15-octobre : Témoignages d’acteurs de la Révolution
Blaise COMPAORE sur les évènements du 17 mai
Le Conseil de Salut du peuple (CSP) avait un meeting, samedi 14 mai à Bobo et tout le monde devait y être. Le vendredi 13, lorsque je voulus prendre la route de Bobo, un officier de l’Armée de l’air m’appela. Je suis allé le voir, il avait les yeux rouges.
Quand je lui ai demandé ce qui se passait il m’a dit qu’il avait quelque chose de très important à me dire mais que je devais garder le secret parce que si cela se savait il dirait ne m’avoir jamais rien dit. Ainsi, il me confia qu’on allait nous arrêter. En mon fort intérieur, je me dis que si c’est à Ouaga, il serait difficile de m’arrêter ; ce qui ne serait pas le cas, si j’étais par contre à Bobo. Ainsi, je décidai de ne plus me rendre au meeting de Bobo.
Toutefois, après analyse je me rendis compte que puisque le chef de l’Etat, le Premier ministre Thomas SANKARA et le chef d’Etat major Général des Armées seraient tous au meeting, je ne pouvais pas me dérober. Il fallait donc que j’y aille. Ce que je fis, me disant cependant que si les gens devaient rentrer le dimanche à Ouaga, moi je ne le ferais que le lundi car si on devait nous arrêter ce ne pourrait être qu’à partir du mardi 17 mai ; ce qui serait du reste très compliqué pour eux à Ouaga.
Le meeting était prévu pour 16h. J’arrivai à Bobo autour de 14h et allai immédiatement voir le Premier ministre Thomas pour l’informer de notre éventuelle arrestation dans la semaine. Je lui ai dit que puisqu’il en était ainsi, il devait profiter du meeting pour bien insulter les autres (ndlr : le camp du CSP favorable à son président). Ensuite, je lui conseillai de rester vigilant lorsqu’il rentrerait à Ouaga en attendant mon retour que j’avais prévu pour lundi et là, nous allions mieux nous organiser. Comme j’avais servi auparavant cinq ans à Bobo, je restai pour voir un certain nombre d’amis. (Ndlr : c’est à cette occasion que lui a été présenté Dianguinaba BARRO qui lui avait offert les mangues dont certains intervenants ont fait cas dans leurs témoignages.).
Dans la même nuit, je dis à mon chauffeur de rejoindre son hôtel, le Watinoma, pendant que moi j’étais dans les appartements de la BCEAO. Je lui fis savoir qu’on allait quitter Bobo le 17 à 6h du matin. Mais vers 2h du matin quelque chose me dit de ne pas passer la nuit à Bobo et nous quittâmes alors aussitôt la ville pour arriver à Ouaga autour de 5h du matin. Nous traversâmes la ville qui était plutôt calme alors que ça bougeait autour du camp Guillaume et la maison du Premier ministre. Arrivé chez moi, c’est François COMPAORE qui ouvrit immédiatement la porte et il m’annonça que des gendarmes étaient venus la nuit pour m’arrêter. Je pensais, cependant, que c’était fini, car je ne savais pas que les chars étaient dehors. Alors je dis à mon chauffeur d’aller déposer ses affaires au camp et revenir me chercher autour de 7h pour aller à la présidence afin de savoir pourquoi on voulait m’arrêter. Quand il partit, à peine un quart d’heure après, il revint me dire que mes éléments étaient encerclés au camp. C’est là que je décidai de partir à Pô.
Ils étaient dans les tranchées...
Le jeudi 18 octobre, celui qui pilote la Renaissance démocratique, Blaise COMPAORE, ses principaux collaborateurs et certains acteurs de la Révolution en passant par la Rectification et l’Etat de droit ont avec la jeunesse du Burkina échangé sans langue de bois. C’était à Pô, ville d’où avec ses commandos et des patriotes qui les avaient ralliés, ils sont partis pour investir la capitale et instaurer la Révolution, le 4 Août 1983. Le rôle actif qu’a joué Blaise COMPAORE durant ce quart de siècle d’histoire contemporaine de notre pays avec bien sûr des périodes difficiles et la volonté d’offrir au peuple un mieux-être dans la dignité et le respect ont été les sujets de la causerie. Loin d’être une fiction, les témoignages, les questions-réponses des jeunes qui ont soif de découvrir Blaise, ont levé un coin de voile sur la vie d’un bâtisseur. Lisez plutôt.
