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Col Paul B. Tapsoba : "Beaucoup d’armes sont entrées au Burkina"

Publié le lundi 15 janvier 2007 à 06h59min

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Col Paul Benjamin Yaméogo

Au Burkina, une commission a en charge la coordination de la lutte contre la prolifération des armes légères et des petits calibres. Par ces temps d’insécurité grandissante, il nous a semblé utile de faire le point des activités de la commission sur un sujet qui est d’actualité avec la multiplication de braquages à l’arme de guerre.

Etat des lieux avec le colonel Paul Benjamin Yaméogo, secrétaire permanent de la Commission chargée de la lutte contre la prolifération des armes légères.

Votre Commission joue-t-elle les gendarmes en matière de circulation des armes au Burkina ?

En fait, je voudrais lever une confusion dans l’esprit de certaines personnes. La Commission est une structure de conception. Elle n’exécute pas de tâches sur le terrain comme le feraient les gendarmes, les policiers ou l’Armée. Ces corps sont d’ailleurs représentés au sein de la commission et sont chargés au quotidien d’appliquer la stratégie de lutte.

La commission a été créée le 25 avril 2001. Quel bilan peut-on faire de son action ?

La commission a été officiellement installée en août 2002. Elle fonctionne effectivement depuis début 2003. Les activités ont été concentrées autour de la sensibilisation et de la formation. Nous avons dû sensibiliser d’abord les membres de la commission sur son fonctionnement et ses missions parce que c’est une nouvelle structure. Nous avons ensuite organisé des séminaires et des ateliers au profit de certaines couches sociales, religieuses, fabricants et commerçants d’armes, qui sont concernés au premier chef par nos actions. En 2003, nous avons, par exemple, rencontré la Fédération des églises et missions évangéliques(FEME). Les séminaires avaient pour but d’informer les gens sur les textes réglementaires dans le domaines des armes légères.

Nous avons élaboré un programme d’activités à cette période qui nous sert de guide aujourd’hui. La commission a effectué une tournée dans quatre régions du Burkina, dans le Sud-Ouest, l’Ouest, les Cascades et le Centre-Ouest. Les échanges ont surtout permis d’expliquer aux populations les enjeux de la lutte et de mieux appréhender les problèmes qu’elles rencontrent sur le terrain dans le cadre de la lutte contre le fléau.

Nous nous sommes alliés aux médias pour servir de courroie de transmission. Sans les médias comme relais de la sensibilisation, notre action n’aura pas de portée. Un réseau de journalistes nous accompagne depuis quelques mois. A Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso, nous avons organisé des ateliers pour les journalistes.

Au fait, qu’entend-on par armes légères ?

Une arme est dite légère quand elle est servie par plus d’une personne. Par exemple, un mortier est une arme légère, les grosses mitrailleuses le sont également. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a plusieurs définitions. La définition qui est retenue, c’est une arme qui peut être servie par une ou plusieurs personnes et être transportée par un véhicule, à dos d’homme ou d’animal. Cette définition est retenue par les Nations unies.

Quelle est la réalité au Burkina Faso en matière de circulation d’armes légères. Les pistolets et les kalachs qui circulent n’en font pas partie ?

En fait, il n’y a pas à proprement parler d’armes légères qui circulent au Burkina Faso. On n’a jamais vu dans notre pays quelqu’un circulant avec un mortier. Seulement maintenant, on a inclus sous le vocable "d’armes légères" les petits calibres dont vous parlez. C’est important pour nous car une arme qui n’est pas maîtrisée peut commettre de gros dégâts. Notre mission est de traquer le trafic illégal. Et à ce niveau, il est difficile de quantifier avec précision combien d’armes circulent sur notre territoire. Par définition, c’est une pratique clandestine. Cependant, bon an mal an, on estime entre 1 000 et 2 000 armes en circulation.

Comment arrivez-vous à ces estimations ?

Ces statistiques sont établies au travers des armes saisies et de celles utilisées lors des attaques à mains armées. Ces informations sont communiquées aux forces de l’ordre et elles ne sont pas forcément exactes comme je l’ai souligné plus haut, parce que les civils ne connaissent pas tous les types d’armes.

Une chose est sûre, ces deux dernières années beaucoup d’armes sont entrées sur notre territoire.

Quelle en est la raison principale ?

