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Titao : Initiative « Sauvons l’Éducation au Loroum » ou le refus d’abdiquer !

Publié le dimanche 3 septembre 2023 à 22h09min

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Titao : Initiative « Sauvons l’Éducation au Loroum » ou le refus d’abdiquer !

La province du Loroum, dans la région du Nord, est durement éprouvée par l’insécurité, avec pour entre autres conséquences, des milliers de déplacés et d’élèves contraints dans leur cursus scolaire. Face à la situation, l’Association des scolaires et étudiants du Loroum (ASEL) a mis en place une initiative de résilience, dénommée « Sauvons l’Éducation au Loroum », pour un tant soit peu sauver ce qui peut l’être et pour assurer la continuité de l’école dans la localité, à travers le chef-lieu, Titao. Au terme d’une année de bataille, les initiateurs dressent un bilan et se projettent pour l’année scolaire 2023-2024 qui démarre dans quelques jours. C’est à travers cette interview du secrétaire général de l’ASEL, Mikaïlou Ouédraogo.

Lefaso.net : Au terme d’une année scolaire, quel bilan vous faites de votre initiative « Sauvons l’Éducation au Loroum » ?

Mikaïlou Ouédraogo : Le bilan brièvement présenté est satisfaisant. C’est le sacrifice d’étudiants, qui ont tout laissé derrière eux, pour se rendre sur le terrain pour assurer la permanence de l’école. Au niveau du BEPC, nous avons un taux de réalisation de 61, 53%. C’est une satisfaction, parce que le personnel était entièrement composé d’étudiants, qui se sont engagés volontairement et bénévolement. C’est sûr qu’on pouvait faire mieux que cela, si un minimum de conditions d’études et de travail étaient réunies. Mais, nous avons fait ce que nous pouvions, et nous en sommes fiers. Dans les jours à venir, nous allons faire le bilan, ce que nous avons mobilisé l’an passé, année scolaire 2022-2023, pour permettre à ceux qui ont contribué de voir ce à quoi leur sacrifice a servi.

Comment avez-vous pu vous organiser, dans ces conditions qu’on connaît ?

Nous nous sommes appuyés sur notre association, l’ASEL (Association des scolaires et étudiants du Loroum). Nous avons clairement exposé le problème à l’ensemble de nos membres étudiants, présenté le projet et demandé l’appui de chaque étudiant. La situation préoccupe tout le monde. Des étudiants ont donc accepté de repartir au Loroum, au prix d’énormes sacrifices, certains ont laissé leurs cours à l’université (d’autres ont opté de venir uniquement pour composer les sessions).

La quasi-totalité de ceux qui se sont mobilisés pour les cours n’avaient pas terminé à l’université, c’est simplement la volonté pour la cause commune qui a primé et les gens sont repartis pour dispenser les cours. Ça a été un sacrifice, parce que dès le départ, ils savaient que ça allait être très difficile, vue la situation dans la localité et surtout le fait qu’on n’avait pas de moyens pour les soutenir. Ce sont 18 étudiants, et trois enseignants bénévoles venus d’autres localités, qui se sont mobilisés pour assurer les cours toute l’année scolaire.

Le secrétaire général de l’ASEL, Mikaïlou Ouédraogo, témoigne sa reconnaissance aux éventuels soutiens.

L’ASEL a donc été l’initiatrice de ce projet, comment avez-vous procédé ?

Oui. Nous avons commencé par nous organiser à Ouagadougou ici, où se trouve une grande partie des membres du bureau, et dans les autres villes comme Bobo et Koudougou, pour lancer une quête de ressources auprès de nos aînés, afin de pouvoir inscrire les élèves de la province qui sont en situation de déplacés.

