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Pierre Claver AKENDENGUE : « La Francophonie devrait s’ouvrir davantage et permettre une meilleure circulation des artistes ».

Publié le mardi 18 mai 2004 à 08h12min

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Auteur-compositeur à succès, Pierre Claver Akendengue est sans conteste l’une des grandes figures de la musique africaine. Claude Nougaro avait dit de lui qu’il est « l’Africain de la chanson française et le Français de la chanson africaine ».

Plusieurs fois primé (Prix Sacem, Paris, 1976 ; Maracas d’Or, Paris, 1977 ; Prix RFI, Libreville,1989 ; Prix de la musique de film, Paris,1985), l’auteur d’ « Africa Obota » est aujourd’hui conseiller du Président de la République gabonaise en charge de questions culturelles. Pierre Akendengue, dont chacune des chansons invite à la sauvegarde du patrimoine culturel de l’Afrique, n’a de cesse de rappeler que « l’Afrique est ma chanson ».

Selon le discours officiel, la Francophonie est avant tout une rencontre voulue et vécue par des centaines des millions de personnes qui ont en partage la langue française. Qu’est-ce la Francophonie pour vous ? Est-ce vraiment un cadre d’épanouissement pour les anciennes colonies ou un cadre pour maintenir le lien colonial ?

Je crois que la Francophonie peut être considérée effectivement comme un cadre d’épanouissement. Vous savez, on ne peut pas refaire l’histoire. C’est un constat que l’école est en français, le marché est en grande partie en français, les affaires, la politique, les rapports sociaux culturels…sont en français. Donc la langue française que nous avons en partage avec la France nous permet une large communication avec nos semblables qui ne parlent pas nos langues ethniques. Et, en cela, je ne vois pas de mal.

Et puis, il n’ y a pas que les anciennes colonies françaises qui parlent cette langue, ma culture n’est pas très étendue là dessus mais je crois savoir que la Belgique et certains pays de l’Europe de l’Est sont dans la Francophonie sans pour autant que ces pays soient des anciennes colonies françaises. Je pense que nous pouvons dire sans risque de nous tromper que la Francophonie peut être cet instrument qui nous permet un large épanouissement en termes d’ouverture au monde.

Mais est-ce que pour la France cet instrument est dénié de toute velléité hégémonique ? Là est toute la question. Je crois que c’est légitime que la France veuille étendre et consolider son influence dans le monde à travers cet instrument. Vous savez que la marche du monde, si l’on se réfère à la charte de l’ONU, est basée sur le développement et la paix. Mais l’économie qui sous-tend le développement est une économie de « guerre », il faut tuer l’autre pour pouvoir exister, prendre sa place ou le dominer.

Alors la France qui veut avoir son mot à dire dans la marche du monde et être grand parmi les grands ne peut l’être aussi que grâce à sa zone d’influence et on ne peut le lui reprocher.

On entend de plus en plus dire que le français fait désormais partie des langues africaines. Est-ce une boutade ? Que vous inspire une telle affirmation ?

Le Français ne fait pas partie de langues africaines dans ce sens qu’une langue a une relation charnelle avec son peuple. Les Africains ne sont pas des Gaulois et ne le deviendront jamais. Etant donné que cette langue a une naissance, une évolution, un territoire, la langue française appartient d’abord à la France.

Beaucoup prétendent que l’Afrique est l’avenir de la Francophonie dans le monde. Dans ce cas, quel sera l’avenir des langues africaines, celles que l’on appelle en Francophonie les « langues partenaires » ?

Je crois savoir que parmi les pays qui parlent le plus le français, il y a la République Démocratique du Congo de par le poids de sa population. Effectivement si l’on fait l’addition de la population de tous les pays francophones d’Afrique, cette population représente peut-être le plus grand nombre de locuteurs francophones. Dans ce contexte, l’Afrique représente effectivement l’avenir de la Francophonie.

