Circulation routière à Ouagadougou : Un danger nommé tricycle
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Ils font désormais partie de la faune routière de Ouagadougou. Les tricycles transportent des marchandises, des animaux, et même des personnes. Si leur utilité ne semble pas contestée, les conducteurs de ces engins sont cependant, à tort ou à raison, accusés d’être à l’origine de nombreux désagréments en circulation, dont des accidents. Focus sur cette autre catégorie d’usagers des artères de la capitale !
Hors caméra, comme il l’a souhaité, Panga (nom d’emprunt), assis sur une chaise, explique d’un ton calme comment sa vie a basculé ce jour-là. Malgré sa volonté de dissimuler la douleur, sa voix trahit ses émotions. Ce jeune policier (il a moins de 30 ans) a toujours en tête le film de cette douloureuse matinée de juin 2023, alors qu’il rentrait chez lui après une énième garde toute la nuit. Non loin de sa zone d’habitation, il sera percuté par un chauffeur de tricycle, communément appelé « taxi-moto » au Burkina Faso. « Tout a été si brusque. Comme c’était au petit matin, je circulais avec la moto à 40 km à l’heure. Je circulais tout doucement pour regagner ma maison. Tout d’un coup, un conducteur de tricycle est venu par l’arrière. Il voulait tourner devant moi. Quand il est passé devant moi, j’ai essayé de l’éviter. Je suis allé à gauche, ma moto a pris l’arrière de son tricycle et je suis tombé », relate-t-il, la voix teintée d’anxiété.
Panga se retrouve au sol. Il baigne dans son sang et ne sent plus sa jambe droite. « Le sang giclait de partout », se souvient-il. Son arme de service qu’il portait n’a pas résisté au choc ; elle s’est dégrafée avec fracas pour se retrouver à une cinquantaine de mètres, tout près d’un feu tricolore. Bien d’autres objets sur lui, dont ses téléphones, vont subir le choc. A l’en croire, les premiers témoins, des badauds, sont restés méfiants après avoir découvert son arme. « Personne n’a levé le petit doigt pour m’assister ou appeler les sapeurs-pompiers. Ils pensaient que j’étais un bandit », s’offusque le jeune policier. Il sera par la suite secouru par une équipe de frères d’armes qui était de passage. « C’est une unité de la gendarmerie en mission de sécurisation hors de Ouagadougou qui m’a apporté son aide. Lorsqu’ils ont vu la foule, ils se sont arrêtés pour comprendre. Après avoir constaté qu’il s’agissait d’un accident, ils ont immédiatement posé un garrot pour arrêter l’hémorragie », relate Panga.
Après avoir reçu les premiers soins des « pandores sauveurs », le policier informe son chef de service et sa famille. Le conducteur du tricycle, lui, s’est fondu dans la foule, après avoir déplacé son engin. Il sera par la suite interpellé et son engin saisi. Il lui a été demandé de rester à la disposition de la police pour la suite de la procédure. « Il n’a même pas eu le réflexe de s’excuser. Il est seulement passé une fois pour me rendre visite et n’est plus jamais revenu. Ce chauffeur d’un âge mûr a envoyé ses enfants pour s’enquérir de ma santé de temps en temps », a souligné Panga, précisant que toutes les charges financières, il les a supportées seul.
Aux urgences, Panga a subi trois opérations chirurgicales en l’espace de trois semaines. Sa jambe droite sera finalement amputée.
Chose étrange, le policier a remarqué, pendant son séjour aux urgences, qu’il n’était pas la seule victime d’accident mettant en cause des chauffeurs de tricycle.
C’est pourquoi il a suggéré un ensemble d’actions, afin que personne d’autre ne subisse son calvaire. Il recommande donc à l’autorité de maximiser sur la sensibilisation. « L’autorité peut par exemple proposer aux associations de conducteurs de tricycle de visiter les centres traumatologiques. Les conducteurs doivent aller voir ce que leurs engins font aux gens. Ils doivent voir l’impact de leurs actions sur les populations », appelle-t-il.
