, comme le Togo, le Gabon, la Guinée ou le Cameroun, dotés de facto de présidents à vie...

Soyons clairs : ce n’est pas pour me permettre de me représenter que la Constitution a été modifiée. Il y avait plusieurs faiblesses à corriger. Et les modifications ont été votées par la majorité des élus du peuple. En 1986, François Mitterrand avait bien changé le mode de scrutin de façon démocratique. La démocratie, nous l’avons apprise de vous... Quant à savoir si le président Déby va se présenter, ce n’est pas une question d’actualité. L’essentiel, pour moi, c’est de montrer que je tiens mes engagements. Ensuite, ce sera au parti de décider.

Souhaitez-vous toujours soumettre ces changements à référendum ?

Il aura lieu en mars. Pour qu’il soit le plus démocratique possible, nous sommes en train de procéder, à la demande de l’opposition, à un recensement coûteux, le troisième en dix ans, destiné à revoir les listes électorales.

Propos recueillis par Pierre Prier
www.lefigaro.fr

(1) Idéologue et homme fort du régime de Khartoum dans sa période islamiste dure, aujourd’hui emprisonné

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