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Lazare Banssé, directeur général de la CAMEG : « Les ARV génériques seront de moins en moins disponibles si... »

Publié le lundi 22 mai 2006 à 07h50min

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Lazare Banssé

M. Lazare Banssé est le directeur général de la Centrale d’achat des médicaments essentiels génériques (CAMEG). Gestionnaire de formation, il est également secrétaire permanent de l’Association africaine des centrales d’achat de médicaments essentiels (ACAME).

Dans cet entretien réalisé le lundi 15 mai dernier, il évoque la politique de distribution des médicaments génériques, les objectifs de l’ACAME et les préjudices causés par les médicaments de la rue.

Sidwaya Plus (S.P.) : Comment un économiste de formation a pu se retrouver à la tête d’une centrale qui vend des médicaments ?

Lazare Banssé (L.B.) : Les autorités de notre pays en ont décidé ainsi. Mais au-delà de l’aspect pharmaceutique, il y a aussi des enjeux de gestion, de rentabilisation de l’entreprise, de management qui me paraissent aussi important que la gestion du médicament lui-même et qu’il faut prendre en compte. Aussi, en plus de ma modeste personne, il faut dire que nous sommes ici une équipe pluridisciplinaires composée de gestionnaires, d’économistes et de pharmaciens surtout, et de communicateurs et de marketeurs, bref un ensemble de compétences qui nous permettent de réaliser nos objectifs.

S.P. : Justement, quels sont les objectifs, les missions et les attributions de la CAMEG ?

L.B. : Je peux les résumer en deux points essentiels : assurer la disponibilité géographique des médicaments au Burkina et aussi l’accessibilité financière de ces médicaments de sorte que le médicament puisse être compatible au pouvoir d’achat des populations. C’est pour cela que la CAMEG a opté pour le « tout générique ».

S.P. : Quelle est votre politique de distribution des médicaments ?

L.B. : C’est une chaîne très complexe qui commence depuis l’approvisionnement. Nous nous approvisionnons par le biais des appels d’offres internationaux en médicaments et nous sommes régulièrement approvisionnés par des laboratoires qui se trouvent partout dans le monde.

Une fois le produit ici au Burkina, nous nous attelons à le repartir dans nos dépôts régionaux. Car nous avons procédé à une politique de décentralisation qui nous permet aujourd’hui d’être représenté à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Fada N’Gourma, et tout dernièrement à Ouahigouya. Donc nous avons quatre (4) dépôts régionaux qui servent de relais pour approvisionner l’ensemble du territoire national. Outre les dépôts régionaux, il y a ce qu’on appelle les dépôts de district au nombre de 55 repartis sur l’ensemble du territoire. Ceux-ci s’approvisionnent par le biais des dépôts régionaux et à leur tour, ils approvisionnent les centres de santé, les CSPS. Aujourd’hui, il y en a un peu plus de 1 200 sur l’ensemble du pays. Nous approvisionnons aussi les trois (3) CHU de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso.

Nous approvisionnons également les neuf (9) CHR et aussi, les 150 pharmacies qui existent sur l’ensemble du territoire. Nous avons donc un réseau de distribution qui est très étendu et qui nous permet de mettre à la disposition des populations partout où elles résident les médicaments essentiels génériques et à des prix uniformisés. C’est ainsi que le médicament a le même prix à Ouagadougou, à Falagountou ou partout ailleurs.

S.P. : On parle généralement de générique en disant que « c’est même chose mais c’est pas même prix » par opposition à la spécialité, qu’est-ce qui explique cela ?

L.B. : Il faut dire que le médicament générique est un médicament qui est tombé dans le domaine public. C’est pour cela qu’il est permis à d’autres laboratoires en dehors du laboratoire qui détient le brevet de pouvoir le fabriquer et le vendre. Donc à partir de ce moment-là, lorsque vous prenez le coût du médicament essentiel générique, vous n’avez plus les frais de recherche qui permettent de rémunérer celui qui a le brevet.

Vous n’avez plus également les frais de marketing, puisque ce sont des médicaments qui existent depuis 10,15 voire 20 ans. Vous réalisez donc 70 % d’économie qui permettent d’avoir le prix que nous appliquons aujourd’hui, par opposition aux médicaments de spécialité qui coûtent nettement plus chers parce que le laboratoire qui les a inventés doit rentrer dans ses frais de recherche et également couvrir ses frais de marketing. En réalité, s’agissant du principe actif, il n’y a pas de différence entre le générique et la spécialité, c’est la même molécule qui soigne bien les malades aussi pauvres ou riches.

S.P. : Autrement, vous rassurez les personnes qui pensent que le générique est de mauvaise qualité par rapport à la spécialité ?