Par contre l’avenir des langues africaines est une affaire de volonté politique. Il appartient à des pays indépendants comme les nôtres de promouvoir nos langues, d’introduire certaines d’entre elles dans les programmes scolaires afin que ces langues soient pérennes. Et de toute façon, ce n’est que dans la différence que réside l’enrichissement mutuel ; que ce soit celui des Africains par rapport à la langue française, que ce soit l’apport des cultures africaines par rapport à la langue française.

Pour promouvoir la diversité culturelle, ne serait-il pas intéressant que certaines langues partenaires soient promues au rang de langues de travail dans les instances de la francophonie ?

Si les volontés politiques s’y mettent, je crois que les langues très parlées comme le swahili ou l’arabe devraient d’office être des outils de travail dans les instances de la Francophonie et cela, je l’appelle de mes vœux.

La Francophonie défend la diversité culturelle, mais qu’en est-il de la diversité en son sein ?

Cette affirmation me paraît un peu douteuse dès lors qu’il faut voir les choses dès le début de l’aventure coloniale. La colonisation est venue par le biais de la notion de progrès, car il fallait civiliser les sauvages. Donc il y avait déjà un discrédit qui était jeté sur nos cultures. Bien avant cela, il y a eu l’esclavage qui n’a pas non plus permis que nos langues soient exportées, par exemple à Nantes, en France où résidaient pendant un temps certains esclaves avant d’être envoyés vers le nouveau monde.

Et quand la colonisation s’est installée, elle s’est accompagnée d’une certaine oppression par rapport à la culture traditionnelle ou locale. Dans les écoles, il y avait un attribut qu’on appelait le symbole dont on affublait l’élève qui osait parler sa langue maternelle. Et cet attribut était souvent un objet honteux tel qu’un crâne de singe, un os ou quelque chose d’autre qu’on accrochait au cou du pauvre élève pour l’humilier.

Je crois savoir que dans les années 1940 par exemple, on interdisait de pratiquer la musique traditionnelle dans les centres urbains sous prétexte que cette musique empêchait les colons de passer des nuits paisibles. Par ailleurs, la nature des rapports entre le Nord et le Sud, c’est à dire entre la France et nos pays, s’inscrivent dans la même dynamique ; la France ne peut pas nous comprendre dans l’une de nos langues. Cela veut dire que la Francophonie ne veut pas de cette diversité en son sein, elle impose la langue française comme le seul outil de communication dans cet espace.

Depuis la colonisation à nos jours, pour ne considérer que cette période, la Francophonie s’inscrit dans un monologue du Nord vers le Sud. Cela dit, il n’est pas interdit à nos Etats d’avoir une attitude militante pour essayer de rééquilibrer les choses au sein de la Francophonie. Et cela doit être un combat de chacun de nous pour promouvoir dans l’espace francophone le principe d’une différence qui enrichit et non le monopole des valeurs véhiculées par la langue française.

La chanson est un formidable véhicule de la culture. Comment les artistes peuvent-ils mieux promouvoir la diversité culturelle et rendre plus visible les cultures locales dans l’espace francophone ?

Au regard des rapports de forces Nord-Sud, comme je viens de le dire, la tentation est grande pour certains créateurs des œuvres de l’esprit et en particulier les artistes de produire et ne produire que des œuvres qui obéissent aux normes imposées par des puissances d’argent, donc obéir à une forme de standardisation qui bénéficie des faveurs des diffuseurs, des médias. C’est dire que créer pour offrir de nouvelles opportunités d’exister à la tradition devient un acte militant, un comportement militant. Pourtant, c’est cette démarche qui donnerait tout son sens au rendez-vous du donner et du recevoir dont parlait Senghor.

La chanson et la musique en générale sont les modes d’expression privilégiés de la langue et de la culture. Nous avons par exemple des artistes très prisés tels que Mory Kante, Manu Dibango ou Youssou N’dour qui figurent souvent dans le top 50, ces indicateurs des tendances du marché. Cela a permis quelque peu d’œuvrer pour une sorte de réhabilitation d’une vision positive de l’Afrique.

