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La Francophonie, école du multilatéralisme

Publié le samedi 20 mars 2004 à 10h09min

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Nous vivons une époque paradoxale, scandée par les pulsions contradictoires de la globalisation et de l’unilatéralisme. Dans le même temps, nous sommes les spectateurs d’une mondialisation accélérée et les témoins de volontés hégémoniques. Nous savons désormais qu’aucun des grands problèmes du monde ne peut se régler au niveau des Etats.

Mais nous constatons, aussi, que jamais une super-puissance n’a eu, à elle seule, autant de pouvoirs à l’échelle planétaire. Ce paradoxe a un nom : la crise de la gouvernance mondiale. Mais il a aussi un remède : le réveil du multilatéralisme.

En ce 20 mars où nous célébrons la Journée internationale de la Francophonie, je tiens à rappeler que l’Organisation internationale de la Francophonie a, très tôt, fait sienne cette exigence. Elle a toujours veillé à ce que sa diplomatie multilatérale puisse être, à la fois, une réalité et un exemple. Nous sentons bien, en effet, que l’organisation mondiale, née dans les années 1945 vieillit et s’essouffle.

Le Secrétaire général des Nations Unies y est, plus que tout autre, attentif. Et chaque institution spécialisée y réfléchit, en ce moment, dans son domaine. Le temps de la réforme est donc venu. Et, dans cette perspective, la Francophonie a sans doute quelque chose à dire au monde parce qu’elle est, tout à la fois, porteuse de nouvelles solidarités, de nouveaux acteurs et de nouvelles valeurs.

De nouvelles solidarités

De nouvelles solidarités, car plus de 30 ans après sa création, la Francophonie étonne encore. Il est, en effet, peu banal que des Etats et des gouvernements rêvent ensemble que le partage d’une langue puisse créer une solidarité de fait susceptible de se transformer en solidarité de droit. Et pourtant, l’Organisation internationale de la Francophonie existe aujourd’hui et ne cesse de s’élargir, puisque 56 Etats et gouvernements la composent désormais, et que d’autres aspirent à la rejoindre. Au sein de cet espace francophone, coexistent et collaborent des Etats et des gouvernements qui appartiennent aux cinq continents. Des Etats et des gouvernements qui transcendent les clivages Nord Sud. Des Etats et des gouvernements qui, sur des valeurs communes et sur les grands problèmes du moment, pratiquent la concertation, la règle du consensus dans le respect de l’égalité et de la différence.

Cela est particulièrement vrai dans les grandes réunions internationales du moment. Je pense tout spécialement au Sommet mondial sur la société de l’information tenu à Genève en décembre dernier ou, plus étonnant encore, à la Conférence ministérielle de l’OMC à Cancun en septembre 2003, où les pays francophones, malgré leurs évidentes disparités économiques, ont tenu des concertations dans un esprit de parfaite solidarité.

Cela n’est pas toujours simple car nous savons bien que le multilatéralisme est une discipline permanente. Et nous avons très tôt appris, ensemble, que le fait de parler une langue commune ne nous rend pas, spontanément d’accord sur tout. Mais la pratique du multilatéralisme nous a aussi convaincus que c’est par un dialogue confiant et permanent que les positions des uns et des autres peuvent le mieux se comprendre et, par là même, se rapprocher. Mieux encore, l’Organisation internationale de la Francophonie a su étendre cette solidarité en l’ouvrant à un dialogue avec les autres aires linguistiques.

Très tôt, la Francophonie a mené des actions communes avec le Commonwealth dont plusieurs pays francophones sont également membres (Cameroun, Canada, Dominique, Maurice, Sainte-Lucie, Seychelles et Vanuatu). Mais aussi avec les Organisations lusophones, hispanophones, avec la Ligue Arabe, avec la russophonie. Cette nouvelle coopération linguistique et culturelle est en pleine expansion. Elle prélude, sans doute, aux grandes solidarités de demain et esquisse une réponse multilatérale et rationnelle à la grande peur fantasmatique des chocs de civilisations.

De nouveaux acteurs

Mais la Francophonie a su aussi valoriser et mettre en scène de nouveaux acteurs de la vie internationale. Car il ne suffit pas, par convenance, d’en appeler périodiquement à la société civile. Il faut aussi résolument et concrètement la prendre en compte et l’inscrire dans le processus de la décision internationale, afin de pouvoir donner à celle-ci sa pleine légitimité. Là encore, la Francophonie a su innover. Aux côtés de son opérateur principal, l’Agence intergouvernementale de la Francophonie, l’OIF a voulu intégrer les universitaires (AUF), les maires (AIMF), les parlementaires (APF), les médias (TV5), les milieux d’affaires (FFA), créant ainsi une organisation multilatérale d’un nouveau type. Plus encore, elle diffuse aujourd’hui sa pensée et son action à travers un tissu associatif qu’elle ne cesse d’enrichir. Je voudrais notamment citer en exemple la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF).