Me Mamadou TRAORE, alors Directeur des CDR de services puis Commissaire politique chargé des secteurs structurés
Répondant à une question sur la contribution de la jeunesse à la Révolution
“il y a eu des débordements au niveau de la surveillance des contre-révolutionnaires.”
“Les premiers responsables de la Révolution étaient des jeunes. Ce qui a créé au plan politique, un engouement de toute la jeunesse du pays qui a participé au premier rang à l’avènement de cette révolution. Que ce soit le 17 mai après le meeting de Bobo-Dioulasso et tout ce qui s’en est suivi ; que ce soit le 4 Août 1983, la jeunesse a pris une part active à travers les structures CDR.
D’une manière générale, il faut noter qu’aux premiers moments l’une des premières tâches a été d’organiser les jeunes, qui s’étaient pour la plupart formés à Pô et dans les secteurs pour assurer la sécurité des personnes et des biens. Mais il y a eu des débordements au niveau de la surveillance des contre-révolutionnaires. Ce qui a été le plus important, c’est que les actions de ces jeunes ont permis de « pacifier » les secteurs.
Nous avions par ailleurs, organisé à Pô une conférence des étudiants sur la formation et l’emploi afin de mieux impliquer les jeunes dans la production. Ainsi, nous avons organisé des camps de vacances dans la Gnagna, et dans la Comoé. Ces camps étaient des occasions pour les jeunes de travailler dans divers secteurs du développement tels que la Santé et l’Agriculture. Le couronnement de toutes ces activités a été la mise en place du Service national populaire (SNP).
La Révolution n’avait pas les moyens pour assurer de l’emploi à tout le monde. Pour pallier cette situation, le SNP permettait aux jeunes, notamment scolarisés ou en fin de cycle, de faire non seulement une formation militaire, mais aussi de participer à la production dans la Fonction publique tant dans l’Enseignement que dans la Santé ou ailleurs selon leurs profils.
Enfin, on peut dire que lorsque la Révolution a commencé à connaître des problèmes, la jeunesse a joué un grand rôle. Au cours d’une conférence que nous avions organisée à Pô, je me rappelle comme si c’était hier, les étudiants ne voulaient plus entendre parler d’un certain nombre de mots d’ordre. Cela m’a amené à rentrer en contact avec le président SANKARA à plusieurs reprises pour savoir la conduite à tenir. Il fallait que je calme la situation en attendant car, il avait décidé de venir à la clôture et les jeunes l’attendaient pour lui dire un certain nombre de vérités. Pour me résumer, je dirai qu’en ce qui concerne la solution à la crise au sein du CNR, la contribution de la jeunesse a été très importante en prenant fait et cause pour beaucoup plus de liberté.
C’est aussi la participation des jeunes qui a permis à certains mots d’ordre d’avancer ; c’est le cas de la bataille du rail, du sport de masse, des trois luttes…”
Colonel Gilbert DIENDERE, Commandant adjoint du CNEC puis Chef d’Etat Major particulier de la Présidence du Faso, répondant à une question sur la résistance du 17 mai
“On visait à faire venir le capitaine Blaise COMPAORE à Ouagadougou pour pouvoir le prendre.”
“Je crois que la modestie du président fait qu’il ne veut pas parler de lui-même alors qu’il a été l’acteur principal de la Résistance qui a commencé à partir du 17 mai 1983 et même avant. J’ai été témoin de cette journée mémorable qui a, en fait, commencé pour moi le 15 mai où j’ai reçu ici à Pô en tant que son adjoint un message de sa part m’invitant à le représenter à une réunion à Ouagadougou puisque lui il était à Bobo-Dioulasso pour un meeting le 14.