Malgré son handicap, Panga dit ne pas être inquiet pour sa réinsertion professionnelle. Optimiste, il accueille son état actuel comme une étape que la vie voulait lui faire traverser.

« Ils circulent mal »
Certains conducteurs sont accusés de surcharges de leurs tricycles. Boukaré Compaoré est un fonctionnaire. Il a eu une mésaventure avec un taxi-moto, en se rendant au service en cette matinée du 12 juin 2023. Il dit avoir constaté que le conducteur de tricycle qui roulait devant lui transportait du matériel lourd. « Il était vraiment surchargé avec son matériel hors-gabarit. J’ai cru pouvoir le dépasser parce qu’il avait totalement pris la voie. Entre temps, j’ai entendu un bruit. Je me suis rendu compte que l’arrière du véhicule avait été percuté par le matériel qu’il transportait. Vraisemblablement, il a voulu éviter une femme qui poussait une barrique. Dans le feu de l’action, il a cogné une vieille qui poussait son vélo », a-t-il expliqué. Malgré son indélicatesse, le conducteur du tricycle va l’accuser d’avoir causé l’accident. Pour mieux comprendre la situation qu’il venait de vivre, Boukaré Compaoré décide alors d’appeler la police pour faire un constat. Le conducteur de taxi-moto change alors de ton et joue la carte de la diplomatie.
« Comme j’ai appelé la police, il a commencé à me demander pardon. A Ouagadougou, la circulation était mauvaise dans le temps. Mais avec l’arrivée de ces chauffeurs, la situation a empiré. Ils circulent mal. Mais tant que tout se passe bien, ils prennent le dessus. Ils insultent et balancent toutes les insanités qui vont avec. Mais dès qu’ils sentent que tu veux appeler les forces de l’ordre pour un constat, ils deviennent subitement misérables. Ils te demandent pardon et tu n’arrives plus à les reconnaître », a-t-il affirmé avec un sourire.
Le constat de la police révèle la faute du conducteur du tricycle. Il n’a pas les moyens de dédommager M. Compaoré. L’affaire a été traitée à l’amiable à la demande de Boukaré Compaoré.

Sain et sauf, Boukaré Compaoré verra sa voiture réparée par son assurance. « Ces gens empruntent toutes les routes, celles des motos et des voitures. Ils n’ont pas de pistes exactes ; c’est cela qui crée les accidents. Tout le monde est en danger avec eux », blâme Boukaré Compaoré, qui invite les autorités à plus de rigueur avec les conducteurs de taxi-moto, surtout en ce qui concerne la possession du permis de conduire.
Mamadou (nom d’emprunt) a, lui aussi, eu un accident de circulation en juin 2023 avec un conducteur de tricycle. Il venait de quitter une clinique de la place où il avait accompagné sa mère malade, pour se rendre à la pharmacie. « Aux environs de 7h50, avant d’aborder les deux voies au niveau de l’hôpital Tengandogo, j’ai pris l’initiative de tourner parce que la pharmacie se trouvait à ma gauche. J’ai mis mon clignotant gauche. Les personnes qui étaient dans leurs véhicules et même celles sur leurs motos se sont arrêtées pour me laisser tourner. Pendant que je tournais, soudainement, j’ai entendu un bruit de tricycle. La route est étroite. Apparemment, le chauffeur était inattentif. Le pire, il avait un problème de freinage. Il était donc obligé de laisser la chaussée bitumée pour prendre celle non-bitumée, afin d’éviter les motocyclistes qui étaient devant lui. En descendant, il s’est rendu compte qu’il y avait un véhicule qui traversait la route. Il a tenté maintenant de remonter sur le goudron. Malheureusement, il est venu me percuter par derrière », a détaillé Mamadou, qui se demande toujours comment l’on peut circuler à une si vive allure à pareille heure.