L’association n’a d’autres ressources que la cotisation de ses membres, somme qui ne pouvait d’ailleurs servir qu’à se déplacer à Ouagadougou auprès des aînés et parents pour la mobilisation des ressources. Ce que nous avons eu était insignifiant par rapport au besoin, mais on avait décidé de faire avec, en cherchant toujours des solutions. Heureusement, quand nous sommes arrivés à Ouahigouya (chef-lieu de région d’où relève le Loroum, ndlr), on s’est rendu compte qu’une note de l’Etat était sortie, pour permettre la gratuité de la scolarité pour tous les enfants déplacés du Burkina. A partir de là, et comme des Fonds ont été déjà récoltés, nous avons élargi la possibilité.

C’est ainsi que l’idée de s’organiser davantage pour rouvrir les classes sur place à Titao est née. Nous avons donc passé l’information aux parents pour les préparer. Les contributions ont également servi à chercher des vivres pour l’alimentation des élèves (sous forme de cantine) et pour le personnel enseignant. Ce n’était donc pas simple sur le terrain, parce que la localité souffrait déjà de manque de vivres, à cause de la situation, le ravitaillement était très pénible, très rare, voire impossible, si ce ne sont pas des mesures exceptionnelles.

Avez-vous eu l’appui d’autres entités sur le terrain ?

Il y a un comité, que nous remercions dans ce sens, le « Comité soutien à l’éducation au Loroum », pour s’être donné corps et âme pour nous soutenir ; parce qu’un moment donné, l’association était carrément dépourvue, et c’est ce comité-là qui est venu à notre secours pour nous permettre de pouvoir terminer l’année.

Quelles ont été les classes concernées par votre initiative ?

Ce sont les classes allant de la 6ème à la Terminale. Il faut dire que nous étions confrontés à des problèmes liés au nombre d’enseignants ; il y avait un manque d’enseignant d’allemand et de philosophie. Nous étions obligés de demander à quelqu’un, qui n’a pas fait le domaine, mais qui donnait des cours à domicile, de dispenser les cours sur la philosophie. La personne l’a fait et ça s’est bien passé.

Le président de l’ASEL, Abdoulgaililou Kindo (à droite) et son secrétaire général, Mikaïlou Ouédraogo, ont les efforts tournés vers la rentrée 2023-2024.

Et au niveau du BAC … ?

Là-bas également, ça va dans l’ensemble. De Titao, nous avons eu 17 candidats, dont dix permanents, les sept étaient des candidats libres.

Quel était l’effectif des élèves qui ont bénéficié de l’initiative ?

L’initiative a pris en compte 1607 enfants, de la 6ème à la Terminale. Nous avons fait recours à 18 salles de classe. Pour cette année, il faut s’attendre à plus, parce que le taux de succès au niveau du CEP est excellent, auquel il faut ajouter ceux qui n’avaient pas eu la chance de s’inscrire l’an passé.

Comment avez-vous pu remobiliser les élèves ?

Quand on s’est rassuré que nous allons descendre sur le terrain et que nous sommes arrivés à Ouahigouya, nous avons passé l’information à Titao que nous allons venir réouvrir les classes. Donc, les enfants et les parents étaient préparés. Et ici, il faut vraiment féliciter l’Armée, qui nous a aidé, en héliportant notre personnel de Ouahigouya à Titao. Nous lui témoigner vraiment notre reconnaissance. Quand nos enseignants ont été héliportés à Titao, les gens étaient déjà informés et prêts, si fait que la mobilisation a été forte. En plus, les parents connaissent l’ASEL, cela a été facilité.

Quel a été le contexte du déroulement des cours ?

Très difficile. Les enseignants, en plein cours parfois, étaient arrêtés par des élèves qui demandent à partir à la maison parce qu’ils ont faim, ils ont mangé depuis hier. Pour dire que les enfants qui ont eu le courage de s’inscrire et de faire les cours l’ont fait dans des conditions très difficiles. Il y a des enfants qui disent ouvertement qu’ils préfèrent rester à la maison pour vivre la faim que de venir s’exposer encore devant leurs camarades à l’école.

Donc, les conditions étaient très difficiles pour les adultes, à plus forte raison pour les enfants. Il y eut des moments où des parents ont tenté de se suicider, parce que ne pouvant pas supporter de voir, impuissants, leur famille subir la faim. Donc, ce qui s’est passé a été par le sacrifice de tout le monde ; des enfants, des enseignants, des parents et bien d’autres appuis.