Au demeurant, cela veut dire que les artistes africains sont de mieux en mieux formés et peuvent, sans complexe, être au même niveau que les artistes d’autres aires culturelles. Et je crois que c’est par le travail d’abord que les artistes peuvent montrer qu’il y a une autre Afrique, autre que cette Afrique balkanisée, réduit à un décor, aux sauvages, au folklore. Cette prise de conscience découle de la responsabilité de l’artiste vis-à-vis du corps social et je crois que si cette responsabilité est mieux assumée, le travail est de qualité ; l’artiste peut œuvrer pour une meilleure visibilité de nos cultures.

Depuis 1998, l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie et le Conseil francophone de la chanson présentent les musiques du monde francophone à chacune des éditions du MIDEM (Marché International du disque et de l’édition musicale de Cannes). Pour vous qui avez bénéficié de cette promotion, le MIDEM peut-il servir d’outil efficace pour la promotion des musiques du monde francophone ?

J’ai été le premier ou alors l’un des tout premiers à avoir une reconnaissance au MIDEM, en 1976. J’avais reçu le prix « Jeune Chanson francophone » de la SACEM, avec Gérard Le Norman et le groupe canadien Beaudommage. Je crois qu’effectivement le MIDEM peut être un tremplin pour une meilleure visibilité de la musique d’inspiration africaine. Cependant, je crois que la Francophonie devrait s’ouvrir davantage et permettre une meilleure circulation des artistes dans tout l’espace francophone et notamment permettre une grande perméabilité des frontières des espaces du Nord aux artistes du Sud.

Je pense aussi que la Francophonie devrait faire un effort pour que à chacune de ses grandes assises il y ait des manifestations qui permettent aux artistes de s’exprimer. Pourquoi ne créerait-elle pas, à l’instar de l’eurovision, la « francophonievision ». C’est une suggestion.

En tant qu’artiste musicien francophone, quel est l’accueil qui vous est réservé dans les médias francophones du Nord ?

A l’époque où je vivais en France, je pense que j’étais avec Manu Dibango, Francis Bebey, les Touré Kounda aussi, les seuls artistes qu’on entendait dans les ondes françaises. Mais pas suffisamment pour ce qui me concerne. Je dois dire que la presse écrite a beaucoup plus parlé de moi que la presse audiovisuelle. Depuis que je suis rentré, je crois que c’est silence radio, j’ai été oublié (rire). Excepté pour le disque Lambarena (1992) qui a été largement diffusé. C’est un disque commande que j’avais fait avec un ami français, Hugues de Courson.

La circulation des artistes dans l’espace francophone n’est pas aisée et certains ont proposé la mise en place d’un laissez-passer. Qu’en pensez vous ?

Je ne m’exprimerai pas sur la question de laissez-passer parce que je n’en ai jamais entendu parler. Par contre, sur la circulation des artistes dans l’espace francophone, c’est un fait que dans cet espace circulent davantage les marchandises que les hommes et les idées. Je pense que la Francophonie, les pays membres du Nord en particulier, devraient davantage ouvrir les frontières aux artistes, puisque c’est par eux que viendrait l’intégration véritable de l’espace francophone.

Les difficultés d’entrer dans certains pays francophones du Nord pousse la jeunesse africaine à aller se former dans les universités anglophones. A terme, l’espace francophone africain ne risque-t-il pas de vivre un bilinguisme (anglais-français) de fait ?

Il n’y a pas que la difficulté pour entrer en France qui fait que nos jeunes vont vers les USA. Il y a l’attrait de l’Amérique qui pousse nos jeunes à s’y rendre. D’ailleurs, cette fascination ne s’exerce pas seulement sur les jeunes Africains. L’Amérique fascine également les jeunes Français, Belges, etc. Je crois qu’il ne faut pas vivre cet exode de nos jeunes et aussi de nos intellectuels vers les Etats Unis comme un péril pour la langue française et partant pour la Francophonie. C’est vrai que la France peut avoir l’esprit chagrin à cause de sa concurrence avec la langue anglaise.