Il s’est dit chanceux, car c’est sa voiture qui a subi le choc. Mamadou est convaincu que s’il circulait à moto, il était fort probable qu’il fut gravement blessé. « Il a raté de justesse des femmes qui étaient sur leurs motos. Les gens voulaient même le lyncher ; ils étaient tellement en colère », a-t-il renchéri.
Le chauffeur, sachant qu’il avait un problème de freinage, n’a pas pu se défendre face à la colère de la foule et est resté calme, ajoute Mamadou. « L’engin n’avait pas d’immatriculation, ni de carte grise, ni d’assurance et, pire, pas de visite technique. », déplore Mamadou.
Le chauffeur, un jeune homme, n’avait pas non plus de permis de conduire. Lors de la confrontation au commissariat, Mamadou apprendra de la police qu’il était en tort sur un point. Il n’avait pas la priorité. C’est seulement par courtoisie que les autres lui ont cédé le passage ce jour-là. Néanmoins, le conducteur de tricycle avait une grande responsabilité, car « il était inattentif et n’arrivait pas à maîtriser son engin parce que n’ayant pas de système de freinage ». Mamadou ayant souscrit à l’assurance tout risque pour son véhicule, son assureur a donc pris en charge une grande partie des frais de réparation. Cela n’a pas empêché qu’il débourse plus de 200 000 F CFA.

Mamadou dit être lui-même propriétaire d’un tricycle. Mais contrairement à d’autres, son engin a absolument tous les documents demandés par l’autorité. Il dit veiller à ce que son chauffeur respecte le code de la route et qu’il ait minimum 20 ans.
Nous avons contacté quatre femmes ayant chacune eu un accident avec des chauffeurs de taxi-moto. Elles ont toutes refusé de témoigner. Deux d’entre elles ont évoqué divers motifs. L’une, par crainte de "perdre son foyer", a préféré rester dans l’omerta et l’autre a préféré avoir l’aval de ses enfants.
Que dit la loi sur les conditions d’acquisition et de circulation des tricycles ?
Le lieutenant Abdoulaye Sana est le chef de la section des accidents du commissariat de l’arrondissement N°12 de Ouagadougou, situé au quartier Ouaga 2000. Il est revenu sur le texte de référence qui régit la circulation des tricycles au Burkina Faso. Il s’agit du décret 2012-559/PRES/PM/MTPEN/
MEF/MICA/MATDS/MID du 5 juillet 2012 portant conditions et modalités d’exploitation à titre lucratif et pour compte propre des vélomoteurs, motocyclettes, tricycles et quadricycles à moteur. A en croire le lieutenant Sana, la mise en circulation de ces engins répond à certaines exigences. Une fois qu’un individu paie un tricycle, il y a un préalable à remplir avant son utilisation, car l’Etat sait pertinemment qu’on ne l’achète pas pour en faire un moyen de déplacement personnel.
L’acquéreur de l’engin doit d’abord adresser une demande à la commission communale des transports terrestres afin d’obtenir une licence spéciale. Il doit en outre s’inscrire au registre des transports pour les motos-taxis. Le décret fixe des conditions d’exercice de l’activité. Le conducteur doit être âgé d’au minimum 18 ans et être titulaire d’un permis de conduire de la catégorie B1, assorti d’un certificat d’aptitude à la conduite des tricycles.
Il se doit également de porter une tenue unique dont la couleur est déterminée par la commission communale. Le chauffeur a l’obligation de porter un casque homologué. S’agissant du tricycle, il doit être peint en une couleur unique et estampillé d’un numéro d’identification autre que le numéro d’immatriculation. La couleur choisie est déterminée par la commission communale. Selon le décret, un chauffeur de tricycle ne doit pas rouler après 19h00 et avant 5h00 du matin. Il ne doit aucunement circuler hors des limites territoriales de la commune qui lui a délivré la licence spéciale. A titre d’exemple, un tricycle identifié par la commune de Ouagadougou ne doit pas circuler à Kaya.