L’équipe enseignante a, malgré les difficultés...

Justement, on sait que la cantine est un paramètre très important dans l’école dans ces contrées. Comment avez-vous pu tenir sur ce plan ?

Je vais une fois de plus remercier l’armée, parce que dès que nous avons mis pieds à Titao, et après la crise sur les convois qui n’arrivaient plus à ravitailler la province, au début de la rentrée, il n’y a pas eu une longue rupture du ravitaillement. L’alimentation était très difficile, parce que même quand l’armée mettait une marmite au feu, les enfants venaient s’attrouper autour ; c’était difficile eux-mêmes (les éléments des FDS, ndlr) de manger sous les regards des enfants affamés.

Donc, c’est avec l’armée que nous négocions pour envoyer sac par sac, des vivres de Ouahigouya à Titao. A plusieurs reprises, nous avons négocié avec les responsables de l’armée pour cela. Ils ont été compréhensifs, à la limite, c’était dérangeant à un moment. Mais, quand les convois ont pu se succéder à un moment donné, on n’avait plus de difficultés dans ce sens. La question de l’alimentation, c’était toute la ville, et c’était très critique.

Aviez-vous l’accompagnement de l’administration, c’est-à-dire la direction provinciale des enseignements post-primaire et secondaire du Loroum ?

On peut dire non. Jusqu’à présent, ceux qui sont allés faire les cours l’ont fait sans 5 F. Mais le personnel que nous avons formé a bénéficié d’une formation pédagogique à Ouahigouya. A l’issue de cela, ils ont fait 42 jours sans pouvoir repartir, et les enfants même n’avaient plus espoir, ils croyaient que les enseignants étaient partis. A part les frais de cette formation, ils n’ont eu aucun accompagnement. Etant donné que ce sont des étudiants, certains n’ont même pas pu déposer les concours directs de la Fonction publique, parce qu’ils n’avaient pas de moyens.

On a pu se débrouiller pour que d’autres puissent déposer quelques concours. Mais dans tout cela, nous allons remercier les directeurs provinciaux de l’éducation à titre personnel (le directeur provincial des enseignements post-primaire et secondaire du Loroum et le directeur provincial de l’éducation préscolaire, primaire et non formelle) ; ils avaient la volonté, mais comme c’est une question d’administration, ils n’y pouvaient rien. Malgré tout, ils se sont impliqués personnellement dans l’initiative. On les a sollicités plusieurs fois à Ouahigouya.

A l’absence de l’administration, comment avez-vous organisé les examens ?

Pour le BAC, les candidats ont été héliportés à Ouahigouya. Mais pour le BEPC, le jury et les surveillants sont partis de Ouahigouya pour Titao. Malheureusement, nos enseignants qui ont assuré les cours jusqu’aux examens n’ont même pas été retenus pour la surveillance, on leur a dit clairement qu’ils ne peuvent pas être surveillants (alors qu’on pensait que pour la surveillance au moins, ils allaient être retenus pour leur permettre d’avoir quelque chose, étant donné qu’ils ont travaillé sans rien toute l’année). Pourtant, sans leur engagement, il n’aurait même pas eu examens.

Avoir la surveillance allait leur permettre d’avoir de quoi déposer les concours. Malheureusement, ils ont envoyé le personnel de Ouahigouya, alors que nous y étions depuis le début de la rentrée, pour demander aux enseignants du Loroum qui y ont replié, de soutenir notre démarche. Mais certains ont posé des conditions financières, en disant qu’ils pouvaient revenir, à condition qu’ils soient payés pour ça, un contrat à part, au regard de la situation sécuritaire dans la localité.

... gardé le sourire et l’enthousiasme d’avoir été utile.

Cette année, vous comptez rebeloter l’initiative, avec encore plus d’effectif. Pensez-vous que les étudiants, ceux qui ont servi l’an passé, seront motivés et que d’autres viendront s’ajouter ?