Cela est lié à la crise que traverse un de nos pays voisin (NDLR : Côte d’Ivoire) Au niveau de notre frontière sud-ouest, (NDLR : Ghana) , on observe une circulation d’armes de type "baîkal" de fabrication russe. Ce sont des fusils de chasse en fait. Nous en avons fait le constat lors d’une de nos tournées. Ces fusils ont même supplanté les armes de fabrication locale. Ce sont des armes industrielles, plus performantes et beaucoup moins cher.

Quels types d’actions sont menées pour inverser la tendance ?

Aujourd’hui, on ne peut agir qu’à travers le contrôle routier. Actuellement si des armes rentrent au Burkina, ce n’est que par des moyens roulants. Le problème, c’est que le Burkina Faso est au coeur de l’Afrique de l’Ouest avec six frontières. Celles-ci sont non seulement longues mais poreuses. Les armes rentrent par de petits sentiers détournés et nos forces de sécurité n’ont pas tous les moyens nécessaires pour organiser la traque. C’est un problème de moyens. Si on devait consacrer plus d’énergie à la lutte contre la prolifération des armes légères, nous aurions besoin de multiplier les effectifs par trois ou quatre.

Cependant , le décret sur le régime des armes légères et munitions civiles prévoit que les forces de sécurité fassent des contrôles. Au moins pour ceux qui ont des armes répertoriées et des permis de détention afin de voir si l’arme n’a pas été cédée ou utilisée à d’autres fins. Je reconnais que les moyens sont limités mais avec le ministère de la Sécurité, nous avons mis en place un numéro vert (800 001 101). Il permet à tout citoyen qui a des informations à nous communiquer de le faire dans l’anonymat. Les populations sont nos alliés incontournables pour signaler tout trafic illicite d’armes à feu. Il y va de leur sécurité. Dans le cadre de nos tournées, nous allons continuer la sensibilisation à l’utilisation de ce numéro gratuit. Le combat que nous menons est voué à l’échec si la population ne coopère pas.

On sait qu’il y a des fabriques artisanales d’armes légères. Comment sont-elles suivies pour éviter qu’elles n’alimentent des réseaux ?

J’ai parlé tantôt du régime portant réglementation des armes légères et des munitions civiles. Ce décret traite également des fabriques artisanales et des conditions à respecter. Ces fabriques doivent être en règle vis-à-vis de la loi et elles sont soumises à des contrôles de police pour s’assurer de la traçabilité des produits qui sortent de la forge. Cela se fait en principe tous les trois mois. Théoriquement, ces fabricants locaux ne peuvent vendre d’armes à notre insu.

Au mois d’août 2006, les forces de sécurité ont effectué une descente dans des fabriques artisanales et elles ont retiré un certain nombre d’armes de la circulation. A ce niveau , la sensibilisation doit se poursuivre pour amener les uns et les autres à se conformer à la loi. Les résultats commencent à se faire sentir à ce niveau.

De plus en plus, on fait état de l’utilisation d’armes de guerre dans les braquages. Ces armes proviennent-elles de nos casernes ?

Le constat que nous avons fait est que depuis l’éclatement de la crise dans un de nos pays voisins, il y a de plus en plus d’armes de guerre dans les attaques à main à armée. Je pense que la plupart de ces armes proviennent de là, ce sont surtout des kalachs. Il est vrai également que de temps en temps , il est signalé des pertes d’armes au niveau des forces de défense et de sécurité. Vous êtes journaliste, donc vous savez également qu’un trafic a été démantelé à ce niveau, il y a quelques années.

C’est pour cela que le code de conduite de la CEDEAO, repris fortement dans la convention sur la prolifération des armes légères signée le 14 juin 2006 à Abuja, recommande forcément à l’article 16, une meilleure gestion des stocks de sécurité des forces de défense et de sécurité. Ce n’est pas propre au Burkina seulement, c’est un phénomène qui existe dans les autres pays de la sous-région.

Aujourd’hui qui peut détenir une arme au Burkina ?

La procédure est simple. Celui qui veut une arme en fait la demande au commissariat de police de sa localité, qui fait une enquête de moralité. Si cette enquête est concluante, la demande est transmise au niveau du ministère de la Sécurité qui donne l’autorisation d’achat d’arme. Munie de cette autorisation , la personne peut acheter l’arme pour laquelle elle a reçu l’autorisation.

