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Ablassé Ouédraogo : « Un monde "uniculturel" est voué à la mort »

Publié le jeudi 20 novembre 2003 à 17h17min

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Ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso et ex-directeur général adjoint de l’OMC, Ablassé Ouedraogo est chargé du dossier de la diversité culturelle auprès du secrétaire général de la Francophonie

Après l’assassinat en Côte d’Ivoire du journaliste de RFI Jean Hélène, puis l’expulsion de la correspondante au Sénégal de cette même radio, ne pensez-vous pas que la diversité culturelle, que vous défendez, doive aussi passer par l’acceptation de la diversité des opinions ?

D’abord, je tiens à rendre hommage à Jean Hélène, que j’ai bien connu et que j’admirais, car c’était un vrai professionnel qui vérifiait, avant de les diffuser, toutes ses informations. Certes, il est parfois difficile pour un dirigeant d’entendre certains commentaires. Pourtant, à l’heure de la mondialisation et du besoin de transparence, il est capital que les journalistes soient plus protégés. Cela relève de la bonne gouvernance et de la démocratisation.

L’Unesco s’est donné deux ans pour définir de nouvelles règles susceptibles de préserver la diversité culturelle ; n’est-ce pas un peu court ?

Ces deux années dont les ministres de l’Education des pays membres de l’Unesco disposent me paraissent suffisantes. Certes, la difficulté d’élaborer un projet qui réponde aux aspirations des 190 membres de cette organisation ne doit pas être sous-estimée. Ce qu’il faut, c’est rester vigilant sur le contenu de ce projet pour ne pas se retrouver avec une convention vidée de sa substance. Nous sommes dans une situation où, politiquement et économiquement, les pays du Sud sont marginalisés. Ce qui leur reste, c’est le culturel.

Si nous allons vers un monde d’uniformisation de la culture, c’est-à-dire dominé par la culture du plus fort, ce sera un monde qui s’appauvrit. Il faut que les pays du Sud puissent développer des industries culturelles afin de produire des biens et des services sur le marché mondial. Cela suppose un cadre contraignant et nous y travaillons.

« La culture constitue la base même du développement »

L’opposition des Etats-Unis à l’élaboration de ce projet est-elle toujours aussi forte ?

Les Etats-Unis, qui avaient quitté l’Unesco en 1984, y sont revenus lors de la 32e session de la conférence, il y a quelques jours. A la différence de l’OMC, où les décisions se prennent par consensus, à l’Unesco, comme dans toutes les instances onusiennes, il y a le principe « Une voix, un Etat ». Les Etats-Unis ont un point de vue et ils peuvent évoluer. Si les pays du Sud apportent des arguments justes pour les convaincre, il n’y a pas de raison que nos partenaires américains ne modifient pas leur position.

La défense de la diversité culturelle ne sert-elle pas quelquefois de prétexte pour maintenir certaines traditions obsolètes ?

Non, car en matière de tradition aussi, tout évolue ! Prenons l’exemple de la pratique de l’excision au Burkina. C’était une tradition très solide chez les Mossi - et j’en suis un - mais, avec l’évolution du monde, une meilleure connaissance et une appréhension plus fine des problèmes d’hygiène et de santé dans les milieux paysans, cette pratique a fini par être bannie au Burkina. Les hommes évoluent en même temps que le monde qui les entoure...

Dans les pays où la lutte contre la faim ou contre la pauvreté est la priorité absolue, ce combat pour la culture n’apparaît-il pas comme un luxe ?

Non, car la culture, c’est l’âme de l’être humain. Un homme ne peut se contenter de manger ou de dormir. Un homme, c’est quelqu’un qui réfléchit à sa place dans la société, à son histoire, à son avenir. La culture, qui est transversale dans les activités humaines, constitue la base même du développement.

Face aux moyens de l’OMC, ceux de l’Unesco ne sont-ils pas quelque peu dérisoires ?

J’ai appartenu à l’OMC et je peux vous dire que cette organisation m’évoque un château de cartes. Un seul pays peut la faire capoter. On l’a vu à Seattle, à Cancun. La puissance de l’OMC n’est que la puissance de ces Etats. Ils sont 148, et l’Unesco, c’est 190 membres. L’universalité existe plus à l’Unesco qu’à l’OMC ! Et cette convention pour la diversité culturelle doit être universelle, c’est-à-dire concerner l’ensemble des pays du monde.

Le terme de « produit » culturel vous choque-t-il ?

Non, mais je ne veux pas, pour autant, de marchandisation des produits culturels, comme c’est le cas pour les produits dont traite l’OMC, car tous les pays ne disposent pas des mêmes moyens dans le contexte d’une libéralisation du commerce. Il faut donner à chacun les moyens de préserver sa richesse culturelle. Un monde qui se réduit à une seule culture est un monde voué à la mort.

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