Cependant, c’est un constat que le monde est dit dans la mondialisation et la mondialisation suggère une dissociation des territoires, une globalisation des mœurs, des conduites, des cultures, etc. Si nos jeunes ne vont pas se former dans les grandes universités, nous seront des égarés de la mondialisation. Je crois, dès lors que la jeunesse du Sud comme celle du Nord se retrouve à s’abreuver de la science, de la technologie de l’Amérique du Nord, cela participe à un épanouissement bien pensé de nos jeunes, bien pensé de l’espace francophone aussi.

De toute façon, dans toutes les conférences, dans toutes les instances où le français est langue de travail, très souvent la langue anglaise qui est comme son pendant direct y est présente. Et donc si nos jeunes ne maîtrisent pas cette langue, ils seront exclus de tous les grands débats du monde.

Par ailleurs, je crois qu’il faut se parler pour que règne la paix. Et je ne pense pas qu’il faille enfermer la francophonie dans une sorte de culture endogène qui n’ait pas de vase communiquant avec le monde anglophone. C’est toujours dans cet esprit de dialogue des différences que le monde s’enrichit. Pour moi cet exode, appelons le ainsi, n’est pas un danger pour la francophonie dès lors que l’enseignement de base est assimilé dans la langue française.

Par contre, là où il y a danger, c’est la fuite de cerveaux, mais celle-ci ne profite pas qu’aux Etats-Unis, elle profite à toutes les nations du Nord. Elle ne touche pas que les intellectuels, regardez la cohorte d’athlètes du Sud qui font les beaux jours et la fierté de puissances d’argent.

Vous avez été longtemps considéré comme un artiste très engagé politiquement. Certains estiment que vous avez cessé de l’être depuis votre retour au Gabon et surtout depuis que vous êtes devenu conseiller à la présidence de la République. Avez-vous vraiment changé ou c’est l’Afrique qui a changé ?

Quand vous dites que l’Afrique n’a pas changé, c’est comme si vous me faisiez déjà un procès d’intention, c’est à croire que j’ai changé. Si vous faites l’analyse de contenu de mes chansons, de la première à la dernière que j’ai écrites, il n’y a pas une rupture du cours de mes pensées. Il n’y a aucune ombre de trahison par rapport à mes convictions profondes en faveur de l’Afrique et des Africains.

Je n’ai jamais fait l’apologie d’un régime, je ne fais pas de l’art-propagande, je ne suis pas un artiste amuseur, je ne fais pas de l’art de divertissement. J’essaie d’œuvrer pour la sauvegarde du patrimoine culturel de nos sociétés. Nous nous attachons, à travers les labels que nous avons créés, à faire de la musique traditionnelle. Par exemple, nous avons fait un disque intitulé Okouyi.

Okouyi est une société initiatique masculine de la province gabonaise de Moyen-Ogooué (Lambaréné) qui a permis de sauvegarder les lois et coutumes de peuple Galois du Moyen-Ogooué. Et je continue dans cette voie parce que l’artiste se fait dans le silence de son cœur une promesse de fidélité à lui-même.

De ce point de vue et de mon point de vue et par rapport à mes prises de positions passées, présentes, l’artiste doit être un ferment de contestation sans lequel la société se sclérose. Alors, j’affirme que je suis un homme libre dans ce sens que la liberté, ce sont des contraintes qu’on se pose à soi-même et non pas des contraintes imposées par les autres.

Dans le travail que je fais en tant que conseiller, j’œuvre pour la liberté du plus grand nombre. La poursuite de l’effort pour la mise en place d’une société d’auteurs pour les créateurs des œuvres de l’esprit au Gabon, par exemple, va dans le sens de la liberté du plus grand nombre.

Le fait de produire des disques pour la sauvegarde de notre culture va dans le sens de la sauvegarde et de la liberté du plus grand nombre. Je reste convaincu que je suis resté fidèle à moi-même par rapport à ma responsabilité vis-à-vis de la société. L’unité africaine et la liberté que consacre mon deuxième album, « Afrique Obota », constituent les deux thèmes récurrents de toute mon œuvre. Vous savez, il y a des charges qui fondent un artiste : le service de la vérité, donc le refus du mensonge et le service de la liberté, donc le refus de l’oppression sous toutes ses formes.

Jean-Robert MBASANI
Pour Lefaso.net

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