L’ordre du jour officiel de cette réunion qui devait se tenir le 16 mai portait sur la présentation de nouveaux parachutes aux corps parachutistes auxquels nous appartenions.
En réalité, nous avons compris par la suite que cette réunion visait à faire venir le capitaine Blaise COMPAORE à Ouagadougou pour pouvoir le prendre. En me présentant le 16 au lieu indiqué pour la réunion, on m’a fait savoir que celle-ci était reportée. J’ai compris que ce report était dû tout simplement à l’absence de Blaise COMPAORE. Je me suis donc retourné dans ma chambre au Mess des officiers pour attendre et revenir le lendemain à Pô.
Le 17, très tôt le matin, un officier accompagné de deux ou trois militaires est venu me réveiller pour me dire qu’il fallait que j’aille au camp Guillaume calmer mes commandos qui n’étaient pas contents d’un mouvement fait dans la nuit par les autres militaires. Effectivement, nous avions au camp Guillaume un détachement de 30 commandos qui assuraient la sécurité du Premier ministre de l’époque, Thomas SANKARA. Ces éléments avaient été encerclés entre 3h et 4h du matin parce qu’ils avaient opposé une résistance suite à l’arrestation de Thomas SANKARA, LINGANI et bien d’autres camarades. L’officier et ses éléments m’ont obligé à embarquer dans leur véhicule quand bien même j’avais ma propre jeep garée.
Arrivés à la porte du camp, ils sont restés dehors et m’ont dit d’aller voir mes éléments à l’intérieur. Dès que je suis rentré, ils m’ont expliqué le déroulement de la situation. J’ai immédiatement pris fait et cause pour eux parce que non seulement j’étais également contre ces arrestations mais aussi et surtout en tant que leur supérieur, je ne pouvais pas les abandonner à eux-mêmes. J’ai décidé donc de rester avec eux, advienne que pourra. Pendant ce temps, le capitaine Blaise COMPAORE rentré très tôt de Bobo s’était fait déposer à son domicile et avait dit à son chauffeur MAIGA de faire un tour au camp Guillaume pour voir les éléments qui y sont, le temps pour lui de prendre un bain avant de retourner à Pô. Quand le chauffeur est arrivé à côté du camp, il a vu que celui-ci était encerclé par beaucoup de militaires et des engins blindés.
Il a compris qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Il a donc en même temps fait demi-tour pour aller rendre compte à son chef qui certainement n’a pas eu le temps de se laver comme il l’avait prévu et, a décidé de prendre immédiatement la route de Pô. Comme c’est un commando, il savait très bien qu’il ne fallait pas venir tout droit parce qu’on pouvait lui tendre une embuscade. Il a alors pris un chemin détourné. Il a dû quitter vers 7h du matin et ce n’est que vers 17 h qu’il est arrivé à Pô. Quelques jours après lorsque nous l’avons rejoint, il m’a dit qu’il n’avait pas l’habitude de manger les mangues mais que ce jour-là, il n’avait mangé qu’une mangue toute la journée.
Pendant ce temps, au camp Guillaume OUEDRAOGO, je suis resté avec mes éléments pour organiser la résistance avec eux en attendant la réaction de Blaise COMPAORE. Ce n’était pas facile compte tenu de notre nombre par rapport à ceux qui nous encerclaient. Pour leur faire peur, j’ai dit aux éléments de se balader dans la cour avec des RPG7. C’était une manière de les dissuader de nous attaquer. Lorsque nous avons su dans la nuit que Blaise COMPAORE était déjà à Pô, ça été un grand soulagement pour nous parce que nous savions qu’ils ne pouvaient plus rien contre nous. Ils savaient bien qu’avec la présence de Blaise COMPAORE à Pô, si quelque chose nous arrivait c’était tant pis pour eux. C’est ainsi qu’entre 21h et 22h nous avons essayé de discuter avec eux.”
