Colonel Mamadou Doumbouya : Le président de transition de la Guinée hors des sentiers battus
Le colonel Mamadou Doumbouya était à la tribune des Nations unies lors de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies, le 21 septembre 2023 pour son heure de gloire internationale. Ce droit de parole reconnu aux Etats membres, est vécu par certains pouvoirs comme une conquête et une victoire. Seul parmi les chefs d’Etat putschistes au pouvoir en Afrique à avoir fait le déplacement de New York, le président guinéen a fait un discours défendant les coups d’Etat, s’attaquant à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, aux Occidentaux et à la démocratie. Qui est le président de la transition guinéenne ? Quel est son rapport avec les autres dirigeants militaires d’Afrique de l’Ouest ? S’ils sont tous des militaires putschistes font-ils les mêmes rêves ? Quoi de mieux pour rester dans l’air du temps, où les putschistes sont acclamés, qu’un portrait de cet ancien légionnaire français, géant physiquement.
Lui, n’est pas de la dernière pluie des coups d’Etat, il n’est pas venu au pouvoir au temps de « l’épidémie », ou du moins en ce moment-là, on ne ressentait pas le mal comme maintenant. Emmanuel Macron ne s’en plaignait pas, la CEDEAO ne ressentait pas le besoin de lui faire la guerre par l’envoi de forces militaires. Le colonel Mamadou Doumbouya avait renversé un homme qui s’est engagé dans une voie sans issue. Il avait révisé la constitution à marche forcée, organisé des élections sur fond de cadavres de manifestants et s’est fait élire pour un troisième mandat. N’empêche, Doumbouya avait renversé un président mal élu certes, destitué par la force des armes. Cela en fait-il un acte vertueux ?
Putschistes en col blanc versus putschistes en treillis
L’ancien légionnaire, qui ne semble pas être adepte des médecines douces, pense que si. « Je souhaite que l’on retienne bien que les vrais putschistes, les plus nombreux, qui ne font l’objet d’aucune condamnation, c’est aussi ceux qui manigancent, qui utilisent la fourberie, qui trichent pour manipuler les textes de la constitution afin de se maintenir éternellement au pouvoir. C’est ceux en col blanc qui modifient les règles du jeu pendant la partie pour conserver les rênes du pays. Voilà les putschistes les plus nombreux ».
C’est ce qu’il a dit à la tribune des Nations unies après avoir troqué sa tenue militaire pour un boubou blanc. C’est l’éternel dilemme de la peste et du choléra en Afrique. En Afrique la bonne santé n’est pas un droit, il nous faut choisir entre deux maux. Poursuivant dans sa lancée, il ne veut pas de la démocratie qui nous serait imposée par les Occidentaux et qui ne serait pas africaine. C’est une antienne à la mode.
C’est un air de fanfare militaire qu’affectionnent les putschistes et tous ceux qui sont accrochés aux régimes militaires. Ils n’ont pas d’argument pour justifier ce mode de dévolution du pouvoir qui est celui de la loi du plus fort, et de la conspiration. S’il était la voie glorieuse du développement, on n’en serait pas là. Les pays d’Amérique latine et d’Asie en faisaient aussi un usage immodéré, et voyez les aujourd’hui, depuis qu’ils ont abandonné le coup d’Etat permanent, ils sont loin devant nous.
Si l’Afrique est le berceau de l’humanité, rien d’humain ne peut lui être étranger. La démocratie n’est pas réductible aux élections. Les Africains seraient-ils les seuls êtres humains qui n’ont pas besoin de liberté d’expression, d’opinion, de la presse ? La séparation des pouvoirs est-elle contraire aux traditions africaines ? Pourquoi refuser aux Africains de bénéficier des droits de l’homme alors que la charte du Mandé est la première proclamation des droits de l’homme ? La CEDEAO demande à nos militaires s’ils s’estiment meilleurs aux hommes politiques de quitter l’armée, créer leurs partis ou adhérer à ceux existant et se faire élire pour compétir pour le pouvoir sans l’utilisation des armes du peuple. Ce sont les Etats membres de la CEDEAO qui ont signé cette charte de promotion de la démocratie. La redevabilité du pouvoir, la tolérance face aux critiques ne sont pas contraires aux valeurs africaines.
Un proche d’Alpha Condé
Il semble que ce géant que les Guinéens ont découvert au défilé de l’indépendance du pays en 2018, devant l’unité des forces spéciales du pays, est un proche d’Alpha Condé, l’ancien président qu’il a déposé en 2021. C’est par son prédécesseur et grâce à lui que cet homme qui a quitté la légion française avec le grade de caporal-chef est monté en grade et a vite gravi les échelons. Il a fait ses classes dans différentes écoles dont celle de guerre de Paris, et obtenu un master en criminologie.
Il a suivi des formations dont une de Flintlock à Ouagadougou en 2019 où il aurait rencontré le colonel Assimi Goïta et un autre putschiste renversé lui, le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba. Voilà deux ans qu’il est au pouvoir, et si les Guinéens ont acclamé le putsch, un certain nombre d’entre eux se demandent quand est ce que les militaires vont céder le pouvoir aux civils.
Vous avez parlé de Fédération ?
Depuis son arrivée au pouvoir, il y a eu d’autres coups d’Etat en Afrique de l’Ouest. Certains se sont dit que les pouvoirs militaires pourraient se donner la main et pourquoi pas faire une Fédération du Mali, de la Guinée et du Burkina Faso. Mamadou Doumbouya n’a rien dit de cette suggestion, mais des compatriotes à lui sur les réseaux sociaux ont opposé un niet catégorique à se lier à des pays en crise, très touchés par les défis sécuritaires. Certains disaient que dans cette affaire, c’est la Guinée qui serait perdante si elle s’alliait à deux « bras cassés » et qu’ils préféraient que ces deux pays recouvrent l’entièreté de leur territoire avant de fédérer avec la Guinée. Le 26 juillet 2023 il y a le coup d’Etat au Niger, et la menace d’intervention de la CEDEAO pour rétablir au pouvoir le président déchu Mohamed Bazoum.
Mali et Burkina se sont sentis concernés et ont dit qu’une intervention militaire au Niger serait une déclaration de guerre contre leurs pays respectifs. Le pays de Doumbouya s’est opposé à l’intervention militaire de la CEDEAO, point. Puis, le 16 septembre 2023, les putschistes du Niger avec ceux qui l’ont soutenu, ont créé l’Alliance des Etats du Sahel, un regroupement défensif militaire de lutte contre le terrorisme et les rebellions.
S’il est vrai qu’ils sont tous des militaires, les visions ne sont pas les mêmes et Doumbouya trace son sillon à l’écart des autres putschistes.
Sana Guy
Lefaso.net