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Racket sur le trajet Côte d’Ivoire-Burkina Faso : Zoom sur une pratique devenue une norme

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Publié le dimanche 4 février 2024 à 22h30min

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Racket sur le trajet Côte d’Ivoire-Burkina Faso : Zoom sur une pratique devenue une norme

Les rackets sur nos routes sont devenus une règle. De retour de Côte d’Ivoire, un journaliste de Lefaso.net a pu se faire une idée de l’escroquerie à grande échelle de certains agents de la police frontalière. Nul n’est épargné, qu’il soit en règle ou pas. C’est devenu plus que normal. Voici le calvaire de passagers quittant le pays d’Houphouët Boigny.

On note une dizaine de postes de contrôle d’identité sur le trajet Korhogo, en Côte d’Ivoire, jusqu’au dernier poste frontalier, à la frontière avec le Burkina. A chaque arrêt, un agent de la police entre dans le car et vérifie les pièces. Ceux qui n’en ont pas sont priés de descendre. Les plus chanceux payent 1 000 francs CFA. D’autres déboursent 2 000 francs CFA. Et c’est ainsi à chaque poste. Ces derniers ne reçoivent aucun reçu en retour si bien qu’à chaque poste, ils sont obligés de mettre la main à la poche.

Nous étions trois journalistes de retour de la CAN dans un car d’une société de la place. J’ai pu être témoin de plusieurs rackets parce que sur ma pièce, ma profession n’est pas mentionnée. J’ai pu donc me fondre dans le moule pour pouvoir observer la pratique. Les deux autres, dès que les agents de police perçoivent leur profession sur la pièce, sont automatiquement mis à l’écart, enregistrés rapidement et libérés afin qu’ils ne soient pas témoins de ce qui va se passer. Sauf qu’ils sont obligés d’aller nous attendre.

Au dernier poste avant de passer la frontière ivoirienne, tout le monde descend. Un agent prend le soin de dire à tout le monde de ranger les portables. Il récupère les documents des passagers rangés en file indienne. Certains présentent des CNIB et d’autres, des passeports. Constatant la profession des deux confrères mentionnés plus haut, ils sont les premiers à être enregistrés et libérés. Sous une tente, j’attends mon tour avec les autres passagers. Un agent égraine les noms.

Je fais partie des derniers à être appelés. Ce temps m’a permis d’observer la pratique. « O. J. M ! », lance l’agent. « Présent », répondis-je. « Quelle est votre profession ? Sur ta pièce ce n’est pas mentionné », demande l’agent. « Je suis journaliste. C’est à cause de la situation au pays que le gouvernement a décidé de procéder de la sorte pour nous protéger », expliquais-je. L’embarras se lit tout de suite sur son visage. Parce que, assis derrière tout le monde j’observais les transactions.

Il me fait entrer dans une antichambre jouxtant la tente pour voir ses chefs. Là je trouve quatre agents. « M. le journaliste ou est votre ordre de mission ? ». Je lui tends mon ordre de mission. « Mais tu devrais être de retour depuis le 26 janvier 2024 ? », me répond-t-il. Je précise que nous étions le 31 janvier. Avant même que je ne puisse piper mot, un autre agent lui lance : « Ce sont les petites baoulé-là qui l’ont réquisitionné. Tu ne vois pas son visage ? ». Tout le monde se met à rire. Il vise mon ordre de mission et un agent me fait sortir de l’antichambre. J’ai pu observer qu’au bas de la table faisant office de bureau, un petit sac est bien visible. C’est là où le butin est stocké en attendant le partage.

Dans le car, je me mets à discuter avec mes voisins de siège. « Tu as une CNIB ? », « Oui », répond-t-il. « Elle est à jour ? », « Oui ». « On vous a pris de l’argent ? » « On m’a pris 1 000 francs ». « On t’a dit pourquoi ils ont pris les 1 000 francs CFA ? ». « Mon type, je ne veux pas dormir ici. Je préfère lui donner les 1 000 francs et rejoindre ma famille que de jouer au dur et dormir à la frontière », réplique-t-il. Un autre me dit que c’est son passeport qu’il a présenté. « On m’a pris 2 000 francs CFA. J’ai demandé pourquoi, il m’a répondu que c’est un nouveau passeport. J’ai souri et je n’ai plus rien dit », informe-t-il. Que tu aies tes papiers en règle ou pas, il faut se préparer à payer quelque chose. C’est la règle si tu ne veux pas voir ton car partir sans toi.

Hamidou, nom d’emprunt nous explique : « Je prends la route régulièrement. Hier je suis passé ici pour aller suivre le match du Burkina Faso. Ce n’est pas une histoire de CEDEAO. C’est la pratique comme ça et c’est devenu une règle. Les rackets des agents de police datent de plusieurs années. On a plusieurs fois dénoncé mais rien n’a changé. La situation sera pire avec la décision du retrait du Burkina Faso de la CEDEAO. Les agents sont plus ou moins courtois avec les Burkinabè. Parfois, quand tu négocies fort, on te laisse passer. Mais quand ils tombent sur un Malien là, c’est encore un autre niveau », explique-t-il.

Si on prend ne serait-ce que 1 000 francs à chaque passager d’un car de 60 places. Ça fait 60 000 francs CFA, multiplié par le nombre de postes de contrôle. Alors qu’on a au moins une vingtaine de compagnie qui passent journalièrement. On peut se faire une idée du montant que les agents indélicats encaissent.

O. J. M
Lefaso.net
(De retour de la CAN)

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