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Crise à Air Burkina : Le pilote Ghelala a-t-il perdu le contrôle ?

Publié le jeudi 11 septembre 2008 à 09h28min

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Air Burkina traverse une terrible zone de turbulences. Le Directeur général, Mohammed Ghelala, aux commandes de l’avion, risque de tout faire capoter. Au moment où on ne l’attendait pas, il a fait un revirement spectaculaire…

Les travailleurs se sont sentis en « insécurité totale ». Ils ont même décidé d’écrire au ministre des Transports, Gilbert Ouédraogo. Les premières phrases font froid au dos : « Nous, travailleurs d’Air Burkina, n’aurions pas pris sur nous l’initiative de vous adresser cette lettre et, à travers vous, aux plus hautes autorités et au peuple tout entier, si le cauchemar que nous vivons n’avait comme maître d’œuvre qu’un directeur général qui a pris sur lui la responsabilité de nous traiter en parias, de transgresser systématiquement les textes en vigueur, de pratiquer une gestion ubuesque aux antipodes des intérêts de la compagnie et des intérêts même du repreneur et, surtout, de bafouer sans sourciller, l’autorité de l’Etat ». Cette seule phrase a dû troubler le sommeil de Mohammed Ghelala.

Mais les travailleurs n’entendent pas s’arrêter là. En février dernier, n’en pouvant plus, ils avaient organisé une grève pour protester contre « les pratiques inhumaines » dont ils étaient l’objet. Et exiger aussi l’examen et la satisfaction de leurs doléances. La mobilisation était tellement forte que l’avion a failli basculer. Voyant venir le danger, le ministre des Transports, Gilbert Ouédraogo, et celui du Travail et de la Sécurité sociale, Jérôme Bougouma, ont dû jouer les médiateurs. Un protocole d’accord avait été signé. Les responsables de la compagnie s’étaient engagés à « examiner favorablement et avec la plus grande attention » les doléances des travailleurs. Ces derniers avaient alors décidé de « suspendre le mot d’ordre de grève et de reprendre le travail ». Au bas de la page 2 du protocole d’accord, trône une phrase capitale : « Air Burkina s’engage à éviter toutes représailles découlant de la présente grève ».

Mais le DG a foulé aux pieds ce dernier engagement. Pourtant, le protocole d’accord a été signé par le premier responsable de la compagnie, le président du conseil d’administration, Mamady Sanoh. Le Directeur des ressources humaines de son Altesse, Luis Olivares, a lui aussi, apposé sa signature au bas du texte. Mais Ghelala n’en n’a cure. Le 28 avril 2008, il adresse une note salée à toutes les directions, représentations et aux délégués du personnel d’Air Burkina. Morceau choisi : « La journée du 1er février 2008 sera retenue sur la paye du mois de mai du personnel ayant participé à la grève sauvage et illégale ». Cette information paraît aux yeux des grévistes, comme un coup de poignard qui pénètre le flanc frémissant et fait saigner le cœur. 8 mai 2008 : le ministre des Transports sort du silence et tape du poing sur la table.

Dans la lettre N°2008-0204/MT/CAB adressée au PCA, Mamady Sanoh, il tente d’éviter le crash de l’avion : « Il m’est revenu que la Direction générale de la compagnie Air Burkina s’apprête à opérer des retenues sur la paie du mois de mai au détriment du personnel ayant pris part à l’arrêt de travail des 1er et 2 février 2008 (…) Une telle attitude est contraire aux termes du protocole d’accord du 2 février 2008 dont le compte rendu a été fait au gouvernement, et à l’esprit du procès verbal de conciliation dressé à l’issue des négociations en application de l’article 337 du code du travail ». Selon le ministre, l’acte que Mohamed Ghelala est en train de poser, est très grave. Et il l’a dit, droit dans les yeux du PCA : « Je vous saurai gré des dispositions diligentes que vous voudrez bien prendre pour mettre fin à cette initiative isolée qui ne peut que saper les fondements de la paix sociale ainsi retrouvée ».

« Je vous licencie pour faute lourde »

Mais Ghelala persiste et signe : le 20 juin 2008, il adresse à la Directrice régionale du travail et de la Sécurité sociale, une demande d’autorisation de licencier un délégué du personnel. Il accuse Francis Ouédraogo, technicien d’avion à Air Burkina, d’avoir outrepassé ses compétences. Le 16 juin, le DG avait adressé une note à l’intéressé, le sommant de fournir une lettre d’explication par rapport aux faits qui lui étaient reprochés. Le lendemain, la lettre est prête. Francis Ouédraogo plaide non coupable : « Le samedi 17 mai 2008, en tant que chef de piste du jour, j’ai effectué le départ du vol présidentiel de Taïpe (Chine) avec mon équipe composée de Oubda Célestin et Yaro Frantz. Le dimanche 18 mai 2008, après le vol 2J 109, M. Yaro Frantz qui était également de service, m’a approché pour m’informer que son épouse a été évacuée à la maternité du quartier et qu’il souhaitait que je l’aide avec la somme de 5000 francs. Je n’avais pas cette somme, donc ne pouvais pas résoudre son problème. Alors, il me fit comprendre qu’ayant effectué le départ du vol présidentiel de la veille (17 mai 2008), il avait droit à 5000 francs à récupérer chez M. Bazié et qu’il lui fallait la signature d’un responsable pour attester de sa présence audit vol. En tant que chef de piste du jour, j’ai émargé pour certifier de la présence effective de Mr Yaro Frantz lors du vol présidentiel du 17 mai 2008. Par contre, je ne reconnais pas avoir émargé sur une fiche où étaient détaillées des heures de travail de Mr Yaro Frantz ». Un point, un trait.

