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Vendeurs d’agrégat derrière la prison civile de Ouagadougou : Tirer son couscous du sable

Publié le lundi 11 octobre 2004 à 06h55min

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A Dassasgho au secteur 28, à quelques encablures de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou, des femmes de tout âge mais de conditions sociales identitiques ont trouvé leur filon d’or dans les bas-fonds sablonneux. Elles creusent, tamisent, ramassent, transportent, entassent le sable pour espérer vendre. Leur survie passe par là. Pourquoi pas, leur libération ! Quand le sable à tout prix devient source de revenus, il charrie tout aussi beaucoup de difficultés et suscite au bout de l’espoir.

Décidemment, "vérité de Zorgho, n’est pas vérité de Tougan" pour emprunter un adage occidental. Il y a peu lorsque quelqu’un était soupçonné de vouloir vous nuire, à lui on collait l’expression, "il veut mettre du sable dans mon couscous". A Dassasgho, pour Fatimata, Mariam, Assêta et compagnie, le sable est synonyme de gagne pain. Et pourrait par conséquent être le sel, le piment en un mot l’arôme qui va aider à assaisonner le couscous à la maison. A priori de ces femmes ce qu’on peut donner comme qualificatifs est courageuses. Pour courageuses en effet, elles le sont vraiment. Les intempéries, pluies, soleil, moustiques, elles les ignorent. Tôt levées le matin, après les travaux domestiques, elles prennent le chemin des bas-fond derrière la prison civile de Ouagadougou. Làbas, elles espèrent s’en sortir à partir de la vente du sable destiné à la construction des maisons. "Cette année, l’hivernage a été capricieux" lance Fatimata Traoré comme pour dire que la rareté des pluies leur porte préjudice. En fait, sans pluie, pas d’eau de ruissellement pour transporter le sable et les déverser dans les rigoles et autres bas-fonds. Mais n’empêche ! Ces femmes sont là. L’eau qui stagne en rien ne les effraie. Elles y pataugent un seau en main. Les mouvements semblent mesurés. Les sauts font le va et vient du fonds de l’eau et ressortent avec un tas de sable. Machinalement, elles lavent ce sable, le portent et sortent le mettre en tas à quelque cinquante mètres du lieu d’extraction.A regarder les gestes on a l’impression que c’est une activité facile à exécuter dans ce que certains Ouagallais appellent "la mine à ciel ouvert" de Dassasgho. Mine !, le mot est lâché à la différence que ici "chacun est son propre patron et surtout on fait fi du travail à la chaîne". Chacune va donc de son crue. De sa chance. Fatimata Ouédraogo ce jour-là avait juste son vieux foulard sur la tête, un pagne bien noué. Les rides sur les traits de son visage, de son corps laissent voir une personne bien âgée. Ce qui fait d’elle la doyenne du groupe. La vielle n’a vraiment pas le temps. Ses outils de travail en main, elle creuse, lave ramasse. Contrairement aux autres femmes, elle dépose son tas juste sur la marge du bas-fond. Epouse d’un gardien à la retraite, elle aurait pu elle-même prendre sa retraite. Mais "qui va nourrir mes enfants" nous demande-t-elle. En somme la préoccupation majeure c’est comment vivre ? Toutes ces femmes qui viennent des quartiers Zogona, Dassasgho, Wayalguin donc riverains sont hantées par cette question. "Nous voulons nous aussi envoyer nos enfants à l’école, les habiller et surtout les nourrir et les soigner quand il le faut" note au passage Réhanata Ouédraogo qui a déjà "inscrit certain de ses enfants à l’école publique". "Je fais çà parce que je n’ai pas de travail" avoue-t-elle pensive. Alors que dans le bas-fond, les autres femmes "travaillent" sans tenir compte de notre présence. Par endroit, certaines femmes ont l’eau jusqu’aux genoux. "On reste dans l’eau entre 2 et 8 heures par jour" souligne Fatimata Traoré. Les risques de maladie, elles en parlent. Mais vaguement. Sans plus. selon Fatimata Traoré, "on nous a fait comprendre que l’eau est sale, qu’elle peut être infectée ou infestée de serpents". Mais "que voulez-vous qu’on fasse" renchérit-elle comme pour marquer son impuissance. Pourtant l’eau est vraiment sale. Eau de ruissellement qui prend ses sources dans plusieurs quartiers et qui "transportent" toutes sortes d’ordures, on ne doit pas dire que cette eau là est propre. D’ailleurs la fange sur les parties que l’on peut considérer comme des berges en disent tout sur l’état de saleté et de polutionsont. Les bouts de bois, les sachets usagers, les boîtes vides, etc rappellent à chaque instant que le danger est permanent. Les femmes de leur côté ne portent aucun signe de protection. Pas de gants, pas de bottes, pas de protèges narines. Les accidents de travail sans être monnaie courante, existent tout de même. Mariam Kagambéga en sait quelque chose. "Après une chute, je m’étais déplacée le bras" raconte-t-elle un brin de sourire aux lèvres. Cette année, le sable est rare comme la pluie. Normalement et selon les principes économiques, une denrée rare s’achète à un prix d’or. Cette théorie n’est malheureusement pas valable pour le sable de derrière la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou. Hélàs ! Assèta Compaoré résume l’état de finance de ces femmes. "Ce que je gagne est minime. Je le dépense aussitôt" dit-elle tout en se gardant de dévoiler dans les détails ses gains journaliers. Quand çà marche vraiment et Fatimata Traoré insiste sur le vraiment, "j’ai 1000 frs tous les deux jours" et d’ajouter presqu’illico "...je les dépense aussitôt". Pour des femmes qui peuvent en fin de journées, ramasser sept assiettes de sable... Les vrais profiteurs des fruits du dur labeur de ces femmes seraient plutôt les charretiers qui eux-mêmes revendraient le sable à plus grands. En attendant la fin prochaine de l’hivernage qui verra ces femmes retourner pour la plupart à leurs activités initiales, elles sont à Dassasgho, les unes avec leurs enfants pour les aider ou s’occuper des plus petits. Leur filon malheureusement n’est pas inépuisable. Et comme dans ce genre d’activités ce ne sont pas souvent ceux qui s’échinent le plus qui tirent le plus de bénéfices. En voyant "Yaaba" Fatimata Ouédraogo à l’oeuvre, on se laisse frappé par son courage, son abnégation.
Si cette determination à vouloir coûte que coûte tourner dos à la misère et à la pauvreté dans l’honneur pouvait déteindre sur certains voisins de ces femmes. Surement que le droit de partir et de venir n’allait pas prendre un coup de fouet. Ici aussi un autre adage peut avoir droit de cité. Surtout que la sphère d’opération de ces femmes donne l’occasion. L’adage dit en effet "être libre comme un poisson dans l’eau". Ces femmes sans ambages travaillent "dans l’eau même souillée" pour leur liberté. honis sois qui mal y pense !

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