Je voudrais aussi mentionner l’impulsion que nous donnons aux réseaux institutionnels en faveur des droits de l’homme (associations de magistrats et d’avocats francophones, de présidents de cours constitutionnelles, de médiateurs, commissions nationales des droits de l’Homme et instances de régulation de communication, structures gouvernementales chargées des droits de l’Homme dans l’espace francophone), qui irriguent notre espace. En Francophonie, la société civile n’est pas un concept abstrait, mais une réalité partenaire qui féconde en permanence, notre diplomatie multilatérale. Et, je suis sûr que l’ONU et les institutions spécialisées, qui sont attentives à l’évolution de la société civile, pourront utilement puiser dans nos expériences francophones.

De nouvelles valeurs

Enfin, lorsque je dis que la Francophonie est porteuse de nouvelles valeurs, il ne s’agit pas, pour nous, de faire table rase du passé. Mais, au contraire, de raviver, voire de sublimer, un certain nombre d’objectifs fréquemment évoqués dans le langage international, mais qui restent trop souvent lettre morte. Parmi ceux-ci, l’exigence démocratique est au coeur de nos préoccupations. Longtemps, pour des raisons qui tiennent notamment à la séparation entre les ordres juridiques internes et l’ordre juridique international, la démocratie a été la grande absente du droit international. Ou pire, elle a pu servir de prétexte à des actions dans lesquelles ne se reconnaît pas la légalité internationale.

La Francophonie a voulu résolument inscrire l’impératif démocratique dans le droit positif international. Dans sa Déclaration, adoptée à Bamako en novembre 2000, notre organisation a non seulement affirmé que « Francophonie et démocratie sont indissociables », mais elle a fortement posé que le respect de la démocratie devait être l’objet d’une observation constante et assortie de règles juridiques contraignantes. Chacun a compris alors la novation juridique que nous offrions à la communauté internationale.

Il en va de même, aujourd’hui, en ce qui concerne la diversité culturelle. Là encore, à Cotonou, en 2001, les ministres de la culture des Etats et gouvernements de la Francophonie ont adopté une Déclaration et un Plan d’action posant la diversité culturelle comme « l’un des enjeux majeurs du XXIè siècle ». Ce combat, la Francophonie le mène, sur le plan opérationnel, à travers sa programmation et ses actions de coopération, et, sur le plan normatif, au sein de l’UNESCO dans sa mobilisation en faveur d’un instrument juridique international sur la diversité culturelle. Car, c’est une autre manière de défendre le multilatéralisme que d’affirmer l’universalité de la culture et de refuser sa soumission aux lois égoïstes du marché.

Dans le même esprit, je voudrais dire aussi, dans la perspective du multilatéralisme, l’importance que nous attachons à la notion de « droit au développement ». Certes, il s’agit d’une notion ancienne, puisque, dès 1979, l’Assemblée générale des Nations Unies a souligné que le droit au développement était un droit de l’homme. Mais, depuis lors, combien de temps perdu, combien de promesses non tenues, combien d’occasions manquées, combien de propos hypocrites. Car, le développement des pays du Sud auxquels nous sommes, en Francophonie, particulièrement attachés, ne peut prendre son sens que dans le cadre d’une coopération multilatérale rénovée. C’est donc le moment d’affirmer que le développement n’est pas seulement un objectif de la communauté internationale, mais que c’est d’abord un droit pour les individus et pour les peuples et donc un devoir pour les Etats et les gouvernements les plus prospères et les mieux nantis. C’est dans ce contexte que la Francophonie appuie les efforts de tous ses membres, tout particulièrement les pays les moins avancés, pour la relance des négociations commerciales multilatérales au sein de l’OMC afin que les objectifs du programme de Doha pour le développement puissent, enfin, se traduire par une participation effective des pays en développement dans l’économie mondiale.

Je souhaite donc fortement que les Etats et les gouvernements de l’Organisation internationale de la Francophonie puissent se concerter pour concrétiser cette idée, au moment où va s’ouvrir, à Genève, la 60ème session de la Commission des droits de l’homme. C’est également l’un des messages que j’adresserai aux 56 Chefs d’Etats et de gouvernements qui se réuniront pour le Xème Sommet de la Francophonie à Ouagadougou en novembre prochain sur le thème : « La Francophonie, espace solidaire pour un développement durable ». Ce sera, pour nous, une manière de dire que le multilatéralisme est un autre nom de la solidarité ! Car c’est bien cette diplomatie multilatérale solidaire qui caractérise et légitime la Francophonie et que nous voulons offrir à l’ensemble des Etats et des peuples du monde.

Abdou Diouf,
Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)

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