« Notre commissariat a enregistré 57 cas d’accidents impliquant des conducteurs de tricycle en 2022. Pour le premier semestre de 2023 (janvier à juin), on note 27 cas », a confié le lieutenant Abdoulaye Sana, qui précise que les constatations d’accidents du commissariat de l’arrondissement 12 couvrent les arrondissement 10, 11 et une partie de l’arrondissement N°5.
Ces chiffres ne prennent pas en compte les cas d’accidents qui n’ont pas été signalés au niveau du commissariat. Il a dit constater, à travers les statistiques, que les fautifs sont généralement les chauffeurs de tricycle. « Lorsque nous faisons la confrontation, nous voulons déterminer les causes de l’accident. Mais il y a des gens qui ne comprennent pas cela. Ils disent que nous voulons accuser X ou Y. Nous ne faisons que déterminer les causes de l’accident afin d’orienter le dossier suivant une procédure de réparation du sinistre occasionné. Nous ne sommes pas dans le jugement. Je peux dire sans me tromper que les conducteurs de tricycle sont généralement en faute. Dans la plupart des cas, ces conducteurs n’ont pas respecté les règles en matière de circulation routière », a déclaré le chef de la section des accidents. Il a dit remarquer que les usagers les plus vulnérables sont ceux qui sont à moto.
Des dires du lieutenant Abdoulaye Sana qui a plus de trois ans de service dans ce commissariat, certains conducteurs de taxi-moto représentent un danger pour eux-mêmes et pour les autres. Il a narré deux anecdotes qui ont marqué sa carrière.
« Il y a un conducteur de tricycle qui avait chargé des légumes en provenance de Koubri. Lorsqu’il est arrivé au niveau de la montagne, à cause de la charge, le tricycle n’a pas pu traverser. Il a reculé et le tricycle s’est renversé sur lui-même. Malheureusement, il a rendu l’âme. Il y a eu un autre cas où le chauffeur de tricycle était en excès de vitesse. Arrivé à un virage, il a voulu tourner. Malheureusement, à cause de l’excès de vitesse, il n’a pu maîtriser le guidon. Il a terminé sa course contre un arbre. Il est décédé sur place » a-t-il dit, tout ému. Il a confié qu’il y a eu des cas où les chauffeurs de taxi-moto ont pris la poudre d’escampette après avoir percuté des usagers (délit de fuite). Le chef de la section des accidents de ce commissariat a donc conseillé aux usagers, en cas d’accident, de garder un œil sur le chauffeur afin d’éviter une surprise désagréable.
« Actuellement, j’ai un cas d’accident où le chauffeur a fui. Malheureusement, le tricycle n’est pas immatriculé. Mais on est toujours dans les recherches pour le retrouver » a-t-il dit, peiné. Le lieutenant Abdoulaye Sana a affirmé que la police travaille sans relâche pour obliger les conducteurs de tricycle à respecter les règles. Des descentes à l’improviste sont organisées par le commissariat à cet effet. Les unités chargées de la circulation routière organisent des missions spécifiques pour interpeler les chauffeurs qui circulent au-delà des heures dictées par la loi. Les descentes visent également ceux qui circulent sans leurs documents à jour (le permis de conduire, l’assurance, la visite technique, etc.). Il faut rappeler que même quand le passif est réglé entre les parties après un accident, la police exige que les propriétaires des tricycles mettent à jour leurs documents avant la levée à la fourrière.

Le lieutenant a conseillé aux chauffeurs de tricycle de respecter les règles de la circulation routière pour préserver leurs vies et celles des autres usagers. Il a demandé aux associations des conducteurs de tricycle de sensibiliser leurs membres sur les règles en matière de circulation routière.
