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Pression internationale maximale sur Gbagbo. Reste aux Ivoiriens à "s’autodéterminer" !

Publié le lundi 9 août 2004 à 07h32min

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Que va-t-il rester d’Accra III ? Une (nouvelle) espérance déçue ou, véritablement, l’amorce d’un processus de solution à la crise qui pourrit la vie de la Côte d’Ivoire, de l’Afrique de l’Ouest et, de plus en plus, du continent tout entier ? Personne, je pense, n’imagine un seul instant que Accra III est une porte de sortie des difficultés politico-militaires d’Abidjan. Tout au plus une issue de secours.

A Accra, le ton des chacun des intervenants internationaux a été fenne. Qu’il s’agisse du secrétaire général des Nations unies, des chefs d’Etat africains, des diplomates étrangers en charge du dossier. Paris était officiellement absent et Gbabo a été mis dans l’obligation d’apposer sa signature au bas de la feuille de route.

Accra III, c’est Marcoussis en version tropicalisée. En janvier 2003, beaucoup étaient persuadés que le fauteur de troubles était Gbagbo. Non pas qu’il soit responsable de la crise ; mais parce qu’il se révélait incapable d’y trouver une issue après avoir espéré qu’elle conforterait son pouvoir quelque peu bringuebalant. Gbagbo, au lieu de calmer le jeu et de prendre en compte la réalité politico-sociale du pays, avait tenté de brusquer les choses et de rebondir sur les événements déclenchés dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002. Son objectif était d’éradiquer durablement une partie de l’opposition ivoirienne. Il avait échoué.

Mais Marcoussis, qui voulait faire son procès, fera. finalement, le procès de l’opposition ivoirienne : tout comme Gbagbo était incapable de trouver une solution adéquate à la crise, l’opposition se révélait incapable d’assumer ses responsabilités et attendait que Paris assume la gestion de la crise. Et oblige Gbagbo à être raisonnable ! Dominique de Villepin savait que c’était mission impossible. Chirac a cru pouvoir raisonner le chef de l’Etat ivoirien. Exit de Villepin. Puis exit la France, Chirac ayant fini par comprendre que les relations franco-ivoiriennes n’étaient pas, en 2004, ce qu’elles étaient par le passé. Gbagbo arc-bouté sur une position intransigeante vis-à-vis de la France, de l’Afrique et de la "communauté" internationale (position qui se résume en deux mots : "démerdez-vous" !), joue le spectateur d’une crise dont il tient le rôle-titre tout en s’activant dans la coulisse.

Ce que Paris n’avait pas réussi, l’Afrique et ses alliés internationaux ont estimé pouvoir le réussir. Voilà Accra III. Un secrétaire général des Nations unies (qui, à Accra, est à la maison ce qui facilite bien les choses), treize chefs d’Etat, des diplomates de tous horizons et dans leurs bagages les leaders de l’opposition ivoirienne. Ils ont donc décidé à Accra de la jouer "tropicalisée". Gbagbo avait été mis sur la touche par Marcoussis, on le remet sur le devant de la scène. Retour à la case départ. Là où Marcoussis avait échoué, Accra III allait réussir. Miracle du consensus africain ! Le ton est fenne ; l’exaspération est totale. La menace de sanctions est brandie si le calendrier sur lequel tout le monde s’est mis d’accord n’est pas respecté.

Tout le monde fait semblant d’y croire. C’est cela le consensus africain. Mais chacun sait que Gbagbo va poursuivre son intenninable fuite en avant "Moi. je veux bien. mais le peuple ivoirien ne veut pas". Sous-entendu : "ne veut pas de Ouattara". C’est de cela qu’il s’agit depuis dix ans. Ce n’est même pas une question d’hommes : c’est que la carte de la xénophobie est pratique pour tous les pouvoirs en place à Abidjan Elle justifie leur incapacité à mettre le pays sur le chemin de la croissance durable (j’insiste sur le mot durable) : et justifie toutes les dérives. Ouattara est un épouvantail ("l’étranger") que Bédié, Gueï et Gba.gbo n’ont cessé d’agiter.

Depuis des années, on ne cesse de malaxer la Constitution ivoirienne de toutes les manières possibles. Albert Tévoedjre affirme même que le "succès le plus important" du sommet de Accra III est que les futurs candidats à la présidence de la République devront être nés de père
"ou" de mère et non plus de père "et" de mère ivoiriens. "Ou" est le mot "crucial" dit-il. Gueï expliquait la même chose en 2000 ayant joué des mois avec cette histoire de "et" et de "ou ".
Objectif : barrer la route du pouvoir à Ouattara ; ou l’entrouvrir.

