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Toxicomanie : Le « ghetto », un lieu où la drogue unit enfants de la rue, fils de riches et intellectuels

Publié le mercredi 26 juillet 2006 à 07h03min

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Ils sont jeunes. Agés de 18 à 45 ans, ils se réunissent tous les jours dans leur « ghetto », une maison abandonnée dans un quartier situé en plein centre de la ville de Ouagadougou pour consommer la drogue, « l’herbe » ou « le gandja » dans leur jargon.

Certains y ont élu domicile comme Karim, 37 ans. Ancien vendeurs de pantalons jeans et d’habillements pour jeunes filles au marché central de Ouagadougou (fermé suite à un incendie en mai 2003), Karim, aujourd’hui a tout perdu. Son argent a fini au « ghetto » selon lui. Et pourtant : « Chaque soir, je rentrais à la maison avec 7000 ou 15000 F CFA dans ma poche » se souvient-il, rejetant par un jeu de langue une bouffée de fumée par la bouche. « Nous sommes rentrés au « ghetto » par simple curiosité. Nous étions une vingtaine et en 5,6 ans, nous sommes plus de cent maintenant », explique-t-il. Ceux que l’on trouve là-bas sont de jeunes commerçants, des ingénieurs, des dessinateurs, des chauffeurs, des informaticiens. . . des enfants de la rue. La cour qui leur sert de lieu de rassemblement est au milieu d’habitations. Personne n’aurait imaginé un quartier général de drogués en ces lieux où musulmans, chrétiens (catholiques et protestants) vivent en parfaite harmonie. Appelées herbe, les substances qu’ils consomment sont essentiellement du cannabis (marijuana et chanvre indien), de l’héroïne, de la cocaïne. L’écoute, la désintoxication et la réinsertion sont sur les lèvres de chacun comme Kôrô Razo (grand frère Razo en Dioula), le plus âgé du groupe, environ 45 ans : « je suis là-dedans ça vaut vingt ans et pour sortir de là, il faut des mesures d’accompagnement.

C’est un mal qui équivaut au Sida sinon plus. Le fléau est en train de prendre de l’ampleur, donc il faut que l’Etat voit ce problème et crée des centres pour essayer de récupérer ces personnes. Et chose bizarre, les « dealers » (vendeurs) n’en consomment pas et nous sommes conscients que c’est une mauvaise chose, mais on ne peut plus en sortir sans aide », soutient-il avant de lancer un appel : « Nous souhaitons qu’on interdise la vente de ces produits et nous éloigne du ghetto. Nous demandons que les autorités viennent avec des machines pour la détruire parce que ce n’est plus par plaisir que nous consommons la bêtise (drogue) c’est une obligation maintenant ».

Qui gère votre loyer ? « Nous ne savons même pas à qui appartient les locaux. Nous on arrive, on paie le produit et on consomme. Qui gère la maison est une question qui nous intéresse peu parce que notre souci, c’est d’avoir seulement le produit et le type qui le fournit. On n’arrive pas à manger, voyez-vous-même, la plupart d’entre nous ici, c’est la peau sur les os. Celui qui à 1 000 F CFA préfère consommer pour 800 F CFA de drogue et compléter l’autre qui a besoin de 200 F CFA » explique Kôrô Razo.

Réprimer trafiquants et consommateurs

Pour Aboubacar, c’est un produit qui coupe l’appétit et « au fur et à mesure que tu fumes, tu as toujours l’envie de fumer et ça donne l’insomnie. Nous ne sommes pas des malfrats et il ne suffit pas de brûler l’herbe, il ne suffit pas d’enfermer les drogués, nous sommes déjà derrière les barreaux, prisonniers de la drogue. Il faut s’occuper des drogués », fait-il observer.

Amadou, informaticien dans une société de la place semble connaître comment on peut les aider. « Avec les produits de substitution, on compense la chose et au fur et à mesure on s’en s’éloigne », ajoutant que ce n’est pas seulement des Burkinabé qui sont au « ghetto ». « II y a aussi des Libériens et des Nigérians et d’autres nationalités qui vivent avec nous ici ». « Des enfants de grands types viennent consommer avec nous avant de repartir, d’autres viennent simplement se ravitailler. Certains ont vendu leurs motos, d’autres utilisent l’argent de leur commerce. Il y en a qui ont même décoiffé leur maison pour se droguer. C’est obligatoire, qu’il pleuve ou qu’il neige même s’il faut tuer une personne, il te faut la dose. Donc vous voyez que c’est dur », explique-t-il.

