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Commissariat de police de Saaba : Le racket à ciel ouvert

Publié le mercredi 22 mars 2006 à 07h18min

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Voulez-vous faire établir votre Carte d’identité burkinabè (CIB) en une journée ? C’est facile. Il suffit d’aller au commissariat de police de Saaba, village situé à la sortie est de Ouagadougou. L’opération coûte 2 000 F par CIB établie le même jour. En temps normal, la délivrance de la carte d’identité se fait à 500 francs dans ce commissariat.

Cela fait belle lurette que cette corruption à ciel ouvert dure. Les policiers de la localité font allègrement leur beurre. Personne ne les inquiète. Il y a quelques jours, un citoyen ahuri a mis la puce à l’oreille du RENLAC (Réseau national de lutte anti-corruption) via le 80 00 11 22, son téléphone vert (gratuit). Mercredi dernier, des agents ont été dépêchés sur les lieux. Le film est triste... et édifiant.

Mercredi 15 mars 2006. 8 heures. Le commissariat de police de Saaba grouille de monde, en ce troisième jour ouvrable de la semaine. Depuis 7 heures, des demandeurs de carte d’identité et de légalisation de pièces diverses se sont alignés devant la petite porte d’entrée. Dans le bureau, deux agents en tenue un homme d’un certain âge et une jeune dame - sont chargés de réceptionner les dossiers de demande de CIB et de pièces à légaliser. Les choses, à première vue, semblent se dérouler normalement ; il est impossible de douter de quoi que ce soit. Hélas !

Lorsque ce fût notre tour, grande fut notre surprise. Sans gêne aucune, c’est la policière qui propose le marché. « Si vous voulez avoir votre CIB dans deux semaines, il faut payer 500 F. Mais si vous la voulez ce soir à 16 heures, il faut ajouter 2 000 ». De quoi donner le vertige à un non-habitué de la pratique. Mais pour elle, l’habitude, la coutume, dirons-nous, a visiblement émoussé tout le malaise qu’un agent public de sécurité aurait dû éprouver en proposant un marché aussi malséant. Il n’en fallait pas plus pour comprendre que notre interlocuteur du téléphone vert avait raison. Du racket à ciel ouvert et sans panique, il faut avoir du culot pour le faire ainsi dans un commissariat de police !

Les policiers de Saaba doivent bien en avoir. Puisque le chef de poste ne tarda pas à pointer le nez. Il rôde un moment, fait semblant d’inspecter le bureau. Mais sa présence n’indispose guère ses subalternes. Il introduisit lui-même instamment un usager qui l’a interpellé de dehors. Celui-ci n’a pas eu besoin de faire la queue. Les deux hommes s’engouffrent dans le bureau du fond, probablement pour « se voir ».

Quelques usagers interrogés sur place n’ignorent pas les pratiques de corruption qui ont cours dans ce poste de police. Deux jeunes dames, à qui nous avons demandé s’il était possible d’avoir sa CIB le même jour, n’ont pas hésité à nous conseiller de « rentrer voir les policiers ». Ce qui suppose que cette façon de faire est connue de plusieurs usagers. Un autre venu accompagner sa parente a laissé entendre qu’il est venu spécialement de Ouaga parce que « ici, on est sûr d’avoir sa CIB le même jour ».

"Briser le cercle vicieux"

Comme conclu, nous sommes repartis l’après-midi, vers 16 heures, à Saaba. Effectivement, notre CIB était établie. Les 2 000 F remis le matin ont fait leur effet. Nous avons reconnu les visages de nombre de personnes qui formaient le rang devant la porte d’entrée du commissariat avec nous dans la matinée. Un coup d’oeil sur le bureau de l’agent chargé de remettre les cartes délivrées ce jour permet d’en dénombrer une quinzaine.

Si l’on suppose que pour la délivrance de tout ou partie de ces documents, les policier empochent 2 000 F, on imagine aisément le poids du beurre qu’ils se font dans cette affaire. En tout cas, pour un minimum de dix CIB par jour, le racket rapporte quotidiennement 20 000 F, et hebdomadairement 100 000 F à raison de 5 jours ouvrables par semaine- soit 400 000 F CFA par mois.

Comme on peut le constater, la pratique est juteuse. Il est nettement au-dessus du salaire des agents, même du plus gradé du poste de police, y compris le commissaire de police. Ceci expliquerait-il cela ? Qu’à cela ne tienne !

Il est peut-être inutile de se demander où va tout cet argent illégalement extorqué. Mais on est quand même choqué d’assister au sang-froid avec lequel les policiers de Saaba opèrent. Certes, le racket ou la corruption autour de l’établissement de pièce d’identité n’est pas l’apanage des seuls policiers en poste à Saaba. Les usagers de commissariats de police savent que le phénomène est assez ancré dans les moeurs. De là à le pratiquer quasiment à ciel ouvert, au vu et au su de tout le monde, il y a un pas de trop qui a été franchi au commissariat de police de Saaba.

