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Conflit agriculteurs-éleveurs : La cote d’alerte est atteinte

Publié le vendredi 24 août 2007 à 07h09min

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Le Burkina est un pays dont 80% de la population, selon le dernier recensement vit en milieu rural. Qui dit campagne dit travail de la terre et élevage. Deux activités à la fois complémentaires et antagonistes.

Depuis quelques jours, la saison des pluies est entrée dans le vif du sujet. Les prévisionnistes avaient, il nous semble, vu juste en prédisant des précipitations abondantes. Même si la fin de l’hivernage est encore loin et il y a toujours des inquiétudes sur la répartition temporelle des pluies, il y a des raisons de sourire pour le moment. Tout le pays serait bien arrosé.

Malheureusement, la présente saison n’apporte pas que de la joie au pays des Hommes intègres. Les inondations ont fait des dégâts dans plusieurs localités comme Bama dans les Hauts- Bassins et Banh dans le Nord pour ne citer que ces deux cas. Les habitants ont souvent tout perdu. Ils ne comptent désormais que sur la générosité des autres pour traverser cette période difficile. Chose que les Burkinabè, le gouvernement en tête agissent partout où le besoin se fait sentir.

Les inondations ne sont, hélas, pas le seul aspect négatif de cette saison hivernale. Les mésententes entre les hommes ont fait couler du sang et des larmes dans le village de Gogo dans la région du Centre à la faveur d’un conflit entre agriculteurs et éleveurs.

Un hivernage ensanglanté

Le Burkina n’avait vraiment pas besoin d’eau porteuse de conflits pour arroser son sol. Cela d’autant qu’ils sont nombreux à être agriculteurs et éleveurs à la fois. « Un agriculteur qui n’a pas d’animaux n’est pas un bon agriculteur » disait un vieux qui a tiré sa pitance des entrailles de la terre jusqu’à la fin de ses jours. La complémentarité entre agriculture et élevage a toujours été de tout temps une exigence dans les sociétés traditionnelles.

Les agriculteurs qui ne maîtrisaient pas le traitement des animaux,confiaient leurs bêtes aux peulhs grands seigneurs de l’élevage. Ces derniers ne savent pas toujours comment tenir une daba et comptent sur la production des agriculteurs pour subvenir à leurs besoins alimentaires.

Les femmes échangeaient le lait contre du mil, du maïs, du gombo etc.

Les intérêts des communautés étant ainsi liés, les conflits, même s’ils survenaient se résolvaient assez rapidement. Un agriculteur qui a des animaux dans le troupeau d’un peulh réfléchissait avant de l’agresser parce que quelque part ce sont ses propres bêtes qui ont détruit son champ. De la sorte, les conflits étaient donc maîtrisables. La concertation était permanente. Nous avons vu au village, et à plusieurs reprises, des agriculteurs et des éleveurs se retrouver devant l’autorité pour tracer des couloirs de passage des animaux pendant la saison pluvieuse.

Le problème de la poussée démographique et arriération

Les conflits récurrents entre agriculteurs et éleveurs trouvent leur explication dans la raréfaction de l’espace vital. Les résultats provisoires du dernier recensement révèlent que le Burkina a plus de 13 millions d’habitants. La population du pays a donc plus que doublé depuis son accession à l’indépendance. Le problème, c’est que le mode d’occupation spatiale est resté le même avec une très faible urbanisation. Moins de 20% des Burkinabè vivent en ville. Les campagnes sont restées les lieux privilégiés d’habitation de nos populations. Les responsables de la commune rurale de Gogo ont confirmé que le manque d’espace est un des vecteurs du conflit .

À cette poussée démographique, il faut ajouter l’arriération des méthodes d’exploitation. Malgré l’apparition de la charrue et du tracteur, la plupart des Burkinabè continuent d’utiliser la daba du temps de nos ancêtres. On note aussi une très faible utilisation des intrants agricoles pour une amélioration des rendements. Ceci peut s’expliquer par le coût assez élevé de ces produits chimiques.

La conjugaison des facteurs donne l’appauvrissement des sols et l’exigence de plus vastes étendues pour bien produire, idem pour l’élevage dans les méthodes d’exploitation. Si on excepte quelques fermes modernes qui utilisent la stabulation, la transhumance reste le procédé d’alimentation des animaux.

Le matin, un ou deux gosses vont en brousse avec un troupeau de plusieurs têtes. Avec la réduction des espaces, les dégâts sont vite arrivés et bonjour la confrontation.

Ce qui s’est passé à Gogo dans la région du Centre est dramatique et interpelle tous les Burkinabè.

Dialogue oui, mais il faut changer les méthodes

Des situations de ce genre peuvent survenir partout sur le territoire national. Chaque jour que Dieu fait le danger nous côtoie. La structure d’exploitation de nos terres avec une occupation spatiale très élevée le favorise.

Les méthodes traditionnelles de production agricole et d’élevage ne s’adaptent plus à la réalité actuelle du peuplement du Burkina.

Il faut obligatoirement passer à la phase d’exploitation intensive de nos ressources. Les animaux bien parqués dans des enclos et qui ne sortent que pour prendre de l’air ne feront du mal à aucun champ même à proximité. Il n’y a vraiment pas d’autres choix que d’adopter les méthodes modernes.

Dans l’agriculture si rien n’est fait pour changer la façon d’exploiter la terre, il n’y aura pas de conflit avec les éleveurs mais entre agriculteurs. La raréfaction des espaces à emblaver va susciter des conflits parce qu’il faut bien avoir de la place pour semer et espérer récolter. On sent la forte pression de l’espace en faisant un petit tour en campagne.

Entre Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, la brousse a pratiquement disparu. C’est une succession de villages tout au long des 360 Km. Dans ces conditions, il n’y a pas de place pour le déplacement. Le système des corridors de passage a montré ses limites. Les paysans ne sont pas toujours prêts à les respecter. Ils les occupent illégalement. Une fois les semis mis en terre, ils oublient qu’ils sont les premiers à violer les dispositions. Les animaux ont pénétré dans leur champ et ils veulent être dédommagés. Sinon, bonjour les dégâts !

Pour résoudre ces conflits récurrents, il faut des mesures radicales de la part des gouvernants et surtout une autre philosophie de l’exploitation de l’espace.

Par Ahmed NAZE

L’Opinion

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