Dr Michel ZABRAMBA, ami d’enfance de François COMPAORE : “C’est nous qui avions laissé nos pièces d’identité aux gendarmes à la résidence de Thomas SANKARA”
“Comme disent beaucoup de gens, quand vous les regardez, ils (Blaise et Gilbert DIENDERE) se ressemblent par leur modestie, leur sobriété, leur simplicité et cela jusqu’à leur propre détriment. C’est un hommage que je rends à tous ces messieurs. J’avais un pincement au cœur parce que quand j’écoute certaines radios, quand j’écoute certains individus qui parlent de Blaise, notamment ceux qui se disent Sankaristes, j’ai un pincement au cœur.
Ces individus doivent tout à Blaise COMPAORE. S’il n’avait pas été là avec ses hommes on ne parlerait pas de Révolution du 4 Août, on ne parlerait pas de Thomas SANKARA, président du Faso. C’est parce que Dieu a voulu qu’il soit là pour que l’histoire du Burkina Faso puisse s’accomplir.
Voyez-vous, François COMPAORE est témoin, je le suis également. Un soir, il nous avait été dit qu’on avait convaincu Thomas SANKARA et le capitaine Henri ZONGO d’aller ramener Blaise de Pô pour une concertation afin de trouver une solution d’entente entre les deux camps du CSP qui s’opposaient. Il nous avait été dit aussi que si jamais le capitaine Thomas SANKARA ramenait Blaise avec lui on les éliminerait tous les deux.
Paniqués, François COMPAORE et moi avons rejoint Mahamadi KOUANDA et les deux sur une moto, ont démarré pour Pô pour les avertir. Ils ont croisé sans s’en apercevoir Blaise et SANKARA, parce qu’ils avaient déjà pris la route pour Ouaga, mais ne les ont pas reconnus... Sur une moto Cross, après une course folle, ils (Ndlr : « Ils » ici désignent en fait François COMPAORE remorqué par Hyacinthe KAFANDO), les ont rattrapés après le village de Nobéré et leur ont donné l’information. Mais ils ont refusé de les croire et ont décidé de continuer. A court d’arguments pour les convaincre de faire demi-tour, François a fini par dire à Blaise : « Tu ne partiras pas à Ouaga ». Malgré l’assurance de Thomas SANKARA, François a rétorqué : « Avant tout c’est mon frère, c’est une question de vie ou de mort et il n’ira pas à Ouaga ! » Il a même versé des larmes et le capitaine Blaise COMPAORE a fini par dire : « Je retourne à Pô ».
Je voudrais aussi ajouter que c’est nous qui avions laissé nos pièces d’identité aux gendarmes à la résidence de Thomas SANKARA afin de faire diversion pour qu’il puisse aller voir Blaise. Jusqu’à 2 heures du matin, il ne revenait pas et on était très inquiet. Parce que, à tout moment, les gendarmes pouvaient se rendre compte de la supercherie. On faisait du bruit dans le salon pour faire croire à la présence de Thomas SANKARA. C’est donc un grand hommage que je rends à Blaise COMPAORE, au colonel DIENDERE et ses hommes. L’histoire ne commence jamais par la fin c’est toujours par le début.
François COMPAORE a été un acteur de premier ordre ; il est trop modeste pour le dire. En écoutant certains, on a l’impression qu’il n’a rien fait et que son seul mérite, si s’en est un, est le fait d’être le frère du président. On n’a même l’impression que pour certains il n’a même pas fait l’école ! Pour ceux qui l’ignorent, c’est un agroéconomiste. Il y en a qui ont fait leur SNP (Service national populaire) à la présidence ; ce n’est pas le cas de François. Il a été fonctionnaire comme tout le monde ; il a servi au FEER. NDLR : (Fonds de l’Eau et de l’Equipement). Ce sont ceux qui ont fait leur SNP à la présidence qui se réclament n°2,…, n° 8, et autres du Burkina Faso aujourd’hui.”
