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Effets induits de la dynamique spatio-temporelle de Thypha domingensis sur le plan d’eau et les conditions de vie des communautés locales à Toece au Burkina Faso.

Publié le vendredi 6 octobre 2023 à 06h00min

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Effets induits de la dynamique spatio-temporelle de Thypha domingensis sur le plan d’eau et les conditions de vie des communautés locales à Toece au Burkina Faso.

Résumé

Le plan d’eau de Toécé au Burkina Faso, est confronté à la présence de Thipha domingensis, une plante aquatique envahissante. Cette plante a connu une évolution contrastée marquée par une période d’expansion qui a nécessité des mesures de lutte contre sa progression à l’intérieure du lac. L’objectif de cette étude est de mieux connaitre les effets de la présence de cette plante sur la ressource en eau du lac et sur la population riveraine.

L’analyse multidate des images satellites, les enquêtes socioéconomiques, les observations directes ont permis de connaitre les effets néfastes de la présence de Thypha domingensis sur l’agriculture, l’élevage, la pêche, la santé humaine, les revenus des ménages et sur les domaines de financement pour y faire face.

Introduction

Au Burkina Faso, les retenues d’eau jouent un rôle très important dans l’alimentation en eau des hommes, des animaux et pour les activités de production, tout en permettant de faire face aux incertitudes liées aux variations pluviométriques (Piquemal D., 1991 ; Lino M. & al, 2022). Cependant, ces ressources sont parfois menacées par des plantes aquatiques envahissantes, comme c’est le cas de Thypha domingensis sur le plan d’eau de Toécé (Thiombiano N. & al, 2009, Sanogo S., 2023).

A partir de 2010, l’invasion du plan d’eau par les plantes a progressé de 547 ha en deux ans, soit un accroissement annuel de 6,5 % (Sawadogo L & al, 2014). Cependant, les moyens de lutte engagés en 2018 ont permis de réduire cette progression, mais les conséquences de la présence de Thypha domingensis vont au-delà du plan d’eau pour impacter les conditions de vie des populations riveraines. Cet article vise à rendre plus visible les effets contraignants de cette plante et la nécessité d’une intensification de la lutte contre sa prolifération.

Localisation du site de recherche

La zone d’étude est limitée par les longitudes 2 ͦ 18’0.00’’ à 1 ͦ 48’0.00’’ Ouest et les latitudes 12 ͦ 51’ 0.00’’ à 13 ͦ 21’0.00’’ Nord. Il s’étend sur les communes rurales de Gomponsom, de Kalsaka, de Kirsi et de Tougo réparties dans trois (03) provinces de la région du Nord (Figure1).

Figure 1. Localisation de la zone d’étude

Méthodologie

La méthodologie utilisée prend en compte le traitement des scènes d’images 195_051 des capteurs TM, ETM+, OLI-TIRS de Landsat, obtenues en 1998 et 2020. La classification dirigée a été réalisée en appliquant l’algorithme Maximum de vraisemblance suivi d’une évaluation de la précision des résultats par la mesure de l’indice Kappa. Des enquêtes socioéconomiques par administration d’un questionnaire auprès des ménages ont été réalisées.

Un guide d’entretien a aussi été adressé aux comités locaux des usagers de l’eau (CLUE), au service de santé (CSPS), aux pécheurs et maraichers, aux services techniques déconcentrés (Environnement, agriculture, élevage) et à l’Agence de l’Eau du Nakambé (AEN). Des observations directes sur le terrain ont été également réalisées dans les localités qui exploitent le lac de Toece.

Résultats
Capacité de dissémination de Thypha domingensis

Typha domingensis est une herbacée vivace appartenant à la famille de typhacée. Thypha est une plante aquatique envahissante dotée d’une capacité d’occupation spatiale très élevée. Cela est dû à ses multiples formes de dissémination ainsi que les facteurs naturels et anthropiques qui favorisent cette dissémination (Thiam A. 2012).

En effet, en dehors de la reproduction végétative (multiplication des rhizomes), la plante libère en période de floraison, des graines semencières qui sont transportées par le vent à destination d’autres espaces non infestées (Faye, 2004). Ce mécanisme de dissémination confère à l’espèce une vitesse de progression assez remarquable.

Evolution spatiale de Thypha domingensis dans le plan d’eau entre 1998 et 2020

L’analyse diachronique entre 1998 et 2020 (Figure 2), montre qu’en 2020, la superficie occupée par la plante était de 1487,70 ha soit 12,7% du lac, contre 2895,56 ha en 1998, après la mise en eau du barrage. Cependant, cette évolution n’a pas été régulière. En effet, la période 2002 à 2006 par exemple a connu une progression de la couverture de Typha domingensis Pers. de 7,5%/an (Sawadogo L. & al 2014) et à partir en 2018 il y a eu des opérations de lutte permettant de réduire le développement de la plante.