« Le matin quand je n’en prends pas, je ne peux pas respirer. Même quand tu as 15 000 F CFA tu ne peux pas tenir deux jours », regrette Amadou qui a pourtant une femme et deux enfants de 7 et 12 ans. Plus menaçant, il ajoute. « Si rien n’est fait, nous allons arriver à la seringue », prévient-il.

Ces personnes s’élèvent contre le Comité national de lutte contre la drogue (CNLD), une structure chargée de réprimer trafiquants et consommateurs, mais aussi-théoriquement de la réinsertion sociale des drogués. « Nous sommes laissés à nous-mêmes or il y a un comité de lutte contre la drogue.

Ce n’est pas la peine que les amis de l’autorité (la police) prennent quelqu’un qui est dans la chose (un toxicomane), ce n’est pas la peine. Il faut un centre d’accueil. Là si on attrape quelqu’un on l’amène là-bas pour l’aider à arrêter. Il y a des gens ici qui veulent arrêter, mais ils ne peuvent pas », explique Razo, les yeux rouges, les doigts noircis par la fumée et le feu durant 27 ans de consommation de cannabis et de chanvre indien, « rien que ça, « précise Razo.

Eric, 25 ans qui a « snifé » la première fois la cocaïne en 2000 ajoute : « S’il y a un centre ou une association où l’individu peut aller se jeter et dire : J’en ai marre, au secours aidez-moi, ça allait être une bonne chose. Nous tous nous y irons » assure-t-il.

« Dans les pays développés, vous avez les formules de la méthadone ; là avec la volonté et au bout de quelques semaines, la personne n’est plus dépendante de la drogue », a-t-il lancé. D’un ton beaucoup plus posé du fait d’une « vilaine » toux, il ajoute, « qu’on essaie de nous donner la main au lieu de nous matraquer ».

Rejeter par les siens

Prisonnière de l’héroïne, Safi Ouédraogo, une jeune fille de 19 ans raconte : « Je viens de Nonsin (quartier Ouest de Ouagadougou). Ce produit a beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages. Mais je viens souvent ici me ravitailler si j’arrive à m’échapper ». Car précise-t-elle, ses parents sachant qu’elle se drogue et pour l’empêcher de sortir l’attache avec une corde.

Une autre fille est couchée dans le salon du « ghetto ». Elle vient de Koudougou (100 km au Centre-Ouest de Ouagadougou), précise Safi. La jeune fille tient des propos à peine audibles, Aujourd’hui, elle ne peut plus retourner auprès des siens de peur d’être refoulée.

Karim Soro, dessinateur de son état arrive à peine à ouvrir ses paupières. Il veut s’exprimer lui aussi. Il réunit ses derniers efforts, racle sa gorge et raconte. « C’est mon frère qui m’a amené ici. Quand j’ai commencé à consommer la drogue ça m’a rendu malade au début. Maintenant si je ne prends pas la drogue, je ne peux rien faire. Quand mes parents ont su que je me droguais, ils ont tout fait pour que j’abandonne, mais hélas, j’étais déjà esclave de la chose ; donc je ne dors plus à la maison et cela a accentué la consommation. Je suis dessinateur, mais je ne peux plus rien faire. J’ai tenté de partir à la maison, mais quand j’arrive tout le monde me repousse et on veut même me frapper. J’ai alors élu domicile au ghetto ici ». Au niveau officiel, « le problème est pris au sérieux, mais nous ne disposons pas encore de structures spécialisées », regrette le secrétaire permanent du CNLD, le commissaire Christophe Compaoré ajoutant que la sensibilisation, notamment à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre la drogue constitue les activités phares de sa structure. En 2005, les forces de sécurité ont saisi, 3 à 4 tonnes de cannabis et 981,788 kg d’amphétamines. Plus de 730 enfants de 6 à 18 ans dont cinq filles ont été arrêtées pour toxicomanie et quelques 264 personnes ont été incarcérées pour avoir vendu, consommé ou trafiqué la drogue. Pour les toxicomanes : « Quand nous envoyons les gens à l’hôpital, on les traite comme des fous or ce sont des drogués dont le traitement obéit à des méthodes précises », opine l’officier de police Zongo, qui s’occupe des finances du CNLD. Pour le commissaire Compaoré, l’embastillement des drogués est parfois du fait des parents.

« Ce n’est pas de gaieté de cœur que la police et la gendarmerie qui sont chargées de l’application des lois prennent des mesures d’isolement. Ces individus sont parfois dangereux. Et certaines mesures d’isolement sont souvent faites sur insistance des parents », conclut le commissaire Compaoré, appelant la population à collaborer en dénonçant les trafiquants et l’Etat à construire un centre spécialisé pour la prise en charge des toxicomanes.

