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90 ans de Nelson Mandela : L’Afrique passive

Publié le lundi 21 juillet 2008 à 12h23min

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Il y eut d’abord, à quelques semaines de la célébration de ses 90 ans, ce concert géant organisé en son honneur à Londres en Grande-Bretagne, qui réunit des artistes du monde entier, dont le célèbre acteur américain Will Smith. Puis vint le jour J, la fête proprement dite, réduite cette fois à un cadre plus restreint, plus intime, et moins bruyant : la famille. Pour fêter dans la plus grande sobriété ses 90 ans, Madiba, comme on le surnomme affectueusement, a préféré la retraite tranquille, dans le village rural de son enfance. Personne n’en a tenu rigueur à ce vieil homme, croulant à présent sous le poids de l’âge.

Malgré ses rares apparitions en public, le personnage conserve toute son aura et son prestige à travers le monde. Une aura, à nulle autre pareille ? En tout cas, les hommages qui n’ont cessé d’affluer de partout, témoignent encore de la popularité du vieux leader. Nelson Mandela est assurément une légende vivante. Comment alors s’étonner que l’ancien président américain, Bill Clinton, loue "la puissance de son exemple", que le président de la Fifa, Stepp Blatter, le qualifie d’ "icône de l’humanité", que le dernier président de l’apartheid, son rival d’antan, Frederick de Klerk, salue "l’un des plus grands hommes du 20e siècle" ? Bref, l’ancien pénitencier de Robben Island fascine autant qu’il rassemble. Fascinant non seulement par les valeurs qu’il incarne, mais aussi par les idéaux pour lesquels il s’est battu tout au long de sa vie. Humaniste, homme de paix, de tolérance et de foi, grand défenseur des causes perdues, combattant de la liberté, Nelson Mandela est un concentré de tout cela à la fois. A côté de Frederik de Klerk, il restera dans l’histoire comme l’un des grands artisans de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, ce qui valut d’ailleurs concomitamment aux deux hommes le Prix Nobel de la paix.

A travers la réconciliation nationale dont il s’est longtemps fait le fer de lance, Nelson Mandela aura contribué à tourner une sombre page de l’histoire de son pays. En cela, il aura comblé le grand fossé de la séparation raciale. Autre relique de l’histoire : l’ancien prisonnier de matricule 46664 aura ouvert la voie aux premières élections multiraciales, à son pays, qui feront de lui le nouveau président –plébiscité- de la République. Enfin, il aura été l’un des grands architectes de la commission "vérité et réconciliation", qui achèvera de faire sortir son pays de l’isolement international.

Mais Nelson Mandela n’est pas qu’un monument national. Plus qu’à l’Afrique du Sud, c’est un "bien" dont toute l’Afrique peut être fière. Au-delà de l’Afrique, Nelson Mandela appartient à l’humanité tout entière. Un homme de grande stature, et de grande valeur dans les pas duquel très peu de dirigeants du continent ne pensent même pas à marcher. Ils ne sont pas nombreux sur le continent à s’inspirer de son exemple. Sur la question de l’alternance par exemple ; comme il s’y était engagé lors de son élection, Nelson Mandela ne s’est pas porté candidat pour un second mandat. Il a tenu ses engagements et a cédé sa place à un plus jeune. Il a montré la voie à bien des chefs d’Etat africains qui ne se sentent nullement pas concernés par la retraite politique, quand bien même l’âge est devenu un handicap. Combien de chefs d’Etat pensent à ressembler à ce grand sage d’Afrique ? Combien peuvent-ils rassembler toutes ces valeurs incarnées en l’homme qui aura tendu une main fraternelle à ses anciens geôliers, et invité les anciens oppresseurs blancs à s’associer à l’œuvre de reconstruction nationale ? Mandela, c’est le chef d’Etat qui se sera aussi opposé fermement à l’attaque des Etats-Unis et du Royaume-Uni contre l’Irak sans l’aval des Nations unies. Qui aura contribué à briser le tabou qui entoure encore le Sida, en annonçant publiquement le décès de son fils, mort de la maladie. L’image de vieux sage africain n’en a été que plus renforcée.

Certes, à la fin de son mandat, certains radicaux ont critiqué l’absence d’efficacité de la politique de son gouvernement dans la lutte contre le Sida et les inégalités raciales, ou encore dans la lenteur des procédures d’indemnisations des Noirs spoliés sous l’apartheid. Certes, l’Afrique du Sud est toujours en proie à de profondes inégalités économiques. Mais il ne faut pas oublier que l’Afrique revient de loin, et que la priorité à l’époque était de panser d’abord les plaies de l’apartheid. Mais, enfin, comme dit l’adage, nul n’est prophète chez soi. Bien plus, on peut dire que nul Africain n’est prophète… en Afrique, à en juger notamment par le silence qui a pratiquement entouré l’anniversaire du héros africain sur le continent. Rien, sinon très peu, a été fait en Afrique pour rendre hommage à l’illustre personnage. En somme, cette commémoration a donné l’impression d’une Afrique passive face à l’événement. Mais, au-delà, Nelson Mandela passe pour une icône pas suffisamment connue des jeunes générations. Combien sont-ils à connaître son parcours ? En Afrique, il apparaît clairement que le nom sert beaucoup plus à des objectifs de marketing pour structures diverses en quête de visibilité. Dans bien des établissements qui portent son nom, on n’en fait d’ailleurs jamais cas.

En tout état de cause, l’Afrique doit à l’ancien président sud-africain, reconnaissance et déférence. Et c’est pourquoi il aurait dû être célébré à la hauteur de sa dimension. Pourquoi ne pas décréter une année Mandela, comme ce fut le cas pour l’année Senghor ? Mais comme tout homme, Nelson Mandela a eu des insuffisances et des faiblesses. On peut lui reprocher d’avoir par exemple gardé le silence sur certaines questions cruciales qui agitaient son pays et le monde en général. Comme s’il s’était décidé de tourner le dos aux pulsions et vacarmes du monde. Sa voix n’a pas été entendue sur les fléaux de la xénophobie et de l’insécurité qui continuent à ruiner son pays.

Mais après tout, on ne saurait en vouloir à ce vieux sage qui a tellement donné de sa vie à l’humanité qu’il mérite à présent un repos mérité. Même si l’ancien dirigeant sud-africain continue de servir le monde autrement, à travers sa fondation Nelson-Mandela.

"Le Pays"

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