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Abdoul Mbaye, premier ministre, appelle à un Sénégal « citoyen » et au dialogue avec la « société civile » (1/3)

Publié le mercredi 19 septembre 2012 à 18h45min

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Abdoul Mbaye, premier ministre, appelle à un Sénégal « citoyen » et au dialogue avec la « société civile » (1/3)

Quand on nomme un économiste à la primature, normal qu’il tienne un discours économique. Quand l’économiste est, d’abord, un financier et un banquier, il faut s’attendre à un discours qui fait la part belle aux grands équilibres. Abdoul Mbaye est premier ministre de la République du Sénégal. HEC, BCEAO, BIAO, CBAO, BST, son parcours (cf. LDD Sénégal 0173/Lundi 9 avril 2012) est jalonné de sigles dont aucun n’est politique.

Et quand Abdoul Mbaye prononce devant l’Assemblée nationale sénégalaise sa première Déclaration de politique générale (DPG), c’est quasiment un traité d’économie politique qui nous est asséné. Mais comme le premier ministre s’appelle Mbaye et que, chez les Mbaye, humanisme & éthique vont de pair, en plus du reste cette « leçon de choses » s’accompagne nécessairement d’une « leçon d’être ».

Le 10 septembre 2012, Abdoul Mbaye a donc prononcé sa DPG. Pour dire où il veut aller et comment il veut y aller. Et avec qui. Mais, auparavant, il nous aura expliqué d’où vient le Sénégal. Sans lyrisme. Il évoque une première alternance démocratique, le 19 mars 2000, quand Abdoulaye Wade a succédé à Abdou Diouf ; puis une deuxième, le 25 mars 2012 quand « déjouant les prédictions les plus pessimistes, le peuple sénégalais, dans un élan patriotique et avec un sens élevé de la pratique démocratique, exprimait sans équivoque et avec une sérénité impressionnante son aspiration au changement, en portant son choix sur […] Son Excellence Monsieur Macky Sall ». Une alternance résultant « d’attentes insatisfaites, d’espoirs déçus, de perspectives obstruées, d’issues incertaines ». Une alternance qui oblique à « gouverner autrement, dans la rigueur, la sobriété et l’éthique ». Et qu’il convient de situer dans une conjoncture spécifique résultant d’une « série de crises qui ont fini de remettre en cause bien des doctrines et approches en matière de développement économique ». Résultat de tout cela : « Nous assistons aujourd’hui à des mutations profondes d’une société, avec un peuple conscient que sa souveraineté est inaliénable ». Cette souveraineté « réclame la fin de l’arrogance et de l’impunité, la juste récompense de l’effort, du mérite et de la compétence ».

Ceci étant dit, Mbaye va tirer un trait sur les considérations générales pour se concentrer sur les données économiques et financières 2011. Croissance : 2,6 % (contre 4,1 % en 2010) du fait de « la contreperformance du secteur agricole » alors que le PIB non agricole a progressé de 4,8 %. Inflation : 3,4 %. Déficit de la balance courante : 6,4 % du PIB. Déficit budgétaire : 6,7 % du PIB. Encours de la dette publique : 40 % du PIB (contre 21 % en 2006 !). Service de la dette : 493 milliards de francs CFA dont 412 milliards au titre du remboursement de la dette intérieure de 653 milliards de francs CFA (commentaire de Mbaye : « Le Sénégal est ainsi entré dans un cercle vicieux où il doit emprunter pour rembourser sa dette intérieure, dont le temps moyen de renouvellement est de 14 mois »). Raisons de cette détérioration : « Notre potentiel de croissance n’a pu être pleinement optimisé ces dernières années du fait, notamment, des fortes contraintes induites par la crise énergétique ». Il évoque aussi « l’inopportunité de certaines options en matière de réalisation d’infrastructures structurantes », « trop de priorités et d’urgences [qui] ont été négligées au profit de dépenses somptuaires et coûteuses », « des sommes colossales englouties dans l’organisation de conférences, de voyages, ainsi que d’un festival* ».