En tout cas, jusqu’à preuve de contraire, malgré les difficultés, l’engament, la détermination, la volonté se lisent sur les visages. Si on arrive à regrouper un minimum de conditions, il n’y aura aucun problème, ils sont engagés pour la cause de la localité.

Qu’est-ce qu’il vous faut pour offrir un minimum de conditions, tant aux enseignants qu’aux élèves ?

Il faut un minimum d’accompagnement. Il reste un mois pour la rentrée 2023-2024, nous sommes déjà dans la mobilisation au niveau de l’association pour solliciter des appuis de toutes les bonnes volontés, à commencer par les ressortissants de la province. Nous voulons mieux faire que l’année 2022-2023.

A part la ressource financière ?

Nous voulons une tenue unique pour nos élèves, pour éviter des infiltrations. Ça ne résout pas le problème, mais ça peut minimiser. Donc, la tenue peut être une bonne chose. Il y a ensuite des doléances qu’on va adresser au ministère en charge de l’éducation, concernant la prise en compte des enseignants, parce que si le secrétariat technique de l’éducation en situation d’urgence a accompagné dans ce sens dans certaines provinces, chez nous ça n’a pas été le cas. Chez nous, ça a été des actions volontaires pour aider ces enfants. Ailleurs, le secrétariat technique de l’éducation en situation d’urgence s’est occupé de la mobilisation et du recrutement des enseignants, contrairement à notre cas.

Nous demandons, s’il y a des possibilités, que ces enseignants volontaires soient pris en compte. Enseigner pendant toute l’année, sans rien et sans un seul jour manifester le découragement, c’est un vrai sacrifice. Ces enseignants sont revenus comme ils sont partis. Ils ne réclament rien, c’est la structure ASEL qui juge nécessaire de plaider pour eux.

Une des classes..., en plein cours.

Quelle a été la part des parents dans tout cela ?

Les parents se sont battus comme ils pouvaient. En cours d’année, au moment même où les populations manquaient de quoi se mettre sous la dent, des parents nous trouvaient au moins un plat par jour. Donc, les parents, les populations en générale, ont soutenu l’éducation, ils l’ont manifesté pour la bonne cause.

A quelques jours de la rentrée scolaire, quels autres messages avez-vous à lancer ?

Nous demandons aux associations de la province, de surtout plaider pour l’éducation dans le Loroum. La question de l’éducation ne devrait pas être l’affaire principalement de l’ASEL, elle qui est une structure d’élèves et d’étudiants, d’apprenants, il y a des structures-mères dans la province, plus aptes à porter ce combat, quitte à ce que la mobilisation du personnel revienne à l’ASEL.

Mais l’ASEL se trouve être l’actrice principale de la cause de l’éducation, avec ses seules ressources de cotisations annuelles de ses membres, 1 000 francs CFA par membre. C’est l’occasion ici de remercier tous ceux qui ont, l’année passée, contribué à ce que ces enfants puissent rester à l’école. Certains ont vraiment voulu nous aider, mais les moyens ont fait défaut ; parce que dans la situation actuelle, nombreux sont ceux qui ont déjà en charge des enfants, des familles déplacées.

Donc, la pression est déjà forte et on comprend. Nous profitions donc pour demander à toutes bonnes volontés, des appuis cette rentrée 2023-2024, pour pouvoir secourir ces milliers d’enfants par leur maintien à l’école ; parce que le terrorisme n’est pas seulement ce qu’on vit actuellement, c’est aussi dans le futur, si tous ces enfants ne sont pas encadrés. Nous voulons saluer ici également, le chef de Titao, dont l’attachement à la cause a été déterminant.

Nos reconnaissances et encouragements vont aussi à l’ensemble des Forces de défense et de sécurité, aux Volontaires pour la défense pour la patrie, et à tous ceux qui se battent, chacun dans son domaine, pour que la province et l’ensemble du Burkina puissent retrouver la sécurité. Que Dieu bénisse notre pays !

Interview réalisée par O.L
Lefaso.net

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