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<I>La nouvelle du vendredi</I> : Le cœur et la raison

Publié le vendredi 10 novembre 2006 à 00h00min

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Agnès et son mari ne s’entendent pas. Ils décident la séparation de corps qui est accordée par le juge et Agnès retourne vivre avec ses parents.

Agnès travaille dans un ministère et suit des cours d’anglais. Un soir à la sortie des classes, sur le chemin du retour, elle se rend compte que quelqu’un la suivait par derrière. Elle se retourne et aperçoit un européen au volant d’une 505 break. Elle fait semblant de l’ignorer. Au feu tricolore, il stoppe à côté d’elle et lui dit bonsoir. Il lui demande si elle est au centre d’anglais. Elle hoche la tête pour dire oui et s’en va quand le feu tricolore passe au vert, sans plus s’intéresser à lui. Surtout qu’elle a déjà entendu, dans un milieu de Blancs, que les filles africaines les courtisent à travers la vitre de leur voiture.

Le lendemain, à la sortie de son cours d’anglais, elle surprend le Blanc qu’elle avait vu la veille à côté de son engin. Dès qu’il l’aperçoit, il lui dit bonsoir en souriant. Devant son air étonné, il lui rappelle la rencontre de la veille au feu. Il se présente, elle aussi. Puis il l’invite à prendre un verre. Elle rejette poliment la proposition et lui apprend devant son insistance qu’elle est mariée et ne pouvait aucunement sortir avec un autre homme.

Ainsi, chaque soir, Fabien, c’est ainsi qu’il s’appelle, vient attendre Agnès à la sortie des cours. Elle finit par fléchir face à son harcèlement pour se débarrasser de lui. Mais c’était mal le connaître. Ils sont allés au bar du Pax Hôtel. Dans leur causerie, Agnès, pour satisfaire sa curiosité, demande à Fabien s’il est marié. Il affirme, et garde le silence avant de poursuivre, qu’il est divorcé il y a bientôt un an et a deux enfants, tous des garçons. Il regarde Agnès intensément pour lui dire de faire autant. Elle s’empresse de dire qu’elle vit avec son mari dans le quartier Bangoula et a une adorable fille de cinq ans. En même temps que Fabien veut savoir son lieu de travail elle ajoute : - Je suis au ministère des Arts. Après un quart d’heure de discussion, ils prennent congé.

Après cette première sortie galante, Fabien rebelote et se rend même régulièrement à son bureau. Il finit par lui avouer qu’il ne peut plus s’empêcher de la voir et n’en dort plus. Agnès sourit, baisse la tête toute flattée et ne répond pas. Il lui présente ses deux fils dont il lui avait parlé et lui apprend que leur école est à deux pas de son service. Il les autorise à venir chez Agnès après les cours.

A force de fréquentations, ils se sont familiarisés et les Thibaut invitent un jour Agnès à venir visionner un film chez eux, le samedi. C’était jeudi. Le père propose de venir la chercher le samedi qu’elle refuse et préfère qu’on lui indique la route. C’est pour que Fabien ne sache pas qu’elle vit avec ses parents, et découvre son mensonge. Elle est bien accueillie par le trio le samedi. La soirée a été belle et a renforcé le rapprochement au cours duquel ils se sont promis d’être des amis, comme l’a voulu Agnès. Et les randonnées se succèdent chaque début de week-end. Fabien craque et veut absolument savoir où Agnès habite. Elle lui avait dit qu’elle était à Bangoula alors qu’elle est souvent sur la route de Gangla. Il lui demande jalousement qui elle va voir là-bas.

Un peu énervée, Agnès rétorque qu’il est jaloux et veut savoir tout d’elle. Elle lui demande de quoi il se mêle, qu’elle aille à l’est ou a l’ouest. La sachant vexée, il s’excuse. Un jour, Fabien aperçoit Agnès à un arrêt de bus. Il la rejoint et lui parle dans un anglais parfait :

Hello ! Agnès. Where is your motoscooter ? Gênée de répondre en anglais, elle répond qu’elle l’a passé a son frère pour ses courses. Alors il saute sur l’opportunité et lui propose de la déposer. Elle le remercie et lui fait savoir que le bus s’arrête tout juste à sa porte.