L.B. : C’est effectivement ce que certains pensaient, il y a peut-être 10 ans. Mais aujourd’hui, les mentalités ont évolué, même s’il y a encore des résistances. Généralement, ce sont des gens qui ont les moyens et qui optent pour une médecine de confort. Cela n’est pas bien grave, de toutes les façons nous adressons plutôt à ceux qui n’ont pas les gros moyens et qui ont besoin de se soigner. Les médicaments génériques sont les bienvenus parce qu’ils permettent de soulager un tant soit peu le budget familial vu que dans les postes de dépenses des familles, la santé apparaît très importante. Et depuis 5 ans, nous avons réussi à stabiliser les prix. Aujourd’hui le médicament essentiel générique est le produit qui, au Burkina, n’a pas connu d’augmentation. Au contraire, les prix ont baissé. Ce qui d’après moi, est une bonne chose. Nous appelons la contribution de la CAMEG à la lutte contre la pauvreté.

S.P. : Qu’est-ce que l’ACAME et quels sont ses objectifs ?

L.B. : C’est une structure mise en place en 1996 et qui regroupe aujourd’hui 17 pays y compris les 8 pays de l’UEMOA. L’Association africaine des centrales d’achat des médicaments a pour objectif essentiel d’arriver progressivement à mettre sur pied une politique commune d’approvisionnement au sein des pays membres, de créer aussi des centrales d’achat dans les pays où cette structure n’existe pas encore et de créer également des liens de solidarité entre ses membres. L’ACAME vise à diffuser et à partager des expériences et des informations etc.

Je pense qu’avec cette association, nous voulons devenir dans les années à venir une force de proposition par rapport à des Organismes comme l’OMC, aux bailleurs de fonds de façon générale pour défendre aujourd’hui les médicaments génériques qui semblent être menacés de plus en plus par les nouvelles dispositions de l’OMC.

Donc nous voulons devenir un partenaire privilégié dans les négociations avec l’OMS, l’Union européenne, pour montrer aux gens que le médicament générique, aujourd’hui, aide beaucoup les populations africaines pauvres et que les dispositions qui sont en train d’être prises peuvent être dangereuses pour l’avenir en ce qui concerne la santé de la population.

S.P. : Qui peut-être membre de l’ACAME ?

L.B. : Il faut être une Centrale d’achats de médicaments reconnue par les autorités sanitaires de son pays et faire acte d’adhésion. Le Burkina Faso abrite le secrétariat permanent de l’ACAME. Ce qui renforce notre crédibilité d’une part et d’autre part crée des emplois et va en créer au regard de l’importance que l’association est appelée à prendre.

S.P. : Vous avez tenu vendredi 12 mai un Conseil d’administration de l’ACAME. Peut-on savoir les conclusions auxquelles vous êtes parvenus ?

L.B. : Nous avons d’abord essayé de régler les problèmes liés à la tenue de la prochaine Assemblée générale qui devrait avoir lieu en juin au Tchad. Compte tenu de certaines difficultés, nous avons décidé de repousser cette assemblée sous réserve que certaines dispositions soient prises, au regard de l’actualité dans ce pays.

Nous nous sommes aussi réunis pour réaffirmer certains objectifs de l’association en vue de relancer les activités d’autant plus que nous avons bénéficié actuellement de la mise à disposition d’un conseiller technique par la coopération française. Celui-ci va nous aider à renforcer nos ressources humaines. Ce conseiller technique va donc, non seulement nous aider à dynamiser davantage notre association, mais nous apporter également un important financement qui va permettre de réaliser nos activités.

S.P. : Concrètement, comment la CAMEG va travailler avec l’ACAME ? Est-ce que ce ne sera pas finalement une relation de conflit ?

L.B. : Non, non, non, au contraire, la CAMEG est une structure nationale et vous avez aussi des structures similaires dans d’autres pays comme le Mali, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Tchad, le Cameroun etc. Donc il n’y a pas de concurrence. Je pense que c’est une association qui permet d’échanger les expériences parce que les Centrales d’achats ne sont pas toutes au même stade d’évolution. Notre objectif, c’est de pouvoir bénéficier de compétences et d’expertises que certains ont pu développer et surtout, comme je l’ai dit plus haut, de parvenir à mettre en place une politique commune d’approvisionnement.

S.P. : Quel sera l’agenda de l’Assemblée générale de l’ACAME, prévue à N’Djaména au Tchad ?

L.B. : Nous voulons transformer l’ACAME en une force de proposition vis-à-vis des partenaires techniques et financiers pour la survie même de nos centrales et pour assurer la régularité des approvisionnements en médicaments génériques. Car nous sentons les dangers venir dans la mesure où les textes pris à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) pourraient mettre en péril, dans un futur proche, l’approvisionnement de nos pays en médicaments essentiels génériques.