La Direction régionale du travail et de la sécurité sociale décide de mener des investigations. Elle examine les pièces jointes à la lettre de Mohamed Ghelala et auditionne plusieurs personnes. Une fois l’enquête terminée, la Directrice régionale du travail, Colette Yelkouni écrit au DG d’Air Burkina : « Monsieur le Directeur, de l’ensemble des informations recueillies et après analyse, il ressort que les faits reprochés à Monsieur Ouédraogo Francis, délégué du personnel, sont certes établis, mais l’intention qui sous-tend l’acte est à but social, le travailleur bénéficiaire de son acte étant dans un besoin pressant. En tant que délégué du personnel enregistrant habituellement les doléances des travailleurs, monsieur Ouédraogo Francis a agi dans le souci de soulager son collègue et non pour porter préjudice à l’entreprise, encore moins pour manquer du respect à son supérieur hiérarchique ». La suite de la lettre cloue le bec au DG : « A l’audition du délégué, il ressort que ce dernier fait l’objet, depuis un certain temps, de harcèlement, allant jusqu’au contrôle des visiteurs qu’il reçoit dans son bureau. En outre, au regard de la faute commise et du montant incriminé (5000 F), l’on perçoit difficilement le préjudice subi par l’employeur pouvant entraîner le licenciement ». Et voici la sentence qui tombe, fracassante : « Au regard de ce qui précède, je suis au regret de ne pouvoir donner une suite favorable à votre demande ».

Echec et mat pour le DG ? Non. Colette Yelkouni a prêché dans le désert. De son avis, Guelala n’en a cure. Le 11 juillet 2008, par lettre référencée 0090/08/2J/DAP/DG/PAK, il licencie Francis Ouédraogo. « Suite à votre réponse à la demande d’explication qui vous a été adressée, vous avez été traduit en conseil de discipline le 19 juin 2008. Il résulte du procès verbal de ce conseil de discipline que vous ne contestez pas avoir signé en lieu et place de votre Directeur de service la fiche détaillée des heures de travail du vol présidentiel du 17 mai 2008 de monsieur Yaro Léonid. Ces faits qui, d’une extrême gravité constituent une faute lourde, ont justifié, en votre qualité de délégué du personnel, votre mise à pied provisoire, en attendant l’autorisation de licenciement sollicitée auprès de l’inspection du travail. N’ayant pas reçu à l’expiration du délai légal une réponse de l’Inspection du travail, je suis au regret de vous notifier votre licenciement pour faute lourde ». La suite ? La voici : « Prenez attache avec la Direction administrative et du personnel pour la liquidation de vos droits ».

Le ministre du Travail contredit le DG

Mais le feuilleton n’a pas encore livré ses derniers épisodes. 21 juillet 2008. Francis Ouédraogo écrit au ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Jérôme Bougouma. Il demande l’annulation de « l’autorisation supposée tacite » de son licenciement par la Direction générale de Air Burkina. Le 30 juillet, le ministre lui répond. Et il est catégorique : contrairement à ce qu’affirme Mohamed Ghelala, la réponse de l’Inspection du travail est intervenue dans les délais légaux. La lettre adressée à Francis Ouédraogo est suffisamment claire : « Après examen de votre dossier, j’ai l’honneur de vous informer qu’à la date du 20 juin 2008, date à laquelle Air Burkina a saisi la Direction régionale et de la sécurité sociale du centre pour demander l’autorisation de vous licencier, la loi N°028-2008/AN du 13 mai 2008 portant code du travail au Burkina Faso sur laquelle elle se fonde implicitement n’était pas en vigueur ».

Au cas où M. Ghelala n’aurait pas compris le sens de cette phrase, le ministre lui donne un petit cours de droit : « Au terme de l’article 2 de l’ordonnance 75-23 du 6 mai 1975 fixant les règles d’application des lois, ordonnances, décrets et arrêtés ministériels ainsi que des actes administratifs à caractère individuel, ‘les lois et ordonnances, ainsi que les actes réglementaires deviennent exécutoires sur tout le territoire du Faso huit jours francs après leur publication au Journal officiel’. La loi 028-2008/AN du 13 mai 2008 portant code du travail au Burkina Faso, a été promulguée le 19 juin 2008 et publiée au Journal officiel le 23 juin 2008 ».