François COMPAORE, Conseiller à la présidence : “On a pu éviter la guerre civile”
S’il y a un hommage que je dois vraiment rendre ici ce soir, c’est aux militaires d’une manière générale. Le président a effectivement cité mon nom dans son témoignage. S’il se souvient bien, le 17 mai 1983, vers 5 heures du matin quand il est rentré de Bobo, je lui ai fait cas du passage de gendarmes venus le chercher vers 4 heures du matin à notre domicile. Il m’a répondu : « Ecoute, tu t’es réveillé et avec ton sommeil, tu as dû confondre les casquettes ; c’était sûrement mes commandos ! ». J’ai insisté et je lui ai dit : « Celui qui n’a pas l’habitude de te réveiller, quand il le fait tu regardes bien sa tête ». Malgré tout, il a dit à son chauffeur d’aller déposer ses effets au camp Guillaume OUEDRAOGO, et de revenir le chercher parce qu’il avait une rencontre à la « Base aérienne » vers 7 heures. Pendant que le chauffeur s’exécutait, des agents de renseignement ont certainement donné un coup de fil à la gendarmerie qui a débarqué au domicile peu après.
Mais son chauffeur, du nom de MAIGA, est heureusement revenu plus vite devançant les gendarmes de quelques minutes. Quand il est arrivé, il a crié : « Mon capitaine, on vous a fait un coup d’Etat ! ». Le capitaine sans même porter ses chaussures, je crois, sauta dans la voiture « Visa » qui était là et ils sont partis pour Pô. Ils ont opté pour ce véhicule à cause de son autonomie et de sa faible consommation en essence. Il avait ramené des mangues de Bobo que El hadj Djanguinaba BARRO lui avait offertes ; j’en ai pris quelques unes que j’ai mises dans le véhicule en leur souhaitant bonne chance. Ils ont juste fait le tour de la maison et sont rentrés dans le « six mètres » de gauche qu’un cargo de la gendarmerie débouchait par la droite.
Les gendarmes m’ont demandé si le capitaine était là. Je leur ai dit que d’autres gendarmes étaient déjà passés à 4 heures du matin et ne l’avaient pas trouvé et que depuis lors la situation n’avait pas changée. Naturellement ils ne m’ont pas cru et ils ont visité la maison. Mais le mensonge était trop gros, parce qu’il y avait un Zaïrois qui avait voyagé avec le capitaine qui mangeait les mangues sur la terrasse. Cela indiquait assez clairement qu’il était certainement rentré de Bobo… ; j’ai joué sur le temps afin que le capitaine et son chauffeur puissent s’éloigner de la maison.
Mais à quelques 500m de l’Eglise de Kologh Naba, ils ont eu des problèmes d’essence. Selon ce qu’il m’a dit, il avait 20 000F CFA qu’il a remis au chauffeur pour prendre du carburant. Le chauffeur le déposa dans une rue des environs, étant donné la situation, avant d’aller chercher l’essence. La première station vers l’Eglise, n’était pas encore ouverte et il a dû continuer. A la station de Larlé, le gérant avait bougé. La situation, devenait donc dramatique puisqu’il devait continuer au centre ville qui devait être particulièrement surveillé. Au moment où il s’apprêtait à redémarrer, on lui a signifié le retour du gérant. Il a pu donc prendre le carburant et retourner chercher le capitaine. C’est ainsi qu’il a échappé.
A supposer qu’il n’ait pas pu rallier Pô, qu’est-ce qui allait se passer ? Les commandos de Pô allaient certainement attaquer Ouagadougou et cela aurait pu tourner en une guerre civile. Il faut voir en ces hommes de tenue-là, des gens qui sont là pour nous aider à avancer dans le développement, dans la démocratie. Le colonel Gilbert DIENDERE a joué un grand rôle. En effet, s’il avait cédé au camp Guillaume en entraînant avec ses hommes, la résistance aurait été plus dure parce qu’il y aurait eu dans le camp adverse ses éléments qui y étaient. Quand on sait qu’ils connaissaient toute la stratégie et les tactiques de Pô, on comprend que cela aurait rendu plus difficile le déroulement des opérations de résistance. Je peux bien parler des militaires parce que mon papa l’a été, mon frère l’a été ; il est à la retraite maintenant. Quand je leur jette des fleurs c’est parce que je pense qu’ils ont joué un grand rôle positif dans ce pays.