S.P. : Quels sont ces textes et que disent-ils ?

L.B. : Ces textes ont renforcé les droits des laboratoires. Il se posera un problème de disponibilité de certains génériques, notamment les produits pharmaceutiques qui devaient tomber dans le domaine des génériques. Des garanties ont été mises en place, et profitent plus aux laboratoires qu’aux Africains. Il se pourrait que pour les molécules de certains ARV, nous n’ayons pas la même facilité pour les acquérir. D’autant plus que peu de laboratoires vont les produire, au risque d’être sanctionnés.

L’Inde qui est le plus grand pourvoyeur de Médicaments essentiels génériques (MEG) a signé des accords avec l’OMC pour protéger son marché d’ordinateurs de la concurrence des firmes internationales. Elle est en train de se positionner dans ce secteur, plutôt que de produire des MEG. Or, 80% de nos importations de médicaments y proviennent. Il faut trouver des alternatives pour qu’on accorde des dérogations aux pays pauvres comme le nôtre qui n’ont pas de laboratoires pour s’approvisionner en médicaments.

S.P. : Y’a-t-il des ARV en génériques qui sont vendus au Burkina ?

L.B. : La plupart des ARV sont en génériques, la difficulté pourrait venir de la disponibilité des ARV de 2e ligne. C’est-à-dire les ARV mis sur le marché par des laboratoires pharmaceutiques, récemment, qui ne pourraient pas être disponibles en génériques et vont donc coûter très cher. Le débat va se mener à ce niveau dans les années à venir.

S.P. : Les médicaments de la rue pourtant prohibés, prolifèrent dans les rues de la capitale, pourquoi ?

L.B. : Ce phénomène est en régression. Parce que les génériques ont occupé une part importante du marché. Je puis vous dire que si vous faites une études de marché, vous constaterez que les médicaments génériques aujourd’hui coûtent moins cher que les médicaments de la rue. En réalité, il y a peut-être un manque ou un déficit d’information et une politique plus agressive des médicaments de la rue qui explique que certains citoyens continuent de les consommer. Les vendeurs de ces médicaments de rue vont dans les yaar, les zones d’habitation et ont un avantage de proximité que les pharmacies ou les CSPS n’ont pas.

S.P. : Les petits vendeurs dont vous parlez ne sont que la face visible de l’iceberg...

L.B. : Certainement que de gros bonnets se cachent derrière ce commerce. Mais, sur cette question, je n’ai pas beaucoup d’informations (Rires). Je suis d’accord avec vous que ce sont des réseaux biens organisés. Je crois que si les populations sont bien sensibilisées, et qu’elles ne consomment pas ces produits, ces réseaux vont disparaître d’eux-mêmes.

Hélas, je ne pense pas que ce phénomène puisse disparaître du jour au lendemain. Nous devons intensifier la lutte.

S.P. : Avez-vous une idée d’où viennent ces produits ?

L.B. : Ces produits sont fabriqués parfois au Ghana, au Nigeria ou en Inde. Ce sont des produits de contrefaçon, dans lequel il n’y a très souvent pas de principe actif. Ils ne contiennent que de la farine à l’intérieur.

S.P. : Quel danger encourt-on à consommer les médicaments de la rue ?

L.B. : Le malade à l’impression de se soigner alors qu’il n’en est rien vu l’absence du principe actif. En réalité, il ne guérira jamais, s’il continue de se traiter ainsi. Les médicaments de la rue ont des effets plus graves sur la santé des populations. Les personnes qui consomment ces produits souffrent d’insuffisance rénale.

S.P. : Quels préjudices la vente de ces médicaments occasionne-t-elle pour la CAMEG ?

L.B. : Le préjudice se résume en un manque à gagner. Mais au delà de ces aspects commerciaux, le préjudice est plus grand sur la santé des populations. Nous avons constaté une recrudescence de certaines pathologies due aux médicaments de la rue.

S.P. : Vous avez évoqué tantôt un manque à gagner, à combien l’évaluez-vous ?

L.B. : Selon les résultats d’une étude et sous réserve de vérification, le marché des médicaments de la rue rapporterait entre 3 et 4 milliards de FCFA par an. C’est énorme.

S.P. : Quels sont les MEG les plus vendus ?

L.B. : Les antipaludéens, les antidiarrhéeriques, les antibiotiques et les médicaments contre les maladies respiratoires sont les plus demandés et correspondent aux pathologies les plus usuelles.

La première cause de consultation et de mortalité au Burkina est le paludisme. Contrairement à ce qu’on pense, ce n’est pas le SIDA.

Entretien réalisé par S. Nadoun COULIBALY (coulibalynadoun2002@yahoo.fr)

Sidwaya

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