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Mme Pascaline Tamini : "Investir dans l’enfant, c’est poser les bases d’une société vivable"

Publié le lundi 24 juillet 2006 à 10h18min

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Pascaline Tamini, ministre de l’Action sociale

La ministre de l’Action sociale et de la Solidarité nationale, Pascaline Tamini, a participé les 6 et 7 juillet 2006 à la rencontre ministérielle d’Abuja (Nigeria) sur le thème : “La traite des personnes en Afrique de l’Ouest et du Centre”.

Dans cet entretien, la ministre revient sur la pertinence de la rencontre ainsi que les attentes du Burkina par rapport à la mise en œuvre du plan d’action de lutte contre la traite des personnes.

Sidwaya : Quelle importance le gouvernement burkinabè accorde-t-il à la Convention sur la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, signée à Abuja ?

Mme Pascaline Tamini (P.T.) : La traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants constitue un sujet de préoccupation pour le Burkina. Parce que c’est une réalité vécue dans les pays africains, notamment en Afrique de l’Ouest et plus particulièrement ici au Burkina.

Les statistiques montrent que la traite des enfants sévit particulièrement dans notre pays. J’ai indiqué lors de la Journée de l’enfant le 16 juin 2006 à Gourcy que nous avons intercepté quelque 2500 enfants en 2005. La Boucle du Mouhoun est la région la plus touchée, suivie de la région du Nord. Et cela s’explique en partie par la proximité avec la Côte d’Ivoire et le Mali. Là, il s’agit de la traite transfrontalière. Au niveau du trafic interne, beaucoup de jeunes filles quittent le Nord du pays pour venir travailler en ville, notamment à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.

Les enfants et les femmes sont surtout utilisés dans les travaux champêtres, domestiques, l’orpaillage, mais aussi la prostitution. Au niveau interne, nous avons mis en place des comités de vigilance et de surveillance (CVS) en collaboration avec les ministères de la Sécurité, de la Justice, des Droits humains. Nous avons également les noyaux-relais de communication pour le changement de comportement qui jouent un rôle fondamental en matière de sensibilisation des populations.

Les forces de sécurité nous aident à appréhender les trafiquants. Certains enfants victimes sont retournés dans leur terroir d’origine. Pour les autres, nous développons des solutions à plus ou moins long terme en les affectant dans des centres d’apprentissage. Ainsi, en collaboration avec l’UNICEF et FAWE, l’Action sociale a créé un centre de formation pour jeunes filles à Tougan dans le Sourou. Lorsque nous interceptons des filles victimes de la traite, nous les y emmenons, afin qu’elles apprennent certains métiers à même de leur permettre une réinsertion dans la société. Donc, au niveau interne, le Burkina a pris les dispositions qui seyent.

Mais la traite transfrontalière implique les autres pays. En ce moment, nous sommes obligés de collaborer avec les pays voisins notamment pour venir à bout du phénomène. C’est en cela que je trouve que la réunion d’Abuja était indispensable. Elle a permis aux différents Etats d’arrêter les stratégies nécessaires pour lutter contre la traite des personnes. Car, même si vous développez des stratégies au niveau local, si ces initiatives n’ont pas de relais au niveau sous-régional, les résultats de vos efforts nationaux ne seraient pas à la hauteur des attentes.

Parce que le phénomène se développera en dehors des frontières et aura des influences sur les enfants et les femmes à l’intérieur de vos frontières. Nous saluons surtout l’initiative d’avoir placé les deux organisations sous-régionales - la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) - au devant de la scène. Ceci est d’autant plus important que, si la coopération inter-Etats en Afrique de l’Ouest est assez efficace, elle n’est pas évidente en Afrique centrale. Alors que nos enfants et nos femmes peuvent dépasser les frontières et aller dans ces pays. Déjà, le phénomène est vécu. La pertinence de la rencontre ne se discute donc pas.

Quant au contenu, il est vrai que la Convention prend en compte toutes les dimensions du phénomène, en définissant de façon claire quelles sont les responsabilités de chaque Etat. Et également les responsabilités des organisations sous-régionales censées accompagner la lutte.

Ma seule crainte réside dans la mobilisation des ressources pour soutenir les différentes stratégies, qu’elles soient nationales ou régionales. Comme je l’ai souligné lors de la rencontre, il ne suffit pas de signer des conventions sans pouvoir les appliquer.

Sinon ce serait un document de plus. L’autre appréhension est que nous signions encore cette convention et que la CEDEAO et la CEEAC ne prennent pas les mesures nécessaires pour amener chaque Etat à mettre en application ces dispositions.

(S) : Plusieurs organisations internationales ont réaffirmé leur soutien à la lutte contre la traite des personnes. Pourquoi alors ces interrogations sur le financement ?

P.T. : Cela est vrai. La présence même de ces partenaires, notamment l’UNICEF et le BIT, l’UNODC à la rencontre d’Abuja témoigne de leur engagement à nous accompagner dans cette lutte.

Mais l’engagement politique revient aux Etats-parties et aux organisations sous-régionales sus-citées. Si l’engagement politique fait défaut, quelle que soit la volonté de nos partenaires, nous n’iront pas loin.

Les partenaires peuvent mettre à la disposition des Etats, les ressources nécessaires pour effectuer le travail, mais si la volonté politique manque, les ressources ne seront pas utilisées à bon escient. De toute façon, il y a par exemple l’accord de libre circulation des biens et des personnes, qui existe entre les pays d’Afrique de l’Ouest, mais est-il appliqué à 100% par les différents Etats ? C’est vrai que quand le Burkina signe un accord, il respecte ses engagements. Les mêmes dispositions ne sont pas observées chez certains Etats.

Si nous avons des enfants trafiqués en Côte d’Ivoire et que du côté ivoirien, on ne joue pas le jeu, les milliards ne seront pas utilisés au profit de ces enfants.

(S) : On remarque également que les pays ne sont pas au même niveau de préparation. Que préconisez-vous ?

P.T. : Il est vrai que des pays comme le Burkina sont très avancés dans la mise en place de structures de lutte contre le fléau. Chez nous, les comités dont la Convention parle existent déjà au niveau national. Mieux, nous avons signé des accords bilatéraux avec des pays tels que la Côte d’ivoire et le Mali sans attendre même cette Convention.

Quoi qu’on dise, les accords bilatéraux représentent une étape importante vers l’éradication du phénomène dans l’intérêt supérieur de l’enfant en particulier. Il va donc sans dire que la CEDEAO et la CEEAC doivent tout mettre en œuvre pour ne pas nous tirer vers le bas ou à tout le moins, ne pas nous retarder.

Il faut que les différents pays qui ne l’ont pas encore fait ratifient les différentes conventions internationales ayant trait au sujet et mettent le plus rapidement les structures en place pour nous permettre d’avancer. Tous les gouvernements et pays y ont intérêt, de même qu’ils ont intérêt à investir dans les secteurs sociaux, à commencer par l’enfant.

Car si nous n’investissons pas dans l’enfant aujourd’hui, nous posons nous-mêmes là les bases d’une société invivable dans l’avenir. C’est la société qui secrète les déchets qui vont la détruire demain.

Interview réalisée par Abdoulaye GANDEMA

Sidwaya

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