Suspension de l’exportation des produits vivriers de Côte d’Ivoire : Des commerçants burkinabè souhaitent le rétablissement de la situation
LEFASO.NET
La suspension de l’exportation des produits vivriers de la Côte d’Ivoire (attieké, manioc, bananes plantains, piment…) en janvier 2024 prive les pays voisins comme le Burkina Faso, d’une partie de leur approvisionnement. Quelques jours après la prise de cette décision, des commerçants font grise mine à Ouagadougou.
Il est 9h30 mn à la gare routière Sitarail. Ce lieu, autrefois mouvementé, ne grouille pas de monde. Les commerçants qui sont encore aux alentours des lieux essaient de faire preuve de résilience, mais ils ne sont pas manifestement au bout de leur peine. Une mauvaise nouvelle refroidit davantage leurs ardeurs, alors que leurs affaires ne tournent déjà pas rond. La Côte d’Ivoire, dans un communiqué, a décidé de la suspension de l’exportation des produits vivriers pendant six mois pour « assurer la sécurité alimentaire de la population ». Une situation à laquelle les commerçants burkinabè sont impuissants. Ils sont d’ailleurs peu à vouloir se prononcer sur cette question. Assise au milieu de son étal, un sac banane autour de la taille, voile rose couvrant la tête et vêtue d’une robe longue fleurie, Nadège Ouoba (nom d’emprunt) cache difficilement son irritation.
« C’est avec un pincement au cœur que j’ai appris la nouvelle », se désole cette commerçante, qui vit principalement de la vente de l’attieké et de la pâte du manioc depuis une trentaine d’années. Ici, les commerçantes interpellent directement les éventuels clients, le but étant d’en attirer le maximum vers leurs étals. La concurrence est rude. Interrogée sur la vente de ses marchandises, Assétou Doukouré, une autre commerçante, lâche de manière désintéressée : « Depuis ce matin, je me tourne les pouces. Il n’y a pas de clientèle. Les rares personnes qui viennent devant nos échoppes se plaignent du prix de nos marchandises. Cette situation est indépendante de notre volonté. Si je prends l’exemple de la pâte de manioc, le sac qui était vendu à 15 000 francs CFA avoisine, de nos jours, 40 000 francs CFA. On fait le commerce pour avoir des bénéfices et non pour perdre. Je crains de ne pas pouvoir écouler les marchandises à ce rythme. Pourtant, elles sont périssables ». Elle souhaite un rétablissement rapide de la situation pour le déroulement normal de leurs activités.
Noufou Singa est le président des importateurs de pâte de manioc du Burkina. Il nous a reçu dans son bureau, sis au quartier Tampouy. Une visite guidée a permis de toucher du doigt l’impact de cette restriction sur son business. Le constat est amer : un entrepôt presque vide. On pouvait également voir quelques vieux sacs de pâte de manioc en mauvais état rangés dans un coin. Des échanges, on apprend que 15 camions transportant des marchandises sont bloqués à Niangoloko depuis l’annonce de la décision du gouvernement ivoirien. « L’impact est très énorme, vu l’importance des marchandises qui quittaient la Côte d’Ivoire pour le Burkina Faso. Le chargement d’un camion est estimé à environ 17 millions de francs CFA. Personnellement, j’ai un changement au niveau de Saïoua, dans la région du Haut-Sassandra. Tout est bloqué », confie-t-il. Afin de satisfaire la demande, le Ghana s’est avéré une destination de choix pour les commerçants, malgré la barrière linguistique. Ce pays dispose d’une stabilité politique et d’une bonne croissance économique. Les effets pervers peuvent être atténués à court terme par l’offre intérieure.
Le président des importateurs de pâte de manioc du Burkina partage cette assertion. « Nous allons revoir au plan national comment nous allons travailler pour renforcer la production du manioc. D’ores et déjà, les producteurs ont besoin de l’accompagnement de l’Etat. Car dans toutes les zones, on peut produire le manioc et même les dérivés du manioc », affirme M. Singa. Du reste, des producteurs issus des localités comme Orodara et Bobo Dioulasso, font déjà des merveilles même s’ils peinent toujours à couvrir la demande nationale. Ce secteur d’activités est pourvoyeur d’emplois. Il contribue également au développement de l’économie. À Ouagadougou, on dénombre plus de 800 unités de transformation. Chaque responsable d’unité emploie entre 50 et 60 personnes, des femmes en majorité.
Abel Somé, un fervent défenseur du consommons burkinabè, se veut optimiste. « C’est à l’Etat de booster la production agricole nationale, en organisant les producteurs en coopératives pour chaque spéculation agricole à fort potentiel industriel. Il faut s’inspirer de l’organisation des producteurs de coton. Doter chaque coopérative d’un bon tracteur (remboursable). Ce n’est pas la mer à boire pour l’Etat. J’aurai aimé qu’on spécialise les régions pour les grandes spéculations qui ont une grande demande et mettre les moyens qu’il faut », recommande ce fonctionnaire.
Pour lui, il serait utopique de croire qu’on peut opérer une révolution industrielle durable sans une bonne révolution agricole. « Citez trois productions agricoles au Burkina Faso qui peuvent faire tourner une usine sérieuse en 52 semaines d’affilée sans créer une autre crise alimentaire parallèle ? Ça aussi ça doit être une des priorités du programme de l’actionnariat populaire, l’APEC ». Il demande également, aux hommes d’affaires de s’investir dans le domaine de l’agroalimentaire en transformant les produits agricoles, mais aussi en organisant en amont leurs sources d’approvisionnement en matière première (c’est-à-dire les producteurs) en leur octroyant des prêts agricoles par exemple. Car, dit-il, on demande trop à l’Etat de faire des choses qui ne relèvent pas de ses prérogatives. Le rôle de l’Etat, selon lui, est de créer un environnement propice à l’investissement. Le reste revient aux hommes d’affaires, à savoir la création des industries lourdes à très forte valeur ajoutée.
Il va plus loin dans ses propos en disant : « Il y a des gens qui ont de l’argent dans ce pays. Mais, ils préfèrent investir dans d’autres domaines comme l’importation des produits de la Chine pour se faire de l’argent rapide mais qui, dans le fond, mettent le pays en retard. Quelqu’un qui cultive du piment pour vendre au village est plus utile au pays que ceux qui mobilisent des milliards du Burkina pour aller financer l’industrie et l’agriculture d’autres pays (comme la Chine, Taïwan, Viêtnam ...) à travers les importations des produits divers ».
Pour ce qui concerne les graines de palme, rappelle-t-il, la Côte d’Ivoire demeure le premier pays pourvoyeur au Burkina Faso. On peut également changer cette donne. Des zones favorables comme l’Ouest (Bobo-Dioulasso, Banfora, et Orodara) existent. « Pour le moment on ne peut pas se passer des graines de la Côte d’Ivoire, parce que notre production nationale ne couvre pas la demande du marché national. Du coup, ça créé une flambée des prix ». Il a, de ce fait, plaidé pour un protectionnisme intelligent et progressif. « Il n’y a pas un seul pays au monde qui a pu se développer sans un minimum de conservatisme. Je suis pour le business, mais un business qui apporte un plus au pays. On peut se faire de l’argent tout en développant nos pays », a-t-il conclu.
Aïssata Laure G. Sidibé
Lefaso.net