Les causes de la présence de l’espèce sont diversement perçues par les populations locales. D’après la fréquence des réponses lors des enquêtes réalisées, la construction du barrage occupe la première place des causes d’envahissement de la plante (37,50 %), suivi des mauvaises pratiques des usagers (28,10%). L’utilisation abusive des produits chimiques est moins considérée, soit 12,50 %. Les aménagements hydro-agricoles ont également été cités (21,90 %).

Figure 2. Occupation des terres du plan d’eau de Toécé (PET)

Effets de l’évolution spatiale de Thypha domingensis sur le lac

L’occupation de Thypha induit des effets négatifs sur la ressource eau. Il s’agit notamment de la quantité et de la qualité de l’eau mais aussi de son accessibilité par les différents usagers. En effet, les peuplements denses et étendus de Typha ont un impact important sur le bilan hydrique global en raison des pertes considérables dues à l’évapotranspiration. En plus de cela, une dégradation de la qualité de la ressource se fait sentir par une évolution progressive de la turbidité de l’eau qui est passée de 3,13% en 1998 à 5,9% en 2010, soit une augmentation de 2,77%. Aussi, la réduction de l’accès de la ressource tant pour les activités humaines autant que pour l’abreuvage des animaux constitue un impact négatif non négligeable.

Exigences financières pour la lutte contre le développement de la plante

La lutte contre l’espèce aquatique envahissante entraine des charges financières. À cet effet les différents acteurs intervenants dans la gestion du plan d’eau, reconnaissent l’énormité des moyens financiers investis dans la lutte contre Thypha. Selon les premiers responsables de l’Agence de l’Eau du Nakambé, des actions et des projets d’intervention nécessitent des moyens financiers adéquats. Le coût de la lutte contre Thypha se situe principalement au niveau des dépenses inhérentes au suivi et à l’observation, à la recherche scientifique, à la lutte sur le terrain, à la communication auprès du grand public sur cette thématique.

Des coûts résiduels sont aussi comptabilisés, en ce qui concerne les dépenses réalisées pour la lutte contre l’espèce envahissante (coûts accrus de la restauration des écosystèmes, de la gestion des espaces naturels et de la protection des espèces…). Pour les populations locales, les impacts économiques se situent également au niveau des charges financières supplémentaires pour la conquête de nouvelles parcelles d’exploitation (65% des enquêtés) et la perte de temps (35%).

Contraintes humaines liées à l’envahissement de Thyphia dommengensis

Au plan sanitaire, les populations locales disent avoir des maux qu’ils estiment liés à l’occupation de Thypha dans le plan d’eau. Ainsi les maux de ventre et la diarrhée constituent les nuisances sanitaires les plus répandues selon respectivement 33% et 30% de la population. Ensuite, suivent le paludisme (28%) et la bilharziose (9%). La figure 3 résume la fréquence de citation de chaque nuisance sanitaire.

Figure 3. Fréquence de citation des impacts sanitaires

Sources : Données statistiques issues des enquêtes terrain (Novembre-décembre 2021)

Ces nuisances sur la santé surviennent en cas de baisse du niveau de l’eau, et de l’altération de sa qualité qui devient impropre et dangereuse à la consommation, les riverains étant en contact permanent avec les eaux surtout pour les activités de production maraichère et les besoins domestiques.

Concernant les activités socioéconomiques, l’invasion de Thypha dommengensis impact négativement les domaines de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche principalement. En 1998 les cultures occupaient 40,34 % de la zone inondable contre 23,49 % par la végétation aquatique. Cependant, en 2020, les espaces agricoles sont passées à 31,85% contre 12,07 % pour la végétation aquatique. Ainsi, les espaces agricoles connaissent une régression, et selon les enquêtes terrain, 62,5% des ménages enquêtés dit avoir abandonné des espaces agricoles suite l’invasion de Thypha domingensis.

Les impacts identifiés par les populations locales lors de nos enquêtes et entretiens concernant également l’obstruction des voies d’eau et des canaux de drainage rendent difficile voire impossible l’irrigation des cultures. Il y a aussi la destruction des champs de céréales proches de Thypha dommengensis qui crée une zone de refuge pour les oiseaux granivores.