Mahamadi KOUANDA, Délégué CDR, A propos de la résistance du 17 mai et du 4 août : "Thomas SANKARA m’a envoyé dire merci à Blaise COMPAORE"
Comme quelqu’un l’avait dit au cours du meeting de Ouagadougou, la démocratie n’est pas tombée comme ça du ciel le 2 juin 1991.
Il y a eu des préalables. Je tiens à souligner avant tout que Blaise COMPAORE était déjà un ami pour moi et que je connaissais la plupart des membres de sa famille avant cette date du 17 mai. Pour parler du 17 mai, ce jour-là, je suis arrivé dans la cour de Blaise COMPAORE au quartier Ouidi vers 7h et j’ai croisé à la porte François COMPAORE et Michel ZABRAMBA qui tremblait. Et François, calme comme d’habitude, m’a dit que son grand frère venait de partir et qu’il avait pris la route de Ouahigouya. Ils m’ont demandé d’aller voir ce qui se passait en ville. Je suis allé au domicile de Thomas et revenir leur faire le point. J’ai passé la nuit avec eux. Le 19 je suis allé à Pô pour rencontrer Gilbert DIENDERE (Ndlr :qui avait dû être libéré entre temps avec ses éléments) et j’ai été surpris de voir Blaise COMPAORE qui m’a accueilli sur la terrasse. J’ai passé la nuit et repartir le 20 rendre compte à sa famille à Ouaga. Fréquemment, Blaise me donnait des commissions pour Thomas qui était en résidence surveillée.
En ce qui concerne le 4 août, je tiens à dire qu’une fois, Thomas SANKARA m’a envoyé dire merci à Blaise COMPAORE pour avoir conquis le pouvoir pour lui. Il m’a dit de dire à Blaise COMPAORE qu’il lui est vraiment très reconnaissant et que seul Dieu pouvait le récompenser. Je ne vais pas rentrer dans les détails. Mais je tiens enfin à dire que le jour où on a coupé le courant chez le Moro Naba, j’ai compris que la Révolution était arrivée à sa fin. C’est Blaise qui a fait remettre l’électricité. Je ne dirai pas plus que ça parce que nous n’avons que la cinquantaine, il y a encore la vie. Alors, je demande tout simplement aux Burkinabè de prier pour Blaise COMPAORE afin que Dieu le protège.
Achille TAPSOBA, Directeur des CDR géographiques puis Commissaire politique chargé de l’Organisation et de la Planification
Répondant à une question sur la différence entre révolutionnaires et réactionnaires
Ce serait vraiment fastidieux de faire la différence entre le révolutionnaire et le réactionnaire. Cela nécessiterait une conférence ou une veillée-débats. Donc je vais me résumer très succinctement sur les éléments constitutifs de cette typologie.
A l’époque, on entendait par révolutionnaire, celui qui s’engage pour lutter contre la domination impérialiste, contre l’exploitation et l’oppression sous toutes ses formes, contre le conservatisme et la régression, pour défendre les intérêts du peuple contre les ennemis du peuple.
Le Révolutionnaire est supposé aller dans le sens d’un changement fondamental de la société au plan économique, social et culturel et cela dans le sens bien compris d’une justice sociale pour un progrès national. Le Réactionnaire par contre, c’est celui qui agit contre le progrès ; celui qui tire les choses en arrière. Le mot « rétro » en latin veut dire en arrière. Rétrograde veut donc dire celui qui tire les choses en arrière et qui est contre le progrès du peuple. Alors, ceux qui tirent les choses en arrière sont considérés comme des forces rétrogrades ou ceux qui militent pour le maintien de l’ordre bourgeois. Autrement dit, les exploiteurs du peuple sont des conservateurs. Les ennemis du peuple étaient en quelque sorte les valets locaux de l’impérialisme que sont la bourgeoisie politico-bureaucratique, la bourgeoisie compradore et les vestiges de la féodalité.