Il insiste pour la déposer chez elle et en finir avec les mystères sinon ils iront ensemble dans le bus. Elle finit par le suivre. Ainsi, il découvre qu’Agnès ne vit pas avec son mari mais plutôt avec ses parents. Elle avoue qu’elle est en séparation de corps avec son mari. Elle débite, toute tremblante, qu’elle se méfie des hommes et qu’ils promettent ciel et terre à la femme quand ils la désirent tout simplement. Mais quand ils ont assouvi ce désir, ils la rejettent comme une peau de banane. Elle les considère comme le diable en puissance. Ils profitent de la naïveté de la femme pour se jouer d’elle et, à ce titre, elle les déteste.

Fabien lui coupe la parole et lui demande d’éviter de généraliser les choses. Ils ne se comportent pas tous comme elle le pense. Un adage ne dit-il pas qu’ « un seul âne a mangé la farine et tous les autres en ont été imprégnés ? » Il lui attribue le titre de chérie et lui demande de ne pas se fermer a lui. Il promet de l’aider comme il le peut et d’être un vrai compagnon pour elle.

Les enfants de Fabien viennent souvent chez elle. Il est si aimable que la famille d’Agnès l’a accepté. Il amène la fille d’Agnès passer le week-end avec les siens, se charge avec plaisir de subvenir à leurs besoins et fait le maximum parce que Agnès ne lui demande jamais rien. Il anticipe déjà ses besoins et prend soin d’elle. Mais le père d’Agnès est quand même méfiant. Il ne veut pas qu’elle sorte avec lui sans permission et seule avec lui. Il rappelle à sa fille qu’elle n’est pas encore divorcée et exige qu’elle se comporte comme telle.

Agnès voulant expliquer à son père qu’elle est consciente de ce qu’elle fait, ce dernier s’emporte et lui lance : « Ici c’est pas un bordel. »

A cause de l’intransigeance de son père, Agnès est obligée de mentir pour sortir avec Fabien. Et cela dure une année. Agnès finit par tomber enceinte. D’abord elle informe Fabien de son état et croit qu’il en fera un problème et décidera d’un avortement. Ce ne fut pas le cas. Il explose de joie et l’embrasse tendrement sur le ventre et la sert fort contre lui. Pour fêter cet heureux événement il l’invita dans un grand restaurant. Il s’empresse d’informer ses enfants qu’ils auront un petit frère. Les enfants lui rétorquent une petite sœur. Le plus petit remarque que depuis que Agnès vient chez eux son papa ne sort plus. Tous deux se regardent tendrement et rient de l’espièglerie de l’enfant.

Ensuite Agnès informe son père et sa mère. Sa mère reste un moment abasourdie et son père attrape un moment sa tête et laisse échapper un grand soupir. Ils se demandent pourquoi elle a agi ainsi. Ils lui disent qu’ils n’accepteront pas cette honte dans la famille. Le papa profère des insanités à propos de Fabien. Il bouge sans cesse la tête et finit par avouer que cette grossesse doit partir. Ce métisse ne verra pas le jour chez lui. Sa mère, quand à elle, lui demande avec apitoiement d’être raisonnable. Elle se demande comment elle pourra être heureuse puisque son mari refuse de lui donner la garde de sa fille. Même si elle a tout l’or du monde, elle ne sera jamais contente en voyant ses enfants échouer à cause de la séparation. Elle souhaite que sa Fille Agnès retourne avec son mari à cause de son enfant et pour l’honneur de la famille. Agnès est tout le temps acculée par ses parents qui reviennent toujours sur l’avortement. Un gynécologue est déjà contacté pour l’intervention par eux. Agnès est influençable par ses parents. Elle ne peut pas

prendre de grande décision par elle-même. Elle accepte alors la décision des parents sans informer Fabien.

Fabien s’en est rendu compte plus tard et reste éberlué et surpris par l’attitude de sa dulcinée. Agnès s’approche pour le flatter en caressant ses cheveux tout en le

suppliant d’accepter la situation. Il la repousse violemment et elle va choir au bas du lit. La rupture est fatale et Agnès très malheureuse.

La vie semble s’acharner contre elle pour plusieurs raisons : l’échec de son premier mariage, son mari qui récupère sa fille, la rupture avec Fabien, la perte de son enfant par manque de volonté. Elle a toutes les raisons de se détester pour ce trait de caractère qui fait d’elle une esclave.