Lire aussi : Ouagadougou : La police municipale met en fourrière 80 tricycles pour non respect des heures de pointe
Abdoulaye Sana révélera qu’il y a eu des cas d’accidents où des mineurs conducteurs de tricycle étaient impliqués. « Les gens payent des tricycles qu’ils confient à des enfants. C’est souvent lié à une méconnaissance des textes. Quand on les interpelle, ils disent que c’est pour joindre les deux bouts. Mais dans le souci de joindre les deux bouts, il ne faut pas mettre en péril la vie des autres usagers », a-t-il martelé.

Il expliquera que des agents, dans l’exercice de leur mission de contrôle, ont été victimes de certains chauffeurs de tricycle « inciviques ». Des policiers, en interpellant certains conducteurs de tricycle pour des contrôles, ont été pris pour cible. « Ils foncent directement sur eux avec leurs engins », a-t-il révélé. Le commissariat de Ouaga 2000 a récemment déféré un conducteur de tricycle qui tentait d’échapper à un contrôle. Le chef de la section des accidents du commissariat de l’arrondissement numéro 12 a aussi noté quelques soucis qui entravent l’action de la police. « Les fourrières ne sont pas assez grandes pour accueillir tous les tricycles. Il y a tellement de tricycles dans la ville de Ouagadougou aujourd’hui… », a-t-il rappelé.
Les chauffeurs de taxi-moto impliqués dans des cas d’accidents avec des blessures graves et /ou avec des pertes de vies humaines sont conduits devant le parquet. Ils sont jugés sur la base du code pénal en ses articles 522-1 et 522-2 parlant respectivement des blessures involontaires et des homicides involontaires. Ceux qui ne respectent pas le code de la route s’exposent à payer une amende compris entre 6 000 et 12 000 F CFA.
Les statistiques de l’ONASER
Il est difficile de connaître la totalité des accidents où les chauffeurs de tricycle sont impliqués au Burkina Faso et plus particulièrement à Ouagadougou. L’Office national de la sécurité routière (ONASER) se fonde sur les données de la police nationale du Centre pour faire des statistiques dans « le grand Ouaga ». Cette zone compte la commune de Ouagadougou et sept communes périphériques (Tanghin-Dassouri, Komsilga, Komki-Ipala, Loumbila, Koubri, Pabré et Saaba).
Dans les outils de collecte des données, la plupart des commissariats ne produisent pas de statistiques spécifiques pour les cas d’accidents impliquant les conducteurs de taxi-moto. Ils spécifient surtout les cas d’accidents des engins à quatre et deux roues. Néanmoins, pour les besoins de cet article, l’ONASER a accepté volontiers de recenser quelques données des commissariats qui ont spécifié les cas d’accidents impliquant les tricycles (engins à trois roues) de 2018 à 2022.
Les cas d’accidents ont été divisés en trois catégories. En 2022, pour les tricycles contre les deux roues (motos), on compte 208 cas. Pour ceux contre les piétons, il y a eu 45 cas. On dénombre au total 804 cas contre les quatre roues (véhicules). Cela fait un total de 1 057 conducteurs de tricycle qui sont impliqués dans des cas d’accidents. Ce nombre représente 7% des cas d’accidents en 2022, quand on sait que la police nationale en a recensé 15 302 dans la région du Centre cette année-là. Pour le moment, l’ONASER ne dispose pas de chiffres pour le premier trimestre et semestre de l’an 2023.
Voir les données sur les cas d’accidents dans le grand Ouaga ici (Source : ONASER) :

Une association créée pour assainir le milieu
Nous avons rencontré le président de l’Association nationale des conducteurs de tricycles du Burkina (ANCT), Alassane Ouédraogo. Nous lui avons brossé l’histoire de nos trois témoins. Il a expliqué en premier lieu que cette association a été créée en 2020, parce que « nous avons remarqué que les conducteurs de tricycle ne faisaient qu’augmenter. Nous nous sommes rendu compte que nous avons beaucoup de problèmes. Nous avons voulu voir dans quelle mesure nous pouvons contribuer à un changement de comportement et valoriser l’activité. Au début, les gens croyaient qu’un conducteur de tricycle, c’est quelqu’un qui n’a rien à faire. C’est pourtant une activité qui nourrit son homme ».
