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Libye : Au nom de Kadhafi et de son fric !

Publié le vendredi 7 avril 2006 à 08h13min

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Lors de son séjour au Sénégal, à l’occasion de la célébration de l’anniversaire de l’indépendance de ce pays, le Guide de la Révolution libyenne a dit tout haut ce que pensent la plupart de ses pairs africains. Pour lui, il n’y a rien de plus politiquement et démocratiquement correct que de foutre la paix à Wade qui a déclaré officiellement sa candidature à la présidentielle de 2007.

"Les constitutions qui limitent le mandat des présidents de la République sont antidémocratiques puisque ce n’est pas la volonté du peuple qui souhaite garder au pouvoir le plus longtemps possible un leader qui a un programme national." Même au Sénégal où la classe politique, notamment l’opposition, est l’une des plus frondeuses et des plus exigeantes en matière de contestation sur le continent, Kadhafi s’est montré un homme sans peur. Plus courageux donc que le Guide libyen, dans l’expression de ses profondes convictions politiques, tu meurs.

Quitte à attirer sur lui, les foudres, oh, combien verbales ! de ceux qui croient dur comme fer que la seule démocratie qui vaille, c’est celle nourrie à la sève puisée à l’Occident, Kadhafi ne met pas de gants pour confondre ceux qui ne partagent pas son bréviaire. Il avait tenu les mêmes propos à l’endroit des Ivoiriens en leur crachant en pleine figure que Gbagbo était le démocrate idéal. Au Sénégal, l’opposition est montée au créneau en criant à l’immixtion de Kadhafi dans les affaires intérieures du Sénégal.

Avant de revenir à ces véhémentes vociférations provoquées par le discours de l’homme fort de Tripoli, il faut dire qu’au-delà de l’Afrique, c’est un pied de nez fait aux Etats-Unis et qui pourrait se traduire par cette longue tirade : "Vous voulez, à travers votre projet de grand Moyen-Orient, introduire dans cette région, la démocratie à l’occidentale. Mais voyez ce que vous avez créé en Irak. Vous avez renversé une dictature et l’avez remplacée par une dictature militaro-ethno-confessionnelle dans un pays où la laïcité n’était pas un vain mot.

Que faites-vous actuellement de la victoire du Hamas, acquise, suite à des élections libres et transparentes ? Vous tentez de l’étouffer. Que dire de l’Iran que vous soupçonnez d’être un pays habité par des hommes au quotient intellectuel si déficient qu’ils pourraient provoquer l’apocalypse s’ils accédaient à l’arme nucléaire ? A l’inverse, vous fréquentez assidûment des potentats en Arabie Saoudite, des expansionnistes et des fossoyeurs en Israël, et des régimes qui portent des ogives nucléaires sur la tête au Pakistan".

Kadhafi sait de quoi il parle. C’est la même Amérique, à la démocratie chevillée aux jarrets, qui n’avait ni consulté son opinion ni ses élus pour bombarder son pays. Et qui peut dire que le régime de Kadhafi aurait survécu aux bombardements et à la très longue période d’embargo dont il a été victime s’il n’avait pas eu le soutien de ses compatriotes ? Bien sûr, on rétorquera que le peuple libyen est musclé.

Pour Kadhafi, il existe une troisième voie. Celle qui se démarque des chansonniers du capitalisme sauvage qui crée des exclusions et des injustices et refuse en même temps d’écouter les grelots qu’agitent les nostalgiques de l’idéologie communiste où le génie créateur de l’homme est confisqué par une seule tête pensante d’où tout part et à laquelle tout revient. Qu’on le veuille ou non, tout semble donner raison à Kadhafi. Du reste, il a un devancier, Fidèle Castro. La proximité de son pays avec les Etats-Unis aurait constitué un danger pour la survie de son régime.

Or, plus de quarante ans après, Fidèle Castro plie, mais ne rompt pas. Son secret, c’est qu’apparemment, il a l’appui du peuple cubain. On devine aisément pourquoi. Les Cubains sont les rares privilégiés à bénéficier d’un régime de santé, d’une politique de logement et d’un système d’éducation gratuits. Et c’est là que le discours de Kadhafi prend valeur de pédagogie pour ses pairs. Plutôt que de s’arcbouter contre ce discours pour se frotter les mains, les dirigeants africains devraient faire leur examen de conscience.

De même, les opposants devraient analyser profondément le message de Kadhafi, au-delà de la personne de Wade. Aux premiers, Kadhafi voulait faire comprendre que le problème n’est pas tant de les remplacer systématiquement. Aux seconds, le Guide libyen voulait signifier qu’alternance sans alternative n’est que ruine de la démocratie. En effet, que gagnerait la démocratie si elle devait consister tout simplement à remplacer un pouvoir en place par une opposition qui a parfois fait la preuve de son indigence quand elle était elle-même au pouvoir ?

En Afrique, pouvoir et opposition commettent l’énorme péché en croyant que la démocratie se ramène au craquement des bulletins de vote, au tintement des urnes et au remplacement d’une équipe qui perd par un régime qui, virtuellement, va perdre. Une fois les élections terminées, l’électorat n’a qu’à aller se faire voir ailleurs. Les citoyens qui, dans leur bonne foi, croyaient que la démocratie pouvait les nourrir, sont invités à aller en chirurgie esthétique pour se faire une taille de guêpe alors que les dirigeants se desserrent les bretelles. Kadhafi a compris que la démocratie politique serait un édifice bâti sur du sable si elle n’avait pas pour fondation, la démocratie sociale et économique.

Les dirigeants occidentaux l’ont bien compris. Ce sont eux qui, bien que démocrates de souche, entament en file indienne d’incessantes processions vers Tripoli et en repartent avec des contrats pétroliers juteux. Des contrats qui leur permettent d’assurer le bien-être socio-économique de leurs citoyens et qui leur évitent des explosions sociales. Plutôt que d’entonner inlassablement l’hymne de présidents "démocratiquement élus", Kadhafi les invite à ajouter le couplet de présidents "économiquement et socialement généreux".

Sinon, ils apprendront à leurs dépens, que la démocratie qui signifie acte mécanique de glisser un bulletin dans l’urne n’est que synonyme de ruine de la démocratie. L’Occident a tellement poussé cette politique de l’aumône et de la gamelle auprès de Kadhafi qu’elle a eu l’impudeur d’avoir marchandé sans états d’âme, la rançon des victimes des accidents d’avion dont la Libye aurait été l’auteur.

Kadhafi assume donc sa pensée. Il sait que ses pétrodollars n’ont pas d’odeur, même auprès des donneurs de leçons de démocratie. En tous les cas, les opposants politiques, qu’ils soient du Sénégal ou d’ailleurs, ont beau jeu de dénoncer Kadhafi dès lors qu’ils sont à la périphérie du pouvoir. Il n’est pas évident qu’une fois au pouvoir, ils adoptent la même attitude de rejet. Ne dit-on pas que la main qui reçoit est toujours en bas ?

Les largesses de Kadhafi sont si alléchantes qu’aller à Tripoli est le rêve des sprinters politiques de tous horizons. En tout cas, entre gaver le peuple avec des préceptes politiques et leur donner à manger, Kadhafi a fait son choix. Et quand les peuples mangent, ils se taisent.

"Le fou"

Le Pays

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