Concernant les activités d’élevage, il y a une limitation de l’accès à l’eau, aux aires de pâturages par le bétail ainsi que l’apparition des maladies chez les animaux (apparition de la douve du foie). Pour les activités de pêche, les impacts négatifs imputables à l’invasion de Thypha (en raison de sa capacité à former des lits monospécifiques denses ou forêts d’herbiers) se résument à la limitation des zones navigables, à la baisse du rendement de la pêche et à la mortalité des poissons.
Dans le tableau 1 est consigné les nuisances sur les activités socioéconomiques et leurs fréquences de citation.

Tableau 1. Impacts négatifs sur les activités socioéconomiques des populations.

Sources : Données statistiques issues des enquêtes terrain (Novembre-décembre 2021)

Par rapport aux activités de loisirs, ce sont les services sociaux récréatifs (fréquentation touristique, artistiques, esthétiques ; culturels). Les impacts négatifs ces activités se résument au gène des activités nautiques et la diminution de la valeur esthétique du plan d’eau. Selon les enquêtes réalisées, le gène dans les activités nautiques est plus impacté par l’invasion de Thypha (81,25%) suivi de la diminution de la valeur esthétique du plan d’eau (18,75%).

Conclusion

Les résultats ont permis de montrer l’évolution spatiale de Thipha domingensis dans le plans d’eau de Toécé depuis 1998 après la mise en eau du barrage, jusqu’en 2020, suite aux actions menées en 2018 contre la prolifération de la plante. Il y a eu des périodes d’expansion et de retrait de cette plante, mais dans tous les cas, sa présence a eu des effets négatifs sur les surfaces cultivées, l’accès à l’eau pour l’exploitation du lac et les activités de production, l’état sanitaire de la population, les activités de loisir. Les actions de lutte contre Thipha domingensis ont été entreprises et méritent d’être renforcées en mobilisant les moyens financiers et les activités de sensibilisation exigées.

KIENTEGA Yampataba, Msc, kientomarg@gmail.com
KABORE Oumar Maître de recherche, CNRST/INERA, oumarkabore@hptmail.com Tel : 70302462
OUEDRAOGO Lucien, Maître de recherche, CNRST/INERA,lucienouedraogo@yahoo.fr

Bibliographie

Balana B., Debevec L., Kabore L.R.S. 2018. Les usagers de l’eau face à la dégradation des ressources : entre prise de conscience et volonté d’agir. Note technique, International Water Management Institute (IWMI), Accra, au Ghana, http://pwgbf.iwmi.org.

FAYE Véronique Mboss, 2004. Etat actuel des peuplements de Thypha domingensis (pers) dans le delta du fleuve Sénégal et étude de la germination de la plante au laboratoire. Mémoire de DEA, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) ; 56 p.

Lino M., Devernay J.M., Skinner J., Compaore J.-A., et Kone S. 2022. Multi-usage des barrages : le cas du bassin du Niger. E3S Web of Conferences 346, 03030 (2022) https://doi.org/10.1051/e3sconf/202234603030 Sharing Water : Multi-Purpose of Reservoirs and Innovation

Piquemal Didier.1991. Inventaire et bilan des retenues d’eau au Burkina Faso. In : Cahiers d’outre-mer. N° 175 - 44e année, Juillet-septembre 1991. pp. 259-280 ; doi : https://doi.org/10.3406/caoum.1991.3399 https://www.persee.fr/doc/caoum_0373-5834_1991_num_44_175_3399

Sanogo S., Compaore I., Santi S., Bazemo E., Kabre A. 2023. Importance de Azolla pinnata R. Br. dans la structuration des populations de macroinvertébrés de la mare aux hippopotames de Bala (Burkina Faso). Int. J. Biol. Chem. Sci. 17(1) : 13-27, January 2023 ISSN 1997-342X (Online), ISSN 1991-8631 (Print).

Sawadogo L., Ouedraogo R. Louis Belem M, Bonzi M. Ouboulbiga F. Sanogo O. 2014. Lutte contre l’invasion du barrage de Toece (province du passore) par Typha domingensis pers., cyperus articulatus linn., mimosa pigra l., espèces exotiques envahissantes partenariat-INERA-IRSAT et AEN

Thiombiano N., Ouédraogo L.R., Belem R., Guinko S. 2009. Dynamique de l’évolution et impact d’une plante envahissante au Burkina Faso : HYPTIS SUAVEOLENS (L.) POIT. Ann. Univ. Lomé (Togo), 2009, série Sciences, Tome XVIII : 97-115.

THIAM Abou, 2012. Etude de la flore vasculaire, de la végétation et des macrophytes aquatiques proliférants dans le Delta du fleuve Sénégal et le lac de Guiers (Sénégal). Thèse d’État, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) ; 236 p.

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