Il est lui-même conducteur de cet engin et a trois tricycles en sa possession. L’ANCT compte à ce jour environ 900 membres à travers le Burkina Faso. Un chiffre plutôt bas, reconnaît le président, car selon ses informations, environ 180 000 tricycles immatriculés ont été recensés sur toute l’étendue du territoire national. Alassane Ouédraogo a admis que de nombreux chauffeurs de la corporation sont à l’origine des accidents dans la ville de Ouagadougou. Il a précisé que c’est d’ailleurs l’une des principales raisons qui ont conduit à la création de l’association. « La grande majorité des conducteurs de tricycle ignorent la règlementation liée à la circulation. C’est la raison pour laquelle quand ils sont sur la voie publique, ils commettent des dégâts. Souvent, nous déplorons des pertes en vies humaines. Nous le savons et nous travaillons à les corriger. Les conducteurs de tricycle perdent rarement la vie en cas d’accidents, contrairement aux autres usagers de la route », a-t-il reconnu. En ce qui concerne les délits de fuite, le président de l’ANCT a donné son argumentaire.
Pour lui, dans toutes les activités humaines, il y a des individus qui n’ont pas un comportement vertueux. « Nous ne pouvons pas dire que tous les conducteurs de tricycle sont des personnes de bonne moralité. Souvent, il arrive que quelques-uns commettent une erreur et s’en fuient. Mais, cela est peut-être lié à la peur de la suite qui leur sera réservée. C’est un comportement déplorable à mon sens. Si vous commettez un acte, il faut vous arrêter et l’assumer », a-t-il dit. Alassane Ouédraogo affirme que le Burkina Faso dénombre environ 300 000 conducteurs de tricycle. Cette activité représente donc un apport économique considérable au regard du nombre de familles qui en profitent.
Comme frein à l’épanouissement des chauffeurs de tricycle, il a étalé entre autres le comportement de certains propriétaires et conducteurs qui ne cherchent pas à se procurer les documents demandés par l’Etat. En outre, selon lui, l’acquisition du permis de conduire est très coûteuse pour les conducteurs. Il a dit constater le rejet de la population vis-à-vis des chauffeurs de taxi-moto. « La population pense que tous ceux qui conduisent les tricycles sont des personnes qui ont de mauvaises intentions et qui consomment des stupéfiants. Il faut nous aider à être mieux encadrés au lieu de nous rejeter », s’est-il offusqué.

Il a confié que le combat actuel de l’association est la sensibilisation sur l’interdiction des mineurs qui circulent avec cet engin. « Nous avons remarqué que certains commerçants payent le tricycle pour leurs enfants. Ces jeunes enfants qui ne connaissent même pas la réglementation commettent des dégâts et ternissent l’image de la profession. Alors qu’il y a des personnes de bonne moralité qui se nourrissent, payent la scolarité de leurs enfants et se soignent en faisant ce métier », a fait comprendre M. Ouédraogo.
A l’endroit des victimes de chauffeurs de taxi-moto, il s’est incliné devant la mémoire de toutes les personnes qui ont perdu la vie. Il a souhaité un prompt rétablissement à celles et ceux qui sont blessés. Il a invité les conducteurs de tricycle à faire preuve d’exemplarité en circulation pour éviter des situations fâcheuses. L’ANCT a organisé une rencontre dans le mois de juillet 2023. En plus de ses membres, les autorités, l’Office national de la sécurité routière (ONASER), le Centre de contrôle des véhicules automobiles (CCVA) et les Forces de défense et de sécurité (FDS) étaient présents.