Quelques mois plus tard elle aperçoit Fabien avec une autre femme et elle se sent très mal. Il klaxonne et descend sur le trottoir. Agnès le rejoint jusqu’à sa voiture et descend de son engin. Il sort de la voiture et est rejoint par la fille. Il la présente et lui fait savoir que cette dernière a une licence en lettres modernes. Agnès cligne les yeux plusieurs fois. C’est vrai qu’elle n’a même pas son baccalauréat. C’était fait exprès pour qu’elle sache son niveau. Il vole de mieux en mieux, se dit Agnès. Elle reste plantée et les regarde partir en amoureux. Elle est prise de vertiges et tombe sur son séant. Elle se relève aussitôt pour éviter les badauds, dépoussière sa jupe et enfourche de nouveau sa moto. Elle prend son mal en patience. Par résignation elle s’accroche aux conseils de sa mère. Elle pense à son enfant qui l’aime bien et qui retourne toujours en pleurs quand elle vient lui rendre visite. Cette douleur réveille sa raison et l’amène à peser le pour et le contre de la séparation avec son enfant. Avec toujours le soutien de sa mère elle décide de retourner chez son mari qui ne s’est même pas opposé.

Une nuit, elle rêve qu’un homme géant, tout de blanc vêtu et sans visage, lui tend les bras. Elle s’y engouffre et il a disparu avec elle dans les airs. Elle pense beaucoup a ce rêve : est-ce la mort ?

Le lendemain au bureau, elle voit Fabien qui l’attend. Elle lui dit bonjour et lui demande d’après ses enfants. Il voulait voir Agnès. Elle répond qu’ils n’ont plus rien à se dire et entre dans son bureau. Il revient encore le surlendemain et ainsi de suite plusieurs fois. Agnès l’autorise alors à parler.

Pas ici, chez moi de préférence, dit-il.

Et ta copine « licensarde », s’enquit-elle ?

Rancunière, tu le sauras si tu viens à la maison, mon ange qui ne me lâche pas ;

Je passerai à la descente, et ne viens plus au bureau me déranger, j’ai trop à faire. Tu as toujours les mots pour me flatter. Cette fois tu ne m’auras plus. Comme dit un proverbe de chez nous : « On ne piétine pas deux fois les testicules de l’aveugle. »

Si tu m’écoutes je ne viendrai plus. Promis.

En fin d’après-midi, elle part chez Fabien qui l’attendait. Elle s’assoit sur le banc de son jardin. Fabien se met à genoux.

- Agnès, articula-t-il, j’ai mis ma copine à la porte. Elle me demande trop de choses à la fois (congélateur, terrain, maison), elle n’est pas du tout intelligente... je ne me sens pas très bien avec elle... avec toi c’est différent, je vois que je ne peux plus me passer de toi... donne moi une autre chance... je sais que j’ai été très dur et violent avec toi... ne t’es-tu pas blessée quand je t’ai bousculée ?

Agnès regarde avec amertume sa bouche comme un cratère de volcan.

Sale menteur, hurla-t-elle. Arrête de me divertir. Tu t’es assez foutu de moi. Je n’envie pas les diplômées, moi. Ce que je gagne me suffit et je ne mendie pas pour vivre. Je ne demande rien aux hauts cadres. C’est toi qui es amoureux des diplômées, va avec elles et laisse-moi tranquille. Il n’est pas exclu que je sois un jour diplômée, mais je n’en fais pas une fin en soi. La réussite dans la vie ne se résume pas à l’accumulation de diplômes, à ce que je sache !

Non, Agnès, comprends-moi, je t’aime.

A genoux, il la supplie avec des yeux languissants et pitoyables.

J’ai voulu simplement te rendre jalouse. Je n’ai jamais cessé de t’aimer.

Ah ! tu m’aimes ? Je ne crois pas ce que tu dis. Toi, tu as refusé en son temps de me pardonner en mettant mon cœur à feu et à sang. Quant à moi, je te pardonne mais il est exclu qu’on marche encore ensemble. Je veux que nous restions simplement de bons amis. Moi, j’ai rejoint mon mari et je ne veux pas être dispersée. Je ne peux pas partager deux hommes à la fois. Ce sera pénible pour moi et pas honorable. Je te remercie pour les sentiments que tu éprouves pour moi. Je suis profondément touchée mais n’insiste pas, j’ai déjà choisi ma vie.

Fabien insiste ; mais, rien ne change. Il devait renouveler son contrat pour continuer d’exercer dans le pays et fait savoir à Agnès que cela dépend d’elle. Agnès reste catégorique sur sa décision de rester avec son mari et Fabien retourna chez lui en France.

Agnès prend la résolution de rester auprès de son enfant au prix de broyer le feu. Ainsi la raison l’emporte sur l’amour.

Augustine Bambara

Le Pays

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