Alors que « chaque année, l’école absorbe plus du cinquième du budget de l’Etat », le pays subit « une dégradation continue de la qualité des enseignements et des apprentissages, avec de faibles taux d’achèvement, transition et de réussite aux examens ». La sécurité alimentaire n’est pas encore assurée et l’agriculture « peine » à être « le moteur de la croissance » (la conjoncture agricole a été désastreuse en 2011 du fait de la sécheresse : - 36 % pour les productions vivrières ; - 59 % pour l’arachide ; - 21 % pour le coton). Résultat global : « Notre pays connaît, en 2011, un taux de pauvreté élevé de 46,7 % au niveau national et de 69,3 % en milieu rural ». Diagnostic : « On peut difficilement échapper à la pauvreté lorsque l’on ne vit pas dans une société juste ».

Compte tenu de ce bilan (c’est la partie : « D’où on vient »), le gouvernement s’engage donc à « mettre fin aux injustices sociales, asseoir des bases économiques solides pour le développement, atteindre une productivité développante, devenir un modèle de gouvernance efficace, contribuer à garantir la paix, la stabilité, la sécurité et l’intégration régionale ». Trois mots résument l’action à venir du gouvernement (c’est la partie : « Où l’on va ») : « protection, transparence, efficience ». Mbaye veut « réinventer un Etat efficient, sobre et régulateur, un Etat qui impulse et assure le plein épanouissement des potentialités de chaque citoyen et de toutes les localités, un Etat qui assure la sauvegarde des ressources et une gouvernance de proximité ». Il ne manque pas d’ajouter que, ces dernières années, « l’Etat du Sénégal s’était mis hors du chemin de la bonne gouvernance » et que « les Sénégalais dans leur quasi-totalité, spectateurs réguliers de multiples dérives dans la gestion de la chose publique, commençaient à s’habituer au règne de l’opacité et du non-droit ». Ce qui est une remarque très courageuse tant il est vrai que le vice est toujours plus enthousiasmant que la vertu…

Ce qu’il propose (c’est la partie « Comment on va y aller »), c’est un « programme de rupture » (il emploiera l’expression à plusieurs reprises) dont les priorités seront les jeunes et les femmes, « acteurs du développement, force motrice des changements et cibles principales des politiques sociales […], centres d’impulsion de la croissance ». Un programme fondé sur « l’émergence de pôles de développement régionaux dynamiques et la relance du secteur agricole ». Il s’agira, dit-il, « d’oser, d’innover, de travailler, à la fois dans l’urgence et dans la prospective ». On notera que Mbaye évoque comme « soutien à la croissance » deux projets majeurs voulus par Wade : l’autoroute à péage Dakar-Diamniado réalisée par la filiale sénégalaise du groupe français Eiffage et l’aéroport Blaise Diagne construit à Diass (45 km à l’Est de Dakar) par le groupe saoudien SBG, ainsi que l’opération Millenium Challenge Account, également initiée par Wade, « symbole de la coopération entre les Etats-Unis d’Amérique et notre pays ». Mbaye évoquera également la réduction de train de vie de l’Etat par la « rationalisation » de la carte diplomatique et des dépenses dans l’éducation, la santé et l’agriculture. Dans cette perspective il a annoncé, également, la suppression du Sénat**.

Mbaye entend également « reprofiler » la dette sénégalaise. « Il existe, dit-il, un art de s’endetter de façon intelligente ». Dans cette même perspective financière, il a annoncé la création d’un Fonds de garantie et d’investissements prioritaires (Fongip) destiné au financement des « petites initiatives », des micro-entreprises, des PME-PMI, « le socle de notre croissance », d’un Fonds souverain d’investissement stratégique (Fonsis) en faveur des entreprises privées et parapubliques nationales à « fort potentiel de développement ». Il a aussi promis « l’amélioration du cadre fiscal de l’activité de crédit-bail, du capital-risque et le développement de la finance islamique ».

* Abdoul Mbaye fait allusion au Festival mondial des arts nègres (Dakar - 10-31 décembre 2010), formidable manifestation à vocation panafricaine et internationale dont l’organisation et la gestion auraient, malheureusement, été critiquables.

** Le Sénat vient, tout naturellement (le PDS d’Abdoulaye Wade y est majoritaire), de voter contre cette suppression de la chambre haute et de la vice-présidence mais cela ne devrait pas empêcher la finalisation du projet gouvernemental. Le coût annuel du « fonctionnement » du Sénat est chiffré à 7 milliards de francs CFA.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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