Une fois l’arme achetée, la personne la présente à l’autorité compétente, toujours munie de l’autorisation d’achat. C’est alors qu’on lui délivre un permis de détention d’arme. Cette autorisation permet de posséder l’arme, mais seulement à la maison. Le propriétaire ne peut pas sortir avec son arme sur lui. Mais si il veut la porter sur lui, il faut une demande d’autorisation de port d’armes adressée au ministre de la Sécurité qui juge de l’opportunité d’accorder ou pas le permis.

Ce permis contient des restrictions. L’arme ne peut être portée dans certains lieux, tels les manifestations publiques, les débits de boisson.

S’assure-t-on que le demandeur sait utiliser l’arme qu’il détient ?

Dans la convention du 14 juin 2006, il est spécifié que le détenteur doit savoir s’en servir. Mais cela pose un problème d’infrastructures. Il faudra construire des stands de tir afin que les prétendants au port d’armes puisse s’entraîner et qu’on juge de leur niveau. Il faudra donc qu’ils payent pour cela. Dans l’esprit, c’est une bonne chose. Cela va permettre d’éviter certains accidents malheureux. Il faudra cependant voir pratiquement comment mettre en oeuvre cette partie de la convention.

On voit souvent des vigiles se balader avec des armes plus ou moins sophistiquées. Y a-t-il une règlementation particulière ?

En principe la société fait une demande qui permet à l’ensemble de son personnel de porter des armes. Les différentes autorisations sont accordées à l’entreprise de gardiennage . Elle a droit à des stocks d’armes mais sécurisés tout comme pour les forces de défense et de sécurité. Vous dites qu’ils se promènent avec des armes. Ils sont autorisés à le faire sous le couvert de leur entreprise.

Les sociétés de gardiennage sont tenues de former leur personnel à l’utilisation des armes en leur possession. Toutes ces armes sont en principe répertoriées et les arsenaux des entreprises sont l’objet de contrôles par les forces de sécurité.

En cette année 2007, quels sont les chantiers de la commission ?

Il nous reste 9 régions à parcourir. Nous allons continuer la sensibilisation et l’information parce que le décret portant régime des armes et munitions civiles n’est pas bien connu des populations. C’est le texte de base qui permet de savoir ce qui est permis ou pas. Nous entendons également recueillir les attentes des populations dans le cadre de la lutte contre la prolifération des armes légères.

En 2007, nous prévoyons une concertation nationale où l’exécutif , le législatif, les forces de défense et de sécurité et la société civile vont réfléchir sur la question de l’insécurité liée à la mauvaise utilisation des armes qui circulent. On verra ensemble ce qui doit être fait pour éradiquer le fléau. C’est un panel plus important qui va nous permettre d’établir un plan d’action et un programme d’activités au niveau national. Nous pensons pouvoir impliquer tout le monde à sa réalisation.

L’autre chantier, et non des moindres, est la ratification de la convention de la CEDEAO sur les armes légères. Le Burkina va accueillir la présidence de la CEDEAO pour deux ans. Nous allons présider presque toutes les réunions statutaires, donc c’est un challenge afin d’obtenir qu’au moins 9 pays la ratifient afin qu’elle entre en vigueur sous le mandat du Burkina. Tous les pays ont signé la convention. C’est la ratification qui tarde. Mais nous avons des échos que la procédure est enclenchée au Mali et au Niger. Le Burkina la ratifiera si tout va bien lors de la prochaine session de l’Assemblée nationale.

Avez-vous un souhait ?

J’invite la population à coopérer avec les forces de l’ordre. Parce qu’elle est la première victime de l’insécurité. Ne pas pouvoir aller au village, ne pas pouvoir voyager tranquillement est une entrave à la liberté des gens. C’est pour cela que nous devons nous donner la main pour combattre le fléau, en facilitant le travail des policiers et gendarmes sur le terrain.

Propos recueillis par Abdoulaye TAO


La Commission chargée de la lutte contre la prolifération des armes légères est composée de 2/3 de représentants des démembrements de l’Etat et de 1/3 de représentants de la société civile. Ses missions sont, entre autres, de concevoir une stratégie nationale de lutte contre la prolifération des armes légères et de veiller à son application.

La commission a également pour mission de faire des propositions et des suggestions aux autorités dans le domaine des armes légères. La commission joue un rôle de coordination et d’ animation entre les acteurs de la lutte.

Le Pays

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