J’avais d’ailleurs cru comprendre, d’abord, que pour une certaine classe politique ivoirienne (dont le chef de file était alors Henri Konan Bédié : "De toute façon, il était burkinabè par son père et il possédait toujours la nationalité du Burkina Faso, il n’avait donc pas à se mêler de nos affaires de succession ", page 147 de son livre les Chemins de ma vie) Ouattara était Burkinabè puis, ensuite, qu’il était de père et de mère ivoiriens. Un Forum de la réconciliation nationale s’est longuement penché sur la généalogie de Ouattara ; les juges ivoiriens lui ont accordé un certificat de nationalité.

La question semblait tranchée définitivement. Et quoi qu’il en soit de cette "nationalité", l’histoire personnelle de Ouattara est suffisamment étroitement liée à l’histoire de la Côte d’Ivoire contemporaine (liée et cimentée, désormais, par des milliers de morts !) - au moins depuis 1990 - pour que personne ne puisse en faire une "pomme de discorde".

Personne sauf Gbagbo bien sûr. Puisque minoritaire socialement et politiquement dans le pays, il ne tient son pouvoir que de l’exclusion des autres. Et la partition de la Côte d’Ivoire en deux zones Nord et Sud est tout à son avantage. Depuis près de deux ans. il est quasiment débarrassé des "Nordistes" et peut assumer son hégémonie sur une partie de la population qui partage désormais sa vision xénophobe (tous les malheurs de la Côte d’Ivoire viennent des "étrangers’ :) tout en tenant dans une main de fer (qu’il justifie par la situation politico-militaire du pays) les "étrangers" de la zone Sud. Gbagbo est gagnant sur toute la ligne. Et peut, à l’occasion. se draper dans la toge du démocrate en appelant au référendum sur la question essentielle : voulez-vous d’un "étranger" à la tête de votre pays ?

Qui est dupe de ce jeu ? Pas grand monde. Mais l’Afrique a fait ce qu’elle devait faire puisque la France ne le fait plus. "Maintenant, c’est aux Ivoiriens de s’autodéterminer" m’a confié un ministre des Affaires étrangères d’un pays de la sous-région. Gbagbo a apposé sa signature au bas des accords de Accra III. Les Nations unies promettent une pression maximale. Gbagbo a pris conscience, dans la capitale ghanéenne, qu’il était isolé sur la scène africaine et sur la scène internationale. A lui de choisir entre la repentance et le jusqu’au-boutisme. En se posant la question de savoir ce que deviendra, en bout de course son parti : le FPI. qui aura été le cadre d’action d’une des pires politiques jamais mises en oeuvre en Afrique de l’Ouest.

Je mise sur le jusqu’au-boutisme. Parce que Gbagbo occupe le terrain et que l’opposition politique ne l’occupe pas. Ce qui laisse toute liberté d’action aux groupuscules se réclamant de la rébellion ; ils donnent dans le gangstérisme et la mise en coupe réglée du Nord. La découverte de charniers dans la région de Korhogo est un sale coup médiatique pour la rébellion. Qui permet à Gbagbo de rebondir, de clamer qu’il avait raison d’exiger une commission d’enquête sur les atteintes aux droits de l’homme qui ne soit pas limitée au Sud, etc, etc, etc...

Sale coup pour la "rebeIlion" qui avait les faveurs de la presse internationale. Sale coup pour le RDR de Alassane Ouattara. Là où il est sensé être en position dominante, voire hégémonique. dans son fief historique. il est incapable, vingt mois après le coup de force du 18-19 septembre 2002. d’avoir structuré ses positions. organisé ses militants. empêché la prise du contrôle de la population par des éléments armés inorganisés. Gbagbo, dont les tuteurs sont les Angolais de Luanda, joue un jeu à la Dos Santos. Il a été légitimement élu ; il a un passé d’opposant (et plus encore de démocrate, ce qui n’était pas le cas de Dos Santos) ; il tient la capitale.

Et s’il n’a pas de pétrole, les autres n’ont pas de diamants. Mais il tient plus fermement le Sud qu’ils ne tiennent le Nord. Et a organisé leur déstabilisation (y compris militaire). Le temps (et les frictions entre "rebelles"), pense-t-il, joue pour lui. Jusqu’en octobre 2005, fin de son mandat présidentiel.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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