Mamina SAM
Romaric O. HIEN

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 27 juillet 2006 à 13:40, par Bakus En réponse à : > Toxicomanie : Le « ghetto », un lieu où la drogue unit enfants de la rue, fils de riches et intellectuels

    Félicitations aux auteurs de cet article pour leurs investigations et la réalisation de leur reportage. Réalisé certainement avec peu de moyens, cet article contribue pourtant énormément à la sensibilisation sur ce fléau qu’est la toxicomanie.

  • Le 27 juillet 2006 à 20:02, par N. Ouedraogo En réponse à : > Toxicomanie : Le « ghetto », un lieu où la drogue unit enfants de la rue, fils de riches et intellectuels

    Je suis heureux qu’un grand journal de la place aborde un sujet aussi déliquat que la toxicomanie. Cependant j’aimerai ajouter quelques informations afin de mieux comprendre le phénomène.

    Tout d’abord, lorsqu’on parle de drogue cela fait surtout référence à une dépendance, or la médecine à définie 2 types de dépendances : la dépendance physique et la dépendance psychique. La première fait référence à une dépendance du corps, c’est à dire que c’est le corps qui demande sa dose quotidienne de drogue, même si la personne ne veut pas, son corps lui montrera son envie : sueures, vomissements, tremblements, etc. tels sont les effets qu’un drogué en état de "manque" subit. La seconde est relative à une dépendance de la personne qui ne se sent plus capable de vivre sans la drogue.

    Chaque drogue génère son type de dépendance mais la plupart génèrent les deux types de dépendances à quelques exceptions près. Il est important de connaître quelle drogue génère quelle dépendance afin de trouver les actions à mener pour aider le droguer à se libéré de cet forme d’esclavage.

    Si le recours à des produits de substitutions (méthadone par ex.) ou à un sevrage (comme le cas de la famille qui attache Sali pour l’empêcher de se droguer ou le recours à des centres de désintoxication) peut être une solution pour les drogues de la première catégorie (dépendance physique) cela ne peut être une solution dans le cas d’une dépendance d’ordre psychologique. Pour cette dernière il est nécessaire de connaitre les raisons qui poussent la personne à avoir le recours à cet agent de fuite de la réalité. Dans ce cas un dialogue est primordial et le rejet de la part de la famille ne fait qu’empirer la situation. Dans le cas d’une dépendance physique il est aussi nécessaire d’avoir cette approche de compréhension pour éviter tout risque de "retomber" dans la drogue.

    L’article fait référence à trois drogues : le cannabis, la cocaïne et l’héroïne. Le cannabis n’a jamais engendré de dépendance physique, même à des doses très élevées, seule une dépense psychique est observée chez les consommateurs. De plus cette drogue n’a que de très faible méfaits sur l’organisme, notamment en comparaison avec une autre drogue bien plus populaire : l’alcool. La cocaïne est elle aussi une drogue à dépendance plus psychique que physique et si elle est de bonne qualité n’a que de très peu effets secondaires ce qui fait de cette drogue une des plus populaires (en ce qui concerne les drogues illicite, puisque la consommation d’alcool et de tabac est bien sur bien plus important encore) en Europe notamment dans les milieux aisés. En effet, pour acquérir de la drogue de qualité il est nécessaire d’y mettre le prix ( 80€/gramme). Au Burkina Faso, cette drogue est souvent consommée sous forme de crack qui est composé des résidus de fabrication de cocaïne pure. Sous cette forme, elle génère une forte dépendance physique et à de graves effets secondaire du fait de sa composition chimique. Par contre son prix est très bas. Finalement, l’héroïne, qui n’est autre que de l’opium sous forme pure, est une des dorgue dont la dépendance physique survient le plus rapidement. Après deux ou trois prises, la personne ne peut déjà plus s’en passer et est près à tout pour soulager son corps en manque de sa dose.

    Il est nécessaire de connaître les drogues et leurs fonctionnement afin d’avoir les discours et les réactions adéquates vis-à-vis des consommateurs et ainsi éviter de tout mettre dans le même panier. Le cannabis (qui est exactement la même chose que le chanvre indien) a été consommé depuis toujours dans la plupart des société, à fortiori dans les société africaine, mais cela dans le cadre du rite et/ou de l’initiation. Jamais les jeunes générations n’ont été laissées totalement libre face à ces substances, elles ont toujours été mise en garde par les anciens. C’est peut être aussi de ce côté qu’il faut chercher la raison de l’augmentation du nombre de personnes désemparées qui tombent dans le piège de la drogue.

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