Quels enseignements pouvons-nous tirer de cette triste situation ?

- C’est le lieu d’interpeller la police sur l’image négative que de telles pratiques véhiculent. La police, qui est en principe chargée de veiller sur la morale publique (agents assermentés), doit-elle permettre que certains de ses éléments descendent dans la fange peu reluisante de la déchéance morale ? Il y va de l’honneur de tout un corps (habillé et non à billets), même si la brebis galeuse ne fait pas le troupeau.

- Le fait que ce soit un usager du commissariat de Saaba qui ait interpellé le REN-LAC sur l’affaire prouve que, dans leur majorité, les citoyens de ce pays sont contre la corruption. Mais le phénomène est tellement ancré dans les mentalités que certains n’ont pas d’autres portes de sortie que de participer à ce jeu ignoble. Il faut briser le cercle vicieux. Pour ce faire, la responsabilité des citoyens est pleinement engagée, notamment pour ce qui est de la dénonciation des situations de corruption qu’ils sont amenés à subir d’une manière ou d’une autre. Il en est de même pour toutes les organisations de la société civile soucieuse de débarrasser notre pays de la gangrène de la corruption.

- Au niveau des autorités politiques et administratives, il pourrait sembler inutile d’exiger que les auteurs de telles indélicatesses soient sanctionnés. L’essentiel n’est pas de donner l’impression de sévir en tirant seulement les oreilles aux agents indélicats du commissariat de Saaba. On attend surtout que les responsables de la police, les autorités politiques et administratives attaquent le mal de la corruption à la racine et mettent en place un mécanisme de veille et de dissuasion permanent.

Le REN-LAC se propose de publier vos réactions, vos suggestions, vos dénonciations, si cela est conforme à la déontologie et à l’éthique professionnelle. Vos critiques et suggestions sont les bienvenues. Pour toutes informations et suggestions, contactez-nous à l’adresse suivante : Réseau National de Lutte Anti-Corruption (REN-LAC) 01 BP : 2056 Ouagadougou 01, Tél. : 50 -33- 04- 73, Email : info@renlac.org, site : http: //www.renlac.org Tél. vert : 80-00-11-22 (gratuitement).

Le REN-LAC

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 22 mars 2006 à 12:49, par Burkimbila En réponse à : > Commissariat de police de Saaba : Le racket à ciel ouvert

    Merci pour cet article et ce début de dénonciation de ce mal.

    Je suggère que prochainement le REN-LAC utilise des caméras cachées. Ainsi, certaines images pourront être diffusées à la télé et lors de certaines émissions à l’effet de dénigrement public, sanction morale , en attendant que l’Etat sorte de son silence ...

    Après un tel article, il faut surtout que des sanctions tombent sinon ce sera une idée en partage ...

    Je reste cependant convaincu que l’Etat doit aussi revoir les salaires ...

    • Le 22 mars 2006 à 21:08, par Henri Sebgo En réponse à : > Commissariat de police de Saaba : Le racket à ciel ouvert

      Merci pour cette dénonciation en bonne et dûe forme. Y’en a marre des dénonciations du genre "certains commissariat s’adonneraient ...". Merci au RENLAC d’avoir clairement dit de quel commissarait et de quelles activités il s’agissait.

      Le bas niveau des salaires ne saurait justifier la corruption... sinon que feraient les autres travailleurs qui ont aussi des salaires assez bas ( instititeurs entre autre) ?

      J’ose espérer quand il sera temps de sanctionner, certaines personnes ne prétendront pas qu’il s’agit de reglements de compte ou d’abus (Cf. article sur la CNSS s’érigeant en institution financière).

      au plaisir de voir les faits de corruption portés au grand jour et surtout VIVEMENT les sanctions !!!!

  • Le 22 mars 2006 à 16:30 En réponse à : > Commissariat de police de Saaba : Le racket à ciel ouvert

    Que le racket soit à ciel ouvert ou sous mer, c’est la même chose. Cette pratique est assez courante dans tous les commissariats. Le REN-LAC devrait poursuivre ses enquêtes et raitisser large. Allez voir également dans la direction de transport chargé de l’établissement des cartes grises. Là, ce n’est pas seulement 2 000 F.CFA qu’on vous réclamera pour une carte grise établie le même jour, mais entre 7.500 F.CFA et 10.000 F.CFA.

    Firmin

  • Le 23 mars 2006 à 05:52, par Raoul En réponse à : > Commissariat de police de Saaba : Le racket à ciel ouvert

    Merci pour ce bel article, il est aussi necessaire de souligner que celui qui donne est aussi coupable que celui qui recoit.Nous devrons tous travailler a l’image de brave monsieur non seulement a denoncer les corronpus mais aussi les corrupteurs.

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