Le Larlé Naaba, Répondant à une question sur la cheferie traditionnelle sous la révolution : “Aucun chef ne prenait le risque de porter son bonnet pour traverser la ville”
Je me réjouis avant tout d’avoir été invité à cette rencontre des jeunes avec le président du Faso qui a lieu dans le berceau de la Révolution. La tradition enseigne que « votre grosse tête ne vous quitte jamais, mais vos gros problèmes peuvent vous quitter ». C’est en cela que nous remercions l’avènement du Front populaire qui a réhabilité la chefferie traditionnelle et coutumière. C’est vrai que c’est à partir de 1990 que j’ai été intronisé. Je dois dire que j’ai été un CDR comme beaucoup de jeunes de mon âge. J’ai des témoins comme Mahamadi KOUANDA qui était venu me voir en 1985 pour que je sois le délégué du secteur 11. Ce jour-là, je lui ai dit que je suis un révolutionnaire mais que je ne pouvais pas lancer des slogans tels que : A bas la féodalité ! ; A bas les forces rétrogrades !… Tout simplement parce que mon père était chef et qu’il était inconcevable à mon sens de prononcer contre lui et tous les autres responsables traditionnels des slogans haineux.
Devant mon refus il m’a fait savoir qu’il voulait simplement que je mobilise les gens parce que j’en avais la capacité et que je ne serais pas tenu de lancer ou de répondre à des slogans que je ne partagerais pas… Face à mon refus pour les raisons invoquées, il m’a amené chez Roch Marc Christian KABORE, alors directeur général de la BIB, pour qu’il me convainque. A lui aussi, j’ai fait savoir que je ne pouvais assurer une responsabilité qui allait me contraindre à prononcer des slogans contre la féodalité. Roch a donc dit à KOUANDA de me laisser et de chercher quelqu’un d’autre. C’est ainsi que j’ai personnellement contribué à ma façon à la Révolution. Mais je peux témoigner de ce qu’ont vécu les chefs traditionnels sous la Révolution, de 1983 à 1987 parce que mon père était chef coutumier.
Quand par exemple un chef coutumier voulait se rendre chez le Moro Naba, il prenait soin de cacher son bonnet dans la poche pour éviter d’être arrêté par les CDR. C’est une fois arrivé chez le Moro Naba qu’il le portait. Aucun chef ne prenait le risque donc de porter son bonnet pour traverser la ville parce que malheur à lui s’il rencontrait un CDR. Il pouvait subir des manœuvres comme des « pompes ». Vous voyez, c’étaient des pratiques humiliantes, de la provocation. En quelque sorte c’était un manque de respect pour cette catégorie de la société. C’est la rectification qui a réhabilité les chefs coutumiers comme étant des gardiens et dépositaires des valeurs culturelles et des valeurs traditionnelles.
Aujourd’hui, avec l’avènement de l’Etat de droit, nous remercions le président Blaise COMPAORE qui a un projet de société qui prend en compte les valeurs culturelles partagées à savoir le respect, la dignité et la solidarité.
Nous devons aussi dire qu’autour du président, il y a de dignes fils et filles qui le soutiennent de façon sincère. Mais il faut reconnaître aussi qu’il y a des gens autour de lui qui ont toujours des attitudes CDR et qui manquent de respect à certaines couches de la société.
Comme vous le savez, la révolution a eu deux phases, celle des CDR et celle des CR. Le Moro Naba a été invité pour la première fois au moment de la deuxième phase de la Révolution. C’était le 28 juin 1988 à la permanence du secteur 20 à l’occasion de la présentation des vœux du chef de l’Etat aux corps et missions diplomatiques. Depuis lors les chefs coutumiers font partie de l’ordre protocolaire.
Comme l’a dit le chef de l’Etat, considérer les chefs coutumiers au Burkina comme des féodaux, c’est méconnaître l’histoire du pays. Ce ne sont pas les chefs coutumiers qui gèrent les terres ; cela relève des chefs de terre à qui nous nous adressons lorsque nous avons nous-même besoin de terre pour cultiver. C’est donc à tort, qu’on accusait sous la Révolution les chefs coutumiers de féodaux. Mais comme on le dit « lorsqu’on veut abattre son chien, on met des plumes dans sa gueule ». Je souhaite que la paix règne dans ce pays. Que Dieux et les mânes bénissent le Burkina Faso.
Par Issoufou MAÏGA
L’Opinion