Alassane Ouédraogo a voulu ainsi redorer le blason de la profession, sensibiliser les acteurs et faire un plaidoyer auprès des autorités. Il a estimé que le business des taxis-motos rapporte gros à l’Etat. Selon ses calculs, si les 180 000 tricycles immatriculés payent des taxes de stationnement, cela représenterait près d’un milliard huit-cent millions de F CFA comme recette fiscale pour l’Etat.
Chaque tricycle équivaut à 10 000 F CFA comme taxe de stationnement. Pour lui, les autorités ont donc intérêt à mener la réflexion pour aider les associations à mieux outiller et sensibiliser les acteurs. Il a demandé au gouvernement de réduire les tarifs des permis de conduire pour les conducteurs de tricycle. « Nous sommes en train de faire un plaidoyer à l’endroit du ministère des Transports pour qu’il puisse nous aider à créer une auto-école. Cela va nous permettre d’améliorer la conduite des chauffeurs », a-t-il confié. Alassane Ouédraogo a invité les propriétaires et conducteurs de tricycle à adhérer à l’ANCT et à s’abonner à la page Facebook de l’association. On y publie les bonnes pratiques sur le code de la route.
Une mauvaise image auprès des usagers de la route
Nous avons demandé la perception des usagers de la route sur la manière dont circulent les conducteurs de tricycle dans le grand Ouaga. Ils sont 55 à avoir répondu au questionnaire, soit 30 femmes et 25 hommes. Les réponses ne penchent pas en faveur de ces chauffeurs. 33 personnes trouvent qu’ils circulent « très mal » (20 femmes et 10 hommes). 20 d’entre eux (10 femmes et 10 hommes) pensent qu’ils circulent « mal ». Seulement deux ont coaché dans la case « bien » (hommes). Aucune femme n’a coché dans la case « très bien » et « bien ». L’écrasante majorité des personnes qui ont coché dans la case « mal » et « très mal » disent avoir eu des mésaventures (accrochages, accidents) en circulation avec les conducteurs de tricycle.
Un constat sur le terrain
Pendant trois mois (juillet, août et septembre 2023), nous avons fait un constat personnel sur le terrain à travers les artères de la capitale et les localités périphériques. Il s’agit des quartiers Ouaga 2000, Patte d’oie, Kossodo, Tanghin, Bonheur-ville, Karpala, Tampouy, Nagrin, Gounghin, Larlé, Hamdallaye, Cissin, Pissy et les communes rurales de Saaba, Tanghin-Dassouri et Komki-Ipala. L’un des éléments flagrants est que les conducteurs de tricycle ne portent pas de casque (seulement un conducteur en portait). L’excès de vitesse semble aussi être commun à ces chauffeurs. Les dépassements et virages hasardeux sont aussi des pratiques de cette catégorie d’usagers de la route.
Parmi eux, nombreux sont ceux dont les tricycles sont surchargés, ce qui fait qu’ils ont parfois des difficultés à avancer.
Pourtant, selon le décret, la charge des marchandises transportées ne doit pas excéder celle utile à la carrosserie du tricycle. D’autres circulaient avec des pneus dégonflés tandis que le transport des passagers semble devenu quasiment chose normale (on compte souvent 5 ou 10 passagers dans un tricycle).
Des conducteurs circulent en dehors des heures fixées par la législation. A titre d’exemple, nous avons aperçu des chauffeurs de taxi-moto avant 5h00 du matin et aux environs de 23h, tout comme ces mineurs qu’on pouvait rencontrer en train de rouler des tricycles.
Nous avons assisté une fois à une scène ou le chauffeur de taxi-moto a fait un grand virage pour s’enfuir, parce qu’ayant aperçu la police au feu. Il circulait à une heure interdite. Il a failli heurter des usagers dans sa course.
Il y a aussi ceux qui circulent dans le sens interdit, surtout au niveau de l’échangeur de Tampouy. La plupart des tricycles sont conduits par des hommes. Durant les trois mois, nous n’avons vu que deux femmes en conduire.
Samirah Elvire Bationo
Lefaso.net