Et le ministre ne s’arrête pas là : « Air Burkina, dit-il, a saisi l’Inspection du travail sous l’empire de la loi 033-2004/AN du 14 septembre 2004 portant code du travail au Burkina Faso. Au terme de l’article 282 alinéa 2 de cette loi, c’est dans le délai de trois mois que doit intervenir la réponse de l’Inspection du travail. En conséquence, la réponse de l’Inspecteur du travail tendant à refuser votre licenciement est intervenue dans les délais légaux et mérite confirmation ». Le ministre conclut sa lettre par cette phrase : « Au regard de ce qui précède, je vous invite à prendre attache avec la Direction générale de Air Burkina pour les formalités de réintégration ». Ampliation : Premier ministère pour information, ministère des Transports pour information, DG d’Air Burkina pour exécution.

Mais c’est mal connaître Mohamed Ghelala. Il refuse d’exécuter la décision du ministre. Francis Ouédraogo saisit alors un cabinet d’avocats. Ce dernier écrit au DG pour demander la réintégration du délégué licencié : « Afin de lever tout équivoque et vous témoigner de la disponibilité de Francis Ouédraogo à assumer avec conscience, comme il l’a toujours fait, ses fonctions au sein de l’entreprise, nous sommes disposés à vous rencontrer à telles date et heure qu’il vous plaira de nous faire savoir ». La rencontre n’aura pas lieu. Mohammed Ghelala a coupé court au débat. Le jour de la réception de la correspondance, il affiche sa position par lettre N°0106/08/2J/DAP/DG/EG : « Je suis au regret, dit-il, de vous informer que je ne saurais y donner une réponse favorable ». Et il durcit le ton : « Je vous remercie à cet égard et si tel est votre souhait, de saisir la justice afin qu’une décision vienne situer les uns et les autres sur leurs droits respectifs ».

Le pilote Ghelala réussira-t-il à traverser la zone de turbulences ? Les secousses sont de plus en plus persistantes. Plusieurs ceintures de sécurité ont déjà cédé et les passagers, inquiets, cherchent en vain des gilets de sauvetage…

Par Hervé D’AFRICK
Le Reporter
(reporterbf@yahoo.fr)


« Qui protège Ghelala ? »

Dans les couloirs d’Air Burkina, nombreux sont ceux qui se posent cette question. Et qui se demandent aussi, avec insistance, s’ils ne seront pas sanctionnés pour avoir participé à la grève des 1er et 2 février. En tout cas, l’inquiétude s’est installée dans la maison : « Si le DG est capable de défier l’Inspection du travail et même des ministres, c’est qu’il est assis sur du roc. Dans une telle position, il est capable de trouver des prétextes pour nous foutre dehors », affirme un travailleur.

Et un autre d’ajouter que « Ghelala joue avec le feu. S’il ne revoit pas sa position, nous allons réagir avec la dernière énergie ». Il a créé, dit-il, « un climat délétère dans la compagnie. Cela n’est pas propice à un travail efficace et efficient. Notre préoccupation première, c’est de fournir le meilleur de nous-mêmes. Mais c’est difficile de le faire dans de telles conditions. Il faut que Ghelala revoit sa position ». Le DG l’entendra-t-il de cette oreille ? Mystère et boule de gomme.

Hervé D’AFRICK


Une affaire dans l’affaire

Le dossier est tellement brûlant que des têtes ont commencé à tomber. Mais pas toutes. « Les vrais auteurs sont, jusque-là, épargnés », confie une source. L’affaire est grave. L’aéronef MD 87 s/n 49834, immatriculé I-AFRA aurait été soumis à expertise au Centre de contrôle des véhicules automobiles (CCVA) de Bobo Dioulasso. En tout cas, la facture établie le 15 octobre 2007, d’une valeur de 3 800 000 FCFA, et signée par le chef d’antenne du CCVA Bobo, Philippe Sawadogo, porte le logo de ce Centre. Avec aussi la mention « Cabinet d’expertise ». Le problème, c’est que, selon nos sources, « le CCVA ne fait pas d’expertise sur les avions mais plutôt sur les véhicules automobiles ».

Jusque-là, dit-on, Air Burkina sollicitait ce service en France. Mais on ne sait pas par quelle acrobatie, l’aéronef a atterri à Bobo pour expertise. Le certificat de conformité, selon la facture établie par le chef d’antenne, a coûté 82 000 FCFA TTC, l’expertise elle-même, 3 481 800 FCFA, le déplacement 200 600 FCFA et les photos, 35 000 FCFA. Total TTC, 3 800 000 FCFA. Cette somme était initialement destinée au CCVA. Mais le chèque BICIA-B N°B4031375, concernant le travail effectué, a été libellé au nom de Sawadogo Philippe, comme si le CCVA n’avait pas de compte bancaire. Difficile de dire à l’heure actuelle où est passé l’argent.

Mais ce n’est pas tout : Philippe Sawadogo a aussi demandé des honoraires de 7 000 000 de FCFA à Air Burkina. Le pot aux roses a été découvert et certains agents ont été envoyés récemment en prison. Mais pour le moment, « des têtes couronnées continuent de circuler impunément. Philippe Sawadogo n’a pas été touché. Il serait bien aussi que le DG, Mohamed Ghelala, s’explique ; c’est lui qui signe les chèques », suggère un employé de la compagnie. Affaire à suivre.

Hervé D’AFRICK

Le Reporter

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